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Fin du monde

samedi 4 avril 2015 à 08:37

La vie continue. Comme toujours. Heureusement, dans un sens, mais c'est troublant. C'est sidérant. Comme un lièvre figé dans le faisceau de tes phares. Il aurait suffit d'un bond, mais non. Plus rien. Le monde a disparu. Du moins le monde du lièvre.

Je crois qu'il était déjà trop tard. Comme toujours. Heureusement, dans un sens, mais c'est décourageant. Au fond, il n'est jamais trop tard pour comprendre que plus personne n'est en mesure de tirer son épingle du jeu. On pourrait le croire, s'en remettre aux apparences, pour se rassurer, se donner la force de lutter, parce qu'il faut lutter. Encore aujourd'hui, des êtres sont nés. Comme toujours. Ni heureusement, ni malheureusement, c'est comme ça, c'est tout, il faut faire avec.

Je vérifie que la dernière mise à jour du système d'exploitation de l'ordinateur de poche auquel je suis attaché se soit bien effectuée. Je vérifie les boîtes de réception d'e-mails. Je vérifie les nouveaux articles dans l'agrégateur de flux. Pourtant la poussière est plus lumineuse, plus riche en information. Plus libre. Et même plus connectée. Non pas au réel, cette illusion qui invente le virtuel. Non : connectée au monde.

Au monde qui résiste à tous nos efforts d'anéantissement. Heureusement. Nous sommes un étrange lièvre dans les phares du monde. Parce que nous avons voulu l'anéantir. C'était le programme de la fin de l'histoire, de la globalisation heureuse, du TINA. Anéantir le monde. Nous nous sommes aveuglés dans sa lumière. Les yeux écarquillés par notre désespoir.

Nous ? Oui, nous, parce que nous avons joué le jeu. Manifester dans la rue, parfois, casser quelques vitrines, brûler quelques voitures, c'était rigolo, mais guère suffisant. Nous avons simplement continué à accepter la marche du monde. Nous n'avons pas pris le risque de nous opposer. Risquer de perdre le droit de quémander un pouvoir d'achat accordé par les adultes, par les êtres humains, par ceux qui ont le pouvoir de décider en économie, par les capitalistes, par les propriétaires, ceux-là qui possèdent même les petits propriétaires...

Il ne faut pas jouer les riches, quand on a pas le sous.

Mais la vie continue, cette vie quotidienne, faite de virements bancaires en échange de logement, d'eau et d'électricité, d'économie sur les légumes et les vêtements pour s'offrir des systèmes d'informations surpuissants qui dormiront dans nos poches, comme dorment des cellules dormantes, en réalité nous surveillant constamment. Avec notre consentement moyennement éclairé, mais plus on l'éclaire notre consentement, plus on l'accorde, semble-t-il. La vie continue. On feuillette dans les transports publics des dépliants publicitaires augmentés de copiés-collés de dépêches, de potins, de rumeurs. On s'achète une voiture de plus, pour mieux s'isoler dans la congestion du trafic. On n'a rien à cacher. On met des caméras de surveillance partout. On n'a rien à cacher. On n'a rien à cacher. On n'a rien à cacher1. Mais on dort mal. On se raconte des histoires, on se repasse les mêmes plats.

L'humanité de demain, peut-être, c'est pas sûr.

Si l'on veut empêcher qu'un quelconque pouvoir (l'État, dictatorial, monarchique, républicain ou démocratique, les multinationales, les grandes fortunes, etc.) n'use ni n'abuse des possibilités techniques de surveillance généralisée, surveillance qui ne peut avoir comme objectif l'intérêt général, mais bien l'intérêt de quelques-uns, surveillance qui part du principe que chacun est potentiellement coupable de quelque chose, surveillance qui introduit un régime de suspicion généralisée, assez cohérente avec la situation de guerre économique de chacun contre tous, alors il faut limiter, réduire l'existence même de ces pouvoirs. Par la loi lorsque c'est possible, par la force lorsque c'est nécessaire.


  1. Pourtant on ne publie pas sur le net la liste complète de nos comptes e-mails, réseaux sociaux, forums, cartes bancaires, avec les mots de passe, d'ailleurs, pourquoi des mots de passe ?

Fin du monde

samedi 4 avril 2015 à 08:37

La vie continue. Comme toujours. Heureusement, dans un sens, mais c'est troublant. C'est sidérant. Comme un lièvre figé dans le faisceau de tes phares. Il aurait suffit d'un bond, mais non. Plus rien. Le monde a disparu. Du moins le monde du lièvre.

Je crois qu'il était déjà trop tard. Comme toujours. Heureusement, dans un sens, mais c'est décourageant. Au fond, il n'est jamais trop tard pour comprendre que plus personne n'est en mesure de tirer son épingle du jeu. On pourrait le croire, s'en remettre aux apparences, pour se rassurer, se donner la force de lutter, parce qu'il faut lutter. Encore aujourd'hui, des êtres sont nés. Comme toujours. Ni heureusement, ni malheureusement, c'est comme ça, c'est tout, il faut faire avec.

Je vérifie que la dernière mise à jour du système d'exploitation de l'ordinateur de poche auquel je suis attaché se soit bien effectuée. Je vérifie les boîtes de réception d'e-mails. Je vérifie les nouveaux articles dans l'agrégateur de flux. Pourtant la poussière est plus lumineuse, plus riche en information. Plus libre. Et même plus connectée. Non pas au réel, cette illusion qui invente le virtuel. Non : connectée au monde.

Au monde qui résiste à tous nos efforts d'anéantissement. Heureusement. Nous sommes un étrange lièvre dans les phares du monde. Parce que nous avons voulu l'anéantir. C'était le programme de la fin de l'histoire, de la globalisation heureuse, du TINA. Anéantir le monde. Nous nous sommes aveuglés dans sa lumière. Les yeux écarquillés par notre désespoir.

Nous ? Oui, nous, parce que nous avons joué le jeu. Manifester dans la rue, parfois, casser quelques vitrines, brûler quelques voitures, c'était rigolo, mais guère suffisant. Nous avons simplement continué à accepter la marche du monde. Nous n'avons pas pris le risque de nous opposer. Risquer de perdre le droit de quémander un pouvoir d'achat accordé par les adultes, par les êtres humains, par ceux qui ont le pouvoir de décider en économie, par les capitalistes, par les propriétaires, ceux-là qui possèdent même les petits propriétaires...

Il ne faut pas jouer les riches, quand on a pas le sous.

Mais la vie continue, cette vie quotidienne, faite de virements bancaires en échange de logement, d'eau et d'électricité, d'économie sur les légumes et les vêtements pour s'offrir des systèmes d'informations surpuissants qui dormiront dans nos poches, comme dorment des cellules dormantes, en réalité nous surveillant constamment. Avec notre consentement moyennement éclairé, mais plus on l'éclaire notre consentement, plus on l'accorde, semble-t-il. La vie continue. On feuillette dans les transports publics des dépliants publicitaires augmentés de copiés-collés de dépêches, de potins, de rumeurs. On s'achète une voiture de plus, pour mieux s'isoler dans la congestion du trafic. On n'a rien à cacher. On met des caméras de surveillance partout. On n'a rien à cacher. On n'a rien à cacher. On n'a rien à cacher1. Mais on dort mal. On se raconte des histoires, on se repasse les mêmes plats.

L'humanité de demain, peut-être, c'est pas sûr.

Si l'on veut empêcher qu'un quelconque pouvoir (l'État, dictatorial, monarchique, républicain ou démocratique, les multinationales, les grandes fortunes, etc.) n'use ni n'abuse des possibilités techniques de surveillance généralisée, surveillance qui ne peut avoir comme objectif l'intérêt général, mais bien l'intérêt de quelques-uns, surveillance qui part du principe que chacun est potentiellement coupable de quelque chose, surveillance qui introduit un régime de suspicion généralisée, assez cohérente avec la situation de guerre économique de chacun contre tous, alors il faut limiter, réduire l'existence même de ces pouvoirs. Par la loi lorsque c'est possible, par la force lorsque c'est nécessaire.


  1. Pourtant on ne publie pas sur le net la liste complète de nos comptes e-mails, réseaux sociaux, forums, cartes bancaires, avec les mots de passe, d'ailleurs, pourquoi des mots de passe ?

Capacity (Lynn Hill, Bronx, NY)

dimanche 18 janvier 2015 à 09:19


Capacity

Lynn, Bronx, NY

I have a capacity for war
I have a capacity for hate
I have a capacity for insanity
for anger
for lies.

Five hundred twenty-five thousand six hundred minutes
times two
before I break
into an explosion of thoughts
and insurgents soft-kills
and career moves.

A capacity for destruction
A capacity for loss
A capacity for death
Violence
Nothingness.

Twenty four months of pain and disgust
Actions of my hands accuse me guilty
Charge: unclear details and shaky intel
Still, I pulled the trigger.

There's a limit to madness, gauge clocks out at two years
But they serve up poison like entrees at Blueberry Hill
Crazy with a side of numb.

It took 63,072,000 seconds to go from me to somebody else
To change.

Mike Ladd: Everyday when you left Predator, what was the first thing you would do? And what would you think about before you went to bed that night?

Lynn Hill: The first thing I would do is stand outside and I would walk to my car and I would sit in the car and decompress everything that happened that day. Try so hard to strip off everything that wasn't me; trying to deal with the guilt of what I did that day; and hoping that when I put the car in drive that it didn't feel like a joystick that I had been flying all day; and when I drive it would be silent just hearing the humming of the car with the windows up so I couldn't have anything distracting me, just have white noise.

And when I was in bed, the last thing I would think about was the families of these other people, and how they look like me, and that I could have been on the other side of those crosshairs. And why was I the one who was able to be here and that the other Sergeants had to be over there.

ML: Did that affect your dreams?

LH: It affected my dreams, where I was thinking I should've been the one there. And sometimes it was just black; it was like smoke that would... whool around me in my head, and I was always in my car on a cliff ready to drop off.

ML: That was the dream ? You in a car on a cliff ready to jump off?

LH: That was my dream. That any minute I could just drive off and it would end it all and it would be over. And there was a black cloud over me, like Predator, just somebody watching me always, like Big Brother. And it was just looming. Because it's kind of like you're Linus (laughs) from Peanuts: that dark coud just follows you everywhere. And you can't really shake it, because a part of this is kinda your fault.

By Lynn Hill


Capable

Lynn, Bronx, NY

Je suis capable de guerre
Je suis capable de haine
Je suis capable de démence
de colère
de mensonges.

Cinq cent mille six cent minutes
fois deux
avant d'éclater
en une explosion de pensées
et de moyens de protection insurgés
et de réorientation de carrière.

Une capacité de destruction
Une capacité de perte
Une capacité de mort
de violence
de néant.

Vingt quatre mois de souffrance et de dégoût
Les actes de mes mains me condamnent
Charge : détails peu clairs et renseignements incertains
Pourtant, j'ai pressé sur la détente.

Il y a une limite à la folie, la jauge butte à 2 ans
Mais ils distribuent du poison comme ces entrées à Blueberry Hill
Le délire avec un côté engourdi.

Il faut 63'072'000 secondes pour aller de moi à quelqu'un d'autre
Pour changer.

Mike Ladd : Quand tu quittais Predator1, chaque jour, que faisais-tu en premier ? Et à quoi pensais-tu avant d'aller au lit, ce soir-là ?

Lynn Hill : La première chose que je faisais était de sortir et de marcher jusqu'à ma voiture et je m'asseyais dans la voiture et je décompressais de tout ce qui s'était passé ce jour-là. Essayer obstinément de me débarrasser de tout ce qui n'était pas moi ; essayer de faire face à la culpabilité de ce que j'avais fait ce jour-là ; et espérer que lorsque je démarrais la voiture, ça ne ressemble pas au joystick que j'avais piloté tout au long de la journée ; et quand je conduisais, c'était silencieux, simplement entendre le murmure de la voiture, les fenêtres fermées pour que rien ne puisse me distraire, rien que du bruit blanc.

Et quand j'étais au lit, la dernière chose que je pensais étaient aux familles de ces autres personnes, comment ils me ressemblaient, et que j'aurais pu être de l'autre côté de ces viseurs. Et aux raisons pour lesquelles j'étais en mesure d'être ici et que les autres Sergents devaient être là-bas.

ML : Est-ce que ça avait un effet sur tes rêves ?

LH : Ça avait un effet sur mes rêves, dans lesquels je pensais que j'aurais dû être là-bas. Et parfois c'était juste noir ; c'était comme de la fumée qui... s'enroulait2 autour de moi, dans ma tête, et j'étais toujours dans ma voiture au bord d'une falaise, prête à tomber.

ML : C'était ton rêve ? Toi dans une voiture au bord d'une falaise, prête à sauter ?

LH : C'était mon rêve. Qu'à chaque minute je pouvais sortir de la route et que ça arrêterait tout et que ce serait fini. Et il y avait un nuage noir au-dessus de moi, comme Predator, quelqu'un qui m'observait continuellement, comme Big Brother. Et c'était visible. Parce que c'est comme si tu étais Linus (rires) des Peanuts3 : ce nuage noir pouvait te suivre partout. Et tu ne peux pas vraiment le semer, parce qu'en partie c'est en quelque sorte ta faute.

Par Lynn Hill


Il s'agit du troisième morceau du disque de Vijay Iyer, Mike Ladd, Maurice Decaul, Lynn Hill (et quelques autres), intitulé Holding It Down : The Veterans' Dream Project. Cet album porte les mots de vétérans des guerres criminelles (par définition, mais dans ces cas aussi selon les lois internationales) en Afghanistan et en Irak.

J'ai commencé à traduire maladroitement ces textes en novembre 2013 et depuis décembre de la même année, je n'ai plus rien traduit. Il se trouve que dans la suite des assassinats perpétrés le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo, au cours de différentes lectures (par exemple l'art de la guerre) ou relectures (comme The due-process-free assassination of U.S. citizens is now reality), j'ai pensé reprendre ces traductions.

Il me semble de plus en plus frappant que la majorité des civils, qu'ils soient d'Europe de l'Ouest, des États-Unis d'Amérique du Nord, d'Afrique du Nord et de l'Ouest, de la péninsule arabique, du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou d'Extrême-Orient, sont les victimes des guerriers, de nos États ou de leurs opposants. Toute forme d'union nationale, parce qu'elle est nationale, est un piège pour nous embrigader dans une guerre qui n'est pas la nôtre, du moins pas la mienne.

Je ne reconnais aucun gouvernement, qu'il soit élu dans un système représentatif ou auto-institué. Les bandes de cons, ça tue énormément.

Si tu as des améliorations de traduction à suggérer, n'hésite pas à les indiquer dans les commentaires ou à les proposer via github, sur le fichier capacity-lynn-bronx-ny.md. Merci.

Si l'on veut la paix, commençons par la faire.


  1. Drone de l'armée US : https://fr.wikipedia.org/wiki/MQ-1_Predator

  2. to whool around, je n'ai pas trouvé de trace de ce verbe dans un quelconque dictionnaire, je suppose une licence, de l'argot ou une erreur typographique, mais je n'ai aucune piste concrète

  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Peanuts

Capacity (Lynn Hill, Bronx, NY)

dimanche 18 janvier 2015 à 09:19


Capacity

Lynn, Bronx, NY

I have a capacity for war
I have a capacity for hate
I have a capacity for insanity
for anger
for lies.

Five hundred twenty-five thousand six hundred minutes
times two
before I break
into an explosion of thoughts
and insurgents soft-kills
and career moves.

A capacity for destruction
A capacity for loss
A capacity for death
Violence
Nothingness.

Twenty four months of pain and disgust
Actions of my hands accuse me guilty
Charge: unclear details and shaky intel
Still, I pulled the trigger.

There's a limit to madness, gauge clocks out at two years
But they serve up poison like entrees at Blueberry Hill
Crazy with a side of numb.

It took 63,072,000 seconds to go from me to somebody else
To change.

Mike Ladd: Everyday when you left Predator, what was the first thing you would do? And what would you think about before you went to bed that night?

Lynn Hill: The first thing I would do is stand outside and I would walk to my car and I would sit in the car and decompress everything that happened that day. Try so hard to strip off everything that wasn't me; trying to deal with the guilt of what I did that day; and hoping that when I put the car in drive that it didn't feel like a joystick that I had been flying all day; and when I drive it would be silent just hearing the humming of the car with the windows up so I couldn't have anything distracting me, just have white noise.

And when I was in bed, the last thing I would think about was the families of these other people, and how they look like me, and that I could have been on the other side of those crosshairs. And why was I the one who was able to be here and that the other Sergeants had to be over there.

ML: Did that affect your dreams?

LH: It affected my dreams, where I was thinking I should've been the one there. And sometimes it was just black; it was like smoke that would... whool around me in my head, and I was always in my car on a cliff ready to drop off.

ML: That was the dream ? You in a car on a cliff ready to jump off?

LH: That was my dream. That any minute I could just drive off and it would end it all and it would be over. And there was a black cloud over me, like Predator, just somebody watching me always, like Big Brother. And it was just looming. Because it's kind of like you're Linus (laughs) from Peanuts: that dark coud just follows you everywhere. And you can't really shake it, because a part of this is kinda your fault.

By Lynn Hill


Capable

Lynn, Bronx, NY

Je suis capable de guerre
Je suis capable de haine
Je suis capable de démence
de colère
de mensonges.

Cinq cent mille six cent minutes
fois deux
avant d'éclater
en une explosion de pensées
et de moyens de protection insurgés
et de réorientation de carrière.

Une capacité de destruction
Une capacité de perte
Une capacité de mort
de violence
de néant.

Vingt quatre mois de souffrance et de dégoût
Les actes de mes mains me condamnent
Charge : détails peu clairs et renseignements incertains
Pourtant, j'ai pressé sur la détente.

Il y a une limite à la folie, la jauge butte à 2 ans
Mais ils distribuent du poison comme ces entrées à Blueberry Hill
Le délire avec un côté engourdi.

Il faut 63'072'000 secondes pour aller de moi à quelqu'un d'autre
Pour changer.

Mike Ladd : Quand tu quittais Predator1, chaque jour, que faisais-tu en premier ? Et à quoi pensais-tu avant d'aller au lit, ce soir-là ?

Lynn Hill : La première chose que je faisais était de sortir et de marcher jusqu'à ma voiture et je m'asseyais dans la voiture et je décompressais de tout ce qui s'était passé ce jour-là. Essayer obstinément de me débarrasser de tout ce qui n'était pas moi ; essayer de faire face à la culpabilité de ce que j'avais fait ce jour-là ; et espérer que lorsque je démarrais la voiture, ça ne ressemble pas au joystick que j'avais piloté tout au long de la journée ; et quand je conduisais, c'était silencieux, simplement entendre le murmure de la voiture, les fenêtres fermées pour que rien ne puisse me distraire, rien que du bruit blanc.

Et quand j'étais au lit, la dernière chose que je pensais étaient aux familles de ces autres personnes, comment ils me ressemblaient, et que j'aurais pu être de l'autre côté de ces viseurs. Et aux raisons pour lesquelles j'étais en mesure d'être ici et que les autres Sergents devaient être là-bas.

ML : Est-ce que ça avait un effet sur tes rêves ?

LH : Ça avait un effet sur mes rêves, dans lesquels je pensais que j'aurais dû être là-bas. Et parfois c'était juste noir ; c'était comme de la fumée qui... s'enroulait2 autour de moi, dans ma tête, et j'étais toujours dans ma voiture au bord d'une falaise, prête à tomber.

ML : C'était ton rêve ? Toi dans une voiture au bord d'une falaise, prête à sauter ?

LH : C'était mon rêve. Qu'à chaque minute je pouvais sortir de la route et que ça arrêterait tout et que ce serait fini. Et il y avait un nuage noir au-dessus de moi, comme Predator, quelqu'un qui m'observait continuellement, comme Big Brother. Et c'était visible. Parce que c'est comme si tu étais Linus (rires) des Peanuts3 : ce nuage noir pouvait te suivre partout. Et tu ne peux pas vraiment le semer, parce qu'en partie c'est en quelque sorte ta faute.

Par Lynn Hill


Il s'agit du troisième morceau du disque de Vijay Iyer, Mike Ladd, Maurice Decaul, Lynn Hill (et quelques autres), intitulé Holding It Down : The Veterans' Dream Project. Cet album porte les mots de vétérans des guerres criminelles (par définition, mais dans ces cas aussi selon les lois internationales) en Afghanistan et en Irak.

J'ai commencé à traduire maladroitement ces textes en novembre 2013 et depuis décembre de la même année, je n'ai plus rien traduit. Il se trouve que dans la suite des assassinats perpétrés le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo, au cours de différentes lectures (par exemple l'art de la guerre) ou relectures (comme The due-process-free assassination of U.S. citizens is now reality), j'ai pensé reprendre ces traductions.

Il me semble de plus en plus frappant que la majorité des civils, qu'ils soient d'Europe de l'Ouest, des États-Unis d'Amérique du Nord, d'Afrique du Nord et de l'Ouest, de la péninsule arabique, du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou d'Extrême-Orient, sont les victimes des guerriers, de nos États ou de leurs opposants. Toute forme d'union nationale, parce qu'elle est nationale, est un piège pour nous embrigader dans une guerre qui n'est pas la nôtre, du moins pas la mienne.

Je ne reconnais aucun gouvernement, qu'il soit élu dans un système représentatif ou auto-institué. Les bandes de cons, ça tue énormément.

Si tu as des améliorations de traduction à suggérer, n'hésite pas à les indiquer dans les commentaires ou à les proposer via github, sur le fichier capacity-lynn-bronx-ny.md. Merci.

Si l'on veut la paix, commençons par la faire.


  1. Drone de l'armée US : https://fr.wikipedia.org/wiki/MQ-1_Predator

  2. to whool around, je n'ai pas trouvé de trace de ce verbe dans un quelconque dictionnaire, je suppose une licence, de l'argot ou une erreur typographique, mais je n'ai aucune piste concrète

  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Peanuts

et s'y mettre

jeudi 8 janvier 2015 à 10:19

mots introuvables faute de les chercher
la sécheresse courante du lavabo aux égouts
flots en colère
jouée
paysages sans reliefs
à force d'hyperboles et de superlatifs

se tourner se détourner
"comme si nous étions déjà libres"
et s'y mettre

les armes et le brouhaha
stériles
surlignent le vide
le vide
pourvu que ça se vende
pourvu que ça marge
pourvu que ça surface

la vitesse sature les sens
la masse saumure le sens
le contresens interdit
sans voix
sans un regard
la tête dans le néant
bruyant
clignotant
en solde
en rang au pas même désordonné
se tourner se détourner
"comme si nous étions déjà libres"
et s'y mettre


"comme si nous étions déjà libres" fait référence au livre suivant :
GRAEBER, David, 2014. Comme si nous étions déjà libres. Montréal : Lux éditeur. ISBN 9782895961802. Voir sur le site de l'éditeur.