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Attention danger ! Restrictions numériques et physiques sur nos propres appareils

lundi 13 mai 2013 à 00:49

Nous devons craindre de nous réveiller un jour dans un monde où non seulement les contenus numériques seront sous contrôle mais également les appareils qui permettent de les consulter…


Brendan Mruk et Matt Lee - DRM.info


Restrictions numériques et physiques sur votre propre appareil

Digital and physical restrictions on your own device

Erik Albers - 3 mai 2013 - FSFE Blog
(Traduction : goofy, hugo, Eijebong, ProgVal, Rudloff, Tony, Rogdham, Asta, KoS + anonymes)

À propos des restrictions numériques

Aujourd’hui, 3 mai 2013, on célèbre la Journée internationale contre les Mesures Techniques de Restriction (Digital Restrictions Management)[1], promue par la Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF). En général, le terme Digital Restrictions Management (DRM) se réfère à différentes restrictions que les entreprises – ou tout autre fournisseur de contenu – imposent sur les données et contenus numériques. Ces restrictions sont là pour permettre aux fournisseurs de décider ce que vous pouvez faire avec vos données et contenus, et ce que vous ne pouvez pas faire. Ainsi, ils vous empêchent d’être en pleine possession de vos données. Ces données sont défectueuses par nature (defective by design) – quel que soit le prix que vous soyez prêt-e à y mettre.

Et cela nous mène à un monde où l’on « n’achète » rien d’autre qu’une « licence d’utilisation ».

Les restrictions comme celles-ci évoluent, jusqu’au jour où la personne détenant les droits peut légalement décider de soudainement supprimer tout ce que vous avez acheté – à distance !

Cette année, la journée contre les DRM se concentre sur une nouvelle menace globale contre tout ce que ce que nous connaissons du World Wide Web : le World Wide Web Consortium (W3C) réfléchit à un projet de spécification d’Extension de Contenus Chiffrés (Encrypted Media Extensions proposal, EME), qui vise à avaliser le support des DRM dans HTML5. HTML est le cœur de ce qu’est le Web (NdT: « de ce qu’est Internet » (sic) dans la version originale). Établir les DRM au sein d’HTML pourrait devenir une terrible menace pour la liberté de l’Internet, les navigateurs libres et la liberté des utilisateurs en général.

J’espère que beaucoup de personnes dans le monde vont rejoindre la FSF ou la FSFE (FSF Europe), ou s’aligner avec d’autres organisations dans leur combat contre les DRM dans HTML5. S’il vous plait, signez la pétition et faites le plus de bruit possible pour que d’autres personnes se rendent compte de ce développement captieux.

À présent, je voudrais utiliser cette journée pour faire le point sur un autre problème. Quelque chose auquel les DRM ne sont pas forcément reliées ; mais, qui y est effectivement relié : la propriété de vos propres appareils.

À propos de la propriété de votre appareil

De plus en plus souvent, nous voyons comment les entreprises et les fabricants vendent des appareils bridés qui sont en fait des (mini) ordinateurs – mais sont artificiellement bloqués pour que vous ne puissiez pas vous en servir comme des ordinateurs universels. Les fabricants sont créatifs lorsqu’il s’agit de restreindre vos appareils et sont déjà prêts à s’attaquer aux ordinateurs universels classiques avec une restriction appelée Secure Boot. Mais, l’amère vérité est que de telles restrictions sont déjà valables pour des appareils « mobiles » – téléphones et tablettes – ce qui remet fondamentalement en cause de ce que l’on appelle propriété.

Note : Ce que je vais expliquer est tout à fait vrai pour beaucoup d’appareils sur le marché – mais comme je connais mieux le système Android et les restrictions qui viennent avec celui-ci, je vais me concentrer sur les téléphones Android. À propos, si vous voulez en savoir plus sur la façon de débloquer son chargeur de démarrage (bootloader), changer votre système d’exploitation et utiliser du Logiciel Libre sur votre appareil mobile, vous pourrez trouver plus d’informations sur http://www.freeyourandroid.org.

Si aujourd’hui vous achetez un appareil Android, vous achetez le matériel d’un fabricant qui vient avec un système d’exploitation préinstallé développé par Google, Android. Ce système d’exploitation vient souvent avec son lot d’inconvénients, comme des applications que vous n’êtes pas autorisé-e à désinstaller. Ainsi, ils vous vendent un système d’exploitation bloqué. Malheureusement, le même matériel vient souvent avec un chargeur de démarrage bloqué, donc vous n’êtes pas capable de remplacer le système d’exploitation. À part quelques applications, en quoi est-ce mal ?

Tout d’abord, c’est une restriction artificielle de votre appareil. Ils ne veulent pas que vous l’utilisiez comme vous l’entendez – que vous souhaitiez utiliser le système préinstallé ou non. Ils appellent souvent cela un « produit fini », ce qui devrait être littéralement compris comme la fin de votre liberté.

Ensuite, leur but est de vous lier aux intérêts du fabricant. Et leur intérêt est d’augmenter le nombre d’appareils vendus chaque année au lieu d’assurer la maintenance de ceux déjà vendus. Comment ? Si vous achetez un téléphone Android et qu’ensuite Google publie une nouvelle version, vous ne pourrez pas installer cette nouvelle version car votre chargeur de démarrage est bloqué. Autrement dit, peu importe que votre appareil soit capable de fonctionner sur un nouveau système d’exploitation, ils restreignent simplement la possibilité de le faire.

Heureusement, il y a une façon de vous réapproprier votre appareil et d’installer le système de votre choix, quel qu’il soit : débloquer le chargeur de démarrage. Mais comme ce n’est pas l’intérêt de votre fabricant – tel que je l’ai expliqué plus haut – ils vont probablement déclarer votre garantie nulle si vous le faites. Ce qui est juridiquement incorrect. Comme Carlo Piana et Matija Šuklje l’ont fait remarquer – ainsi qu’une association de consommateurs allemande – ce n’est pas légal suite à la Directive Européenne 1999/44/EC (NdT: la garantie est due par le vendeur, voir Code de la consommation, L.211). Malheureusement, ils essayent toujours de vous faire peur. Cela ne peut pas être vu que comme une mauvaise habitude. L’intention est d’éviter que les utilisateurs ne se réapproprient leurs propres appareils. C’est pourquoi ils continuent de le faire – même si ce n’est pas sur une base légale.

Les constructeurs ont différentes politiques concernant la possibilité de débloquer votre chargeur de démarrage. Dans le pire des cas, ils vont feront signer un contrat juridique avant que vous n’obteniez le code spécifique pour débloquer votre chargeur de démarrage. Dans ce contrat, que vous devez signer, ils vous forcent souvent à renoncer à votre garantie – qui est un transfert de vos droits en tant que consommateur, comme expliqué plus haut. Mais, pire encore, il y a le contrat que vous devez signer pour débloquer votre appareil Motorola[2] :

Les appareils qui ont été débloqués sont pour votre utilisation personnelle uniquement. Une fois que vous avez débloqué votre appareil, vous ne pouvez l’utiliser que pour votre utilisation personnelle et ne pouvez pas le vendre ni même le céder.

Pardon ? Vous n’êtes plus autorisé à vendre votre appareil ? Celui que vous avez acheté ?

Où allons nous ?

Le contrôle à distance et la gestion des restrictions de vos données numériques sont quelque chose dont nous devons nous soucier. Mais, de plus en plus d’entreprises ont déjà imposé des restrictions numériques sur l’usage physique de nos appareils – tel que l’interdiction d’installer les logiciels que vous voulez sur votre propre appareil. Ou, comme on l’a déjà vu, la limitation sur les conditions de vente de votre propre materiel. C’est un développement négatif contre lequel nous devons agir et essayer de changer ces pratiques. Si nous échouons à le faire et laissons tomber nos droits en tant que consommateurs et nos libertés civiles, nous devons craindre de nous réveiller un jour dans un monde où non seulement le contenu numérique sera hors de contrôle de la société, mais également le contrôle physique de la technologie.

De nos jours, Google nous donne un parfait exemple de comment cela peut être fait : les Google Glass vont être du matériel qui sera vendu par Google et qui est actuellement en beta test sous le nom de Google Glass Explorer Edition. À cause de la licence d’utilisation que vous devez signer pour devenir un beta testeur, vous ne serez pas autorisé à vendre l’appareil ou même le prêter à un ami. Certes, cela peut être vu comme une mauvaise habitude ou une restriction compréhensible pour un test. Ce n’est pas mon propos. Je veux dire que cela devrait concerner tout le monde : si vous ne respectez pas les conditions de Google, ils désactiveront votre matériel à distance.

Cela se rapproche de l’étape finale : l’intégration par le constructeur d’une option pour détruire à distance votre matériel, laissant chaque utilisateur sans contrôle de sa propre technologie informatique, de ce qui lui appartient. Si le futur est dans le contrôle à distance, la société perdra le contrôle de la technologie et de son contenu. À partir de là il est facile d’imaginer la censure, la supervision et le contrôle de la société par des monopoles d’une manière encore jamais vue.

Crédit illustration : Brendan Mruk et Matt Lee (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] Lire à ce sujet ces deux billets du Framablog : Mobilisons-nous ! Pas de DRM dans le HTML5 et les standards W3C et DRM dans HTML5 : la réponse de Cory Doctorow à Tim Berners-Lee.

[2] C’est seulement un exemple, j’en suis conscient. Il y a peut être d’autres entreprises qui agissent de la sorte, je n’en sais rien.

Pour un GitHub plus démocratique et efficace

dimanche 12 mai 2013 à 11:28

GitHub est aujourd’hui la plus dynamique forge de développement de logiciels libres. Mais n’y aurait-il pas, dans sa conception même, quelques problèmes de gouvernance et de circulation du code qui menacent l’efficacité, voire la viabilité, des projets ?

Remarque : Pull request, issue, commit… nous présupposons que vous êtes familier avec le vocable GitHub, mais si un gentil lecteur veut nous les préciser dans les commentaires, qu’il/elle n’hésite surtout pas ;)

De la citoyenneté dans le développement de logiciels open source

On Citizenship in Open-source software development

Christophe Maximin - 8 mai 2013 - Blog personnel
(Traduction : ProgVal, Melchisedech, nano-plink, TheCamel, Al + anonymes)

Comment GitHub peut révolutionner la question en donnant le pouvoir aux utilisateurs dans les dépôts auxquels ils contribuent.

TL;DR : En donnant un véritable statut social aux personnes contribuant à un dépôt, GitHub résoudrait le problème des projets-zombies ayant une communauté éparpillée. En permettant à ces citoyens de collaborer réellement les uns avec les autres, et non avec le seul propriétaire, les dépôts seront vivants tant que leur communauté existera, de manière complètement auto-régulée.

L’année a très bien commencé pour GitHub. Après avoir levé cent millions de dollars d’Andreesen-Horowitz et atteint les trois millions d’utilisateurs en janvier (3,4 millions et plus à présent), ils sont sur une dynamique qu’il sera difficile d’arrêter.

Néanmoins, le service a aussi ses défauts, et si certaines personnes pointent du doigt de tous petits problèmes liés aux services et aux applications, le problème que je m’apprête à décrire touche à la nature même de nos interactions sur la plate-forme.

1. État actuel d’un dépôt

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Chaque dépôt que vous créez est un petit pays avec une très faible population : 1 habitant, vous, le créateur/roi/commandant suprême.

Même si votre dépôt a des centaines de rapports de bugs créés par d’autres, et des centaines de pull requests, il n’y a qu’une seule personne aux commandes.

Bien sûr, vous pouvez ajouter des collaborateurs à votre dépôt, mais il ne seront que des collaborateurs, des membres du cabinet, choisis juste parce que vous le souhaitez. Bien sûr, dans le cas des organisations, vous pouvez ajouter des co-commandeurs suprêmes.

Mais c’est tout. Vous n’atteindrez probablement pas cinquante collaborateurs/membres; même si votre dépôt est vraiment populaire, et même si des centaines de personnes y contribuent. Est ce que cela vous parait normal ?

Ce ne serait pas un problème si ce n’était pas la cause de…

2. La fragmentation des dépôts et de leurs fonctionnalités

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J’ai vu la chose suivante arriver bien trop souvent :

Et vous vous dites : « Qui s’en soucie ? N’importe qui peut forker le dépôt et donner une nouvelle vie au projet autre part ! »
Bien entendu, mais combien de fois avez-vous vu cela se faire réellement ?
La plupart du temps, les gens forkent le projet pour régler « le » bug qu’ils voulaient régler, et c’est tout.

Maintenant, si vingt personnes agissent de la sorte, cela devient une vraie tragédie : le projet est en fait encore mis à jour, mais à vingt autres endroits. Vous devrez fusionner les commits de 20 dépôts différents pour être à jour de toutes les nouvelles choses cools que vous pouvez faire avec le projet. Mais vous ne le ferez jamais. Certains forks sont incompatibles de toute façon.

D’autre part, comme le projet « semble vivant », personne ne se presse pour essayer de le remplacer. La léthargie se poursuit alors encore et encore, et va créer la confusion chez n’importe quel nouveau venu quant à l’état du projet, sur l’emplacement des dernières mises à jour, et sur leur éventuelle acceptation par la communauté.

Je ne vais pas donner de noms (ce n’est pas bien de pointer du doigt publiquement) , mais je suis sûr que vous voyez à quoi je fais référence.

3. Le pouvoir au peuple, le pouvoir à la cité

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Sans entrer dans un débat sur les multiples définitions du mot citoyenneté, vous trouverez ici une liste de quelques fonctionnalités qui en feront une réalité. Rien de ce qui est listé ici n’est absolu, et ce sera à l’administrateur de définir les règles.

Conclusion

Il est temps que les gens qui contribuent à des projets acquièrent enfin une réelle existence. Il n’y a vraiment rien à perdre, et cela semble pour moi être une évolution naturelle et inévitable de toute façon.

La question est : combien de temps devrons nous attendre ?

Geektionnerd : Dédicaces Framabook Samedi 18 mai à Paris

vendredi 10 mai 2013 à 15:46

Rencontre Framabook A Livr'Ouvert

Marques déposées : le bon, la brute et le truand, par Cory Doctorow (+ Calimaq)

lundi 6 mai 2013 à 14:14

Deux excellents articles pour le prix d’un : du Cory Doctorow introduit par Calimaq.

Parmi les droits de « propriété » intellectuelle, le droit des marques n’est pas celui qui soulève habituellement le plus de contestations. Pourtant avec son article « Trademarks : the Good, The Bad and The Ugly », Cory Doctorow tire la sonnette d’alarme à propos d’une dérive inquiétante : le glissement progressif vers une forme d’appropriation des mots du langage. Au rythme où vont les choses, prévient-il, le droit des marques pourrait bien finir par nous “enlever les mots de la bouche”.

On pourrait croire qu’il s’agit d’un fantasme, mais les dérapages en série des Trademark Bullies, ces firmes qui utilisent le droit des marques comme moyen d’intimidation, montrent qu’il n’en est rien : Facebook cherche ainsi à s’approprier les mots Face, Book, Wall et Mur ; Apple attaque une épicerie en ligne polonaise qui avait le malheur de s’appeler “a.pl” ; Lucasfilm fait la chasse aux applications Androïd dont le nom comporte le terme “Droïd”, déposé comme marque après Star Wars…

On pourrait citer encore de nombreux exemples, parfois terriblement cyniques, comme lorsqu’il y a quelques jours “Boston Strong”, le cri de ralliement des habitants de la ville de Boston, a fait l’objet de plusieurs dépôts de marques par des fabricants de bière ou de T-shirts juste après les attentats ayant frappé la ville ! On ne recule devant rien pour “l’or des mots”…

Ces dérives prêteraient presque à rire si elles ne nous faisaient glisser peu à peu dans un monde passablement dystopique. Ainsi lors des Jeux Olympiques à Londres en 2012, les médias qui n’avaient pas acheté les droits pour couvrir les épreuves ont préféré dire “The O-word” plutôt que de risquer des poursuites en justice de la part du CIO, lequel n’a pas hésité  à invoquer le droit des marques pour museler des opposants. Nous voilà presque dans Harry Potter, avec des marques-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom !

Ces dérives ne sont hélas pas confinées aux pays anglo-saxons et on peut déjà déceler en France les signes d’une montée en puissance de la police du langage par les marques. La semaine dernière, Findus se plaignait devant le CSA que les médias avaient fait un usage abusif de sa marque durant l’affaire des lasagnes à la viande de cheval. L’an passé, une institutrice avait été contrainte par le journal Le Figaro de changer le titre de son blog, “la classe de Mme Figaro”, alors qu’il s’agissait de son propre nom ! Et le village de Laguiole en Aveyron s’est  “débaptisé” symboliquement en 2012, pour protester contre un troll local ayant déposé “Laguiole” dans toutes les classes au point de privatiser ce terme en empêchant les autres commerçants de l’utiliser…

Face à ces dérapages inquiétants, l’article de Cory Doctorow a l’immense mérite de rappeler que le droit des marques est avant tout un droit instauré au bénéfice du public, pour le protéger de la fraude. Il ne devrait pas être interprété comme conférant aux firmes une “propriété” sur les termes du langage et on rejoint là une critique que Richard Stallman et bien d’autres après lui adressent à la notion même de “propriété intellectuelle”. Le droit des marques devrait être considéré non comme un droit de propriété mais comme un droit du public et les mots du langage devraient rester des biens communs, insusceptibles d’appropriation privative. Pourtant après les expressions et les mots, on trouve des cas où des firmes essaient de contrôler l’emploi de simples lettres de l’alphabet ! Audi veut s’approprier la lettre “Q, Apple le “I” et Topps, un fabricant de cartes à collectionner, s’attaque à présent à la lettre V !

Le glissement vers une conception “propriétaire” du langage risque bien de s’accentuer encore, car le numérique s’articule de plus en plus autour d’un “capitalisme linguistique”, dont les moteurs de recherche et leurs adwords nous ont déjà donné un avant-goût. Cory Doctorow est un auteur de science-fiction, dont certains romans, comme Pirate Cinema, critiquent les excès de la “propriété” intellectuelle. Mais c’est un auteur français qui est sans doute allé le plus loin dans l’anticipation des conséquences de l’appropriation du langage.

Dans sa nouvelle “Les Hauts® Parleurs®, Alain Damasio imagine que dans un futur proche, les États finissent par vendre leurs dictionnaires à des firmes qui s’arrogent ainsi un monopole sur l’usage public des mots. Il faut désormais payer une licence à ces propriétaires du langage pour publier un livre ou prononcer un discours, mais une fraction de la population entre en résistance pour récupérer les droits sur certains mots et en inventer d’autres, qu’ils s’efforcent de mettre à nouveau en partage en les plaçant sous copyleft. Mais le système n’hésite pas à réprimer férocement ces idéalistes…

En arriverons-nous un jour à de telles extrémités ? L’avenir nous le dira, mais Lewis Carroll, autre grand visionnaire, nous avait déjà averti en 1871 qu’il existe un rapport profond entre la propriété sur les mots et le pouvoir. Extrait d’un dialogue figurant dans “De l’Autre côté du miroir” entre Alice et un personnage en forme d’oeuf appelé Humtpy Dumpty :

-Humpty Dumpty : “C’est de la gloire pour toi !”

-“Je ne comprends pas ce que tu veux dire par gloire”, répondit Alice.

Humpty Dumpty sourit d’un air dédaigneux, -“Naturellement que tu ne le sais pas tant que je ne te le dis pas. Je voulais dire : c’est un argument décisif pour toi !”

-“Mais gloire ne signifie pas argument décisif”, objecta Alice.

-“Lorsque j’utilise un mot”, déclara Humpty Dumpty avec gravité, ” il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifierait - ni plus ni moins “.

-“Mais le problème” dit Alice, “c’est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses différentes”.


-“Le problème”, dit Humpty Dumpty, “est de savoir qui commande, c’est tout ” !

Marques déposées : les bons, les brutes et les truands

Article original par Cory Doctorow

traduction Framalang : Elektro121, Sphinx, Jtanguy, Patrick, goofy, peupleLà, Ilphrin, Asta, Calou + 2 anonymes

___

Il est temps que nous arrêtions de donner aux tyrans des marques un blanc-seing sur le sens de nos propres mots. Il est temps que nous les libérions.

Les marques déposées sont plutôt étranges. Dans le meilleur des cas, elles sont très bien et incitent intelligemment les entreprises à consacrer une partie de leurs bénéfices financiers à autre chose que la lutte contre la fraude et les manœuvres malhonnêtes. Dans le pire des cas toutefois, elles sont horribles et permettent aux entreprises d’exercer une intimidation légale pour nous voler les mots de la bouche.

Pour commencer, regardons l’effet positif des marques. Les marques déposées telles que nous les connaissons aujourd’hui proviennent d’affaires de protection des consommateurs dans lesquelles une entreprise a engagé des poursuites judiciaires contre une autre entreprise pour des pratiques commerciales mensongères. Dans ces affaires, le problème provenait de l’idée qu’une entreprise A avait associé un design, un mot ou une marque et les produits ou services que cette entreprise fournissait. Ensuite, une entreprise B arrivait et habillait ses produits et services concurrents des traits distinctifs que le public associait à l’entreprise A.

Ici le public en payait le prix : des consommateurs peu méfiants achetaient des produits de l’entreprise B en pensant à tort que ceux-ci étaient des produits de l’entreprise A. C’est injuste. Quand vous allongez la monnaie vous devriez avoir ce que vous pensez avoir acheté et non pas quelque chose d’autre, sous un emballage clairement conçu pour vous tromper.

La plupart du temps, seule la victime d’une fraude est qualifiée pour poursuivre en justice en réparation du préjudice. Si quelqu’un est victime d’une fraude et que vous n’en êtes que le témoin, vous ne pouvez pas poursuivre le fraudeur : vous n’avez pas été lésé. Autrement dit, vous devez vous-même avoir été victime pour demander réparation.

Pourtant là où règne l’utilisation trompeuse des marques, tout le monde en subit les effets négatifs. Si vous avez dépensé quelques pièces pour un stylo, une bouteille de jus de fruit ou un paquet de mouchoirs, il est peu probable que vous engagiez, à vos frais, un avocat pour traîner le fraudeur en justice. Si nous limitons l’application du respect des marques à l’unique protection des victimes de fraudes, bien des fraudeurs opéreront en bénéficiant d’une impunité perpétuelle.

Les marques déposées contournent ce problème en donnant à l’entreprise A – entreprise avec laquelle vous pensiez avoir affaire – le droit d’intenter un procès en votre nom, et au nom de tous les clients passés et futurs qui auraient été amenés à acheter les produits de l’entreprise B, abusés par une présentation et un marketing trompeurs. Bien souvent, les entreprises veulent pouvoir exercer ce droit car la fraude détourne les clients et les bénéfices de leurs produits au profit de leurs concurrents.

Donc, quand vous donnez autorité à une entreprise pour poursuivre ce genre de malversations en justice au nom de ses clients, vous créez un système dans lequel les sociétés couvrent volontairement les dépenses de ce qui correspond à un besoin de l’entreprise (la protection contre la fraude) et vous vous évitez la peine de devoir convaincre quelqu’un à qui on a vendu une boîte douteuse de pastilles à la menthe d’aller au tribunal pour que le contrevenant soit puni. Vous évitez aussi les frais qui rendraient les inspecteurs gouvernementaux responsables de la régulation de ce mal de société.

À première vue, c’est une bonne affaire pour tout le monde. Au cours du siècle dernier, la codification des marques est allée croissant dans la règlementation. On a établi des organismes de dépôt officiel des marques qui aident les entreprises à identifier les marques en vigueur afin d’éviter de reprendre par inadvertance la marque de quelqu’un d’autre.

Tant la règlementation que la jurisprudence considèrent les marques déposées comme un droit de protection du public et non comme une propriété. Quand vous avez pu déposer une marque, le gouvernement ne vous dit pas : « Félicitations, ce mot vous appartient désormais ! ». Il dit : « Félicitations, vous avez maintenant autorité pour poursuivre en justice les fraudeurs qui utiliseraient ce mot de sorte à tromper le public. ». C’est ce qui distingue Bruce Wayne, propriétaire d’un bien comme le Manoir Wayne, et Batman, justicier dont le devoir est de protéger les citoyens de Gotham. (C’est pourquoi mentionner ici Bruce Wayne et Batman ne viole pas les droits de Warner sur ses marques, qui les autorise à des réclamations ridicules sur le terme « super-héros », droits que partagent conjointement Marvel/Disney.)

Les marques déposées sont faites pour protéger le public afin qu’il ne soit pas trompé. Elles sont des « appellations d’origine ». Si vous achetez une canette de soda avec le mot Pepsi sur le côté, vous êtes en droit de vous attendre à une canette de Pepsi et non à une canette d’acide de batterie. Nous connaissons tous la signification du mot Pepsi, l’entreprise Pepsi a dépensé des milliards pour inciter les gens à associer ce mot et ses produits. Dans toutes les situations ou presque, quelqu’un d’autre que Pepsi qui vendrait quelque chose avec le mot Pepsi dessus serait accusé de fraude parce que dans presque tous les cas, cette vente serait faite à des personnes croyant acheter un produit Pepsi.

L’association à une marque

Le respect des marques déposées repose sur le commerce immatériel de l’« association ».

Le droit des marques à poursuivre en justice repose fondamentalement sur la pénétration du subconscient du public, sur la façon dont le public pense à quelque chose. Si le public percevait votre marque sans l’associer avec vos produits ou services, vendre quelque chose d’autre sous la même marque ne constituerait pas une tromperie du public. S’il n’y a pas confusion, la législation sur les marques n’offre que peu de protection même si cela coûte de l’argent à une entreprise.

Et c’est là l’origine du problème. Inévitablement, les détenteurs d’une marque déposée se considèrent comme les propriétaires de cette marque. Ils ne font pas respecter leur droit pour protéger le public, ils le font pour protéger leurs profits, qui sont leur projet. Les marques partent du principe que le public associe un produit et un service, sous prétexte que c’est la base du commerce. Par exemple, si je vois Gillette sur un rasoir jetable, c’est parce que Gillette est l’entreprise qui a pensé à mettre le mot « Gillette » sur une gamme de produits : leur créativité et une stratégie de marque rusée ont ancré cette association dans l’esprit du public.

Si Gillette devient un synonyme générique pour « rasoir », un concurrent qui utiliserait le mot « gillette » pour décrire ses produits pourrait s’en tirer. Après tout, rien ne me dit que votre frigo est un Frigidaire, que le kleenex avec lequel vous vous mouchez est un Kleenex, ou que vous googlez quelqu’un sur Google. C’est la rançon de la gloire est : votre marque est alors associée à l’ensemble d’une catégorie de biens. Les juristes spécialisés en droit des marques ont un terme pour cela : « généricide » – quand une marque devient trop générique et que de fait elle n’est plus associée à une entreprise en particulier. À ce stade, la marque que vous avez protégée pendant des années est en libre-service et chacun peut l’utiliser.

Cependant, le généricide est rare. Microsoft ne fait pas de publicité du style « Googlez avec Bing ! » et Miele ne vend pas une gamme de « frigidaires » 

Le généricide est surtout un épouvantail, et comme tous les épouvantails il sert à quelque chose.

À quoi ? À créer le plein emploi pour les avocats spécialisés en droit des marques.

Les avocats spécialisés en droit des marques ont convaincu leurs clients qu’ils doivent payer afin d’envoyer une mise en garde menaçante à toute personne qui utiliserait une marque sans autorisation, même dans le cas où il n’y aurait pas de confusion possible. Ils envoient des cargaisons de lettres aux journalistes, responsables de sites web, fabricants de panneaux, éditeurs de dictionnaires (quiconque pourrait utiliser leur marque de façon à affaiblir l’association mentale que fait le public). Pourtant, l’affaiblissement d’une association automatique n’est pas illégal, quoi qu’en disent les doctrines, de plus en plus nombreuses, telles que la « dilution » ou la « licence nue ».

Lorsqu’on les interpelle sur le fait qu’ils régulent notre langue, les détenteurs de marques et leurs avocats haussent généralement les épaules en disant : « Rien à voir avec nous.

La loi nous enjoint de vous menacer de poursuites, sinon nous perdons cette association, et donc notre marque. » Comprendre les marques déposées de cette manière est très pervers.

L’intérêt public

La loi existe pour protéger l’intérêt public, et l’intérêt public n’est pas compromis par la faiblesse ou la force de l’association de telle ou telle entreprise et de tel ou tel nom ou marque déposée. L’interêt public s’étend à la prévention de la fraude, et les marques déposées s’appuient sur la motivation des entreprises à protéger leurs profits pour les inciter à respecter l’intérêt public.

Les intérêts des entreprises ne sont pas les intérêts publics, c’est tout juste s’ils coïncident… parfois.

Les marques déposées n’ont pas été inventées pour créer des associations. Les marques déposées sont un outil pour protéger ces associations. Mais au cours des dernières décennies, elles ont été perverties en un moyen de voler des mots du langage courant pour les utiliser comme une propriété.

Prenons Games Workshop, une entreprise qui a la réputation méritée d’utiliser agressivement les lois sur les marques déposées. Cette entreprise affirme détenir une marque déposée sur l’expression « space marine » qui décrit les figurines de jeux de plateau stratégiques sur lesquels l’entreprise a fondé ses produits. Pourtant, « space marine » est un très vieux terme, qui a largement été employé dans la science-fiction au cours du siècle dernier. Il est également très descriptif, ce qui est absolument interdit pour un dépôt de marque. Il est bien plus simple de démontrer que votre marque est exclusivement associée avec votre produit quand il n’y a pas de raison flagrante pour qu’elle soit employée dans un sens générique par quelqu’un d’autre. (« Pierrafeu » est ainsi une marque plus forte que « La Librairie »). À mon avis, les organismes de protection des marques n’auraient jamais dû autoriser le dépôt de la marque « space marine » car il y a très peu de risques qu’un client quelconque associe ces mots exclusivement avec les produits de Games Workshop plutôt qu’avec les romans de Robert A. Heinlein.

Pourant, c’est là que les choses deviennent vraiment moches. Il y a deux manières de rendre une marque tellement célèbre qu’elle sera exclusivement associée à une seule entreprise. La première est la manière respectable : vous créez un produit qui devient tellement populaire que chacun pense à vous quand il pense à celle-ci.

L’autre manière est la voie du mal: vous menacez publiquement de poursuites juridiques et lancez des intimidations sans fondement contre quiconque userait de votre marque, peu importe le contexte, même si il n’y a aucune possibilité de tromperie ou de confusion. Si vous faites suffisamment la Une en jouant les gros-bras, alors vous pouvez créer une autre sorte de notoriété, le genre de notoriété qui parvient à créer l’association suivante : « Hmmm, cet écrivain a utilisé le terme ‘space marines’ dans son livre, et je sais que Games Workshop sont d’immenses connards qui transforment votre vie en véritable enfer si vous avez le malheur de respirer les mots ‘space marines’, donc ça doit être quelqu’un associé à Games Workshop. »

Si le détenteur d’une marque déposée s’inquiète en toute légitimité de ce que l’usage fortuit des marques peut contribuer au généricide, il lui suffit d’accorder un droit rétroactif à quiconque utiliserait la marque d’une manière qui les inquiète. « Chers Monsieur ou Madame X, nous avons le plaisir de vous autoriser à utiliser notre marque sur votre site web. Nous vous prions d’ajouter une mention à cet effet. » protège légalement d’une dilution ou d’une généralisation d’un terme avec autant d’efficacité qu’une menace de poursuite judiciaire.

La différence entre une menace et une autorisation est que la première vous permet de rassembler le vocabulaire du public dans votre propre chasse gardée. Il est temps d’arrêter de donner aux tyrans des marques déposées un blanc-seing sur le sens de nos propres mots. Il est temps de reprendre possession des marques déposées.

Une manière simple et faisable de procéder est de repérer les endroits où l’on peut utiliser les mots « space marine » dans des supports imprimés qui ne mentionnent pas les produits de Games Workshop. Il faut ausi résister à toute tentative illégitime de surveiller notre langage en utilisant des termes génériques quand bien même une entreprise désapprouve.

Entin, s’il vous plaît, signalez toutes les menaces de poursuites liées aux marques déposées que vous recevez sur ChillingEffects.org, un bureau d’information qui accumule les preuves sur les tendances aux mesures coercitives en ligne et qui apporte un fondement factuel aux efforts de réforme.

L’auteur souhaite exprimer toute sa reconnaissance à Wendy Seltzer du projet ChillingEffects pour l’aide apportée à l’écriture de cet article.

Crédit illustration : Christopher Dombres (Creative Commons By)

Geektionnerd : Journée mondiale 2013 contre les DRM

vendredi 3 mai 2013 à 12:10

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source : Journée internationale contre les DRM - édition 2013 (April)

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)