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Objectif : « hacker » la CNIL

vendredi 20 juillet 2012 à 14:17

Objectif : "hacker" la CNIL. Pas son site web, mais l'institution, en tant que telle, son fonctionnement, ses objectifs, ses moyens & méthodes, parce que "la loi, c’est comme le code, on peut la « hacker »".

Longtemps, je me suis borné à documenter -et donc aussi critiquer- la novlangue de certains de ses "commissaires politiques" (majoritairement de droite), à commencer par l'ex-président de cette "autorité indépendante" en charge de la défense de nos droits "informatique et libertés", sorte de Nicolas Hulot de la vie privée.

Le vent a tourné. La CNIL est en train de changer. Et il serait bon de la "libérer", de la "décoincer", de sorte qu'elle cesse de se contenter de nous faire peur, en nous expliquant comment nous sommes surveillés (sur Internet ou ailleurs), sans nous expliquer comment nous en protéger (voir Internet : quand l’Etat ne nous protège pas), tout en bornant, essentiellement, son expertise au seul domaine juridique, intervenant donc généralement après coup, quand les dommages sont avérés.

Si vis pacem para cnillum

Isabelle Falque-Pierrotin, la nouvelle présidente de la CNIL, m'avait proposé de l'aider à organiser un PrivacyCamp, sorte de "non-conférence" dont l'objectif était de mettre en contact des gens de la CNIL avec des hackers, des geeks et (donc) des professionnels, utilisateurs & amateurs éclairés de l'informatique et d'Internet, afin de voir ce que l'on pourrait faire ensemble, de sorte d'améliorer la défense, et la promotion, de nos droits "informatique et libertés".

L'objectif était aussi de "faire la paix" entre les défenseurs des libertés sur le Net et les "gardiens du Temple" de la CNIL, souvent perçus -hélas- comme très éloignés des problèmes, et des combats, menés par les premiers. De mon côté, j'avais donc proposé de hacker la CNIL afin de l'aider à expliquer aux gens comment protéger leur vie privée, et sécuriser leurs données (voir aussi le compte-rendu de la CNIL, ainsi que les vidéos et compte-rendus de ceux qui y ont participé).

Ce qui m'a le plus surpris, lors de ce PrivacyCamp, fut de découvrir à quel point les employés de la CNIL vivaient cette rencontre comme un "bol d'air", et à quel point ils semblaient engoncés dans des problématiques juridico-administratives, institutionnelles (et politiques), et à quel point le fait de rencontrer des gens, hackers et internautes, qui se battaient concrètement, pied à pied, pour la défense de nos droits informatique et libertés, les faisaient respirer, et leur redonnaient l'impression de pouvoir agir concrètement sur la vie des gens...

Il est interdit d'interdire le Net

Dorothée Barba, animatrice du 5/7 de France Inter cet été, m'a invité à causer de la vie privée sur Internet, et plus particulièrement de la CNIL (qui vient de rendre public son rapport 2011), ainsi que de mon livre, "La vie privée, un problème de vieux cons ?" (cf le résumé que j'en avais tiré, Les « petits cons » parlent aux « vieux cons »).

 

Une des choses qui semblent avoir marqué Dorothée Barba est le parallèle que je fais entre ce que nous vivons aujourd'hui, en terme de liberté d'expression, et ce qui s'est passé avec la libération sexuelle dans les années 70, et le combat des féministes (voir aussi les interviewes que j'avais accordé à Article X1 : « Internet ne tue pas les indiens : il en crée ! », et à Geek Politics : « La défense des libertés sur Internet aura un impact similaire à la libération sexuelle »).

De même que le port d’une mini-jupe ou le fait de bronzer les seins nus ne sont pas des incitations au viol, l’exposition ou l’affirmation de soi sur les réseaux ne saurait justifier l’espionnage ni les atteintes à la vie privée.

3 questions à... Jean-Marc Manach

La Direction des Études, de l’Innovation et de la Prospective de la CNIL, créée pour "être au cœur des débats de société", m'a elle aussi interviewé (.pdf), en marge de son compte-rendu du "premier PrivacyCamp en Europe" auquel elle m'avait proposer de participer, dans le 3e numéro de sa lettre d'information consacrée à l'innovation et à la prospective, qui vient de sortir.

Je n'y évoque pas explicitement ce projet de "hacker (décoincer) la CNIL", parce que ce n'était pas l'objet, ni l'endroit, mais je suis triste de voir que nombreux sont ceux qui pensent que la CNIL ne serait qu'un rouage du système, qu'elle ne protégerait pas tant les gens que les institutions, alors qu'elle a été pensée, et créée, pour nous défendre et nous protéger.

Le fait qu'elle se mette à faire de la prospective, à venir "au contact" des internautes, des défenseurs des libertés et de la vie privée, et de ceux qui ont les doigts dans le code, m'incite à penser qu'on aurait tort de ne pas essayer de hacker décoincer la CNIL /-)

Pensez vous qu’il soit possible de protéger ses données sur internet, ou est-ce un combat perdu d’avance ?

Suite au "portrait" Google qu'avait fait la revue Le Tigre d'un internaute "anonyme", à partir des photos, vidéos et informations qu'il avait partager sur le web et les réseaux sociaux, un journaliste avait décidé de faire "mon" portrait Google. Je suis actif, en tant qu'internaute, journaliste et défenseur des libertés et de la vie privée, depuis plus de 10 ans. Et il n'a rien trouvé de sensible à mon sujet, comme quoi il est tout à fait possible de "protéger" ses données dès lors qu'on a compris que le web est un espace "public", et que toute information qui y est "partagée" ne relève plus de la "vie privée". A contrario, le concept de sécurité à 100% n'existe pas plus dans l'espace physique que sur Internet, tant pour nos ordinateurs (et donc nos correspondances privées, identifiants et mots de passe) que pour les données personnelles que les sites de commerce électronique ou administratifs nous obligent à leur confier. D'où l'importance, pour ces derniers, des notions de "dataminimisation" (on ne requiert que le strict nécessaire) et de "privacy by design" (inclure la protection de la vie privée dès la conception des services et applications), et bien évidemment de l'application de la loi. En l'espèce, force est de constater que bien peu de sites web ayant mal protéger les données personnelles de leurs utilisateurs sont sanctionnés, et encore moins poursuivis en justice.

REF : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur moi mais que vous aviez la flemme d’aller chercher sur l’internet…

Comment donner envie aux individus de faire attention à leurs données personnelles sans tomber dans des explications techniques trop complexes et sans être anxiogène ?

En faisant confiance aux utilisateurs, en les prenant pour des gens intelligents et responsables, et en arrêtant d'en avoir peur, mais également de leur faire peur. La majeure partie du temps, quand on parle de "sécurité informatique" ou de "vie privée" sur Internet, l'approche, et les discours, sont anxiogènes. A ce régime, on devrait aussi et surtout interdire aux femmes de s'habiller sexy ou de porter des bijoux. Le problème, c'est le voleur, le voyeur, le violeur; or, on a hélas tendance à culpabiliser l'internaute, en lui expliquant que c'est compliqué, et/ou qu'Internet est truffé de dangers. Ce qui est infantilisant, et contre-productif. Daniel Kaplan a très bien résumé la situation en expliquant que "la valeur de la vie privée est de nous permettre d’avoir une vie publique". La gestion de sa vie privée n'est pas un "problème", mais ce qui nous permet d'apprendre à mener une vie publique. Et c'est aussi tout l'enjeu de ce qui se trame avec le web : nous devenons tous des personnalités publiques. Ce qui, je pense, est quelque chose de bien pour nos démocraties. La révolution sexuelle a notamment permis d'envisager (et d'enseigner) la sexualité autrement que sous le seul prisme de la fécondité, et des MST. L'évolution d'Internet permet notamment d'envisager (et devrait donc nous permettre d'enseigner) la liberté d'expression comme un supplément de démocratie : une chose est de voter (à bulletin secret) dans une urne transparente, un autre est de tabler sur la transparence pour promouvoir la démocratie...

REF : L’avenir de la vie privée est de la maîtriser

Que répondez vous quand on vous demande des conseils en lien avec les données personnelles ?

Soyons clairs : il est impossible de sécuriser son ordinateur, de même qu'il est impossible de se prémunir des cambriolages. Ce qui n'empêche pas de prendre certaines mesures pour l'éviter. La chercheuse américaine danah boyd, qui a beaucoup étudié les comportements des jeunes internautes, a moult fois expliqué qu'ils savaient bien mieux gérer leur vie privée sur le Net que ne le savent le faire leurs parents. Paradoxalement, le meilleur moyen de protéger ses données personnelles, c'est de s'exprimer et donc d'avoir une vie publique sur le Net. Parce que plus vous l'utilisez, plus vous apprenez à en maîtriser les usages, services et outils, et donc à contrôler les machines. Quand c'est la machine qui vous contrôle et vous dicte ce que vous pouvez faire, ou pas, vous déléguez le fait de protéger vos données. Or, on ne peut protéger que ce que l'on peut contrôler.

REF : Vie privée : le point de vue des “petits cons”
Vers une vie privée en réseau

Voir aussi :
Plus belle la vidéosurveillance
Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté
On ne peut pas mettre de barrières sur Internet
« Faites chier, vous avez encore ramené un mineur ! »
La liste des « gens honnêtes » qui voulaient ficher tous les Français

« Faites chier, vous avez encore ramené un mineur ! »

vendredi 13 juillet 2012 à 08:33

Les policiers racontent rarement aux journalistes l'absurdité de leurs conditions de travail. Les gendarmes, encore plus rarement. Des témoignages de gendarmes dont le métier est d'interpeller les "sans papiers", je n'en avais encore jamais lu. Fred (le prénom a bien évidemment été modifié) m'avait demandé d'attendre quelques mois avant de publier son témoignage -que j'avais recueilli du temps où Nicolas Sarkozy était président de la république-, de sorte de brouiller les pistes et d'empêcher quiconque de remonter jusqu'à lui. J'ai attendu plus d'un an.

Son témoignage est édifiant, consternant, et montre à quel point la gestion sécuritaire de l'immigration dite "clandestine" ne fonctionne pas, en l'état.

J'ai déjà eu l'occasion de raconter comment des réfugiés en arrivent, en mode "Minority Report", à se brûler les doigts pour ne pas être identifiés par leurs empreintes digitales, et donc expulsés (cf Calais : des réfugiés aux doigts brûlés).

J'ai également pris le temps de dresser la liste, et la carte, de cette "guerre aux migrants" qui a d'ores et déjà fait plus de 15 000 morts aux frontières de l'Europe (cf le Mémorial des morts aux frontières de l'Europe, le plus dur des articles qu'il m'ait jamais été donné d'écrire).

Je ne mesurais pas à quel point les forces de l'ordre chargées d'interpeller ces "sans papiers" en étaient réduites, de leur côté, à avoir le sentiment d'être payé pour vider la mer avec une petite cuiller.

Une cinquantaine d'organisations, dont France Terre d'asile et la Plateforme 12, ont récemment déploré la décision de François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls de maintenir l'immigration dans le giron du ministère de l'intérieur, et dénoncé "la poursuite assumée de la politique sarkozyste" en la matière.

Je ne sais pas si l'élection de François Hollande a changé quoi que ce soit, mais notre soi-disant "patrie des droits de l'homme" n'en sort pas grandie.

"Candidat à rien, potentiel atteint"

Les médias les présentent souvent comme des "sans papiers"; les associations de défense des droits de l'homme comme des "migrants", ou des "réfugiés"; les autorités préfèrent parler d'"étrangers en situation irrégulière", ou "ESI", pour reprendre le terme utilisé par Fred, qui les qualifie de "clandestins".

La tenue 4S des gendarmes mobilesFred est un gendarme mobile, et donc tenu au devoir de réserve auquel sont soumis les militaires. On en compte 30 000. "Dans l'absolu, on fait le même travail que les CRS : du maintien de l'ordre". On les retrouve souvent en fin de manifestation, ou pour sécuriser des évènements publics tels que des matchs de foot.

Fred (un pseudo) se définit lui même comme un "CARPA" ("candidat à rien, potentiel atteint") qui n'a aucune envie de monter dans la hiérarchie. En bon militaire, il n'a pas vraiment d'état d'âme, mais fait ce qu'on lui ordonne de faire. Il n'empêche : quand je l'avais interviewé, il m'avait demandé de ne pas publier son interview trop rapidement, afin d'empêcher la gendarmerie de pouvoir remonter jusqu'à lui.

Fred m'avait en effet raconté qu'aux alentours de Calais, là où il est régulièrement cantonné, les gendarmes mobiles n'arrêtaient quasiment plus aucun "clandestin", que 90% de ceux qui étaient interpellés n'étaient pas expulsés, et que de plus en plus de ses collègues, blasés, se demandaient pourquoi ils devaient continuer à en interpeller puisque... "ça ne sert à rien".

Des témoignages de sans-papiers, de défenseurs des droits de l'homme, de militants de RESF, du GISTI, de la CIMADE ou des Amoureux au ban public, j'en avais lu plein. Mais je n'avais encore jamais vu quelqu'un donner la parole à l'une de ces petites mains chargées d'interpeller les "clandestins".

Au vu de ce que Fred m'a raconté, et du fossé qui sépare ceux qui décident du nombre de personnes à expulser de ceux qui sont chargés d'aider à les expulser, nul doute que le débat démocratique gagnerait à entendre ce que ces "petites mains" ont à raconter.

Fred m'avait ainsi parlé de ces chefs qui ne voulaient surtout pas qu'on leur ramène des mineurs, "parce que c'est chiant, gourmand en personnel, qu'il faut aller à l'hôtel et les garder 24h/24", mais également de l'histoire de ces deux jeunes filles de 18 ans qu'un collègue avait refusé d'interpeller, en toute illégalité, préférant leur payer une chambre d'hôtel, et prévenir une association, ou encore de ces blagues qu'ils faisaient parfois aux sans-papiers dans les centres de rétention...

Quand, à l'issue de nos deux heures d'entretien, je lui demandais s'il avait quelque chose à rajouter, Fred me raconta l'histoire de ce gendarme mobile qui avait refilé la gale à toute sa famille, et m'expliqua comment, depuis, ils "désinfectaient" leurs voitures en asseyaient les clandestins interpellés sur des sacs poubelles...

Vous êtes policier, gendarme, employé dans une préfecture ou au ministère de l'Intérieur, en charge de la lutte contre les "clandestins" ? N'hésitez pas à réagir, en commentaire, voire en me contactant directement de façon sécurisée et en toute confidentialité. Le témoignage de Fred est d'autant plus intéressant qu'il n'est pas motivé par des objectifs ou considérations politiques, mais parce que ce qu'on lui demande de faire ne sert à rien, et vire au kafkaïen. Je vous laisse juge :

"Avant, on faisait entre 300 et 700 interpellations par mois. Aujourd'hui, si on en attrape 10, c'est formidable !"

Nous avons deux missions : empêcher les clandestins de monter dans le TGV et dans les camions. Mais ce n'est pas une "traque", et ça a changé : au début, c'était une mission spécifique, qui ne devait pas durer, mais elle a évolué au fil du temps, et ça fait des années qu'on se relaie.

Avant, on était réquisitionnés, aujourd'hui plus besoin : il y a toujours un peloton de gendarmes mobiles à Calais, au lieu de prendre des CRS qui sont plus exigeants et compliqués à loger, on nous envoie nous, les gendarmes mobiles.

Avant, on avait une réquisition du préfet qui nous autorisait à contrôler les identités de toutes les personnes qui se trouvaient dans la zone d'attente des poids lourds de Transmarck, où se trouvent de gros magasins d'alcool, plus toute la zone très sécurisée de Fréthun où se trouve l'accès, très sécurisé et grillagé, à l'entrée du tunnel sous la Manche. A la gare il y a aussi des vigiles et des patrouilles vigie-pirate, mais ils n'ont pas le droit de les interpeller, alors ils nous appellent.

Mais depuis quelques temps, on n'a plus besoin des réquisitions. J'ai eu plusieurs sons de cloches : le plus probable c'est que vu la diminution du nombre de clandestins, ça ne sert à rien; et puis on est quand même un pays des droits de l'homme, c'est pas très républicain de dire qu'on peut contrôler tout le monde et n'importe qui...

Pourtant, on en voit, des clandestins, quand on arrive sur zone, mais on ne peut pas les arrêter, et on n'a pas le droit de les contrôler, même si on les connaît : il faut qu'on attende qu'ils soient dans la gare, ou proche des voies ferrées; sinon, il n'y a pas de motif légal, et la procédure est cassée.

J'en ai attrapé beaucoup depuis que je suis à Calais, mais là, je n'ai jamais vu ça : avant, on faisait 3-400 interpellations par mois, voire 5-700, au pire 100. Maintenant, si on en attrape 10 sur un mois, c'est formidable : on ne les trouve plus.

On attrape souvent bêtement des gens qui arrivent de Paris et qui se trompent de gare, mais globalement, ils sont plus renseignés et se méfient plus des patrouilles. Avant, on les appelait et ils venaient. Ils ont du être briefés par les associations : aujourd'hui, ils se méfient plus de nous.

A l'époque, ils savaient qu'ils faisaient une connerie quand ils franchissaient les barrières. Mais sinon, on les appelait, on trouvait celui qui parlait anglais, et la plupart nous suivaient. Maintenant, c'est plus comme ça, ceux qui nous suivent sont ceux qui ne sont pas méchants, les pères de famille. Les plus virulents partent en courant.

"On leur laisse une chance de les attraper le lendemain"

Mais on n'a pas de quota : on sait que d'autres escadrons en ont arrêté tant, mais c'est juste pour notre information, on ne nous impose pas de quota d'interpellations. Ceux qui sont interpellés aujourd'hui sont soit mal informés, soient paumés dans la mauvaise gare, souvent les deux à la fois.

Quand on arrive, on sait a peu près où ils sont : on en trouve des fois qui se balladent, mais les plus informés, on ne les trouve plus, ils savent qu'ils peuvent être expulsés. Je suis persuadé que certains sont là depuis longtemps, un an ou plus, et ils savent qu'à Calais même la police est plus souple que nous, parce que dans la zone police, il y a une "zone intouchable" où ils ne sont pas interpellés : on sait qu'ils sont clandestins, mais on est un pays des droits de l'homme, et donc on les laisse aller voir les associations, mais ça, ça ne sera jamais dit.

On mange à l'escadron de Calais, on est logé à l'hotel, on a nos véhicules de service, et on en croise tout le temps quand on va manger. On se demande ce qui se passe dans la zone police, parce que toute la zone n'est pas sécurisée : mais on ne communique pas trop avec les policiers. Nous, on doit trimer pour les expulser alors que eux, ils en ont plein...

On a quand même pitié d'eux : ils sont souvent assez sales, et n'ont pas forcément à manger, donc on les laisse dans cette zone à Calais. Si les associations ne les nourrissaient pas, certains désespérés feraient peut-être aussi des conneries en ville, mais ça c'est un autre non-dit. Enfin, il y a aussi le facteur humain : on leur laisse une chance de les attraper le lendemain...

Les procédures ont été longues à mettre en place pour qu'elles ne soient pas cassées par les avocats. Au début, on les remettait dans la zone police sécurisée, où la police ne pouvait pas les toucher. Donc au bout d'un moment, on en a vu beaucoup y aller. Les procédures n'étaient pas bien connues, et on n'aimait pas faire des procédures pour rien. Ca a duré le temps que la politique d'immigration se mette en place, jusqu'en 2003-2004.

Fin 2004, à la fin de Sangatte, c'était le début des grosses interpellations en masse, c'était un peu des "rafles", on affrêtait des bus. Entre 40 et 45 0000 clandestins sont passés à la brigade de Fréthun. Tous n'ont pas été ramenés dans leurs pays, énormément ont été relâchés.

"Sur 10 interpellés, un seulement sera expulsé"

Moi, je fais mon travail : quand j'interpelle un étranger, je suis dans la zone Schengen de la gare, donc j'ai le droit de contrôler toutes les personnes. On n'a pas le droit de faire du délit de sale gueule, mais ça se voit : souvent ils ont plein de blousons sur eux pour le froid, et ils sont assez sales.

Admettons que j'ai attrapé quelqu'un d'un pays expulsable, d'un quelconque pays d'Afrique ou de l'Est. On doit leur faire une palpation de sécurité, et ils nous disent rien alors que c'est choquant de les fouiller, de les mettre dans un véhicule : ils n'ont pas de chance et ne s'attendent pas à ça en arrivant en France.

Si la Police aux frontières (PAF) a de la place, on fait une première procédure d'ESI (Etrangers en Situation Irrégulière - NDLR), un simple papier qui résume la situation, on va à la PAF, qui prend en charge la personne. Si elle n'a jamais été interpellée, on lui donne un papier qui lui indique qu'elle a sept jours pour quitter le territoire, et elle sort, libre, et la plupart s'en foutent. Parce que si vous en attrapez un, et qu'il a déchiré son papier, qu'on n'arrive pas à le reconnaître, il se reprend un papier de 7 jours...

Celui qui est intelligent se fait attraper une fois, mais reste très serein : il déchire le papier, et la fois d'après il prend un autre nom, et c'est reparti... A la gendarmerie, on ne prend pas les empreintes digitales. Mais s'il est assez bête, ou qu'il ne comprend pas le français et qu'il a encore ce papier depuis plus de sept jours, alors la procédure peut être faite, on l'auditionne, et c'est seulement à partir de ce moment-là que la personne peut aller en centre de rétention.

Au final, c'est assez complexe : sur 10 interpellations, une personne seulement sera expulsée. On a l'impression de travailler à perte. La France est une terre d'accueil, mais on a tous l'impression de repousser le problème, et de ne travailler pour rien. J'en connais aussi qui, quand ils arrêtent quelqu'un, se demandent "à quoi ça sert", et le remettent hors de la gare. On est complètement blasés. Il y en a beaucoup qui se demandent à quoi ça sert de les attraper puisque... ça ne sert à rien.

On voudrait qu'il y ait une politique d'immigration cohérente : il a un papier, 7 jours pour partir, sauf s'il le déchire... On est une terre d'accueil, mais si les politiques ne veulent pas ce problème de clandestins à Calais, il faut trouver une solution.

Ca fait des années que je suis là, et la seule chose qui a changé, c'est qu'il y en a moins sur la zone, mais ils sont toujours là. Maintenant, les ESI se cachent, on a juste fait que repousser le problème, ils se décalent, s'étalent...

Personne ne craque parce que nos missions durent un mois maximum, c'est pas horrible. Et dans nos autres missions on voit bien pire : quand vous êtes au palais de justice, que vous entendez des histoires de viols, de meurtres, d'actes de barbarie... on voit vraiment la misère humaine.

Le mot d'ordre, c'est "pas de couilles, pas d'embrouilles"

Les préfets ? Soit ils sont contents d'en avoir attrapé plein, soit ils sont contents de ne pas en avoir sur zone... En fait, à Calais, ce qu'ils veulent c'est qu'il n'y en ait plus, mais ils se foutent de savoir s'ils sont dans d'autres zones. L'objectif du préfet n'est pas de les attraper mais que le caca ne soit pas chez lui.

Quand je vois ce qui transparaît à la télévision, ils (responsables politiques, policiers ou de la gendarmerie -NDLR) se font mousser, se mettent en avant pour leur carrière, mais à chaque fois on est mort de rire. La réalité du terrain n'a rien à voir avec les reportages, et ce n'est pas un petit décalage, c'est un décalage complet.

Ce qui est choquant, ce n'est pas tant la presse que les gens, et la perception qu'ils se font de nous : la plupart du temps y'a du respect, même si on voit toujours des CRS taper un pauvre noir la matraque plein de sang. Mais on n'a pas de matraques pleine de sang ! D'ailleurs, c'est limite à nous empêcher de travailler tellement faut respecter la personne en face : faites pas ci parce que la procédure tiendra pas, parce qu'elle risque de porter plainte...

Le mot d'ordre, c'est "pas de couilles, pas d'embrouilles" : donc on ne fait jamais d'excès de zèle, et on prend toujours un gros parapluie pour se couvrir.

Cela dit, chez nous aussi, comme dans la police, on a des gens qui ne les traitent pas comme des êtres humains, mais comme des numéros. Moi, je leur dis toujours Monsieur, je les vouvoie, je mets de la distance. Certains leur font signe de venir, leur demandent leurs papiers, et ne leur parlent plus.

Ca arrive partout, on a tous été controlés par des gros cons. Mais je n'ai jamais vu ce qu'on prétend : on n'arrive pas avec nos matraques pour les courser et les tabasser. Ca n'arrive jamais : on ne peut pas se permettre ce genre de choses. Je pense que ça a du arriver il y a 40 ans, mais à part des dérapages qui sont médiatisés, personne ne prendrait le risque d'aller en prison.

Si un Marocain moufte devant les gendarmes marocains, il va avoir des problèmes, alors qu'avec nous non. Parfois si on contrôlait un Français comme on leur parle, il ne serait pas content, mais je n'ai jamais vu de gestes violents : ça ne sert à rien, on sait qu'ils sont déjà dans une merde noire.

"Ils ne sont pas tous gentils et mignons"

L'image que donnent les médias de notre action est bonne s'ils ne relaient pas la parole des autorités, même s'il y a toujours des journalistes qui grossissent les traits pour déformer la réalité. Parce que l'image du pauvre clandestin et du méchant gendarme, c'est pas vrai : nous on fait notre travail, et eux, ils tentent de passer... La seule chose qu'ils ont fait c'est de quitter leur pays. Et la plupart du temps, ça se passe bien. C'est pas une interpellation, où on doit être très ferme, plaquer les gens au sol.

Mais ils sont pas tous gentils, mignons, et venus de pays en guerre... J'ai déjà attrapé des petits couples, des gens de 60 ans qui avaient pris de vrais risques. Certains nous font pitié, on est des êtres humains avant tout, mais des fois il faut passer outre. Parce qu'à côté de ça, c'est comme partout, il y a quelques crapules, et dans certaines ethnies, certains endroits d'Afrique ou des pays de l'Est, on trouve des hommes assez virulents, voire violents. Il y a aussi de véritables crapules, c'est rare, mais ça arrive.

La plupart du temps on s'imagine qu'ils sont gentils, mais on commence à se méfier aujourd'hui : ça a commencé à devenir violent depuis 2009. En général ils ne sont pas assez bêtes pour sauter sur un gendarme avec un couteau : ils se présentent tout gentiment lors du controle, et on ne les menotte pas, mais s'ils voient une opportunité, certains n'hésiteront pas à pousser un gendarme pour s'en aller... Et il a déjà eu des gendarmes poussés, mais jamais d'agressés.

Par contre, certains routiers se font agresser à la barre de fer ou au couteau parce qu'ils dénoncent les sans papiers, ou qu'ils leur crient dessus. Des fois, on a 3-4 agressions en un mois, des fois pas d'agressions pendant 3-4 mois...: dans certaines zones, les entreprises et certains routiers ont commencé à dénoncé les ESI, parce que j'ai eu ouïe dire qu'ils se prennent des amendes par la Grande-Bretagne : chaque clandestin qui passait leur coûterait 25 000 euros d'amende; ce sont des bruits de couloir, mais je ne pense pas que ce soit faux.

On prévoit toujours le pire, donc dans le doute on prend tous les équipements, et je peux comprendre que ça choque. Mais moi je suis militaire, j'obéis aux ordres. J'aimerais qu'il y ait une solution, mais il n'y en a pas : on ne peut pas régulariser tout le monde, on est coincé.

"Les clandestins sont surpris qu'on soit des êtres humains"

En centre de rétention, ça se passe bien en général, mais d'un point de vue physique c'est très dur : au bout d'un mois on est lessivé. Parce qu'on n'est pas aux 35h, et on peut avoir une garde extérieure de 24h, dans des petites guérites, avec des petites siestes d'1/2h, sans musique, sans PSP, suivie d'une pause de 8h, pour ensuite être rappelé à 16h. Si le gradé est sympa, on reprend le lendemain à 8h, mais parfois on rempile avec de l'entraînement ou bien pour nettoyer (on n'a pas d'agent d'entretien), donc ça dépend de notre capitaine. Et si on est fatigué, on s'énerve facilement, et il y a moins de cohésion.

A l'intérieur du centre de rétention, il y a la fouille, une zone tampon où la PAF nous amène les ESI : on leur retire leurs couteaux, rasoirs, tout ce qui est dangereux, mais ce n'est pas une prison, ils sont libres à l'intérieur et font un peu ce qu'ils veulent. Ca dépend des centres de rétention administrative (CRA), mais généralement ils ont des chambres. Par contre, le poste de télévision est derrière un grillage : là, ça fait un peu prison, mais sinon ils la casseraient. Ils ont aussi leurs affaires, ce qui entraîne donc des problèmes inhérents de vols, etc.

Les ESI sont aussi surpris qu'on soit des êtres humains : on apprend un peu leur vie et on rigole; je dis pas jusqu'à sympathiser, mais... quand on est aux guérites, on voit les cabines téléphoniques et quand on en voit attendre des coups de fil, certains gendarmes prenaient les n° de téléphone des cabines et appelaient pour faire des blagues; et les ESI en rigolaient aussi.

"Faites chier, vous avez encore ramené un mineur !"

Les enfants, on ne s'en occupe pas, c'est un très gros problème; s'ils sont avec leur famille, ils ne vont pas au CRA : les enfants vont pas en centre de rétention, ils ne sont pas expulsables, ce sont les services sociaux qui le prennent, et après je sais pas ce qu'il en advient.

Mais des fois, on attrape des enfants, et le côté inhumain, il est là; si on a un enfant de 16 ans qui ne le précise pas, il va en rétention; et il y a un autre effet pervers : certains adultes se font passer pour des enfants, parce qu'ils ne sont pas expulsables; et dans le doute il sont considérés comme mineurs.

Nos chefs n'aiment pas qu'on ramène des mineurs parce que c'est chiant, gourmand en personnel, qu'il faut aller à l'hôtel et les garder 24h/24. Alors ils traînent les pieds, mais on est obligé de le faire. Certains préféreraient qu'on les ramène en zone sécurisée. Cela dit, les mineurs c'est très très rare, un ou deux par an, et souvent ils sont très protégés par les adultes, notamment par les membres de leurs familles.

J'ai vu une fois un gendarme qui a fait un truc un peu exceptionnel, il y a quelques années : on a trouvé deux jeunes filles de l'Est, très jolies, paumées dans une gare. C'était la fin de la patrouille, on risquait d'entendre le traditionnel "vous faites chier vous nous avez encore ramené des mineures", et on savait qu'elles risquaient donc d'être prises pour des plus de 18 ans et relachées. Elles étaient mignonnes, mineures, encore assez propres sur elles, mais si elles étaient aller se ballader, on ne sait pas ce qui leur serait arrivé, donc un collègue leur a payé une chambre d'hôtel et a prévenu les associations.

"Il y en a qui sont sales, qui puent, qui ont la gale; on a du dégoût, de la pitié : ça fout les boules cette misère"

La plupart sont fatalistes : on les a attrapé, ils ont perdu. Mais ça m'est arrivé d'en voir pleurer parce qu'on les emmenait. J'ai même vu un ESI embrasser les pieds d'un gendarme parce que dans son pays ça veut dire "je suis une merde".

On est habillé en 4s, des tenues toutes noires, parce que c'est moins salissant vu qu'on sait qu'ils sont souvent sales. On a toujours le baton, les menottes, le chargeur : ça peut faire peur, surtout pour les gens qui n'ont pas vécu en France, et qui peuvent se demander si on va les tabasser. Mais si on a un ESI très virulent, on a le droit de le menotter : la plupart du temps on ne le fait pas, la plupart sont très gentils.

Il y en a qui sont assez sales, qui puent, qui ont la gale, parce qu'ils vivent dehors et n'ont pas moyen de se laver, donc on a un peu de dégoût, et de la pitié, des fois ça fout les boules cette misère. Mais globalement, ce sont tous des jeunes, ils tiennent debout, tiennent le choc, mais leur situation est pas plus alarmante que le clochard de Calais dont personne ne s'occupe.

Un point que je n'ai pas abordé : la gendarmerie s'occupe bien de ses gars pour la santé, mais je connais quelqu'un qui a ramené la gale à la maison, et qui l'a refilé à toute sa famille. Avant on avait des véhicules tout pourris, alors qu'on y passe notre vie, mais dernièrement on a eu trois beaux Ford Ka neufs estampillés gendarmerie.

Donc on a pris des bombes désinfectantes, et même si le gars paraît sain, on passe toujours un coup de bombe désinfectante : des fois on bouffe notre Mac Do dans la voiture, on vit, on mange, et passe 90% de notre temps dans la voiture. Comme beaucoup sont très sales, que certains ont la gale, on utilise des gants de fouille en plastique, et on découpe des sacs poubelles pour protéger les sièges de la voiture. Je sais que ça peut choquer des ESI qu'on mette des sacs poubelles avant de les embarquer, mais on est bien obligé... C'est pour nous et notre famille.


Voir aussi :
Calais: des réfugiés aux doigts brûlés
Peut-on obliger les policiers à violer la loi ?
80% des sans papiers arrêtés sont relâchés
La France refoule 12% des artistes africains
Le viol des réfugiées « relève de leur vie privée »
Au pays des droits de l'homme, il est possible de placer en centre de rétention des nourrissons

La photo du gendarme mobile n'est bien évidemment pas celle de Fred, mais celle de leur uniforme 4S. Ce pour quoi, aussi, j'ai rajouté un bandeau noir sur les yeux de son porteur. Les photographies des Bourgeois de Calais ont quant à elles été publiées, en Creative Commons, par natamagat et tom jervis.

Pour me contacter de façon anonyme et sécurisée, en toute confidentialité, utilisez donc ma clef GPG. Si vous ne savez pas utiliser GPG, passez par ma privacybox (n'oubliez pas d'y préciser votre mail pour que je puisse vous recontacter -pour plus d'explications, cf Gorge profonde, le mode d'emploi).

Plus belle la vidéosurveillance

jeudi 12 juillet 2012 à 13:37

Les téléspectateurs de Plus belle la vie (#PBLV) sont majoritairement hostiles aux caméras de vidéosurveillance. C'est en tout cas ce qui ressort de L'oeil de Ninon, le blog de Ninon Chaumette, la jeune journaliste de #PBLV, qu'elle a créé afin d'ouvrir le débat : "Pourquoi des caméras au Mistral ?"

"Est-il juste d’observer tout le monde pour pouvoir en sanctionner quelques-uns ?

Qui va regarder ces images ? Que vont-ils en faire ?

Je n’ai qu’une certitude : un Mistralien surveillé doit être un Mistralien informé. Parlons-en ensemble."

La majeure partie des 192 commentaires de ce premier billet se prononçaient "contre" la vidéosurveillance. A contrario, une bonne partie des commentaires de son second billet, un sondage "pour ou contre les caméras de surveillance à Marseille ?", se sont initialement prononcés "pour" les caméras... jusqu'à ce que Guy, le "geek" de Plus belle la vie, qui n'a de cesse de combattre les atteintes aux libertés, et donc la vidéosurveillance, ne découvre qu'une bonne partie de ceux qui s'étaient prononcés "pour" la vidéosurveillance avaient été écrits par Jean-François, le brigadier qui avait installé les caméras et qui, afin de brouiller les pistes et les adresses IP, avait utilisé plusieurs ordinateurs pour pirater le sondage et défendre la "surveillence" (avec un "e" à la place du "a")... Au final, le sondage, qui recensait 36 "pour" et 4 "contre", est passé à 60 "pour", et 172 "contre"...

Guy, lui, a décidé de filmer le quotidien des gendarmes qui veulent le vidéosurveiller. L'affaire rebondit ce jeudi avec la publication par @LeVigilant1 sur Twitter et sur le blog de Ninon de photos issues des caméras de vidéosurveillance. Comme le résume Ninon, "il y a quelque chose qui cloche"...

Ninon avait mentionné mon blog dans son premier billet, avec un "ps à manhack" (@manhack, c'est moi, sur Twitter) :

"Très fière de voir que vous avez remarqué mon blog. Je vous suis depuis longtemps avec beaucoup d’intérêt. Que pensez-vous des caméras au Mistral ?"

Ce pour quoi, et afin d'aider Ninon, qui a décidé de continuer à "exposer les arguments des deux camps, et de les passer au crible de l’analyse objective", je me permets de résumer ce que j'ai découvert au fil de mes nombreux articles et enquêtes sur la vidéosurveillance en particulier, et la "croyance" dans la toute-puissance des technologies de surveillance et de sécurité en général. Vous allez voir (et rigoler), façon "Tout ce que vous aviez toujours voulu savoir sur la vidéosurveillance mais que vous n'aviez jamais osé (vous) demander", et c'est un vrai festival !-)

Les portiques du pénitencier

Mai 2009. Suite à un faits divers, Xavier Darcos, ministre de l'Education, propose d'installer des portiques de sécurité et systèmes de fouille à l'entrée de certains établissements scolaires. Dans un billet intitulé La taca taca tac tac tiqu’ du portique…, je calcule que, pour un collège de 600 adolescents, il faudrait entre 2 et 5 heures, chaque matin, pour faire entrer tous les collégiens, un chiffre repris par plusieurs de mes confrères et qui finit par inspirer à Didier Porte l'une de ses chroniques matinales sur France Inter, "Prof : pétez-leur la rotule !"

Xavier Darcos reconnut dans la foulée que "le portique, c’est un peu compliqué à mettre en place…" et depuis, on n'en a plus entendu parler.

Hortefeux fustige la vidéosurveillance dont il a fait l’objet

Dans la série "Faites ce que je dis, pas ce que je fais", Brice Hortefeux s'illustra, de son côté, en septembre 2009. Présentant son plan de co-financement de la "vidéo-protection", il déclare en effet, le 9, être "naturellement attaché à la préservation des libertés individuelles" :

"Je le dis clairement, et chacun peut le voir, la vidéo, c'est de la protection avant d'être de la surveillance. Les caméras ne sont pas intrusives, elles ne sont pas là pour épier, mais pour protéger.

Si vous n'avez rien à vous reprocher, vous n'avez pas à avoir peur d'être filmés ! Instaurer la vidéo-protection, c'est identifier les fauteurs de troubles, c'est décourager les délinquants ; c'est, surtout, veiller sur les honnêtes gens."

Le 10, LeMonde.fr publie la désormais célèbre vidéo où on le voit, évoquant un jeune militant UMP, plaisanter sur le fait qu'"il ne correspond pas du tout au prototype", avant d'ajouter : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes."

En réaction, les soutiens de Brice Hortefeux fustigent... Internet, accusé d'être "la seule zone de non-droit, de non-morale de la société, la seule zone où aucune des valeurs habituelles qui permettent de vivre ensemble ne soient acceptées" (Heinri Guaino), Patrick Devedjian et Eric Besson estimant de leur côté que cette affaire témoigne d’un « fonctionnement malsain de l'Internet ».... Quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt.

Le rapport qui prouve l’inefficacité de la vidéosurveillance

Brice Hortefeux n'en était pas à sa première gaffe pour ce qui est de la "vidéosurveillance". Fin août, Le Figaro avait en effet publié une "exclusivité", évoquant en avant-première un "rapport confidentiel qui prouve l'efficacité de la vidéosurveillance", et qui démontrait l'"effet dissuasif des caméras sur la voie publique". Après me l'être procuré, je démontrais à contrario que ce rapport prouvait... l'inefficacité de la vidéosurveillance.

On y apprend en effet que le nombre d'agressions progresse plus vite dans les villes modérément vidéosurveillées que dans celles qui ne le sont pas… que plus il y a de caméras, moins la délinquance baisse… ou encore que les taux d'élucidation en matière d'atteintes volontaires à l'intégrité physique (AVIP) est inférieur dans les villes vidéosurveillées que dans celles qui n'ont pas de caméras…

Les universitaires que j'interroge à ce sujet dénonce un "grand Shadock, imputable au fait que les chiffres du rapport mélangent tout et n’importe quoi". La "lettre de mission" envoyée par le ministère de l'Intérieur aux auteurs du rapport (des hauts fonctionnaires placés sous l'autorité directe… du ministère de l'Intérieur) permet de comprendre l'origine de la manip':

"Le développement de la vidéoprotection est une priorité du Ministre (qui) vise à tripler le nombre de caméras sur la voie publique. Afin de permettre aux collectivités locales de se lancer dans cette stratégie dynamique, il convient de mettre à disposition (...) des arguments propres à soutenir leur adhésion."

Il ne s'agissait donc pas de vérifier si la vidéosurveillance est efficace, ou non, mais de fournir des "arguments propres à soutenir l'adhésion" de ceux qui vont devoir payer le triplement du nombre de caméras voulu par le ministre… Un peu comme si un industriel du médicament demandait à ses conseillers de lui pondre un rapport sur l'efficacité de ses produits, afin d'en tripler les ventes…

Histoire de parfaire le tableau, le ministère de l'Intérieur publie en annexe de ce rapport une liste de 18 "faits marquants d'élucidation, grâce à la vidéoprotection"… où je découvre que seulement 3 d'entre eux l'ont été grâce à des caméras contrôlées par la police ou la gendarmerie, les autres l'ayant été grâce à des systèmes de vidéosurveillance installés dans des banques, bureaux de tabac, supermarchés et même… une vidéo de mariage ! (voir Pour Hortefeux, la vidéo d’un mariage relève de la vidéosurveillance).

Les rapports accablants de la cour des comptes

Depuis, plusieurs rapports de la Cour des comptes ont, eux aussi, démontré l'inefficacité de la vidéosurveillance.

En mai 2010, les magistrats de la Chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes, qui se sont penchés sur la ville de Lyon, estiment que "relier directement l’installation de la vidéosurveillance et la baisse de la délinquance est pour le moins hasardeux", d'autant que, en comparant la situation à Villeurbanne -dont le maire refuse la vidéosurveillance-, "on observe que la baisse est plus forte dans la commune qui ne bénéficie d’aucune caméra de voie publique"...

La vidéosurveillance aurait permis 200 arrestations, pour 219 caméras, comparées aux 20 604 actes de délinquance dits de voie publique... pour le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, "le résultat est clair : l'impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale à Lyon est de l'ordre de 1% : la vidéosurveillance coûte très cher et ne sert pas à grand-chose" (voir L’impact de la vidéosurveillance est de l’ordre de 1%).

Un rapport de la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, portant cette fois sur Boulogne-Billancourt, remarque de son côté que 6 des 35 caméras sont "hors d'usage, en dépit d’une installation récente et des sommes conséquentes consacrées à leur implantation" (800 000 €), ce qui "reste difficilement compréhensible".

Interrogé sur la pertinence du dispositif, "en l'absence d’évaluation du dispositif, le maire considère qu’il ne permet pas, à ce jour, de percevoir l’impact positif de la vidéosurveillance sur la délinquance"... Le commissariat, de son côté, avoue avoir effectué, sur 3 ans, 17 réquisitions seulement.

Dans les années 50, Jean-Paul Sartre avait déclaré à ses compagnons du parti communiste qu'"il ne faut pas désespérer Billancourt", signifiant par là qu’il ne fallait pas forcément dire la vérité aux ouvriers, de peur de les démoraliser... Je ne voudrais pas désespérer les partisans de la vidéosurveillance à tout crin, mais... (voir A Boulogne Billancourt, la vidéosurveillance ne sert… à rien).

La chambre régionale des comptes, elle, s'est penchée sur la politique de sécurité de la ville de Toulon, où les 34 caméras n'ont permis que 15 interventions en flagrant délit, et une quarantaine de réquisitions, en 4 ans, le tout pour un coût de 1,3 million d'euros, hors frais de réparation. 34 caméras, 15 flagrants délits, une quarantaine de réquisitions… les caméras ont donc, en moyenne, été utiles... (55/5/34=) 0,32 fois, par an. On comprend mieux pourquoi, à Toulon comme ailleurs, "aucune étude" n'est faite pour "quantifier l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance".

Or, et paradoxalement, notent les magistrats, les caméras déporteraient la délinquance vers d'autres zones, non vidéosurveillées. Résultat : les habitants de ces zones non couvertes par les caméras développent un sentiment d'insécurité et… réclament des caméras (voir Vidéosurveillance : ce n’est pas parce que les caméras ne servent à rien qu’il ne faut pas en rajouter).

Le coup de grâce est porté, en juillet 2011, par la Cour des comptes qui s'intéresse, non pas à telle ou telle ville, mais à l'ensemble du territoire français. Les magistrats constatent tout d'abord que "le taux d’élucidation des faits de délinquance de proximité n’a pas davantage progressé" dans les villes vidéosurveillées que dans celles qui ne le sont pas, que "pour les faits de délinquance pris globalement, il s’est même davantage amélioré dans les CSP non vidéosurveillées", et que "la proportion des faits de délinquance élucidés grâce à la vidéosurveillance de la voie publique est relativement faible", de l'ordre de "3% de l’ensemble des faits élucidés"...

Or, la vidéosurveillance coûte 300M€ à l'État (dont plus de 60% du Fonds interministériel de prévention de la délinquance), plus 300M€ aux collectivités, par an, sans qu'"aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée" depuis l'installation des premières caméras, à Levallois-Perret, en 1991. La cour des comptes note cela dit, et a contrario, que les études menées à l'étranger "ont dans l’ensemble conclu à l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance". Fermez le ban (voir La Cour des comptes enterre la vidéosurveillance).

L'insécurité kiffe grave les nouvelles technologies

La LOPPSI 2, 42e loi sécuritaire adoptée par le Parlement depuis que Nicolas Sarkozy fut nommé ministre de l'Intérieur en 2002, restera notamment dans l'histoire comme la toute première qui visait à sécuriser les Français en... substituant un mot par un autre.

Depuis, en effet, les autorités n'ont plus le droit de parler de "vidéosurveillance", mais seulement de "vidéoprotection", substitution digne de la Novlangue de George Orwell et qui fut, paradoxalement, encouragée par Alex Türk, alors président de la CNIL (voir Docteur Alex et Mister Türk).

Alain Bauer, le principal propagandiste de la vidéosurveillance en France, devenu conseiller sécurité de Nicolas Sarkozy, avait pourtant expliqué (voir Vidéosurveillance: que faire des caméras hors la loi?) qu'il fallait cesser de croire en l'efficacité des caméras de vidéosurveillance dans les espaces publics :

"De très nombreuses études sur la vidéoprotection, essentiellement anglo-saxonnes, montrent que dans les espaces fermés et clairement identifiés c’est très efficace, mais que plus c’est ouvert et moins on sait à quoi servent les caméras, moins c’est efficace, pour une raison simple, c’est qu’elles descendent rarement des poteaux avec leurs petits bras musclés pour arrêter les voleurs : la caméra c’est un outil, c’est pas une solution en tant que tel…"

Je m'intéresse à la vidéosurveillance depuis que, en juin 2001, j'avais découvert que La vidéosurveillance est au 3/4... illégale (dixit... Alain Bauer, déjà, à l'époque). Et j'en suis arrivé à la conclusion que la surveillance, ça sert à acheter des voix, et à être (ré)élu, et que les caméras de vidéosurveillance sont aussi efficaces que des « boites en carton peintes en noires sur des poteaux », pour reprendre l'expression de Noé Le Blanc, un des rares spécialistes de la question.

La vidéosurveillance permet bien évidemment (le contraire serait non seulement étonnant, mais surtout inquiétant) à identifier, et interpeller, de temps en temps, des délinquants. Mais, comme le relèvent toutes les études et rapports faits à ce sujet, le taux d'élucidation est "marginal"... se pose donc la question de sa légitimité.

En 2010, et plutôt que de prendre la mesure de cette "marginalité", et de son peu d'efficacité, Nicolas Sarkozy décida de ne plus parler de "vidéosurveillance", mais de "vidéoprotection", terme moins anxiogène, comme si le fait de modifier un mot pouvait changer le problème, et résoudre la question...

En tout état de cause, la LOPPSI 2, “loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure”, opérait également un virage sémantique et politique décisif, en mettant en avant la notion de "performance" : sur fond de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, et contrairement aux précédentes lois d’orientation et de programmation sécuritaires, la LOPPSI 2 ne prévoit en effet aucun recrutement de policiers ou gendarmes, préférant opter pour un "saut technologique", présenté comme “l’une des principales priorités” du projet de loi, dotée d'un budget de 631M€ (au moins), censé permettre des “progrès” en matière de lutte contre l'insécurité grâce aux nouvelles technologies de surveillance, de contrôle et de sécurité (voir La Loppsi kiffe grave les nouvelles technologies).

Démaquillons les terroristes !

Le sommet de l'absurde, ou du ridicule, en matière de croyance quasi-aveugle dans la toute-puissance de la vidéosurveillance, fut atteint lorsque je découvris que le ministère de l'Intérieur voulait utiliser un logiciel de maquillage pour détecter les terroristes...

MakeupOnline est un logiciel de "maquillage virtuel" développé par une start-up de Clermont-Ferrand, Vesalis, pour permettre aux femmes de juger, en temps réel et dans un magasin, sur leur PC ou depuis leur téléphone mobile, si tel ou tel maquillage leur irait bien, au moyen d'un "moteur de détection et d'analyse du visage idéal".

Flairant le système de reconnaissance facial idéal, le ministère de l'Intérieur lui a donc tout bonnement demandé d'adapter sa technologie pour pouvoir identifier, en temps réel, hooligans, terroristes, criminels et autres délinquants dans les stades, les gares, les aéroports que dans les galeries marchandes et les grands magasins.

Le site de Vesalis proposait alors aux internautes de tester sa technologie de maquillage virtuel. Alors forcément, je me suis amusé. Ça n'a pas vraiment plu à Vesalis qui, suite à mon article, a retiré le simulateur de son site... Restent ces quelques captures d'écran. Saurez-vous détecter le terroriste maquillé ?

En guise de conclusion, permettez-moi de reprendre cette citation de Robespierre (mentionnée par Totz en commentaire du premier billet de Ninon) qui, durant la Convention du 11 germinal An II, déclara :

« Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable ; car jamais l’innocence ne redoute la surveillance publique »

Je n'ai pas peur des technologies de surveillance. J'ai peur de ceux qui instrumentalisent la peur et le sentiment d'insécurité, afin de multiplier le recours aux technologies de surveillance et de sécurité... machine infernale qui revient à se méfier de l'humanité pour faire confiance aux technologies.

Enfin, et pour répondre à tous ceux, nombreux, qui ne voient pas où est le problème, j'avais aussi écrit une lettre ouverte à ceux qui n'ont rien à cacher, où je faisais la part belle à Anastassia Tsoukala, juriste, criminologue et maître de conférences à Paris XI qui proposait à ceux qui n'ont "rien à cacher" d'installer des caméras de vidéosurveillance dans leurs chambres à coucher... puisque c'est là que sont commis la majeure partie des viols, incestes, maltraitance d'enfants, etc.


Voir aussi :
Soudain, un espion vous offre une fleur
Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté
De Kafka à Minority Report – Ma décennie Sarkozy S2E4
La liste des « gens honnêtes » qui voulaient ficher tous les Français

On ne peut pas mettre de barrières sur Internet

dimanche 17 juin 2012 à 16:07

Dans le cadre des cours de controverses de Telecom ParisTech, j'ai été interviewé sur la légitimité du hacking en matière de désobéissance citoyenne, par Erwan Fleury et Adrien Bonguet.

Occasion d'évoquer #Anonymous, la notion d'hacktivisme, le scandale (et le ridicule) de la Hadopi, la diabolisation du Net et la volonté de certains de le "coloniser" :

"Internet a été conçu pour que les paquets de données puissent circuler, même si une route est coupée. Alors même s’il y a toujours quelqu’un pour dire « on va mettre des barrières », il se trompe, c’est un peu comme quelqu’un qui essaye de mettre une clef usb dans une prise de courant, ce n’est pas fait pour."

Question : Y a-t-il eu des changements idéologiques au sein du mouvement des Anonymous depuis sa création jusqu'à aujourd'hui ?

Jean Marc Manach : Oui, le mouvement s'est complètement massifié et démocratisé avec la médiatisation. A la base, Anonymous correspond à des jeunes, plutôt américains, geeks. Et un jour, il y a cette fameuse vidéo de la Scientologie qui est censurée. Eux décident de riposter, de créer un nouveau mème, Anonymous, sauf que cela déborde de la sphère internet, puisque certains vont jusqu'à manifester physiquement. Et comme tous les mèmes cela se reproduit, cela bifurque dans tous les sens, et déborde complètement l'objet initial, et par extension sont apparus d'autres types d'action des Anonymous, mais ici pour défendre les valeurs défendues par Anonymous, à savoir les libertés sur internet, et la lutte contre la censure sur internet. Le combat contre la Scientologie ne visait pas la secte, mais la censure d'un contenu sur internet. Par extension, ils ont commencé à se battre contre d'autres types de censure, et aujourd'hui, par une convergence idéologique, des gens qui font partie de groupes ou de mouvements politiques rejoignent les Anonymous, pour arriver à ce que leur combat politique soit porté par les Anonymous. On a par exemple aujourd'hui des combats d'Anonymous qui sont des combats écologiques, qui n'ont rien à voir avec la défense des libertés sur internet, même si cela reste le cœur des Anonymous (cf De quoi Anonymous est-il le nom ?).

Quel est l'avenir des Anonymous ?

Jean Marc Manach : Pour comprendre les Anonymous il ne faut pas le prendre comme une idéologie ou un mouvement politique. Il faut le prendre comme un mème, fait pour mener des combats politiques. Il y a eu un pic médiatique en début d'année, on ne peut pas vraiment savoir si cela va repartir, par contre je ne pense pas que cela va s'arrêter, que cela soit passé de mode, et un mème ne disparaît pas par essence. Il faut aussi noter la montée en puissance du Parti Pirate, qui reprend et formalise certaines des valeurs portées par Anonymous, et qui seront probablement reprises par tous les autres partis politiques, comme ce fut le cas des Verts dans les années 70, car il ne s'agit pas d'un combat de droite ou de gauche, mais d'un combat qui concerne l'écosystème (cf Doit-on avoir peur des Anonymous ?).

Que pensez-vous de l'anonymat au sein du mouvement des Anonymous ?

Jean Marc Manach : S'il n'y avait pas eu l'anonymat, ça n'aurait pas eu le succès que ça a eu. Cela fait peur, et cela fait des années que c'est instrumentalisé, cependant personne ne s'est jamais plaint de l'anonymat de manifestants dans la rue. Dans une démocratie, l'anonymat est la règle, et on ne place sous surveillance que quelqu'un qui est soupçonné d'avoir commis une infraction. Tout ce qu'on fait sur internet laisse par ailleurs des traces, alors qu'on laisse moins de trace en allant à une manifestation. La notion d'anonymat sur internet est très mal comprise en général par ceux qui le dénoncent.

Les Anonymous peuvent-ils s'en prendre à n'importe qui (comme par exemple l'attaque de l'Express) ? Est-ce le résultat d'une mauvaise communication due à un groupe trop diffus ?

Jean Marc Manach : Il y a une règle chez les hackers qui est que l'on empêche pas l'autre de s'exprimer. Dans les faits, il y a des organisateurs, des gens qui ont plus d'influence que d'autres, parce-qu'ils étaient là avant, et aussi pour des questions de méritocratie par leur apport à la collectivité, mais cela n’empêche pas quelqu'un de créer son propre channel IRC dans son coin. L'attaque de l'Express a par ailleurs été très vite critiquée en interne car on ne s'attaque pas aux médias au nom des Anonymous.

Y a-t-il d'autres groupes d' « hacktivists » ?

Jean Marc Manach : Ce qu'on appelle « Hacktivisme » existe depuis le milieu des années 90, quand on a commencé à voir des manifestations comparables à des attaques DOS dans leur principe même si le mot n'existait pas à l'époque, lancées contre des institutions au Mexique, en soutien au sous-commandant Marcos. C'était le début des manifestations virtuelles, qui permettaient déjà de bloquer l'accès à un site web. C'est avec Anonymous, notamment au moment du « Printemps arabe » que le phénomène a eu droit de cité dans les médias, et que l'opinion publique a commencé à en entendre parler. Si on parle d'Hacktivisme au sens de militer, politiquement parlant, avec des outils ou un état d'esprit de hacker, il y beaucoup plus de choses que les seuls Anonymous, et cela peut se passer en dehors de l'internet. L'hacktivisme participe aussi de cette manière d'avoir une conscience politique, d'exercer son droit de regard politique, et de s'impliquer dans les débats grâce à internet.

Pensez-vous que HADOPI/ACTA/PIPA/SOPA soient efficaces, utiles ?

Jean Marc Manach : Il n'y a jamais eu autant de gens qui se sont intéressés à la sécurité informatique, qui ont cherché à protéger leur ordinateur, et à être anonyme que grâce à HADOPI. Pour moi qui défend les droits de l'Homme et la vie privée sur internet, en un sens c'est bien parce que plus de gens sont sensibles au problème d'atteinte à la vie privée sur internet, mais j'aurais préféré que ça se passe autrement. Sur le fond, ces traités ridiculisent ceux qui les mettent en place, et montent les gens les uns contre les autres. Ils ont tellement instrumentalisé le débat qu'aujourd'hui beaucoup d'artistes ont peur d'internet. Ce qui est scandaleux, c'est que la HADOPI a réussi à avoir en un an le budget que la CNIL a mis 30 ans à avoir, alors que les problèmes auxquels sont confrontés la CNIL sont autrement plus importants que les problèmes auxquels sont confrontés les professionnels du disque.

Mais, est-ce que ce n’est pas justement à cause d’un lobbying très important de la part des maisons de disque qu’on en arrive à un tel non-sens ?

Jean Marc Manach : Il y a eu un lobbying très intense de la part des industries culturelles qui a permis la HADOPI, et qui a rencontré une incompétence grave, celle de Nicolas Sarkozy. Quand il a fait l’e-G8, l’année dernière, sur internet, il avait parlé de « vous, les internautres », c’est un lapsus génial, il y a « lui, eux et les internautres », les gens, les « autres » sont sur internet, là-bas (cf L'enfer, c'est les "internautres"). Quand il parle de vouloir civiliser l’internet, on se croirait au XVIII eme siècle avec la France et ce qui allait devenir les colonies.
On a des intérêts économiques qui rencontrent des gens qui n’ont rien compris, qui nous voient comme de méchants anonymes Pédonazis (terme inventé à la fin des années 90 pour dénoncer tous ces gens qui voient sur internet du contenu pedophile ou nazi, cf ). La grosse différence par rapport à la colonisation, c’est qu’on est plus fort que ceux qui ont été colonisés. Au sens où on est mieux armés : quand les colons sont arrivés, les Indiens se sont fait tirer dessus sans rien pouvoir faire. Là, Sarkozy veut civiliser internet, mais le problème c’est qu’il va falloir qu’il vienne sur le net. Et qui construit et développe le web ? Qui a les outils ? Qui a les infrastructures ? C'est nous, les hackers, les gens qui créent internet (cf Il n'y aurait pas Internet sans les hackers). C’est donc la grande chance que l'on a, ils ont déjà perdu, la question c’est de savoir quand vont-ils l’admettre et arrêter de monter les gens les uns contre les autres, et voir comment on peut vivre ensemble.

HADOPI n'a donc pas d'avenir ?

Jean Marc Manach : Ça fait 3 ans que je dis que c’est un truc qui me fait rigoler, enfin, rire jaune au vu des sommes dépensées pour ce combat d’arrière garde, ils se plantent complètement (cf Rions un peu avec la Hadopi). Maintenant, pour revenir en arrière, il faut faire comprendre aux gens que télécharger ce n’est pas voler, c’est partager. Et donc, à partir du moment où on partage on peut être payé, notamment par un système de dons ou de contre dons. Mais c'est autre chose d'expliquer ça aux commerciaux qui vénèrent l’économie de marché où il est plus simple d’aller acheter des produits fabriqués en Chine.

Et vous pensez que les artistes sont prêts à distribuer gratuitement leur musique ?

Jean Marc Manach : Non, bien sûr que non, parce que ça fait des années qu’on explique que le problème c’est les jeunes de banlieues et les immigrés, et donc, forcément, les gens, ils y croient, à force qu’on leur répète. Pour internet, c’est pareil, on rabâche qu’internet est un problème, alors les gens finissent par y croire.

Est-ce que la licence globale peut être une solution ?

Jean Marc Manach : Ça aurait pu l’être, mais le débat a été pourri par les industriels qui ont investi massivement dans la communication et le marketing pour nous montrer que ce serait une économie communiste, alors qu’eux-mêmes se servent sur la bête avec la taxe copie privée. Je n’ai pas de solution, mais pour le modèle économique de la presse, c’est pareil, il n’y a pas qu’un seul modèle économique, il y en a plusieurs qui se mettent en place. On est maintenant beaucoup plus sur une économie d’attention sur le net, c’est une autre forme d’économie.

Pensez-vous que ces nouveaux modèles économiques vont vraiment percer ?

Jean Marc Manach : Il y a d’un côté les gens qui créent de la valeur, et ceux qui essaient de la détruire. Donc, il n'y a pas 36 solutions, c’est un combat qui ne finira jamais. Ce que je vois, c’est que ceux qui créent de la valeur vont plus vite que ceux qui veulent la détruire. Mais il ne faut pas oublier que les premiers médias à s’être intéressés aux logiciels Open Source, ce sont les magazines économiques, les Echos, Forbes, etc.

Selon vous, pourquoi l’industrie du cinéma est-elle moins offensive que l’industrie du disque ?

Jean Marc Manach : Tout simplement, à cause de la taille des fichiers .mp3, qui est en moyenne 100 fois plus petite que celle d’un film. Surtout à l’époque où il n’y avait pas d’ADSL. Internet a été conçu pour que les paquets de données puissent circuler, même si une route est coupée. Alors même s’il y a toujours quelqu’un pour dire « on va mettre des barrières », il se trompe, c’est un peu comme quelqu’un qui essaye de mettre une clef usb dans une prise de courant, ce n’est pas fait pour.

Voir aussi :
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Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté

dimanche 10 juin 2012 à 17:17

Quand on achète un livre papier, on peut le lire à l'oeil nu, ou avec des lentilles, des lunettes, et ce quelle qu'en soit la marque.

Quand on achète un livre numérique, son éditeur vous oblige généralement, non seulement à porter des lunettes, mais également à acheter telle ou telle marque de lunettes, sans quoi vous ne pouvez pas lire le livre que vous avez pourtant acheté...

Il y a quelques mois, un éditeur me menaçait, et tenait à préciser que le livre numérique que je m'apprêtais à lire avait été "tatoué" de sorte de surveiller l'utilisation qui en serait faite, et de "retrouver la personne qui dépose de tels fichiers sur Internet"... ce qui avait eu le don de m'escagasser un tantinet (voir Lisez, vous êtes surveillés).

Plus récemment, un autre éditeur m'a expliqué que je n'avais effectivement pas le droit, ni la possibilité, de lire le livre numérique que je lui avais pourtant acheté... Mon tort : n'utiliser que des logiciels libres, ce que ne semblent guère goûter nombre d'éditeurs de livres numériques.

Je suis un honnête gens. Conséquemment, je ne télécharge pas de fichier copyrighté. Ayant entendu parler d'un livre+CD que la critique plébiscitait unanimement, je l'ai acheté.

J'avais pris la peine de vérifier : le livre a été développé pour être lu avec Adobe Air, une "machine virtuelle multiplateforme & multilangage" qui a donc l'insigne avantage de fonctionner sur les systèmes d'exploitation Windows, Mac et GNU/Linux.

Problème : l'éditeur de ce livre numérique a rajouté à son logiciel un système de "protection contre la copie", de type DRM, qui interdit de lire le livre sous GNU/Linux, mais également de le lire, sous Windows ou Mac, dès lors qu'il n'y a pas de lecteur CD-Rom. Le logiciel, en tant que tel, est lisible sur mon ordinateur. Mais l'éditeur a fait le choix de m'interdire de le lire...

Problème (bis) : mon lecteur de CD-Rom n'est accessible que sur mon ordinateur GNU/Linux, et le petit ordinateur portable Windows de secours que j'utilise, à l'instar de tous les netbooks en vente dans le commerce, ainsi que des MacBook Air d'Apple mais également des tablettes numériques, n'a pas de lecteur de CD-Rom... ou comment se tirer une balle dans le pied.

J'ai donc acheté un livre que je n'ai ni le droit ni la possibilité de lire : le seul moyen de pouvoir le lire, ce serait de le "pirater", et donc de violer la loi qui interdit de contourner les DRM. Un comble : ce livre m'appartient, je l'ai acheté; mais je n'ai pas le droit de le lire, sauf à devenir un "hors la loi"...

"L'utilisateur doit contrôler le programme, pas l'inverse"

Je comprends l'angoisse des éditeurs qui craignent de voir les livres qu'ils commercialisent être partagés voire piratés sans en être pour autant rétribués. A contrario, je découvre aussi à quel point ils se tirent une balle dans le pied à commercialiser des livres que ceux qui les ont achetés... ne peuvent pas lire.

Pionnier des logiciels libres, Richard Stallman n'a de cesse de fustiger ces "logiciels propriétaires", qu'il qualifie de privateurs de droits, au motif, pourtant évident, que "l'utilisateur doit contrôler le programme, pas l'inverse".

En l'espèce, je me retrouve donc effectivement dépendant de la marque de lunettes que l'éditeur du livre que j'ai acheté voudrait que j'achète pour pouvoir le lire...

Certains auteurs sont bien plus courageux, et moins frileux, à l'instar d'Antonio Cassili, qui a récemment expliqué "Pourquoi je ne porterai pas plainte contre ceux qui piratent mon livre", ou encore Cory Doctorow, qui résuma ce non-problème en mode "je n'ai donc perdu aucune vente, je viens de gagner un public", sans oublier ces éditeurs qui, à l'instar du pionnier du genre, Michel Valensi, des Éditions de l'éclat, lança ses Lyber, livres que l'on peut acheter en papier, et lire gratuitement sur le web...

Peter Sunde, du site Pirate Bay de partage de fichiers, a récemment exhorté les internautes à "tout faire pour que l'industrie du divertissement ne profite plus de vous" :

"Cessez de voir leurs films. Arrêtez d'écouter leur musique. Faites en sorte de trouver d'autres façons d'aborder la culture."

On n'en est pas encore là pour ce qui est des livres numériques. Mais vu les deux mésaventures que je viens successivement de rencontrer, les éditeurs ont franchement intérêt à trouver une solution, plutôt que de générer de tels problèmes...

Le "droit de lire", ACTA et au-delà

En l'an 2000, lorsque j'ai découvert Le droit de lire, petite nouvelle écrite en 1997 par Richard Stallman, je l'avais classée au rayon science-fiction. En cette année 2012, elle n'a jamais été autant d'actualité, et pourrait bien devenir réalité, ce pourquoi je ne saurais que trop vous inciter à lire ou relire ce droit de lire...

En attendant, je n'achèterai donc plus aucun livre, disque ou film, sauf à avoir l'assurance que je pourrais le lire sur mon ordinateur "libre".

A contrario, j'ai décidé d'acheter un Pack Liberté, afin d'aider ceux qui se battent le plus, et le mieux, pour défendre nos droits et libertés sur l'Internet : April, pionnière de la démocratisation du Logiciel Libre en France, Framasoft, qui propose un annuaire détaillé de ces logiciels, et qui chronique aussi magistralement la culture du Libre sur son incontournable blog, sans oublier La Quadrature du Net (LQDN) qui, à ce jour, est l'ONG la plus active pour ce qui est de la défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

L'opération Pack Liberté est désormais close, et je garderai cette boîte à découper siglée de mon nom comme un collector : je suis bien placé pour savoir que les preuves (matérielles) de ce genre d'action de défense des droits de l'homme et de la vie privée prennent de la valeur avec le temps.

Jamais l'Internet n'avait été autant menacé par ceux qui voudraient pouvoir décider ce que l'on a le droit de lire, ou pas. Vous aviez probablement entendu parler de la Hadopi, puis de la Loppsi, peut-être aussi de Sopa, Pipa, voire de l'ACTA, d'IPRED... ce pour quoi je vous invite à aider Aprilsoutenir Framasoft, mais aussi et surtout à faire un don à La quadrature du Net, qui en a besoin afin de vaincre ACTA, cet accord commercial anti-contrefaçon négocié secrètement afin de contourner les parlements et les organisations internationales pour "imposer une logique répressive dictée par les industries du divertissement", et qui représente également un danger pour l'accès aux soins et le droit à l'alimentation :

En attendant, arrêtez d'acheter ces livres, films et morceaux de musique qu'ils veulent vous interdire de lire, et soutenez la Quadrature du net avant qu'il ne soit trop tard.

PS : à toutes fins utiles, Au pays de Candy, mon enquête sur ce marchand d'armes numériques français qui a vendu un système de surveillance des internautes à Kadhafi ne comporte, lui, aucun DRM, et est donc dépourvu de tout verrou ou marqueur /-)

MaJ : accessoirement, il serait intéressant, à l'instar daffordance, de rappeler qu'il est des maisons d'édition, telle que publie.net qui, a contrario, ne pourrissent pas les livres numériques de DRM... et d'en dresser la liste, actualisée, et pourquoi pas en mode boutique en ligne... Le "droit de lire" (et de partager) n'est pas incompatible avec le "droit d'auteur", non plus qu'avec le "commerce" des éditeurs... encore faut-il que le lecteur puisse avoir ce "droit de lire" le livre qu'il a acheté.

Voir aussi :
Lisez, vous êtes surveillés
Barbouzeries au Pays de « Candy »
Il est interdit d’interdire (le Net)
Les « commissaires politiques » indignes de la CNIL
Mohammed Merah n’a PAS été identifié grâce à une loi antiterroriste, mais grâce à un logiciel libre