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Dialogue Pouhiou Calimaq sur le domaine public et plus parce qu'affinités

vendredi 1 mars 2013 à 16:51

Pouhiou est notre joyeux et émérite premier romancier chez Framabook. À l’occasion de la sortie prochaine du livre II du cycle des NoéNautes, il a lancé une originale campagne de crowdfunding sur Ulule qui a fait réagir le blogueur influent (parce que brillant) Calimaq.

Ce dernier s’est en effet aventuré à parier que si cette campagne aboutissait alors il élèverait lui aussi son blog dans le domaine public via la licence Creative Commons CC-0. Bien mal lui en a pris puisque la campagne vient déjà de dépasser la barre escomptée (Pouhiou vous en remercie en vidéo ici) et se poursuit d’ailleurs…

Chose promise, chose due donc, et prétexte surtout à un passionnant entretien dialogue entre deux personnalités fortes du « Libre » francophone.

Je cède la parole à Pouhiou, et ça tombe bien car il adore la prendre ;)


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En lançant le blog de mon roman feuilleton, j’ai eu d’instinct l’envie que cette histoire appartienne à ses lecteurs. Qu’ils s’en emparent. C’était une certitude que je ne savais pas comment appliquer dans les faits. M’intéressant au livre et au droit d’auteur, je suivais déjà le blog S.I.Lex écrit par un certain Calimaq. Ce mec, passionné et passionnant, arrive à transformer un sujet à priori lourd et chiant (la propriété intellectuelle) en une épopée rocambolesque. A force d’exemples, de décryptages, de coups de sang et de coup de cœur, il nous plonge dans les eaux du copy-right-left-up&down, on baigne en Absurdie et l’on ressort de son blog plus juriste qu’on y est rentré… sans même s’en apercevoir.

Un de ses billets m’a fait prendre conscience que la place de mes œuvres était dans le domaine public. J’ai donc passé tous mes écrits sous la licence CC0 et l’ai chaudement remercié dans cet article.

Il est né de cet échange une amitié intellectuelle. Calimaq s’est mis à défendre et mon œuvre, et la démarche qui l’accompagnait. Je me suis engagé dans SavoirsCom1, un collectif qu’il a co-fondé pour la défense des biens communs informationnels. Je ne compte plus les fois où l’on s’est dit « merci », tant chacun semble admirer et être complice de ce que fait l’autre. C’est ce genre d’émulation où la réflexion de l’autre nourrit la tienne, et te mène un poil plus vite, un poil plus loin que là où tu te serais rendu tout seul.

Quand, avec Framasoft, on a initié ce crowdfunding fou (toujours en cours sur Ulule) pour que le lancement de #MonOrchide (livre II des NoéNautes) puisse financer la distribution gratuite d’exemplaires de #Smartarded (le livre I), Calimaq a répondu présent. Il a fait un bel article pour promouvoir cette expérience . Mais, chose inattendue, il a ajouté ce post-scriptum explosif :

PS : allez, moi aussi, je mets quelque chose dans la balance. Si Pouhiou réussit son pari, je passe S.I.lex en CC0. Ceci n’est pas une parole en l’air !

Le pari est réussi. En 22 jours, on a atteint les 2200 € qui nous permettront de distribuer au moins 32 exemplaires de #Smartarded. Grâce à une mobilisation peu commune il ne nous a fallu que la moitié des 45 jours prévus (ce qui veut dire qu’il reste trois semaines pour battre tous les records et accroître le nombre de livres à distribuer !)

Le pari est réussi, et S.I.Lex devient un dommage collatéral : Calimaq tient sa part du contrat, élevant son blog dans le Domaine Public Vivant. Je sais que, le connaissant, ce n’est pas un geste anodin. Une belle occasion de discuter avec lui de licences, d’écriture, et de qu’est-ce que ça veut bien dire, toutes ces choses-là…

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Pouhiou : Tu m’as fait un super article sur ton blog S.I.Lex, qui a été repris par ActuaLitté. Cela m’a beaucoup aidé à faire connaitre le projet. C’était déjà énorme (merci ^^). Pourquoi avoir en plus ajouté la licence de ton blog dans la balance ?

Calimaq : Cela fait un moment que je m’intéresse à ce que tu fais autour du cycle des Noenautes et d’après ce que tu as écrit sur ton blog, un des billets que j’avais écrit sur S.I.Lex t’avait influencé dans ta décision d’adopter la licence CC0 pour ton premier roman #Smartarded.

Quand j’ai vu que tu lançais cette opération de crowdfunding, j’ai voulu la soutenir et la faire connaître, parce que je trouve qu’elle bouscule la manière dont nous avons l’habitude d’appréhender des notions fondamentales, comme celles du gratuit et du payant. Avec la licence CC0, tu as renoncé à tes droits d’auteur pour que tes œuvres soient complètement libres, tout en réussissant à faire paraître ton roman chez Framabook. C’est déjà en soi assez perturbant pour les schémas habituels. Mais tu ne t’es pas arrêté là et par le financement collaboratif, tu as cherché à faire en sorte qu’un maximum de livres en papier deviennent gratuits afin de pouvoir les offrir.

Le plus intéressant dans ta démarche, je trouve, c’est que derrière ces décisions, il y a un modèle économique bien pensé, qui utilise le crowdfunding pour raccourcir la chaîne de l’auteur au lecteur, dans le but de diminuer les coûts. Tu démontres de manière paradoxale que la gratuité a toujours un coût. C’est typiquement le genre d’approches alternatives qui retiennent mon attention, parce que je trouve qu’elles font avancer la réflexion. Dans le contexte actuel de crispations autour des questions de droit d’auteur, qui sont particulièrement vives dans le secteur du livre, je pense que des initiatives comme les tiennes sont importantes. J’ai aussi beaucoup apprécié la lecture de ton premier roman #Smartarded et j’ai commencé à lire la suite #MonOrchide par petites touches sur ton blog. Tout cela a fait que j’ai voulu te soutenir en écrivant un billet sur S.I.lex et je me réjouis de ta réussite.



Merci ! Mais là tu parles plus de moi que de toi, hein… J’ai bien saisi que ce billet a été un élément déclencheur, mais est-ce qu’il s’agit d’un coup de tête ou est-ce que ça fait partie d’une réflexion personnelle plus… ancienne ?



Au-delà du billet, pourquoi avoir promis de changer la licence de mon blog si ton pari réussissait ? Peut-être d’abord un peu par superstition, pour porter chance à ton projet, en engageant quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. Par ailleurs, je me posais des questions à propos de la licence de S.I.Lex depuis un certain temps. À vrai dire depuis le moment où j’ai écrit le billet Rien n’est à nous : grandeur et misère du domaine public volontaire. J’y montrais comment un certain nombre de créateurs dans le passé avaient choisi pour diverses raisons de renoncer aux droits sur leurs œuvres pour se placer en dehors de la logique de la propriété intellectuelle : Léon Tolstoï, Romain Rolland, Jean Giono, les affichistes de mai 68, les situationnistes, le musicien folk Woodie Guthrie.

Le domaine public est une notion qui a un grande importance pour moi et pour laquelle j’essaie de me battre. Il m’a semblé que le moment était venu de franchir le pas et de placer ma propre création, S.I.Lex, dans le domaine public volontaire.

Ton blog était en licence CC-BY (la seule condition de partage est de citer l’auteur). Là tu le passes en CC0. C’est quoi, au fond, la différence ?

Juridiquement dans le cadre du droit français, il n’y a pas tellement de différences. En effet, le Code de Propriété Intellectuelle ne permet pas dans notre pays de renoncer valablement à son droit moral, ce qui signifie qu’on doit théoriquement interpréter la CC0 comme une CC-BY. Je n’ai pas la possibilité légale de renoncer à mon droit à la paternité. Ce caractère inaliénable du droit moral a été voulu pour protéger l’auteur dans le cadre des contrats d’édition. Même dans le cas des « nègres » (ou, plus joliment dit, Ghostwriters en anglais), il reste possible pour eux de réclamer devant un juge la paternité d’un texte écrit pour quelqu’un d’autre, quand bien même ils se seraient engagés par contrat à ne pas révéler leur identité (on a des jurisprudences intéressantes à ce sujet dès le 19ème siècle, notamment dans l’affaire qui opposa Alexandre Dumas à l’un de ses collaborateurs, Auguste Maquet.

Le problème, c’est que l’application trop rigide de ce principe aujourd’hui peut conduire à « protéger » l’auteur contre lui-même, alors qu’il manifeste clairement la volonté de renoncer à ses droits. La licence CC0 a d’ailleurs été obligée de prendre en compte cet état de fait, en précisant que l’auteur renonce à ces droits « dans la mesure permise par la loi ». Cela veut dire que l’effet de la CC0 varie selon les pays : aux États-Unis, où le droit moral n’existe pas vraiment, il est total ; en France, il reste juridiquement incomplet, puisque le droit moral persiste. Le seul pays à l’heure actuelle qui reconnaisse explicitement la possibilité de verser ses œuvres dans le domaine public volontaire, c’est le Chili.

Donc passer de CC-BY (licence déjà très ouverte) à CC0 n’a pas beaucoup d’effets pratiques… tant que la propriété intellectuelle n’est pas réformée en France. Malgré tout, je ne t’imagine pas homme à manier ces licences à la légère. Si passer de la CC-BY au Domaine Public Vivant n’est pas un choix pratique, il est de quel ordre ?

Cette décision revêt à mes yeux une valeur symbolique et psychologique importante, en tant qu’auteur. Je ne suis pas comme toi auteur de littérature ou de théâtre, mais j’ai un rapport profond avec l’écriture. J’écris sur S.I.Lex par besoin viscéral d’écrire et quand je décroche de l’écriture, je périclite littéralement. Pour moi, l’écriture a aussi une importance comme trace que l’on laisse de soi au-delà de son existence. Du coup, le BY - la paternité - gardait une vraie importance à mes yeux, comme une sorte de « cordon ombilical » ou de minimum minimorum du droit d’auteur, dont il était difficile de se détourner. Couper ce cordon en adoptant la CC0 n’était pas anodin et il m’a fallu un certain temps - et un coup de pouce de ta part - pour lâcher prise !



Quel est l’intérêt, pour toi, de mettre de son vivant des textes dans le domaine public ?

Pour moi, l’intérêt principal, c’est de sortir en dehors du cadre du droit d’auteur. Avec les licences libres, on passe de la logique du copyright à celle du copyleft, mais on reste encore dans le système du droit d’auteur. Les licences libres ne sont pas une négation du droit d’auteur, mais une autre manière de le faire fonctionner. Avec la licence CC0, on n’est plus dans le copyright, ni même dans le copyleft, mais littéralement dans le copy-out. On décide sciemment que son œuvre n’est plus saisie par le droit d’auteur et ne doit plus être comprise à travers ce filtre. Je ne prétends pas que cette voie doive être suivie par tous les auteurs. Mais au stade où j’en suis, c’est cohérent avec ma démarche.

Tu dis de ton côté que tu n’as pas l’impression que tes textes ne t’appartiennent pas, mais que tu “digères” des éléments extérieurs que tu restitues par tes écrits. De mon côté, j’ai très tôt été sensible aux effets d’intelligence collective sur la Toile, avec le sentiment que je me devais de rendre à l’intelligence collective ce qu’elle me donne. Il n’y a pas un seul de mes billets qui n’ait été déclenché par les conversations et les échanges dans les flux. Dès lors, le meilleur moyen d’être cohérent avec moi-même, c’est d’opter pour le domaine public volontaire.

Par ailleurs, je pense important de montrer que le domaine public n’est pas seulement une chose du passé, mais qu’il peut être vivant aujourd’hui. En tant qu’auteur de son vivant, contribuer à alimenter le domaine public, c’est la meilleure manière de s’en faire l’ambassadeur et d’agrandir le cercle des biens communs de la connaissance.

OK : on a tous les deux ce souci de cohérence. C’est bien beau d’utiliser une licence parce qu’elle te met en adéquation avec ce que tu ressens de ta production intellectuelle… Mais il y a forcément des pragmatiques qui vont nous traiter d’utopistes ! Ils vont nous rappeler qu’on vit dans un monde où les enjeux commerciaux prévalent et où — selon eux — les circonstances font qu’il vaudrait mieux armer et protéger ses œuvres… D’un point de vue pratique, la clause non commerciale (NC) est un outil redoutable quand la CC0 est une passoire ! Du coup, une licence, c’est la conséquence d’un ressenti théorique ou la résultante d’un besoin pratique d’outil légal ?

C’est sans doute assez souvent le résultat d’un compromis entre les deux. Il faut considérer la situation des auteurs dans leur diversité et de multiples stratégies sont envisageables avec les licences. Les choses peuvent varier également selon les domaines de la création. Quand on voit un Cory Doctorow ou un Lawrence Lessig publier leurs ouvrages chez des éditeurs traditionnels et placer les versions numériques sous CC-BY-NC, je trouve que c’est une stratégie compréhensible et qu’ils ont par ce biais contribué à faire avancer la cause, en diffusant leurs idées dans un large cercle.

Beaucoup de créateurs en revanche ne cherchent pas un retour financier pour les œuvres qu’ils produisent. C’est le cas pour la plupart des amateurs qui créent des contenus sur Internet. Dans ce genre de situation, la réservation de l’usage commercial n’est généralement pas justifiée et choisir cette clause impose des contraintes sans réelle nécessité. Mais dans certaines situations, la clause NC peut constituer un élément intéressant pour permettre la circulation des œuvres tout en mettant en place un modèle économique. Il y a un débat assez vif en ce moment sur la légitimité de la clause NC, notamment telle qu’elle figure dans les licences Creative Commons. Je ne fais pas partie de ceux qui condamnent cette clause de manière systématique et j’ai déjà essayé de montrer que ce serait une erreur selon moi de la supprimer.

Malgré cela, tu n’as jamais mis de clause NC sur ton blog S.I.Lex...

Dans mon propre cas, je n’en vois absolument pas l’intérêt… Mon objectif en écrivant de cette manière est d’être lu par un maximum de personnes. Si certains de mes billets sont repris sur d’autres sites, y compris des sites se livrant à des activités commerciales, cela ne peut qu’augmenter l’exposition de mes écrits. J’ai d’ailleurs toujours fonctionné depuis le lancement de S.I.Lex dans un « écosystème » de sites. Très vite, j’ai eu la chance de voir certains de mes billets repris par le regretté OWNI. Cela a grandement contribué à faire connaître S.I.Lex et à développer mon lectorat. D’autres sites me reprennent régulièrement, comme Actualitté ou plus récemment Slate.fr. J’ai toujours considéré que S.I.lex était une sorte de plateforme de tir, où je posais des écrits qui pouvaient ensuite aller faire leur vie ailleurs. Avec une licence NC, les choses auraient été beaucoup plus compliquées.

La licence CC0 est peut-être une passoire, mais dans les conditions particulières qui sont les miennes comme auteur, elle conviendra parfaitement à ce que je veux faire de mes créations. Même si un éditeur vient publier certains de mes billets sous forme de livre dans un recueil, cela ne fera que contribuer encore à leur diffusion.

Du coup, tu n’exiges plus que l’on te cite comme source de tes écrits… de manière légale, c’est ça ? C’est un peu comme moi en fait : tu ne brandis pas d’arme juridique. Plutôt que de les craindre, tu donnes ta confiance aux personnes qui s’inspireront de (ou diffuseront) tes écrits. Confiance en le fait qu’elles soient assez respectueuses pour citer leur source.

La question qui peut se poser est celle du plagiat, quelqu’un qui viendrait s’approprier certains de mes textes en les publiant sous son nom. C’est une chose qui m’est déjà arrivée une fois et j’avoue que cela m’avait laissé une sensation assez désagréable.

Mais une personne comme l’artiste Nina Paley dit des choses très intéressantes sur les rapports entre le copyright et le plagiat. Elle considère en effet que le droit d’auteur paradoxalement favorise davantage le plagiat qu’il ne l’empêche. Elle explique également que le fait de créditer l’auteur relève en fait d’un système de régulation sociale qui n’a pas nécessairement besoin du droit pour fonctionner. Il s’agit en fait davantage de règles éthiques que des communautés se donnent. Nina Paley place d’ailleurs ses créations dans le domaine public volontaire en utilisant la non-licence Copyheart ou la CC0. Elle dit vouloir en cela faire œuvre de « non-violence légale » et je trouve que c’est un discours inspirant.

Un des pivots du libre, c’est sa viralité. On m’affirme que des processus du type la clause SA ont permis au libre de se développer tel qu’il est aujourd’hui. Pour mon compte, la SA est trop paradoxale. Je dis toujours que la première des libertés c’est de ne pas me lire. Dans la même veine, obliger les gens qui adapteront/traduiront/réécriront/diffuseront mes romans à mettre leur production sous licence libre, ça me semble créer de l’enclosure. Ce serait un peu comme forcer les gens à se vacciner au lieu de leur montrer comme on est mieux une fois bien portant… Et du coup j’aperçois que ton blog S.I.Lex n’était même pas sous clause SA ? Pourquoi ?

C’est une question intéressante et là aussi, je m’étais longuement posé la question lorsque j’avais choisi ma licence.

La clause de partage à l’identique est très importante dans beaucoup de domaines, comme celui du logiciel libre qui est fondé sur cette idée qu’il ne doit pas y avoir de possibilité de supprimer les libertés conférées à tous par la licence. Contrairement à ce que tu dis, je soutiendrais que le SA garantit au contraire qu’il ne puisse jamais y avoir d’enclosure sur une œuvre. Personne ne peut plus s’approprier de manière définitive un contenu placé sous Share-Alike. C’est pourquoi il me semble que c’est un type de licence adapté pour les biens communs que des communautés veulent protéger des risques d’enclosure. Si l’on prend le cas de Wikipédia, la licence CC-BY-SA est parfaitement adaptée, à la fois au travail collaboratif et aux réutilisations des contenus. Elle garantit que cela puisse se faire, même à titre commercial, mais sans réappropriation.

Cependant, je peux comprendre que tu ne veuilles pas placer tes écrits sous le régime du partage à l’identique, et c’est aussi la conclusion à laquelle j’étais arrivé pour S.I.Lex. Si je prends le cas des billets que reprenait OWNI par exemple, les choses auraient été trop compliquées avec une CC-BY-SA. En effet, OWNI reprenait mes billets, mais en les modifiant légèrement. Les journalistes de la plate-forme changeaient généralement le titre, ajoutaient des intertitres, inséraient des illustrations, des vidéos et parfois même des infographies. Il arrivait également que certains de mes billets soient traduits en anglais pour alimenter OWNI.eu. Tout cet apport éditorial était à mes yeux excellents, mais d’un point de vue juridique, il s’agissait d’adaptations de mes créations, ce qui aurait déclenché la clause de partage à l’identique, si j’avais choisi une CC-BY-SA. Or OWNI était sous CC-BY-NC-SA et il n’aurait pas été simple pour eux d’intégrer mes billets si je n’avais pas laissé une grande ouverture avec la CC-BY.

De plus, la CC-BY-SA n’est pas toujours simple à appliquer, comme l’avait prouvé l’affaire qui avait opposé Michel Houellebecq à Wikimedia, lorsque qu’il avait intégré dans son roman La Carte et le Territoire des extraits d’articles de Wikipédia sans mention de la source, ni crédits des auteurs.

Le domaine public et le libre ne sont pas exactement superposables. Le propre du domaine public, c’est de constituer un réservoir complètement ouvert dans lequel on peut venir puiser pour alimenter sa création sans contraintes. Les deux approches sont importantes et complémentaires.

Mais attends, de nous jours, entre les CopyrightMadness, les guerres de brevets, ceux qui s’approprient mon grain de maïs ou ton rectangle à bords arrondis… Avec tous ces abus du côté de la propriété intellectuelle et des biens communs… Y’a pas plus important ou plus urgent que de s’occuper du domaine public ?

Oui, c’est certain qu’il existe des sujets alarmants sur lesquels il devient urgent d’agir. Je ne suis pas seulement engagé pour la défense du domaine public, mais plus globalement pour la promotion des biens communs de la connaissance, ce que je fais au sein du collectif SavoirsCom1. Je milite également aux côtés de la Quadrature du Net pour la légalisation des échanges non-marchands et la mise en place de solutions de financement mutualisées pour la création, comme la contribution créative ou le revenu de base.

Néanmoins, je pense que le domaine public peut constituer un bon angle d’attaque pour s’engager dans une réforme positive de la propriété intellectuelle. On a un peu l’impression d’être aujourd’hui face à une forteresse imprenable et on n’arrive pas à sortir des débats autour de la répression du partage des œuvres, qui continuent à monopoliser l’attention du législateur comme on le voit bien avec les travaux de la mission Lescure. C’est pourquoi il me paraît intéressant d’ouvrir de nouveaux fronts qui permettront de défendre l’idée que nous possédons des droits positifs sur la culture. Le domaine public peut être une piste en ce sens et j’ai fait des propositions de réforme législative pour consacrer et renforcer cette notion dans le Code de Propriété Intellectuelle.

Par ailleurs, tu évoques le Copyright Madness, mais le domaine public pourrait aussi être un moyen de lutter contre les pires dérapages de la propriété intellectuelle. On a vu par exemple récemment des laboratoires pharmaceutiques déposer valablement des brevets en Australie sur les gènes responsables du cancer du sein, ce qui est absolument terrifiant puisque cela signifie que tout chercheur qui voudra mettre au point un remède devra leur verser des royalties. Aux États-Unis, Monsanto a relancé une offensive en justice pour empêcher des agriculteurs de replanter des semences de variétés brevetées et l’entreprise semble en passe de l’emporter. Cela peut avoir des conséquences dramatiques au niveau mondial.

Ces dérives ont un lien avec le domaine public, parce que celui-ci ne contient pas seulement les œuvres anciennes, mais aussi tout ce qui ne devrait pas pouvoir faire l’objet d’une appropriation exclusive. Cela vaut pour certains éléments de la Culture, mais aussi pour des choses aussi essentielles que le génome humain ou les semences.

Le domaine public devrait être le bouclier qui protège tous ces éléments fondamentaux de la folie de l’appropriation, mais c’est à nous de le promouvoir et de le faire vivre pour qu’il puisse remplir ce rôle.

Je crois qu’on ne peut pas trouver de meilleure conclusion ! Merci à toi, Calimaq.

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Geektionnerd : Le piratage promotion de Game of Thrones

vendredi 1 mars 2013 à 11:15

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)

7 raisons pour ne pas utiliser les tablettes dans l'éducation

mercredi 27 février 2013 à 19:30

Une récente passe d’armes sur le bien fondé d’offrir des iPad à des collégiens en Corrèze avait fait couler beaucoup d’encre dans les commentaires du Framablog.

Nous récidivons aujourd’hui en laissant de côté les arguments du libre pour se concentrer uniquement sur la pertinence de la tablette en milieu scolaire.


Urban Hippie Love - CC by-sa


Trop cool pour l’école : 7 raisons pour lesquelles les tablettes ne devraient PAS être utilisées dans l’enseignement

Too cool for school: 7 reasons why tablets should NOT be used in education

Donald Clark - 24 février - Blog perso
(Traduction : Moosh, Max, DansLeRuSH, CedricA, Sphinx, Mila Saint Anne, Catalaburro, VifArgent, goofy, @paul_playe, Miles, Alpha + anonymes)

Est-ce que les élèves en achètent ? NON

J’écris ceci sur un netbook. J’ai un iPad mais je ne rêve pas de m’en servir pour faire des recherches, prendre des notes, écrire ou pour mon travail. Je m’en sers à la maison comme une sorte de matériel de découverte, davantage pour « chercher, regarder et découvrir » que pour « écrire, créer et travailler ». Mes enfants ne s’en servent jamais. Quand je leur demande si certains de leurs camarades en ont acheté, ça les fait rire. De toute façon, « pour le même prix on a des ordinateurs portables ». Ils veulent un truc pour aller sur Facebook, lire leurs courriels, éditer du son ou de la vidéo, jouer, programmer et télécharger. Sur mes deux garçons, l’un a un MacBook, l’autre un PC survitaminé. Je ne m’en sers jamais dans la mesure où j’ai surtout besoin d’écrire et de communiquer — c’est simplement trop malcommode et limité.

Est-ce que les étudiants en achètent ? NON

Que ce soit à l’école, au lycée ou à l’université, il semble que les jeunes préfèrent les ordinateurs, que ce soit pour prendre des notes, écrire des devoirs ou autres choses. Ils veulent la souplesse d’un ordinateur complet, pas un appareil qui ait un look sympa. Les tablettes n’ont pas envahi nos bibliothèques. Les étudiants font des recherches, communiquent et, par-dessus tout, ont besoin d’écrire des quantités non négligeables de texte, voire de code. Les tablettes ne le font pas pour eux.

Est-ce que les employés s’en servent ? NON

Et puis il y a l’entreprise. Je n’ai pas encore vu une entreprise qui ait décidé de généraliser les iPad ou des tablettes si ce n’est pour des raisons ésotériques tournant autour de leur image de communicants. Encore une fois, les gens au travail veulent un ordinateur complet et connecté qui leur permet de faire des tâches fonctionnelles rapidement. Quand je vois des iPad sur un lieu de travail, ils sont généralement entre les mains de personnes d’un certain âge qui prennent des notes (lentement) avec un seul doigt, qui se débattent pour télécharger des documents et des feuilles de calcul et qui sont souvent les mêmes qui demandent une copie papier de tous les documents de travail avant la réunion. Un netbook à 299 £, pas de papier : ça me satisfait.

Alors pourquoi cet engouement pour les tablettes et les iPad dans les écoles ?

Mis à part ces motivations d’achat, pourquoi cette obsession des iPad ? Je n’ai pas été séduit et je n’achèterai pas le package. Si comme moi vous considérez que l’enseignement doit faire émerger des individus autonomes qui peuvent construire une vie dans laquelle ils se sentent en confiance avec la technologie, acquièrent des compétences grâce à elle et en retirent le maximum à la maison ou au boulot, alors un iPad ou une tablette est un mauvais choix et voici selon moi pourquoi…

1. L’écriture

La capacité à écrire se retrouve au cœur de l’éducation primaire, secondaire et supérieure. Les enfants ont besoin d’être encouragés à beaucoup écrire pour apprendre, que ce soit en prenant des notes, en rédigeant des devoirs, des rapports, des manipulations de données, des écrits d’invention ou des dissertations. Les claviers des écrans tactiles sont inconfortables avec des taux d’erreur élevés et la manière de sauvegarder, travailler en réseau, ou d’imprimer est tortueuse. On revient à l’ardoise victorienne, voire bien pire en fait. J’en possède une et je trouve qu’il est plus facile d’écrire sur cette ardoise plutôt que de taper sur un iPad. Fait intéressant, en leur fournissant un appareil si hostile à la création de l’écriture, vous pouvez faire passer l’envie d’écrire aux élèves débutants. Répondre à cela en disant qu’il est possible d’acheter des claviers pour les tablettes revient à admettre une défaite. C’est répondre que les tablettes ne fonctionnent que si vous les transformez en ordinateur. À quels coûts supplémentaires ?

2. La créativité

Les tablettes sont faites pour consommer du contenu, les ordinateurs (portables) permettent la création de contenus. Ce n’est pas parce que les choses sont belles sur un iPad qu’elles sont faciles à faire avec celui-lui. Les outils de création dans la plupart des domaines de l’art et du design sont très différents des outils de diffusion. Essayez d’utiliser Photoshop, Illustrator ou encore 3D Studio sur une tablette. Essayez de faire une sélection pixel par pixel, d’utiliser des calques, de faire des ajustements précis. L’écran n’est tout simplement pas assez grand pour ce genre de travail. C’est un appareil que l’on tient à la main, pas un outil de travail. Les tablettes sont rares dans le monde du travail où l’écriture demeure nécessaire. La maîtrise du clavier et les compétences sur d’autres appareils dont vous pouvez avoir besoin dans la vraie vie ont peu de chances d’être acquises grâce à l’iPad.

3. L’informatique, les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), la programmatue je passe ion

Peu importe le but de l’apprentissage de l’informatique, de la programmation ou des technologies de l’information à l’école, je ne pense pas que l’iPad ou les tablettes soient appropriés. Apprendre à manipuler un tableur sur un iPad est pénible. Vouloir apprendre à programmer avec, ridicule. Quelle personne sensée voudrait utiliser une interface tactile pour programmer, ce qui implique beaucoup d’écritures détaillées, supprimant, ajoutant des lignes, aussi bien que dans un environnement plus ouvert ?

4. Un appareil de consommation, pas d’apprentissage

Par-dessus tout, un iPad est un outil de consommateur, fait pour lire et pas pour écrire. Il a un rôle à jouer dans les apprentissages, particulièrement au niveau pré-scolaire pour les tout-petits, mais au-delà, il n’y a pas d’argument sérieux pour justifier un investissement de grande ampleur dans ce genre de matériel. La meilleure preuve en est que quand les élèves ou les étudiants s’équipent en informatique, ils n’achètent pas de tablettes. Ils achètent des ordinateurs de bureau, des netbooks ou des ordinateurs portables.

5. Inadéquation avec les besoins des enseignants

Il y a l’exemple d’une école qui avait échangé ses ordinateurs portables contre des tablettes, et qui souhaite aujourd’hui faire machine arrière. « La salle des profs se lamente », car les problèmes pédagogiques sont évidents. D’un point de vue technique, les enseignants ont vécu cela comme un cauchemar. La plupart des enseignants et le matériel pédagogique qu’ils utilisent s’appuient sur Word et PowerPoint, et l’utilisation de tablettes a entraîné des problèmes d’incompatibilité. Certains professeurs ont dû faire héberger leur contenu à l’extérieur de l’établissement, ce qui a posé des problèmes d’accès aux ressources. Il y a également des problèmes d’affichage avec l’écran au format 4:3 des iPad, des problèmes d’accès à Internet au travers des proxy. Mais le principal problème reste la capacité de stockage et le manque de ports USB. Cela implique l’utilisation de procédures plus complexes, comme par exemple l’usage de DropBox et de tous les problèmes afférents. Les tablettes ne sont pas des outils adaptés aux enseignants. Sans une véritable connaissance des logiciels et des besoins des enseignants, il n’y a aucune plus-value pour les apprenants.

6. Le prix élevé

Les iPad sont chers à l’achat et à l’entretien, et sont compliqués à mettre en œuvre en termes de réseau et de périphériques. Ils sont conçus pour être utilisés à la maison et non à l’école, dans les laboratoires ou les salles de classe. Ce constat a été dressé par l’Honnywood Community Science School, une école qui vient tout juste de se créer, qui a acheté 1200 iPad pour un montant de 500000€ , dont la moitié sont maintenant inutilisables. Il existe donc une réelle interrogation sur la solidité de la technologie à l’école et dans les sacs des élèves, où ces équipements sont malmenés, tombent et sont rayés. Pire encore, 20% de ceux qui ont été envoyés en réparation en sont à leur deuxième ou troisième retour au SAV. Bien qu’il ait été demandé 50€ aux parents par tablette, ces dernières coûtent en réalité 450€ et les élèves ne semblent pas prendre particulièrement soin de quelque chose qu’ils n’ont pas acheté. Le coût final, quand on ajoute les réparations, est encore plus élevé que prévu.

7. Des projets vaniteux

Une personne très bien informée, ayant participé à une réunion dans les hautes sphères du gouvernement qui a décidé d’introduire les tablettes à l’école, m’a dit que cela avait été pénible et bordélique. Les tablettes, données par une entreprise informatique, furent bien livrées à l’école, où le chef de l’établissement les dissimula aux autres enseignants. C’est exactement comme cela qu’il ne faut PAS introduire les nouvelles technologies dans les écoles : acheter des appareils à la mode en grande quantité, les distribuer dans de belles boites et espérer que tout ira bien. C’est le danger avec ces projets fondés sur des tablettes, nous nous basons rarement sur une analyse poussée pour choisir la technologie la plus appropriée, nous avons plutôt tendance à nous baser sur le fait qu’Apple est à la mode ou sur les conseils des fans de cette marque. Nous devons éviter de faire comme tout le monde et de mettre en place des projets prétentieux qui présupposent que ce qui est cool pour les consommateurs adultes sera cool pour l’école.

J’ai passé toute ma vie d’adulte à encourager l’adoption des technologies dans l’enseignement mais je veux être sûr qu’on ne se tire pas une balle dans le pied avec des projets qui n’ont pas pris en compte les sept points ci-dessus. Pour être honnête, je ne suis pas du tout certain du bien-fondé d’une technologie imposée aux salles de classe. Laissons les enseignants enseigner et, si vous introduisez ce genre de choses, réservez plutôt une bonne part du budget à leur formation.

Conclusion

Une bonne technologie a toujours du style, et les iPad en ont à revendre, mais c’est un style qui attire les adultes, pas les enfants. Je peux comprendre l’utilité des tablettes pour des jeunes enfants, de 3 à 9 ans, et peut-être ayant des besoins spécifiques. Mais une fois acquis les rudiments, les iPad sont un luxe que les écoles ne peuvent pas se permettre. Ils ne sont pas non plus souhaitables, au regard de l’apprentissage que dispensent les écoles à grande échelle. Ces initiatives sont souvent menées avec un but technologique et non pédagogique.

Remarquez que tout cela ne constitue pas une attaque contre les iPad et les tablettes. J’en ai acheté une et je trouve ça bien. C’est un ensemble d’arguments contre leur utilisation dans l’enseignement. Les élèves à l’école, au lycée et à l’université ne les achètent pas avec leur argent. Pas plus qu’il ne les utilisent lorsqu’ils en ont le choix. Même s’ils étaient fournis, ces outils sont largement inadaptés à l’écriture, aux besoins de l’informatique, des technologies de l’information, de la programmation ou encore des autres tâches lors du cursus scolaire. Cela est principalement lié au fait que ce sont des appareils de consommation, passifs et non pas actifs, utilisés pour lire et non écrire, avec une mise en avant de la consommation et non de la création. Ils ne sont certainement pas adaptés à l’éducation.

P.S. : Je suis conscient de passer peut-être à côté de quelque chose mais j’ai hâte de voir les recherches sur les améliorations effectives dans les acquisitions, par opposition aux enquêtes qualitatives et aux questionnaires.

Crédit photo : Urban Hippie Love (Creative Commons By-Sa)

Pas de bol : quand les Américains nous copient c'est pour notre Hadopi !

mercredi 27 février 2013 à 11:32

Riposte graduée, sécurisation de son réseau, oubli systématique du copyleft, répression qui s’accompagne d’une prévention propagande… les Américains sont sur le point de lancer leur propre Hadopi, qui porte le nom chantant de Copyright Alert System.

Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un franc succès chez nous, n’est-ce pas Monsieur Lescure ?

Ici comme ailleurs, de grands mais vains efforts pour transformer la « génération du partage » en une « génération pirate » !


Martin Fisch - CC by-sa


La propagande du copyright s’offre un nouvel acteur : votre fournisseur d’accès à Internet (FAI)

The Copyright Propaganda Machine Gets a New Agent: Your ISP

Corynne McSherry - 25 février - EFF.org
(Traduction : Moosh, goofy, Alpha, LGT + anonymes)

Voilà un moment qu’on le redoutait, la machine de surveillance du copyright connue sous le nom de Copyright Alert System (CAS) est finalement en marche. Le CAS est un accord entre les plus grands fournisseurs de contenus et les principaux fournisseurs d’accès (FAI) qui vise à surveiller les réseaux de peer-to-peer pour détecter la violation de copyright et sanctionner les abonnés supposés coupables par des rappels à l’ordre « éducatifs » voire une réduction importante de la vitesse de connexion.

Pour preuve de ce lancement, le centre d’information sur le copyright (Center for Copyright Information ou CCI), qui administre le programme, a refondu son site web. Ce site est censé contribuer à la sensibilisation des internautes sur le système et le copyright. Malheureusement, le site est rempli de signes qui indiquent que cette campagne va dériver.

Par exemple, concernant le processus de ciblage des utilisateurs, le site explique :

Avant d’envoyer une nouvelle alerte, un processus rigoureux permet de s’assurer que le contenu concerné est bel et bien protégé par un copyright et que la notification est envoyée au bon abonné.

Le simple fait que le contenu soit soumis à copyright ne signifie pas que son partage soit illégal. Il serait préférable d’avoir un processus rigoureux afin de s’assurer que l’utilisation identifiée constitue bien une violation. Il serait encore mieux d’avoir un processus qui soit approuvé par une entité parfaitement indépendante, suivi d’un examen public du résultat global.

Et puis il y a ces quelques pépites :

La CCI encourage tous les utilisateurs à sécuriser leurs réseaux privés, mais c’est encore plus important pour ceux qui ont reçu un avertissement à la violation de copyright (Copyright Alert).

En d’autres termes, si vous recevez un avertissement vous feriez mieux de verrouiller votre réseau, et vite. Comme nous (NdT : l’Electronic Frontier Foundation) l’avions expliqué, il semble que cela ait pour objectif de saper le mouvement pour un Wi-Fi ouvert, même si l’accès libre sans fil est largement reconnu comme bénéfique au public.

La responsabilité incombe aux abonnés de s’assurer que leur accès Internet n’est pas utilisé pour violer le copyright.

Pas tant que ça, au moins, pas d’après les lois pour le copyright, pas tant que des conditions supplémentaires ne sont pas remplies. Nous n’avons pas souhaité faire partie de la brigade de surveillance du copyright, mais si votre FAI a signé l’accord (AT&T, Cablevision, Comcast, Time Warner, and Verizon), vous avez souscrit à cette surveillance.

Et puis on retrouve les abus classiques et orientés de leur approche du copyright :

Quand vous créez un poème, une histoire ou une chanson, elle vous appartient, et personne d’autre ne peut s’en servir sans votre permission.

Encore raté : grâce au principe de l’usage raisonnable (fair use) d’autres personnes peuvent utiliser les œuvres que vous créez de différentes façons. C’est grâce à cela que nous sommes assurés du bon usage du copyright, permettant ainsi la créativité et l’innovation plutôt qu’une entrave.

Tout aussi inquiétant : le site du CIC renvoie les utilisateurs vers la Copyright Alliance pour en apprendre plus sur l’histoire du copyright. La Copyright Alliance est loin d’être une « ressource » neutre - il s’agissait de l’un des principaux acteurs du combat pour faire voter SOPA et elle reste un fervent défenseur du copyright tout-puissant.

En conclusion, le CIC entrera probablement en partenariat avec iKeepSafe pour développer un cursus sur le copyright au sein des universités publiques de Californie. Qui pourrait s’appeler « Sois un créateur : la valeur ajoutée du copyright ». Basé sur ce que l’on voit venir depuis longtemps, ce cursus devrait pouvoir aider les plus jeunes à comprendre les enjeux du copyright. Par ailleurs, cela apprendra aux plus jeunes comment les droits sur la création peuvent être acquis et les étapes de vérification avant l’utilisation de la création de l’œuvre.

Loin de nous l’idée de faire notre propre publicité, mais l’EFF a développé un cours visant à expliquer ce que la loi sur le copyright permet et interdit, et qui, nous l’espérons, encourage les étudiants à réfléchir de manière critique sur la créativité, l’innovation et la culture. De plus, il est sous licence CC (Creative Commons), ainsi, le CIC ne devrait pas hésiter à s’en servir, ça lui économisera du temps et de l’argent.

Dans le même temps, nous sommes déçus, pour ne pas dire désagréablement surpris, de l’approche du CIC en matière de surveillance et d’éducation. Suivez-nous pour plus d’informations à venir sur le CAS et ce que vous pouvez faire pour vous y opposer.

Crédit photo : Martin Fisch (Creative Commons By-Sa)

Passer de l'exercice scolaire à la maintenance des paquets (Libres conseils 28/42)

mercredi 27 février 2013 à 08:11

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : satanas_g, Sphinx, Sky, Julius22, peupleLà, lamessen, goofy

Du débutant au professionnel

Jonathan Riddell

Jonathan Riddell est développeur KDE et Kubuntu, actuellement employé par Canonical. Quand il n’est pas devant un ordinateur, il fait du canoë sur les rivières d’Écosse.

Il y avait un bogue dans le code. Un bien méchant en plus : un plantage sans enregistrement des données. C’est bien là le problème dès qu’on regarde le code, on trouve des trucs à réparer. C’est facile de s’impliquer dans le logiciel libre ; le plus dur est d’en sortir. Après le premier bogue réparé, il y en a d’autres, et de plus en plus, tous à portée de main. Les corrections de bogues mènent à l’ajout de fonctionnalités, ce qui mène à la maintenance de projet, ce qui mène à faire fonctionner une communauté.

Tout a commencé en lisant Slashdot, cette masse d’actualité geek et technique peu filtrée avec des commentaires de quiconque peut recharger assez vite pour être en haut de liste. Chaque actualité était intéressante et excitante, apportait un éclairage nouveau sur le monde de la technologie qui finissait par me fasciner. Je n’avais plus à accepter ce qui m’était donné par de grandes entreprises de logiciels, je pouvais voir là, dans la communauté du logiciel libre, le code se développer devant moi.

En tant qu’étudiant, il était possible de finir les exercices donnés par les professeurs très rapidement. Mais les exercices ne sont pas des programmes terminés. Je voulais savoir comment appliquer les compétences basiques qu’ils m’avaient données dans le monde réel en écrivant des programmes résolvant des problèmes réels pour les gens. J’ai donc recherché du code, qui n’était pas difficile à trouver, il se trouvait là, sur Internet, en fait. En regardant le code des programmes que j’utilisais de plus près, j’y ai décelé de la beauté. Non pas parce que le code était parfaitement soigné ou bien structuré, mais parce que je pouvais le comprendre avec les concepts que j’avais déjà appris. Ces classes, méthodes et variables étaient bien en place, me permettant de résoudre les problèmes pertinents. Le logiciel libre est le meilleur moyen de franchir le pas entre savoir comment finir ses exercices de cours et comprendre comment de vrais programmes sont écrits.

Tous les étudiants en informatique devraient travailler sur du logiciel libre comme sujet de leur mémoire. Sinon, vous avez de grandes chances d’y passer six mois à un an pour qu’il finisse au sous-sol d’une bibliothèque sans être jamais plus consulté. Seul le logiciel libre permet d’exceller en faisant ce qui va de soi : vouloir apprendre comment résoudre des problèmes intéressants. À la fin de mon projet, des programmeurs de la NASA utilisaient mon outil de création de diagrammes en UML (NdT : langage de modélisation unifié) et il reçut des prix au cours de réceptions somptueuses. Avec le logiciel libre, on peut résoudre de vrais problèmes pour de vrais utilisateurs.

La communauté des développeurs est remplie de personnes formidables, passionnées et dévouées à leur travail, sans espoir autre de récompense qu’un programme d’ordinateur couronné de succès. La communauté des utilisateurs est également incroyable. Il est satisfaisant de savoir qu’on a aidé quelqu’un à résoudre un problème. Et j’apprécie les messages de remerciement que je reçois.

Après avoir écrit un logiciel utile, il faut le mettre à la disposition du plus grand nombre. Le code source ne va pas fonctionner pour la plupart des gens, il doit être compilé. Avant d’être impliqué, je trouvais que le fait de compiler était une manière un peu paresseuse de contribuer au logiciel libre. Vous vous attirez la plus grande partie de la reconnaissance sans rien avoir à coder. C’est, quelque part, quelque chose d’injuste. De même, la gestion de la communauté nécessaire pour porter un projet de logiciel libre peut aussi être vue comme une façon de s’attirer la reconnaissance sans faire de code.

Les utilisateurs dépendent beaucoup des packagers (NdT : les « empaqueteurs » qui préparent et maintiennent les paquets logiciels). Il est nécessaire que leur travail soit à la fois rapide, pour satisfaire ceux qui veulent la dernière version, et fiable, pour ceux qui veulent la stabilité (autant dire tout le monde). La partie la plus délicate, c’est que cela implique de travailler avec les logiciels des autres, qui sont toujours « cassés ». Une fois que le logiciel est lâché dans la nature, commencent à emerger des problèmes qui n’étaient pas repérables sur l’ordinateur de l’auteur. Il est possible que le code ne puisse pas être compilé avec une version de compilateur différente, peut-être que la licence n’est pas claire et ne permet pas de le copier, peut-être que la gestion des versions est incohérente et qu’une mise à jour mineure est incompatible, ou encore que la taille de l’écran est différente, les environnements de bureau peuvent aussi l’affecter, quelquefois, des bibliothèques tierces nécessaires ne sont pas encore à jour. De nos jours, le logiciel doit pouvoir tourner sur différentes architectures. Les processeurs 64 bits ont occasionné pas mal de problèmes quand ils sont devenus courants. Aujourd’hui, ce sont les processeurs ARM qui déjouent les calculs des codeurs. Les packagers doivent régler tous ces problèmes pour donner aux utilisateurs quelque chose qui fonctionne de façon fiable.

Nous avons une règle chez Ubuntu selon laquelle les paquets avec des tests unitaires doivent inclure ces mêmes tests dans le processus de la création des paquets. Souvent, ils échouent et l’auteur du logiciel nous dit que les tests sont uniquement à son usage. Malheureusement, quand il s’agit de logiciel, il n’est jamais assez fiable de le tester soi-même, il doit aussi être testé par d’autres. Un test unique est rarement suffisant, il faut une approche à plusieurs niveaux. Les tests unitaires du programme original devraient être le point de départ, ensuite, le packager les teste sur son propre ordinateur, il faut ensuite que d’autres personnes les testent aussi. L’installation automatique et les tests de mise à jour peuvent être scriptés assez correctement sur les services d’informatique dans le nuage. L’envoyer dans la branche de développement d’une distribution permet d’effectuer plus de tests avant de le voir distribué en masse quelques mois après. À chaque étape, des problèmes peuvent être et seront découverts, ils devront être corrigés, puis ces correctifs eux-mêmes devront être testés. Il n’y a donc pas forcément à écrire beaucoup de code, mais il y a pas mal de travail pour passer le logiciel de 95 % à 100 % prêt. Ces 5 % sont la partie la plus difficile, un lent et délicat processus qui demande une grande attention pendant tout son cours.

Vous ne pouvez pas faire de paquets sans une bonne communication avec les développeurs en amont. Quand des bogues se produisent, il est vital de pouvoir trouver la bonne personne à laquelle parler rapidement. Il est important d’apprendre à bien les connaître comme des amis et des collègues. Les conférences sont vitales pour cela, car rencontrer quelqu’un apporte beaucoup plus de contexte à un message sur une liste de diffusion qu’une année entière de messages.

Une des faces cachées du monde du logiciel libre réside dans la communication par les canaux IRC privés utilisés par les principaux membres d’un projet. Tous les grands projets en ont. Quelque part, Linus Torvalds a un moyen de discuter avec Andrew Morton et les autres sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais dans Linux. Ils sont plus sociaux que techniques et, quand on en abuse, ils peuvent être très antisociaux pour la communauté en général. Mais pour les moments où on a besoin d’un canal de communication rapide sans bruit parasite, ils fonctionnent bien.

Tenir un blog est un autre moyen de communication important dans la communauté du logiciel libre. C’est notre principale méthode pour promouvoir à la fois le logiciel que nous produisons et nous-mêmes. Non pas que ce soit utilisé éhontément pour de l’auto-promotion (il est inutile de prétendre que vous sauverez des vies avec votre blog…), mais parler de votre travail sur le logiciel libre aide à construire une communauté. Cela peut même vous valoir de trouver un travail ou d’être reconnu dans la rue.

Ces histoires venant de Slashdot, à propos de développements de nouvelles technologies, ne concernent pas des personnalités éloignées que vous ne rencontrerez jamais comme dans la presse people. Elles concernent des personnes qui ont trouvé un problème et qui l’ont résolu en utilisant l’ordinateur qu’elles avaient en face d’elles. Pendant quelques années, j’ai édité le site d’informations de KDE, trouvant les personnes qui résolvaient des problèmes, créaient des idées novatrices, s’acharnaient longuement à améliorer un logiciel jusqu’à ce qu’il soit d’une qualité suffisante, et j’en parlais au monde entier. Je n’ai jamais été à court d’histoires à raconter ni de personnes à présenter à tout le monde.

Mon dernier conseil est de conserver de la diversité. Il existe une telle richesse de projets intéressants à explorer, qui vous permettent d’apprendre et de progresser. Mais une fois que vous avez atteint une position de responsabilité, il peut être tentant d’y rester. Après avoir aidé à créer une communauté pour Kubuntu, je repars temporairement vers un travail sur Bazaar, un projet très différent, orienté sur les développeurs plutôt que sur des utilisateurs novices en technologies. Je peux à nouveau apprendre comment le code devient une réalité utile, comment une communauté communique, comment la qualité est maintenue. Ce sera un défi amusant et j’ai hâte de m’y attaquer.