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David Doucet et la « présomption de culpabilité »

dimanche 17 février 2019 à 21:58

Cela fait des années que je répète qu’en cette ère de Big Data et de traçabilité, de montée en puissance de la société de surveillance, Le vrai danger, ce n’est pas Orwell, mais Kafka, à savoir le fait de se retrouver accusé de quelque chose que l’on ne comprend pas, et d’être placé en situation de devoir démontrer son innocence -alors que dans un état de droit, c’est à l’accusation d’apporter les preuves d’une culpabilité.

Je n’avais pour autant jamais encore été en situation d’estimer être à même de pouvoir démontrer l’innocence de quelqu’un ayant reconnu sa culpabilité. « Context is king » : lui, et sa victime, avaient oublié le contexte de ce qui s’était passé. Elle avait vraiment morflé. Mais ce n’était ce me semble pas particulièrement l’objectif visé par celui qui, depuis, a pourtant avoué.

Je n’avais jamais entendu parler de la « Ligue du LOL » avant que CheckNews n’en révèle l’existence. Je connais certes plusieurs de ses membres, mais n’avais jamais non plus entendu dire, comme on l’a découvert depuis, que certains d’entre eux avaient pu faire montre de « (cyber)harcèlement », et ne savais donc rien non plus de ce qu’avaient subi leurs victimes.

La semaine passée, une journaliste de L’Express m’a contacté au sujet d’une interview vidéo, Entretien avec un troll, où l’on me voyait notamment qualifier ledit troll de « gentil« , et lui proposer de faire un recueil de poésie de ses fakes et canulars sur Twitter. La journaliste voulait savoir s’il s’agissait bien du journaliste David Doucet.

Suite aux révélations de CheckNews, la journaliste Florence Porcel avait en effet dénoncé le fait qu’un journaliste -dont elle n’avait pas mentionné le nom- lui avait fait un « canular téléphonique » en se faisant passer pour un recruteur potentiel, alors qu’elle était intermittente et précaire, et de l’avoir mis en ligne sur le web, canular qualifié de « point d’orgue » d’une longue série de harcèlements qui l’avait traumatisée.

Dans la foulée, le fichier audio était effacé, l’auteur du canular envoyait un mail d’excuses à la journaliste, qui lui demandait en retour de rendre publiques ses excuses et de prendre « personnellement, collectivement et publiquement acte de vos erreurs passées« .

De fait, David Doucet publiait dans la foulée un communiqué où il reconnaissait avoir fait parti, pendant deux ans, de la Ligue du LOL, l’avoir quitté il y a 6 ans, n’avoir jamais deviné l’ampleur et les traumas subis, avoir « lu avec effroi les témoignages qui sont sortis« , n’avoir « jamais réalisé de photomontages, pratiqué de raids ou participé aux soirées décrites« , mais pas seulement :

« Cette libéra­tion de la parole m’a surtout fait pren­dre con­science que je comp­tais par­mi les bour­reaux. Durant cette péri­ode, j’ai en effet réal­isé deux can­u­lars télé­phoniques dont celui racon­té courageuse­ment par Flo­rence Por­cel, où je me fai­sais pass­er pour un recru­teur de la télé. Je mesure aujourd’hui la dégueu­lasserie de ces actes et je n’ai pas d’excuses pour cela »

Je ne sais combien de personnes avaient, à l’époque, relayé ledit canular, ni si d’aucuns auraient pu depuis effacer leurs tweets, mais je découvrais dans la foulée, effaré, que les archives de Twitter ne retrouvaient qu’un seul tweet l’ayant relayé, que j’en étais l’auteur, et qu’il m’avait visiblement amusé :

Je découvrais également que l’interview du « gentil troll » avait été faite à l’occasion d’un n° spécial trolls du Vinvinteur, émission diffusée sur France5, dont je fus le rédacteur en chef de janvier à mai 2013 et dont Florence Porcel était à l’époque l’une des incarnations à l’écran, mais aussi la « community manageuse ».

Je découvrais enfin que j’avais tweeté la mise en ligne de ladite émission le même jour à 20h, soit 1h48 seulement avant que je ne tweete le canular téléphonique…

Le fait de revoir cette émission donne une toute autre perspective à cette affaire : nous avions en effet demandé à Florence et Vinvin -son présentateur- de… jouer aux trolls, et le « gentil troll » n’avait donc rien trouvé de mieux que de… troller la « community manageuse » de l’émission de décryptage des trolls qui venait précisément de l’interviewer, en la piégeant façon Gérald Dahan.

#EpicWin comme on disait à l’époque, « Enorme » comme je l’avais donc écrit sur Twitter…

Le Vinvinteur était en effet une émission de vulgarisation des (contre-)cultures Internet, qui comportait une partie divertissement (ce pourquoi Florence & Vinvin étaient déguisés), et un volet information/décryptage (dont j’étais responsable).

A l’époque, je prenais un malin plaisir à battre en brèche les clichés véhiculés sur le www, et avais proposé, de façon contre-intuitive, de mettre en avant la « fonction sociale » du troll, en interviewant le sociologue Antonio Casilli, auteur de nombreux articles et publications à ce sujet ainsi que celui qui, à l’époque, se faisait appeler @PascalMeric, parodie de « journaliste pour la groupe Mondadori » (sic) et auteur d’un manifeste intitulé Pour une #netiquette appliquée à Twitter.

Pour vous remettre dans le contexte, et vous permettre de comprendre pourquoi je l’avais qualifié de « gentil troll« , un article de Rue 89, Ma vie de « fake » sur Twitter, avait révélé en 2011 qu’il avait créé une cinquantaine de faux comptes, faisant notamment passer Vanessa Demouy pour une assidue lectrice de Joyce et admiratrice de Böcklin :

“Le but ce n’est ni de tromper ni d’humilier, le but c’est de faire du LOL. Twitter est devenu très individualiste, trop égocentré. Ça manque de rêve, de poésie et d’humour. Tout le monde se prend au sérieux, ce n’est pas ça le Web. Alors que quelqu’un s’amuse à quelques détournements de temps en temps…”

Son compte Twitter avait fait partie de la shortlist des 10 blogs ayant obtenu le plus de votes de la part des internautes dans la catégorie Microblogging des Golden Blog Awards.

Qualifié de « meilleur fake de Twitter » par Chloé Woitier (journaliste médias au Figaro), il avait également été recommandé par Nicolas Demorand en mode « mais pourquoi est-il si méchant!!?!!!?!? ».

Découvrant donc que, non seulement j’étais potentiellement le seul à avoir tweeté le canular qui avait « traumatisé » Florence, mais également que ce canular visait potentiellement moins Florence en tant que personne que l’émission où elle travaillait, je l’ai bien évidemment appelé pour m’excuser, et en parler avec elle, a fortiori parce qu’elle ne m’avait jamais parlé, ni à l’époque ni depuis, du mal que ce canular lui avait fait.

Et c’est moi qui lui ait rappelé le contexte, qu’elle avait oublié. Elle ne se souvenait plus du fait que David Doucet, cité depuis comme membre de la Ligue du LOL et dont elle avait donc dénoncé le canular, avait mis en ligne ledit canular à l’occasion, précisément, de la diffusion de l’émission spécial trolls…

Elle m’a par ailleurs confirmé qu’il ne l’avait pas, par ailleurs, harcelé d’une quelconque autre manière, mais qu’elle avait estimé, au vu de la découverte de l’appartenance de David à la Ligue du LOL, que son canular s’inscrivait dans la campagne de harcèlement dont elle avait fait l’objet, depuis quelques années, par des personnes plus ou moins liées à ce groupe Facebook.

Contacté dans la foulée, David m’expliqua qu’il avait lui aussi oublié le contexte de la mise en ligne de ce canular, et vivre un enfer depuis qu’il avait, afin de s’excuser auprès de Florence, reconnut qu’il « comptait parmi les bourreaux« , et qu’il mesurait « la dégueulasserie de ces actes« .

Dans l’article que L’Express a consacré à l’interview que David-le troll m’avait alors accordé, j’explique que :

« Je me suis excusé auprès de Florence, car s’il n’y avait pas eu l’émission, elle ne se serait pas fait piéger. Comme je n’étais pas tout le temps là, je ne savais pas qu’elle avait pleuré pendant trois jours… Et par ailleurs, à l’époque, j’avais en effet trouvé ça vraiment drôle : on s’était fait troller par le troll qu’on avait invité… Aujourd’hui, David Doucet est accusé d’avoir ‘harcelé’ Florence, alors que c’était donc un canular, qu’elle a perçu comme faisant partie du harcèlement dont elle avait fait l’objet depuis 2010 », déplore le journaliste.

Pour le coup, je me suis également excusé auprès de David, à mesure qu’il m’a aussi expliqué que la tournure empathique de l’interview avait pu l’inciter à ainsi essayer de troller l’émission qui venait de l’interviewer…

Je ne sais pas ce pourquoi il avait jeté son dévolu sur Florence Porcel plutôt que de chercher à me piéger moi, Vinvin ou Henri Poulain (réalisateur et producteur de l’émission). Florence était, certes, une (jeune) femme, que d’aucuns pourraient penser potentiellement plus facile à piéger (il venait cela dit, deux jours plus tôt, de piéger le député Christian Vanneste de la même manière), mais aussi la « community manageuse » du Vinvinteur, et donc son incarnation sur les réseaux sociaux.

Quand je lui ai demandé ce pourquoi il s’était lui-même décrit comme un « bourreau« , et qualifié son canular de « dégueulasserie« , alors qu’il s’agissait semble-t-il tout autant voire bien plus d’un « canular » lié à l’émission qu’une forme de « harcèlement » à l’encontre de Florence, David évoque, outre le fait qu’il avait oublié le contexte de ce spécial trolls du Vinvinteur, le choc de voir son nom ainsi jeter en pâture dans la liste des membres de la Ligue du LOL, le fait d’avoir découvert (elle ne lui en avait jamais parlé non plus auparavant) que ce canular avait fait aussi mal à Florence, et avoir ainsi voulu faire amende honorable…

Je ne sais s’il pourrait s’agir d’une forme de syndrome de Stockholm, mais il s’agit ce me semble en tout cas d’un faux aveu, fait sous l’emprise de la pression médiatique autour de cette affaire, et du poids de la culpabilité vu les témoignages des personnes harcelées.

Je suis par ailleurs consterné de voir que, depuis que la liste des membres de la Ligue du LOL a fuité, tous font l’objet de ce qui relève bel et bien de « (cyber)harcèlement« , quand bien même aucune accusation circonstanciée n’ait été relevée à leurs sujets, comme le déplorait  récemment Mediapart :

Il y a aussi l’épineux problème de ceux qui ont été membres de la Ligue du LOL mais qui ne sont, pour l’heure, pas accusés de harcèlement à proprement parler. C’est par exemple le cas du journaliste de Télérama Olivier Tesquet : « La liste de “membres présumés” partagée anonymement sur le site Pastebin a contribué à aplanir les responsabilités, laissant croire qu’un groupe Facebook était une société secrète à l’intérieur de laquelle chacun est comptable des actions de tous les autres, explique-t-il à Mediapart. Je suis soulagé que le travail d’enquête vienne clarifier les choses, mais j’aurais préféré qu’il intervienne en amont. »

Convoqué par son employeur, Olivier Tesquet a ainsi « déclaré ne s’être livré personnellement à aucun des actes de harcèlement pratiqués, contraires aux valeurs du journal, et dont il mesure l’extrême gravité. Il s’est profondément excusé. Cet entretien les a convaincues de sa participation passive à ce groupe ».

Slate, de son côté, a publié une mise au point précisant que « dans aucun des écrits et/ou témoignages publiés à ce jour, Christophe Carron (le rédac’ chef de Slate -NDLR) n’a été accusé d’avoir harcelé ou insulté quiconque », et que « les explications détaillées que Christophe Carron nous a fournies, nous ont convaincus de son absence d’implication personnelle dans des actes répréhensibles ou contraires à nos valeurs ».

David Doucet, rédacteur en chef des Inrocks, passe quant à lui en procédure de licenciement dans les jours qui viennent, pour avoir reconnu, sous la pression, ce qu’il a qualifié de « dégueulasserie » alors que le contexte montre bien que ce canular s’inscrivait aussi et surtout dans le fait que le Vinvinteur venait de le présenter comme un « gentil troll« .

Je ne sais pas s’il aurait pu être impliqué dans d’autres formes de harcèlement, sinon qu’à ce stade, ce canular téléphonique est la principale chose qui lui est reprochée, et je pense avoir démontré que, si Florence Porcel l’avait mal vécue au vu de la série de harcèlements dont elle avait préalablement fait l’objet, il ne s’agit pas pour autant, stricto sensu, d’une forme de « (cyber)harcèlement », mais bel et bien d’un « canular« .

J’ai été effaré de lire les nombreux témoignages des victimes de harcèlement de membres ou proches de cette Ligue du LOL.

Je le suis tout autant de voir que, depuis que la liste de leurs membres a fuité, ils sont tous harcelés à leur tour sur les réseaux sociaux et jetés en pâture dans les médias, et que plusieurs ont été mis à pied, qu’ils aient -ou non- été accusés de faits précis et circonstanciés. Si certains font l’objet d’accusations circonstanciées, tous font en tout cas l’objet d’une forme de « présomption de culpabilité ».

Je suis conscient que ce billet pourra aussi me valoir d’être trollé, mais j’estime que David Doucet (que je ne connaissais pas avant l’interview, et avec qui je n’avais pas été en contact depuis) ne saurait être cloué au pilori, ni social ni professionnel, en raison de ce « canular » décontextualisé.

Contactée, Florence me répond que, pour elle, « le simple fait de faire ce type de canular est une démarche malveillante, a fortiori de le mettre en ligne« , tout en précisant qu’elle « espère qu’ils sont bien entourés« , et qu’elle ne « cautionne bien évidemment pas le harcèlement dont ils font l’objet« .

Dénoncer le « (cyber)harcèlement » est quelque chose de juste, et d’important. Que cela débouche sur une forme de « chasse aux sorcières » virant parfois au lynchage sur les réseaux sociaux est effarant, et effrayant.

Nonobstant le fait que ce n’est pas non plus l’objectif de celles et ceux qui, courageusement, ont témoigné des harcèlements dont ils ont été victimes.

Il faut mettre un terme à cette forme de « cyber » loi du talion : la lecture des commentaires en réaction aux tweets de ceux qui ont tenté de s’excuser n’a rien à envier au harcèlements dont ils sont accusés, et ce qu’ils vivent depuis une semaine est même potentiellement tout aussi -voire bien plus- violent que ce qu’ont connu celles et ceux qu’ils sont accusés d’avoir harcelé.

Les journalistes doivent aussi arrêter de n’enquêter qu' »à charge« , et de ne crier qu’avec les loups. On ne saurait accuser « par association » l’ensemble des membres de la Ligue du LOL, au seul motif qu’ils avaient fait partie du groupe, a fortiori alors que les enquêtes effectuées depuis une semaine semblent montrer que plusieurs de ses membres n’ont pas été directement accusés de harcèlement.

Il faut assurément travailler sur ce qui a valu à d’aucun(e)s d’être ainsi victimes de harcèlement. Mais ce n’est pas en harcelant collectivement de (présumés) harceleurs que l’on parviendra efficacement à lutter contre le (cyber)harcèlement.

Désolé si ce billet, écrit « à l’arrache« , peut en indisposer certain(e)s, vu le climat ambiant, mais il me semblait important de partager mes doutes et interrogations en la matière.

Je me garde le droit de le mettre à jour si d’aventure il permet de débattre de ces questions graves de façon constructives. & merci d’apaiser le débat : ce n’est pas en jetant de l’huile sur le feu que l’on parviendra à éteindre l’incendie.

Violences policières : la fuite en avant de Castaner

vendredi 28 décembre 2018 à 12:30

Alors que, souligne le sociologue Fabien Jobard, face aux « Gilets Jaunes« , l’action répressive et le bilan, en termes de blessés, sont d’une ampleur considérable et sans précédent depuis Mai 68, le ministère de l’Intérieur a (opportunément ?) publié en ce week-end de veille (a priori chargé) de Noël un appel d’offres portant sur l’achat de 1730 « lanceurs multi-coups (et) mono-coup » de maintien de l’ordre.

Étrangement, aucun des médias qui ont repris l’info n’ont mis de lien vers ledit appel d’offres, non plus qu’ils n’en ont montré de photos, pas plus qu’ils ne semblent avoir lu les spécificités techniques attendues (sans parler de ceux qui ont aussi omis de citer ledit Canard Enchaîné qui, le premier, a révélé l’information).

40MM PUMP MULTI-LAUNCHER

Présentation, dans le catalogue de son vendeur, de l’un des « lanceurs multi-coups » que veut acheter le ministère de l’Intérieur

Intitulé « LBD_40«  (pour lanceur de balle de défense -le nom du successeur des « flash-balls« , marque déposée- suivi du diamètre -en millimètres- de ses munitions), l’appel d’offres vise à « équiper les personnels de la sécurité intérieure notamment lors des missions de maintien de l’ordre, pour contrôler les mouvements de foule et disperser des individus agressifs« , au moyen de 1280 nouveaux « lanceurs mono-coup » (type LBD, dont 1275 pour la gendarmerie), plus 270 « lanceurs multi-coups » (LMC) « 4 coups« , et 180 « 6 coups » (soit 450 LBD semi-automatiques) pour les policiers.

Tandis que la fenêtre de « tir optimum » du LBD est de 30 mètres, les « multi-coups« , précise le cahier des charges techniques, devront quant à eux « permettre de stabiliser les munitions utilisées sur les distances comprises entre 30 et 100 m« .

Ces « armes » à « réarmement manuel ou semi-automatique« , dotées pour l’une d’entre elles d’un mécanisme de fusil à pompe, devront pouvoir « utiliser l’ensemble des munitions de calibre 40 mm munies de leurs moyens de propulsion à retard en dotation au sein du ministère de l’intérieur » (du nom donné aux grenades de maintien de l’ordre fumigènes et/ou lacrymogènes ), et permettre de « lancer les grenades sous un angle de 45°, avec une portée en adéquation avec le moyen de propulsion utilisé (50 ou 100 mètres)« .

Le site collaboratif d’infos alternatives Rebellyon avait été le premier, en juin 2016, à documenter l’utilisation, par des CRS, du lance-grenades Penn-Arms PGL65-40 (ou 40mm launchers) de l’entreprise américaine Combined Systems, « qui fonctionne comme un fusil à pompes« , dont les spécificités techniques correspondent trait pour trait à celles de l’appel d’offres et dont cette photo fit la couverture d’un rapport consacré à l’utilisation d’armes « moins létales » à Ferguson, aux USA, ainsi qu’à la militarisation des opérations de maintien de l’ordre policier.

An officer fires a Penn Arms Pump-Action Multi-6 Shot Launcher near W. Florrisant
Avenue, Ferguson on Monday, August 18, 2014.
Photo Credit: David Carson / St. Louis Post-Dispatch

Dans une note d’analyse (.pdf) adressée en juillet 2017 au Défenseur des droits au sujet des pratiques et conséquences du maintien de l’ordre en France, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) avait elle aussi commencé à s’intéresser à cette nouvelle armée. D’après Rebellyon, « une centaine de ces lance-grenades seraient en fonction en France et en dotation dans la police depuis 2010« . ACAT estimait, elle, qu’il serait utilisé par les CRS depuis 2013, bien qu’il n’aurait été aperçu qu’au printemps 2016 au cours de manifestations à Lyon, Paris et Nantes.

L’ACAT déplorait alors « la très grande opacité des autorités françaises » à son sujet, et le fait que « la mise en service de nouvelles armes ou munitions ne fait l’objet d’aucune communication auprès de la population, qui la plupart du temps les découvre directement dans le contexte des manifestations« , ce qui peut être d’autant plus déstabilisant qu’elle ressemble plus à la mitraillette Thompson camembert des films de gangsters des années 20 qu’à une arme non-létale.

L’ACAT s’inquiètait par ailleurs du fait que « cette arme peut accueillir non seulement des grenades lacrymogènes, mais également des balles de défense en caoutchouc, telles que celles utilisées pour les LBD 40, dont le diamètre est identique« , mais également que « les circonstances et conditions dans lesquelles elles sont susceptibles d’être utilisées ne sont pas davantage rendues publiques« .

Du maintien de l’ordre « à la française« 

Contactée par Libération, la Direction générale de la police nationale assure que ces lanceurs «multicoups» seraient «destinés à tirer exclusivement des grenades lacrymogènes, fumigènes ou assourdissantes».

Or, et comme David Dufresne, journaliste d’investigation auteur d’une enquête sur (le non-respect de) la doctrine française du « maintien de l’ordre« , n’a de cesse de le documenter depuis le début du mouvement des « gilets jaunes« , près de 200 personnes auraient d’ores et déjà été victimes, et pour bon nombre blessées, certaines mutilées à vie, du fait de manquements graves (parfois possibles, souvent avérés) à la doctrine légale du maintien de l’ordre dit « à la française ».

L’an passé, l’ACAT avait ainsi recensé (.pdf) 2 morts et 44 blessés (dont 24 éborgnés) du fait de tirs de flash-balls et de LBD ces dernières années (cf aussi cette chronologie sur Wikipedia), plus 3 blessés graves (dont 2 amputés au main) du fait des grenades lacrymogène instantanée GLI F4 (constituées -notamment- de 25 grammes de TNT).

Extrait du recensement provisoire des blessés des manifestations de novembre-décembre 2018

Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes« , le collectif Désarmons-les a de son côté dénombré (au moins) 4 autres personnes ayant eux aussi eu leurs mains arrachées par des GLI F4, 41 à avoir été blessées par des tirs de LBD… dont 10 éborgnées, en moins d’un mois 1/2.

Pourquoi la gendarmerie refuse-t-elle de s’en doter ?

Rien n’indique que le « timing » de cet appel d’offres corresponde au mouvement des « gilets jaunes« . Le Canard Enchaîné avait ainsi révélé, fin août 2017, que le ministère de l’Intérieur avait lancé un appel d’offres d’une « valeur totale estimée » de 22M€ pour l’achat de plus d’1,2 million de grenades de maintien de l’ordre fumigènes, lacrymogènes et assourdissantes, dont 584 000 « moyens de propulsion à retard« , là aussi pour « permettre, notamment aux personnels de la sécurité intérieure lors des missions de maintien de l’ordre et d’opérations de police judiciaire, de contrôler les mouvements de foule et de disperser des individus agressifs« .

« Il y a eu Notre-Dame-des-Landes, Sivens, Calais, les manifs contre la loi travail… On n’a pas arrêté de grenader« , avait alors expliqué un représentant des forces de l’ordre au Canard Enchaîné. A quoi le ministère de l’Intérieur avait répondu que « Ça n’a rien à voir. Il s’agit simplement d’un renouvellement d’appel d’offres arrivé à son terme. »

En l’espèce, on retrouve effectivement trace (.pdf), dans le projet de loi de finances 2015, de l’achat de « 125 lanceurs multi-coups, dont 96 pour les compagnies républicaines de sécurité dans le cadre du programme SPI4G CRS ».

A en croire ce tract (.pdf) de l’UNSA Police, évoquant une formation de FTSI (pour formateur aux techniques de sécurité en intervention) effectuée en avril 2018, et qui montre les deux LMC en dotation chez les CRS, « dans un premier temps, un volume de 10 fonctionnaires habilités est fixé par compagnie ».

Un volume de 10 fonctionnaires par compagnie seront habilités à s’en servir

Les 450 nouveaux LMC que vient de commander le ministère de l’Intérieur ne relèvent donc pas stricto censu d’un seul « renouvellement », mais bel et bien d’une extension du domaine du « maintien de l’ordre », avec son lot de « dommages collatéraux » en devenir, parce que le ministère de l’Intérieur persiste à vouloir militariser les policiers.

Dans son rapport, l’ACAT soulignait à ce sujet que « les forces de l’ordre françaises comptent parmi les plus armées d’Europe (et que) depuis le début des années 2000, le nombre et le type d’armes dites « non-létales » se sont massivement développées en France », alors même qu' »un autre modèle se développe chez nos voisins européens. Basé sur le dialogue et la désescalade, le modèle dit « KFCD » (Knowlegde, Facilitation, Communication, Differenciation) vise notamment à minimiser les violences collatérales, inutiles ou dangereuses, ainsi qu’à construire et à entretenir un dialogue permanent avec la foule afin de permettre une désescalade des tensions ».

Extrait du rapport de l’ACAT sur les violences policières

Un rapport (.pdf) de la Cour des comptes avait à ce titre révélé, en septembre dernier, que la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) avait de son côté refusé de doter les gendarmes de tels « lanceurs multi-coups de balles de défense« .

Il serait dès lors opportun que Christophe Castaner (et/ou son ministère) explique ce pourquoi il décide ainsi d’acquérir 1280 nouveaux LBD (dont 1275 à destination de la gendarmerie) alors qu’on en avait jamais autant mesuré la dangerosité que ces dernières semaines, et que la doctrine du maintien de l’ordre « à la française » mériterait donc potentiellement d’être remise à plat. Mais aussi ce pourquoi les gendarmes se voient refuser le fait d’être dotés de ces « lanceurs multi-coups » potentiellement encore plus dangereux.

NB : si vous avez des infos à ce sujet, vous pouvez me contacter de façon sécurisée (voire anonyme) en suivant ce mode d’emploi.

« Défavorablement connus »

samedi 20 janvier 2018 à 16:29

La revue Pouvoirs m’a proposé de contribuer à son dossier consacré à ce qu’elle qualifie de Datacratie. Pour remettre en perspective les questions liées au Big Data et autres méga-données, à la « police (et la justice) prédictive » et à l’explosion du nombre de fichiers, je leur avais proposé de revenir sur l’histoire de l’impossible contrôle du fichage policier, en France :

Initialement créée, en 1978, pour protéger les citoyens de possibles dérives en matière de fichage administratif et policier, la Commission nationale de l’informatique et des libertés tente, depuis le milieu des années 1990, d’encadrer les enquêtes administratives dites de moralité reposant sur la consultation du fichier des personnes « mises en cause » dans des enquêtes de police judiciaire.

En vain. Au point que le ministère de l’Intérieur ne sait même pas combien de personnes (six, neuf, douze millions ?) sont ainsi fichées comme « défavorablement connues » des services de police et de gendarmerie. Et encore moins combien le sont à tort.

« Défavorablement connus »
Un « désordre assisté par ordinateur »
« Safari ou la chasse aux Français »
L’« avis conforme » de la cnil
Un million de personnes « blanchies » par la justice… mais « fichées » par la police
Un taux d’erreur de… 83%
Le « bug informatique »

Je n’avais pas réalisé, en écrivant ce (long) article l’été dernier, que sa publication coïnciderait avec les 40 ans de la CNIL et de la loi informatique et libertés, précisément créée, initialement, pour protéger les citoyens de potentielles dérives en matière de fichage informatisé policier et administratif, suite au scandale du fichier SAFARI (voir, sur ce blog, Safari et la (nouvelle) chasse aux Français et Pour la CNIL, 18% des Français sont « suspects », ainsi que, sur le site de l’INA, la compilation de reportages télévisés qui y est consacrée).

Pouvoirs réuni aussi d’autres articles signés Benoît Thieulin, Fabien Granjon, Dominique Cardon, Henri Isaac, Alexandre Eyriès, Jayson Harsin, Alexis Bréset, Banjamin Ferran, Benjamin Bayart, Agnès Le Cornulier, Jean Deydier et Jeremy Corbyn.

Antoine Bellier, journaliste à RCF, m’avait invité à en causer, avec Benoît Thieulin et Dominique Cardon, dans le cadre d’une émission de près d’un heure, Datacratie, quand les données prennent le pouvoir, que l’association APRIL a retranscrit, pour ceux qui préféreraient nous (re)lire plutôt que de nous (ré)écouter.

Pour le coup, on n’y a pas du tout causer de l’histoire du fichage informatisé policier, pas plus que de mon article, que vous néanmoins et aussi acheter à la pièce pour 3€ sur Cairn.info, la plateforme de publication électronique d’articles et de revues de sciences humaines et sociales.

 

Et la CIA inventa les… « gremlinwares »

vendredi 12 mai 2017 à 19:26

On connaissait les « softwares« , « adwares« , « malwares« , « spywares« , « ransomwares »… WikiLeaks vient de révéler que la CIA avait de son côté inventé des… « gremlinwares« .

Avec un sens de l’humour qui force le respect, les hackers de la CIA l’ont inséré dans un module intitulé… AfterMidnight.

Dans le film Gremlins, il est en effet précisé qu' »il ne faut pas l’exposer à la lumière, lui éviter tout contact avec l’eau, et surtout, surtout ne jamais le nourrir après minuit… Sinon… »

WikiLeaks explique qu’AfterMidnight permet de charger et d’éxécuter des « payloads » (la partie du code exécutable d’un virus qui est spécifiquement destinée à nuire, par opposition au code utilisé par le virus pour se répliquer notamment, dixit Wikipedia), que la CIA a donc intitulé « Gremlinwares« , eu égard à leurs objectifs : ces Gremlins, en effet, ne sont pas tant des logiciels espion que des logiciels de sabotage, conçus pour pourrir la vie de l’utilisateur de l’ordinateur infecté, en multipliant les dysfonctionnements des logiciels qu’il utilise.

Une fois installé sur l’ordinateur (Windows) infecté, AfterMidnight se camoufle en DLL persistente, se connecte de façon sécurisée à un poste d’écoute (« Listening Post« , en VO) surnommé la « Pieuvre » (sic), et attend l’ordre de télécharger tel ou tel gremlins, conçus pour subvertir les fonctionnalités du logiciel ciblé, auditer un système ou, notamment, exfiltrer des données.

Les documents rendus publics par WikiLeaks ne détaillent pas l’ensemble du catalogue de « Gremlinwares » à disposition de la CIA, mais n’en précisent pas moins qu’ils peuvent retarder, bloquer et même « tuer » (delay, lock, kill) un process logiciel, de façon ciblée, randomisée ou répétée (toutes les X ouvertures, toutes les X minutes)… de quoi pourrir les activités informatiques de l’utilisateur ciblé.

« I never liked Mr. B’s powerpoints… »

Le manuel donne comme exemple une fonction NoBrowse permettant de « tuer » (et donc fermer) les navigateurs Firefox et Internet Explorer +- 30 secondes après qu’ils aient été lancés, ce délai pouvant bien évidemment être reconfiguré :

# Kill every new IE 30 seconds (+/- 5) after it starts
$ am plan NoBrowse config Process add -f kill -n iexplore.exe -p -d 30 -j 5
$ am commit NoBrowse Mr.A # Mr. A gets the no browser plan

Un autre fonctionnalité, DeathToPowerPoint, permet de retarder, bloquer ou « tuer » des PowerPoint, l’exemple choisi par la CIA étant particulièrement retors, dans la mesure où il le bloque, non pas au début de sa session comme avec le navigateur, mais 10 minutes après que l’utilisateur ait commencé à s’en servir, démonstration s’il en est qu’il s’agit moins d’empêcher l’utilisateur de faire ceci ou cela que de lui pourrir la vie, en plus  :

# Lock up 50% of PowerPoints 10 minutes (+/- 2 minutes) after they start
$ am plan DeathToPowerPoint config Process add -f lock -n powerpnt.exe -p \
-F 50 -d 10m -j 2m
$ am commit DeathToPowerPoint Mr.B # I never liked Mr. B’s powerpoints...

Dans l’article qu’elle consacre à ces Gremlins, la journaliste italienne Stefania Maurizi rappelle par ailleurs que WikiLeaks se borne à rendre public les documentations des logiciels espion (et de sabotage, donc) de la CIA, de sorte d’informer le grand public sur ses techniques, mais aussi d’aider les éditeurs de logiciels et d’antivirus à nous en protéger, sans pour autant rendre publics les logiciels et charges virales, afin d’éviter qu’ils puissent être réutilisés à des fins malveillantes. Suite aux révélations de WikiLeaks, Cisco vient ainsi de patcher des failles de sécurité affectant 318 de ses routeurs.

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Voir aussi : Message de service à la nouvelle (dir’ com’ de) la NSA
Pour en finir avec la « surveillance de masse »
Le darknet est trop compliqué pour les terroristes
De la surveillance de masse à la paranoïa généralisée
Les terroristes sont des internautes comme les autres

 

Message de service à la nouvelle (dir’ com’ de) la NSA

vendredi 5 mai 2017 à 19:00

Le site web de Kelli Arena, la nouvelle directrice des « communications stratégiques » de la NSA, est « cybersquatté » depuis mars dernier par un spammeur indonésien, qui y fait depuis la promo de produits de décos.

Avant / après :

 

Son nom de domaine, qu’elle avait acheté en 2010, expirait en décembre 2016, et elle ne l’aurait pas renouvelé, permettant son rachat par le cybersquatter.

Kelli Arena, ex-journaliste de CNN, dirigeait jusqu’à récemment un projet universitaire créé pour délivrer « une formation spécialisée pour favoriser l’exactitude de l’information« .

Kelli Arena n’en continue pas moins à faire la promotion de son ex-« page officielle« , désormais piratée, sur ses comptes Twitter, Facebook et LinkedIn, invitant qui plus est ses éventuels correspondants à lui écrire sur une adresse e-mail qu’elle ne contrôle plus, comme si elle ne s’en était, plus de deux mois après l’avoir perdu, toujours pas aperçue.

De façon encore plus étonnante, la NSA a annoncé sa nomination, le 21 avril dernier, sans même lui demander d’arrêter d’en faire la promotion.

Dans son édition du 26 avril, Intelligence OnLine (IOL), lettre d’information qui chronique depuis bientôt 40 ans les activités des professionnels du renseignement, révélait que la nouvelle patronne de la com’ de la NSA avait été « multi-piratée« .

En janvier dernier, elle avait en effet prévenu ses amis sur Facebook et Twitter que son compte Skype avait été piraté.

Et elle n’a toujours pas effacé les commentaires que des spammers avaient écrits sur Facebook en son nom en 2013, et donc en ayant probablement piraté son compte Facebook, afin de promouvoir de « lunettes solaires ray ban » et de « doudoune parajumpers femme » (en français dans le texte), en réponse à un billet opportunément intitulé « The Ennemy of me Ennemy is my Friend« .

Une chose est que l’ex-journaliste ne s’en soit pas aperçue, en deux mois… une autre est que la NSA, le service de renseignement américain en charge de la surveillance et de l’espionnage des télécommunications -mais aussi de la sécurité des télécommunications du gouvernement US- ne n’en soit, elle non plus, pas aperçue, avant même d’annoncer son recrutement en tant que « chargée des communications stratégiques« … a fortiori plus d’une semaine après que l’information ait pourtant été rendue publique.

Dans le communiqué annonçant son recrutement, Mike Rogers, le directeur de la NSA, explique que «les besoins de la NSA en matière de communications réfléchies et stratégiques, internes et externes, n’ont jamais été aussi importants». Certes. Et de préciser : «ses efforts assureront la compréhension par le public des contributions critiques de la NSA à la sécurité nationale»… #Oupas.

Voir aussi :
Retour sur Une contre-histoire de l’Internet
Pour en finir avec la « surveillance de masse »
Le darknet est trop compliqué pour les terroristes
De la surveillance de masse à la paranoïa généralisée
Les terroristes sont des internautes comme les autres