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Le maire et la gifle

mercredi 14 mars 2012 à 13:00

Un fait divers remontant à quelques semaines fait encore parler de lui, notamment car mes amis de l‘“Institut pour la Justice” ont enfourché ce cheval de bataille pour faire une de leurs inénarrables pétitions où deux écueils sont toujours soigneusement évités : expliquer et s’adresser à l’intelligence du lecteur.

Rappelons également que Marie-Antoinette, à qui l’édile a été comparé par cette association, a été enfermée d’août 1792 à octobre 1793, a été séparée de ses enfants, a vu son époux guillotiné et sa meilleure amie dépecée vive et sa tête agitée au bout d’une pique à sa fenêtre, a été accusée publiquement d’avoir agressé sexuellement son fils et condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire, et que le blanchissement accéléré de ses cheveux est attribué notamment au cancer de l’utérus qu’elle avait développé et qui évidemment n’était pas soigné. Ce qui en effet équivaut bien à une amende avec sursis pour une gifle.

Les faits peuvent en effet se résumer ainsi : le maire d’une petite commune a été condamné pour avoir giflé un de ses administrés mineur dont le comportement, c’est le moins qu’on puisse dire, laissait à désirer.

Comme vous le savez, c’est avec joie qu’en ces lieux, nous nous frottons à ces deux écueils. Voici donc ce qui s’est réellement passé, et où en est la procédure, et, détail minuscule oublié par l’IPJ, ce que dit la loi, que le juge a pour mission d’appliquer.

Les faits

Le 24 août 2010, à Cousolre (Nord), commune rurale de 2500 habitants, Maurice Boisart, maire de la commune, aperçoit par la fenêtre de son bureau un jeune homme, mineur, escalader un grillage qui, je le suppose, entourait un terrain de sport municipal, grillage qui venait d’être refait par la commune pour un coût de 10.000 euros, alors même que la clef ouvrant cette clôture est à sa disposition. Ce jeune homme est bien connu du maire pour son comportement pour le moins turbulent : le maire fera état d’une perturbation d’une cérémonie d’hommage aux anciens combattants, de provocations en bloquant la voiture du maire, et, mais ce n’est là qu’un soupçon, divers tags salissant les murs de la commune.

Mécontent, le maire se porte à sa rencontre, et très vite, le ton montre entre l’édile et le jeune homme. Je cite le compte-rendu d’audience, car audience il va y avoir, de Pascale Robert-Diard. C’est d’abord le maire qui parle :

Je suis sorti. Je lui ai dit : ‘tu arrêtes de te foutre de ma gueule’. Demain matin, tu iras au poste, raconte le maire. Il m’a répondu : ‘C’est pas toi qui va m’empêcher de faire ce que je veux’. Il m’a insulté, m’a traité de ‘bâtard’ et la claque est partie. J’ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie. J’ai eu un geste instinctif, c’est pas la meilleure chose que j’ai faite. Je le regrette.” Il ajoute, un peu plus bas : “Je ne cherche pas à excuser ma gifle, j’aurais pas dû le faire. Mais le problème, il vient peut-être de comment il a été élevé ce garçon…”

Notez bien que le maire ne cherche pas à excuser sa gifle. Il reconnait qu’il a eu tort de la donner.

La suite de l’affaire est racontée sur procès-verbaux par les copains du jeune homme, témoins de la scène. L’humiliation qui fait sortir l’adolescent de ses gonds, les insultes qui pleuvent – “Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t’es un homme, je vais te tuer” – le coup de poing qui part mais qui n’atteint pas le maire car les autres s’interposent, la colère, toujours, qui pousse le mineur à rentrer chez lui, à prendre deux couteaux qu’il glisse dans ses chaussettes et à revenir sur la place de la mairie avant d’être calmé et désarmé par ses amis. Le maire porte plainte pour outrages (le garçon a été condamné depuis), les parents déposent plainte à leur tour contre l’édile, pour “violences”.

Je graisse ce passage que l’IPJ a soigneusement oublié de mentionner dans son texte : ce jeune homme a lui aussi été poursuivi et condamné pour son agression envers le maire. J’ignore la peine qui a été prononcée, mais ce n’est pas le genre d’incident qui amène au prononcé d’une peine de prison ferme, en tout état de cause.

La réponse judiciaire

C’est le procureur de la République du tribunal de grande instance d’Avesnes Sur Helpe qui était compétent territorialement pour décider des suites à donner. On sait qu’il a saisi le juge des enfants de poursuites à l’encontre du jeune homme, qui ont abouti à sa condamnation. Le maire avait la possibilité, étant victime, de se constituer partie civile et de demander des dommages-intérêts au jeune homme et à ses parents, civilement responsables de leur galopin. J’ignore s’il a usé de cette faculté. Mais il a eu la possibilité de demander réparation de l’outrage qu’il a subi à cette occasion.

S’agissant de la gifle, qui n’est pas contestée par son auteur, le procureur de la République a ouvert son Code pénal, et a lu la loi que le peuple français l’a chargé d’appliquer, en sa qualité de magistrat. Son attention s’est immanquablement portée sur l’article 222-13, qui dispose (la loi ne stipule pas, jamais) :

Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises :

(…)

7° Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.

C’est là un délit de violence aggravée. Il ne lui a pas fallu longtemps pour retrouver les circulaires de la Chancellerie adressée à tous les parquets, où les instructions, auquel il est tenu d’obéir sont claires : les faits de violences, et tout particulièrement si elles sont aggravées doivent faire l’objet d’une réponse pénale systématique. Pas de classement sans suite. Interdit. D’autant qu’ici, les faits sont établis et reconnus.

Il a donc opté pour l’engagement de poursuites sous forme d’une “Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité” (CRPC) le fameux “plaider coupable à la française” (articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale). Le procureur propose au maire de reconnaître sa culpabilité dans ces violences aggravées et d’accepter la peine qu’il lui propose, qui sera ensuite homologuée par un juge, qui ne pourra pas modifier cette peine, mais tout au plus refuser de l’homologuer s’il l’estime inadéquate, que ce soit trop ou pas assez sévère.

Et le maire de Cousolre se voit proposer une amende de 600 euros, sans prison fût-ce avec sursis. Je rappelle que la loi prévoit jusqu’à 3 ans de prison et 45000 euros d’amende.

Mais le maire va refuser cette peine, comme il en a le droit. Dans cette hypothèse, le procureur de la République n’a pas le choix : il doit saisir le tribunal correctionnel pour que les faits soient jugés selon le droit commun : art. 495-12 du code de procédure pénale, sauf élément nouveau, mais ici, il n’y avait rien de nouveau sur les faits.

Voilà comment le maire se retrouve devant le tribunal correctionnel d’Avesnes Sur Helpe, le 3 février dernier.

L’audience

L’affaire a attiré l’attention de la presse, et Pascale Robert-Diard, que j’ai déjà citée, était présente. Cette audience ne s’est pas très bien passée pour le maire, car, si j’en crois la chroniqueuse du Monde (et je la crois), le parquetier a été particulièrement brutal avec le maire, et ses réquisitions véhémentes, qui ne s’imposaient pas vraiment, ont surpris l’assistance. Entendons-nous bien. Je suis un farouche partisan de la liberté de parole du procureur à l’audience qui est une garantie essentielle d’une bonne justice. Mais cette liberté n’interdit pas la critique, et là, ces réquisitions me paraissent critiquables sur la forme et sur le fond.

D’une part, sur la forme, le procureur a opté pour des réquisitions virulentes, qui, à mon sens, ne sont jamais pertinentes, mais là étaient particulièrement hors de propos. Le prévenu est un homme de 62 ans, maire en exercice, sans antécédent, qui a eu un geste violent dans un accès de colère après avoir été visiblement provoqué. Les sarcasmes sur le Chicago des années 30 et Montfermeil sont déplacés, et inutilement humiliants. C’est l’avocat qui parle : les magistrats doivent veiller à ne jamais humilier le prévenu, aussi irritant soit-il, et là le maire de Cousolre ne l’était manifestement même pas. Une humiliation publique défoule peut-être celui qui use et abuse de sa position pour l’infliger (on doit accepter l’offense sans réagir sous peine de risquer l’outrage à magistrat en retour), mais détruit tout effet pédagogique de l’audience et au contraire crée des rancœurs envers la justice qui ne favorisent pas la réinsertion du condamné. Je ne comprends pas le comportement du procureur, mais j’émets une réserve sur mon opinion : je ne connais pas l’intégralité du dossier, il y a peut-être certains aspects du comportement du prévenu que j’ignore. Je maintiens cependant que ce comportement est inapproprié en toute circonstance, quel que soit la qualité du prévenu.

Sur le fond, le procureur a reproché au maire d’avoir refusé ce plaider-coupable à 600 euros, mettant cela sur le compte de la volonté du prévenu d’avoir une tribune médiatique. Problème : la loi interdit de faire état devant le tribunal d’une procédure de plaider-coupable (CRPC) qui n’a pas abouti : art. 495-14 du CPP. On me rétorquera que la loi interdit de faire état des déclarations faites au cours de cette procédure ou des documents remis, ce qui a contrario ne semble pas interdire de faire état qu’une telle procédure a été engagée. À cela je répondrai que ce n’est pas la volonté du législateur qui avait même décidé initialement que l’audience d’homologation ne devait pas être publique pour préserver le secret de cette procédure si elle ne devait pas aboutir[1], avant de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel qui a exigé cette publicité, non pour faire échec au secret d’une procédure avorté, mais au nom du principe de publicité des débats (cons. n°117 sq.). Enfin et surtout, si le parquet a fait état de la proposition de peine (600 euros d’amende) devant le tribunal, il a nécessairement fait mention d’une pièce de la procédure ou d’une déclaration des parties, puisqu’il a bien fallu à un moment que cette proposition de peine soit formulée dans le dossier.

Enfin, tout ça pour quoi ? Pour aboutir à une peine requise de 500 euros d’amende, soit moins que la peine proposée en CRPC, ce qui revient à reconnaître implicitement que le maire a en fait eu raison de refuser cette peine.


Mise à jour : Merci à Arisu qui me signale une interview éclairante du procureur qui était présent à l’audience, publiée dans la Voix du Nord.

Pour résumer : il a été sur le ton de l’ironie pour marquer son désaccord avec le récit apocalyptique qui lui était fait de la situation à Cousolre, mais le regrette rétrospectivement vu que l’effet a manifestement manqué son but. Son analyse juridique rejoint la mienne, vous le verrez, et il précise que le maire a refusé toutes les mesures de conciliation (qui impliquaient la réparation du dommage), que sept témoins corroboraient le récit de la victime précisant qu’il n’y a pas eu d’injure avant la gifle, alors que le maire lui même n’en a fait état pour la première fois que deux jours plus tard. Les seuls propos que le mineur a reconnu sont “C’est pas toi qui va m’empêcher de ramasser mon ballon, casse-toi “, mais le procureur rappelle, à raison, que l’excuse de provocation a disparu en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.


La décision

Le jugement a été rendu le 17 février 2012. Curieusement, l‘“Institut pour la Justice” a oublié d’en préciser le contenu exact dans sa diatribe, qui ne mentionne que les dommages-intérêt.

Le tribunal a déclaré le maire coupable des faits de violences et a prononcé une peine de 1000 euros d’amende assortie du sursis, c’est à dire que le maire n’aura pas à payer cette amende s’il n’est pas à nouveau condamné pénalement pour un délit ou un crime dans les 5 ans qui viennent (ce qui semble quasiment certain vu la personnalité de ce monsieur). Curieuse décision, qui dépasse le quantum requis par le parquet (ce qui est plus sévère) mais l’assortit du sursis (ce qui est plus indulgent). Précisons que le maire n’échappera cependant pas au paiement d’un droit de 90 euros qui frappe toute personne condamnée.

Les motivations du jugement sont éclairantes sur les moyens de défense du prévenu. Celui-ci a soulevé la légitime défense (art. 122-5 du Code pénal) pour plaider la relaxe. Voici comment le tribunal écarte cet argument.

“Le prévenu soutient qu’il doit être relaxé des fins de la poursuite car il estime qu’il était en état de légitime défense. Il fait valoir que son geste, qu’il regrette, a été un réflexe face à une insulte. il ajoute que sa réaction a été proportionnée à cette insulte reçue.

En l’espèce, au vu des éléments du dossier, il est vraisemblable que l’attitude et les paroles de Pierre D., qui se trouvait en un lieu non accessible au public, aient pu être perçues comme provocantes par Maurice Boisart.

Cependant, une telle attitude, voire l’insulte “bâtard” évoquée par le prévenu, ne sont pas de nature à justifier une réaction de violence, fût-elle légère, sur le fondement de la légitime défense, en l’absence de toute tentative de violence physique.

Dès lors, il convient d’écarter ce fait justificatif et de déclarer Maurice Boisart coupable des faits de violence par personne dépositaire de l’autorité publique (…)

L’argumentation du tribunal est irréprochable. C’est une parfaite application de la jurisprudence bi-séculaire en matière de légitime défense : seul un comportement physiquement violent justifie une riposte violente : c’est la règle de la proportionnalité. J’ajoute que la jurisprudence évolue de manière continue dans un sens admettant de moins en moins la légitime défense, sauf au profit des forces de l’ordre. La violence est de moins en moins tolérée dans notre société, ce qui est une évolution heureuse, et les juges reflètent cette évolution des mentalités, qui est abondamment et surabondamment prise en compte par l’évolution de la loi.

Le tribunal motive ainsi la peine prononcée :

Compte tenu des circonstances de la commission de l’infraction et de la personnalité de M. Boisart, qui n’a jamais été condamné et qui bénéficie de renseignements de personnalité très satisfaisants, il sera condamné au paiement d’une amende d’un montant de 1000 euros assortie du sursis simple.

Notez que le tribunal a pris en considération les circonstances de l’infraction comme élément à décharge, quand bien même l’excuse de provocation a disparu en 1994. Il admet que c’est le comportement de la victime qui a été déterminant dans le passage à l’acte, ce qui atténue la responsabilité du maire et justifie le prononcé du sursis, avec les “renseignements de personnalité très satisfaisants”, comprendre que l’enquête et l’audience ont montré que Maurice Boisart était quelqu’un d’inséré dans la société ne montrant aucune dangerosité particulière et ayant eu jusque là un parcours sans histoire (pas de casier judiciaire, notamment). Il est rare qu’un tribunal prenne la peine de se montrer aussi laudatif avec un prévenu qu’il condamne.

Reste la partie la plus délicate : les intérêts civils. Car le maire a été déclaré coupable : il doit réparer sa faute. Il est donc condamné à indemniser le mineur giflé. Celui-ci, représenté par ses parents, demandait 1000 euros de dommages-intérêts, et 2000 euros d’article 475-1, c’est-à-dire de frais de justice, essentiellement constitués des honoraires de leur avocat. Le tribunal n’a pas le choix et doit faire droit à cette demande, mais peut fixer un montant inférieur au montant demandé, ce qu’il fait : 250 euros de dommages-intérêt et 500 euros d’article 475-1, à la charge du maire, qu’il doit verser entre les mains des parents du mineur.

Cela met mes amis de l’IPJ dans un état proche de l’apoplexie. Pourtant, c’est l’application pure et simple de la loi et la prise en compte du préjudice subi par la victime, reconnue en tant que telle, ce qui est l’essence du combat de l’IPJ, du moins tel qu’il le proclame (et qui suis-je pour mettre en doute sa sincérité ?) L’IPJ devrait donc applaudir cette décision, s’il était cohérent. S’il l’était.

Le tribunal n’avait d’autre choix que de condamner le prévenu reconnu coupable à indemniser la victime. Et surtout il ne pouvait à ce stade prendre en compte le comportement de la victime pour diminuer voire supprimer son droit à réparation. Là encore, jurisprudence bi-séculaire : en matière de délits volontaires, ce que sont les violences, le comportement de la victime, s’il n’a pas été une cause d’irresponsabilité pénale, c’est-à-dire s’il n’a pas fondé une légitime défense ou un état de nécessité, ne peut diminuer son droit à réparation. Ce n’est possible qu’en cas de délit involontaire (homicide ou blessures par négligence, par exemple). C’est là encore une règle protectrice de la victime à laquelle l’IPJ ne devrait que vouloir applaudir.

Suites et alternatives

Le maire a déclaré avoir fait appel de cette décision. La chambre des appels correctionnels de Douai examinera cet appel. Il est probable que le parquet a formé ce qu’on nomme un appel incident, c’est à dire un appel en réplique à l’appel du prévenu. La cour d’appel de Douai pourra donc aussi, si elle le juge nécessaire, aggraver la peine du prévenu. Je ne sais pas si la partie civile a fait appel elle aussi, auquel cas la cour pourrait également alourdir les dommages-intérêts. Les délais d’audiencement d’un appel correctionnel tournent autour d’un an, on a donc le temps de voir venir. Le maire a changé d’avocat pour cet appel et est désormais défendu par un natif de Cousolre, un certain (et redoutable) Éric Dupond-Moretti.

Dernière question : le parquet avait-il d’autres choix que de poursuivre ? C’est la question que se pose Philippe Bilger, magistrat honoraire (rappelons que chez les avocats, honoraire veut dire facture, et chez les magistrats, retraité), qui se demande pourquoi le parquet n’a pas classé sans suite, ce qu’il peut faire en opportunité même face à des faits établis.

Comme je l’ai dit au début, le parquet a reçu de la Chancellerie des instructions très claires de ne jamais classer sans suite des violences aggravées. Classer sans suite, c’eût été désobéir, et la loi lui interdit de désobéir à ces instructions (et l’expose le cas échéant à des sanctions personnelles).

En outre, c’eût été inutile.

En effet, la loi permet à celui qui se dit victime directe d’une infraction de mettre lui-même en mouvement l’action publique si le parquet ne le fait pas, que ce soit en saisissant un juge d’instruction (art. 85 sq. du CPP) ou le tribunal, par citation directe (art. 392 sq. du CPP). Là encore, il existe une association à l’intitulé pompeux qui ne cesse de revendiquer des droits de plus en plus accrus pour les victimes, notamment leur donner le droit de faire appel sur l’action publique.

Pour être parfaitement clair, l‘“Institut pour la Justice” fait du lobbying intensif pour permettre à l’avenir à un mineur giflé par un maire dans de telles circonstances de faire appel de l’amende avec sursis et de demander à la cour d’aggraver la peine, en augmentant le montant de l’amende et en supprimant le sursis, et ce même si le parquet ne le souhaitait pas. Et il va même plus loin : il souhaite que si le maire avait été condamné à de la prison, ce mineur incivique puisse venir s’opposer à toute demande de libération conditionnelle ou toute mesure d’aménagement qui pourrait éviter ou limiter le temps passé en prison par ce maire, au nom de l’application effective des peines prononcées (point 3 du Pacte 2012) et de l’impunité zéro pour les atteintes aux personnes (pacte 2012, point n°2).

Je suis ravi de ce spectaculaire virage à 180 degrés de l’IPJ, mais craint hélas qu’il relève plus de la profondeur de réflexion de la girouette que d’un recours tardif mais toujours salutaire à la Raison.

En conclusion, que retenir de cette affaire ? Qu’ici, la justice n’a fait qu’appliquer scrupuleusement la loi, ce qui ne surprendra que ceux qui ne la connaissent pas. La loi sanctionne les violences, toutes les violences. Et la loi ne dit pas qu’un maire aurait, par exception, le droit de distribuer des baffes à tout perturbateur de l’ordre public, sous prétexte qu’il est élu local. Au contraire, la loi dit que celui à qui on a fait l’honneur de confier la mission d’être maire a encore moins le droit que les autres de se laisser emporter à la violence, et qu’il doit être plus sévèrement puni qu’un citoyen ordinaire quand il le fait. La même loi laisse néanmoins une marge d’appréciation au juge pour la fixation de la peine au regard des faits tels qu’ils se sont déroulés, et de la personnalité du prévenu. Devinez d’ailleurs qui milite pour que cette marge d’appréciation soit restreinte voire annihilée dans un sens d’une plus grande sévérité systématique ? Mais oui, toujours lui !

Cette décision vous scandalise ? Libre à vous, mais vous ne pouvez pas la reprocher à la justice, qui avait ici les mains liées par la loi. Demandez au législateur de changer la loi si vous souhaitez que votre maire puisse librement vous gifler vous et vos enfants à chaque fois qu’il estimera que vous contrevenez à l’ordre public. En attendant, la loi vous protège et les maires gifleurs seront toujours exposés à des sanctions pénales.

Et si vous estimez finalement avoir été induit en erreur par l‘“Institut pour la justice” qui vous a intentionnellement caché ce que je vous explique ici, ce qui fut le cas de nombreuses personnes à la suite de l’affaire du Pacte 2012, à tel point que cette association a dû se fendre d’une page spéciale pour me rendre hommage et tenter de faire cesser l’hémorragie de gogos, vous pouvez écrire à info@institutpourlajustice.com en demandant que votre nom soit retiré de la liste des signataires et surtout de leur base de donnée pour éviter de vous faire spammer à l’avenir. On vous expliquera en retour que je suis très méchant, ce que j’assume parfaitement. Mais moi, au moins, je ne vous prends pas pour des imbéciles.

Voir aussi cet article de Pascale Robert-Diard, toujours elle, sur les lettres de soutien reçues par le maire, et ce portfolio publié par Le Monde.

Note

[1] Rapport de M. Warsmann n°856 du 14 mai 2003, II, A, 2.

Soyez le juge aux affaires familiales (1)

mercredi 7 mars 2012 à 18:51

Proposé par Asor, magistrat exerçant les fonctions de juge aux affaires familiales.


La justice familiale fait peu parler d’elle dans les médias et s’efface bien souvent, elle aussi, devant la justice pénale, qui semble être la seule à rapporter des voix aux élections passionner l’opinion publique. Pourtant, le juge aux affaires familiales (l’ancien juge aux affaires matrimoniales) est celui dans le bureau duquel vous avez le plus de chances de vous retrouver au cours de votre vie.

Le JAF est un juge du tribunal de grande instance, dont les attributions, très larges, sont fixées par l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire. Pour faire simple, disons que ce juge est notamment compétent pour toutes les procédures de divorce, mais également pour tous les contentieux relatifs à la famille dans des couples non mariés ou déjà divorcés, qu’il s’agisse des personnes (autorité parentale, résidence de l’enfant, droits de visite et d’hébergement de l’autre parent, pension alimentaire…) ou du patrimoine (homologation des changements de régime matrimonial, liquidation de régime matrimonial, indivisions entre concubins ou partenaires liés par un PACS…). C’est aussi le JAF qui juge les dossiers de changement de prénom ou de droits de visite et d’hébergement des tiers (surtout les grands-parents).

Souvent, le JAF siège également à la chambre de la famille, qui connaît par exemple des demandes d’adoptions, des délégations d’autorité parentale ou de toutes les actions relatives à la filiation (contestation de paternité, etc.). Depuis peu, le JAF est également le juge des tutelles des mineurs et le juge qui délivre (ou pas) en urgence les ordonnances de protection pour une personne en danger vraisemblablement victime de violences conjugales. Enfin, il est juge des référés dans certaines des matières pour lesquelles il est compétent au fond.

Il faut bien distinguer le juge aux affaires familiales du juge des enfants. Le premier intervient pour tous les enfants, à l’occasion d’un désaccord des parents (qui va exercer les droits de l’autorité parentale ? où va vivre l’enfant ? à quelle fréquence l’autre parent va-t-il le voir ? à combien d’euros sera fixée la pension alimentaire?). Mais heureusement, le désaccord parental ne va que rarement de paire avec un danger pour l’enfant. Le juge des enfants, quant à lui, est saisi en assistance éducative lorsqu’il existe un danger pour l’enfant, et ce même à supposer que les deux parents soient en totale symbiose sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

Sauf exceptions, donc, la particularité du JAF est de ne voir les dossiers (et donc les justiciables) qu’une seule fois, contrairement aux procédures d’assistance éducative qui sont traitées sur le moyen ou le long terme par le juge des enfants avec des audiences régulières. Les armes du JAF sont également plus restreintes que celles du juge des enfants : ici, pas de mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), de mesure d’investigation et d’orientation éducative (IOE) ni de placement. Tout au plus le JAF peut-il ordonner une mesure d’enquête sociale et/ou un examen médico-psychologique de la famille « avant dire droit », c’est-à-dire avant de prendre une décision durable[1]. Si en revanche il estime, au détour d’un dossier, qu’il existe un danger pour un enfant, il en informe alors le procureur de la République, afin que celui-ci décide, le cas échéant, de saisir le juge des enfants. On dit parfois que ce que le JAF voit de pire est ce que le juge des enfants voit de meilleur.

L’enquête sociale est définie par l’article 373-2-12 du code civil, elle a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vivent et sont élevés les enfants. L’expertise médico-psychologique permet quant à elle d’évaluer les aspects de personnalité, le fonctionnement psychique des membres d’une famille et la dynamique familiale.

Last but not least, l’étoile polaire du JAF est l’intérêt de l’enfant. La formule est un peu vague mais aide à comprendre que ce qui compte n’est pas l’intérêt d’un parent, mais celui de son enfant.

Voici donc trois cas pratiques qui reflètent chacun un aspect du quotidien d’un juge aux affaires familiales. Les trois dossiers ont été inventés. Il est donc inutile de s’y reconnaître ou de penser qu’il s’agit de la situation des voisins du dessus ou de tante Jeanine. Les ressemblances ne sont dues qu’au fait que, par delà la singularité de chaque famille, se retrouvent souvent des situations, des problématiques, des argumentations et des attentes semblables. Il va donc de soi que les prénoms n’ont même pas eu à être modifiés et font simplement partie de la fiction.

Mais avant tout, quelques éléments de contexte. Dans le premier cas pratique, le juge statue seul, en audience de cabinet, c’est-à-dire dans son bureau, porte close, où ne sont admis que les intéressés et leurs avocats, s’ils en ont. Il tient généralement l’audience sans robe, bien que certains magistrats pratiquent différemment. La procédure est dite « orale », c’est-à-dire qu’il n’existe pas nécessairement d’échanges de conclusions écrites avant l’audience, et qu’en tout cas, ce qui compte est ce qui sera dit oralement à l’audience.

Nous sommes donc en mars 2012, vous êtes assis à votre bureau, une affiche pour une expo de Modigliani en 1996 sur le mur à votre droite, les quatre chaises sont en arc de cercle devant vous (une par parent et une par avocat éventuel), votre greffe est assis à un autre bureau juste à côté du vôtre et prendra des notes d’audience : son rôle sera d’authentifier ce qui a été dit et les demandes de chacune des parties. C’est un rôle d’autant plus fondamental que la procédure est orale[2].

Il est 09h00 ce lundi matin, l’audience comporte 19 dossiers différents, c’est beaucoup trop pour pouvoir consacrer le temps nécessaire à chaque affaire[3]. Si 15 dossiers sont retenus (imaginons qu’il y ait 4 renvois), cela fait environ 15 minutes d’audience par dossier seulement, pour entendre chaque partie, chaque avocat, poser toutes les questions qu’on a à poser, et répondre aux interrogations des parents. Sans pause pour le juge, qui enchaîne les dossiers et les situations familiales différentes en essayant de rester concentré. C’est sportif. Surtout qu’il n’y a pas toujours 4 renvois.

Il est déjà 09h05, vite, on a pris du retard. Le couloir devant votre bureau est noir de monde, vous rangez un peu votre bureau pendant que votre greffière sort faire l’appel des dossiers.

Païkan et Éléa

Le premier dossier est celui de Païkan et Eléa. Ils entrent tous les deux dans votre cabinet, chacun précédé de son avocat. Ils sont jeunes et ont la mine anxieuse de ceux qui passent pour la première fois devant le JAF et ne savent pas exactement ce qui les attend[4]. C’est Païkan qui a déposé la requête qui vous saisit. Il est donc demandeur. Son avocat choisit de prendre la parole tout de suite. Vous êtes encore dans le brouillard et vous le laissez faire[5].

L’exposé de l’avocat du père

Il dépeint rapidement la situation du couple. Païkan et Eléa ont tous les deux 32 ans. Ils se sont rencontrés à l’été 2004 et ont très vite emménagé ensemble. Deux enfants sont nés. Léo a aujourd’hui quatre ans et demi ; Léa, elle, n’est âgée que de deux ans et huit mois. Le couple est séparé depuis le mois de juin 2011, suite à une mésentente persistante des parents.

Au moment de la séparation, ils ont d’abord décidé qu’ils allaient se débrouiller sans juge et régler les problèmes liés aux enfants entre eux. Après tout ils se séparaient car ils ne s’aimaient plus, mais ils s’entendraient encore suffisamment dans l’intérêt des enfants[6]. L’avocat explique que, d’un commun accord, ils se sont partagés les vacances d’été 2011 par quinzaines, comme on fait souvent lorsque les enfants sont petits, surtout pour Léa, qui n’avait que deux ans fin-juin : les quinze premiers jours de juillet et d’août chez papa, le reste chez maman. Tout s’est très bien passé, comme en attestent les amis et les voisins qui ont vu le père et ses enfants heureux en vacances sur le bassin d’Arcachon.

L’avocat poursuit en expliquant qu’à compter de la rentrée scolaire de Léo, début-septembre, les parents ont mis en place pour les deux enfants une résidence alternée, mais qu’elle n’a duré que jusqu’à mi-octobre, date à laquelle la maman a décidé unilatéralement de garder les deux enfants chez elle. La directrice de la crèche de Léa atteste qu’en septembre, une semaine sur deux, c’est le père qui venait l’accompagner et sa nouvelle concubine qui venait la rechercher. Depuis la mi-octobre, Païkan ne voit ses enfants qu’au gré de la bonne volonté de son ex, un ou deux week-ends par mois, et encore. C’est précisément pour ça qu’il a déposé une requête devant le JAF à ce moment là.

Il dit qu’il ne comprend pas ce revirement inattendu dans l’attitude de la mère, que la résidence alternée se passait très bien et que les deux enfants étaient heureux chez lui. La mère ne veut pas laisser sa place au père et a du mal à se séparer des enfants, elle fait tout désormais pour faire obstruction aux droits du père. Il produit des attestations de toute sa famille, de quelques amis et de collègues, qui disent l’avoir déjà vu en compagnie de Léo et de Léa et qui certifient que c’est un bon père de famille. Un médecin généraliste atteste quant à lui qu’il a vu le père venir consulter deux fois pour ses deux enfants, le samedi 17 septembre et le mardi 11 octobre 2011.

Païkan demande donc la mise en place d’une résidence alternée. Techniquement, ce mode de garde est tout à fait réalisable car il habite à 25 minutes à peine en voiture de l’ancien domicile du couple, où Eléa est restée vivre après la séparation, et à côté duquel se trouve l’école et la crèche des enfants. Il justifie qu’il peut s’arranger avec son employeur pour aménager ses horaires de travail pour pouvoir accompagner Léo à l’école tous les jours et venir le rechercher le soir car c’est sur le chemin de son travail. Quant à Léa, il explique qu’elle est en crèche et qu’il pourra aussi l’accompagner et venir la rechercher, ou qu’à défaut, sa nouvelle concubine pourra le faire car elle passe bientôt son permis de conduire.

L’avocat du père concède que le nouveau logement de son client est modeste puisqu’il s’agit d’un trois pièces de 39 mètres carrés mais il y a quand même une chambre pour le couple et une pour les deux enfants, dans laquelle ils ont très bien vécu en résidence alternée en septembre et octobre. Il produit quelques photos sombres d’une chambre avec un lit superposé et un lit bébé en dessous, et des jouets d’enfant. On ne voit pas grand chose. Il dit qu’il cherche un logement plus grand dans le même secteur.

Enfin, il conteste que la résidence alternée soit mauvaise pour un enfant en bas âge. Il dit que les spécialistes ne sont pas unanimes du tout, que le législateur lui non plus n’a pas pris position car il n’a pas fixé d’âge minimal, et que ce qui compte c’est l’intérêt des enfants de ce couple là et non pas de grands principes absolus, et qu’en l’espèce, de septembre à mi-octobre, Léo et Léa allaient parfaitement bien en résidence alternée, alors qu’il les trouve tristes depuis qu’ils vivent chez leur mère et que Léo, notamment, pleure à chaque fois qu’il doit quitter son père pour retourner chez sa mère le dimanche soir.

À la fin de sa plaidoirie, l’avocat expose que son client est ingénieur en informatique, il travaille dans la même société depuis huit ans, il a un revenu de 3.200 € par mois. Il vit avec sa nouvelle concubine depuis août 2011, elle travaille dans la même entreprise mais à mi-temps seulement et perçoit un salaire de 1.450 € par mois. Ils paient ensemble un loyer de 900 € et Païkan rembourse un crédit auto de 350 € par mois, outre des mensualités de crédits à la consommation pour 290 € par mois pendant encore un an. Il propose que les frais scolaires et extrascolaires des enfants soient pris en charge par les deux parents à parts égales.

Subsidiairement[7], il sollicite de voir ses enfants tous les week-ends, du vendredi à la sortie des classes au lundi matin à la rentrée des classes, et offre de payer une pension alimentaire de 400 € par mois (200 € par enfant).

L’exposé de l’avocat de la mère

L’avocat de la mère commence son propos en se disant très étonné de ce qu’il vient d’entendre de l’autre côté de la barre[8]. Il tient à replacer les faits dans leur contexte. Il expose que le couple s’est séparé suite à différents épisodes de violences du père sur la mère, qui ont débuté lorsque sa cliente était enceinte de Léa, puis que l’ambiance dans le couple s’est dégradée jusqu’à la séparation. D’ailleurs, Païkan a fait l’objet d’une médiation pénale[9] en avril 2010 suite à de graves violences commises sur la mère de ses enfants.

Lorsque le couple s’est séparé en juin 2011, Eléa était très affaiblie psychologiquement et a accepté les conditions de Païkan, c’est-à-dire le partage des vacances d’été par quinzaines. Mais les difficultés ont tout de suite commencé car le père ne la laissait pas parler à ses enfants au téléphone et refusait de lui donner des nouvelles lorsqu’ils étaient chez lui, et ce alors que Léa a été malade pendant une semaine début-août, ce qu’elle n’a su qu’après le 17 août, quand le père lui a rendu l’enfant, avec deux jours de retard d’ailleurs.

Elle conteste qu’il y ait eu une résidence alternée en septembre-octobre et dit que les enfants vivaient chez elle au quotidien mais que leur père usait d’un large droit de visite et d’hébergement, ce qui le conduisait à héberger les enfants parfois trois ou quatre jours dans la semaine. Elle conteste aussi qu’il y ait eu un accord entre les parents et dit simplement qu’elle ne voulait pas braquer son ex, et qu’elle le laissait donc faire un peu comme il voulait. Elle produit une attestation de la directrice de l’école du 20 janvier 2012 qui indique qu’elle la voit régulièrement accompagner et rechercher Léo, qui ne présente aucune difficulté particulière à l’école, est éveillé et semble très épanoui.

Elle précise qu’à la mi-octobre, elle a récupéré Léa en pleurs un dimanche soir au retour de chez son père et que l’enfant avait 38°C de fièvre, sans que le père ne l’ait accompagnée chez le médecin. Elle ajoute que, vu que les droits de visite et d’hébergement du père n’étaient pas fixés, les enfants n’avaient pas de cadre et n’arrivaient pas à comprendre quand ils seraient chez leur père ou chez leur mère. C’est pour ça qu’elle a décidé de garder les deux enfants et qu’elle a déposé une main courante au commissariat.

Elle dit qu’elle ne souhaite pas priver les enfants de leur père et reconnaît leur attachement à celui-ci ainsi que ses qualités éducatives et pédagogiques, simplement elle a eu peur qu’en lui confiant les enfants pour un week-end, il les garde chez lui et ne les lui rende plus, comme il avait menacé un jour de le faire, avant leur séparation. C’est pour ça qu’elle a freiné des quatre fers pour les droits de visite et d’hébergement et qu’elle n’y a consenti que lorsqu’il était trop insistant pour voir Léo et Léa.

Enfin, elle dit que désormais, les enfants ont pris l’habitude de vivre chez elle depuis quatre mois et de ne voir leur père que certains week-ends. Ils se sont habitués à ce cadre stable et il convient donc de le maintenir, surtout qu’une résidence alternée pour un enfant de deux ans et demi, ce n’est pas sérieux du tout, comme le disent tous les pédopsychiatres. D’ailleurs, elle produit deux articles de deux médecins qui vont dans ce sens.

Elle ajoute que la résidence alternée suppose un minimum d’entente entre les parents, alors qu’ils n’arrivent plus du tout à communiquer depuis la mi-octobre.

La mère s’oppose donc à la mise en place d’une résidence alternée, elle demande à ce que la résidence habituelle des enfants soit fixée chez elle, avec un droit de visite et d’hébergement habituel pour le papa, c’est-à-dire un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Elle dit cependant ne pas être opposée à un droit de visite et d’hébergement élargi, par exemple en ajoutant, une semaine sur deux, une journée pour le père, du mardi soir au mercredi soir. Elle sollicite que la contribution du père pour l’entretien et l’éducation des enfants[10] soit fixée à la somme de 1.000 € par mois (500 € par enfant).

L’avocat fait le point sur la situation personnelle de la mère, qui a repris en octobre un travail d’assistante infographiste après une longue période d’arrêt maladie. Elle vit seule, et perçoit un salaire de 1.150 € par mois, avec les allocations familiales de 125 € et une aide personnalisée au logement (APL) de 400 €, pour un loyer de 750 €. Elle règle chaque mois des mensualités de crédit à la consommation de 114 €.

La parole du père

Païkan précise que les violences, c’était juste une claque un jour où elle l’avait vraiment provoqué, début 2010. Il dit que d’ailleurs il n’a pas été condamné, ils sont juste allés voir un Monsieur qui lui a dit de ne pas recommencer, ce qu’il n’a jamais fait depuis, car c’était juste un accident isolé, qu’il regrette d’ailleurs. Il ajoute qu’en tout cas il n’y a jamais rien eu sur les enfants ou devant eux, que Eléa est instable et était parfois difficile à supporter, surtout depuis qu’elle était enceinte de Léa.

Il maintient qu’il y avait bien un accord entre les deux parents sur une résidence alternée et le dit en regardant son ex droit dans les yeux et en disant qu’il ne comprend pas pourquoi elle dit le contraire aujourd’hui. Il dit qu’il a besoin de voir ses deux enfants et qu’eux ont besoin de le voir bien plus pour être équilibrés. Leur chambre les attend chez lui.

La parole de la mère

Eléa a la parole en dernier. Elle ne rajoute rien sur les violences et reconnaît que Léo réclame souvent son papa, mais qu’elle a peur de lui confier l’enfant. Elle dit qu’effectivement elle a traversé une période de dépression avant et pendant la grossesse de Léa mais qu’elle va beaucoup mieux aujourd’hui. Interrogée sur ce point, elle déclare que Léo s’entend bien avec la nouvelle concubine de son papa mais elle trouve qu’une résidence alternée va à nouveau perturber la sérénité des enfants, qui ont été affectés par la séparation parentale et ont trouvé un mode de vie qui leur convient à son domicile.

Épilogue

L’affaire est mise en délibéré. La décision sera rendue dans un mois.

Les avocats vous remettent leurs dossiers, qui contiennent de nombreuses pièces. Dans cette affaire, après lecture attentive, aucune pièce n’apparaît déterminante à l’exception de celles dont il a été fait état plus haut. Chaque parent produit en effet une dizaine d’attestations de proches disant qu’il s’agit de bons parents qui savent bien s’occuper de leurs enfants, lesquels sont heureux à leur contact.

Voici les possibilités que la loi (c’est-à-dire les articles 373-2 et suivants du code civil) vous offre :

Le quotidien de Léo et de Léa est entre vos mains. Votre décision sera exécutoire par provision, c’est-à-dire qu’elle s’exécutera même s’il en est fait appel, le temps que l’appel soit jugé (ce qui peut prendre jusqu’à un an et demi…).

N’oubliez pas de motiver votre décision, c’est obligatoire mais surtout, Païkan et Eléa comprendraient mal qu’on leur impose quelque chose sans le leur expliquer. L’un d’eux ferait alors encore plus probablement appel.

Le délibéré sera rendu sur ce blog dans une semaine.

Notes

[1] La notion d’autorité de chose jugée est toutefois très relative devant le juge aux affaires familiales, puisque l’article 373-2-13 du code civil dispose notamment que : « les dispositions contenues dans la convention homologuée ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non. »

[2] Bien que malheureusement, faute de moyens, certains juges sont conduits à prendre des audiences sans greffier, ce qui est à la fois illégal et dangereux, car personne ne pourra attester de la réalité des propos qui ont été tenus et des demandes qui ont été formulées à l’audience. Il sera par exemple difficile de formuler une requête en omission de statuer si la demande n’a pas été consignée par le greffier dans les notes d’audience. Il s’agit d’un des nombreux accommodements procéduraux induits par le manque de moyens de la justice, et d’un motif d’annulation de la décision rendue…

[3] Mais les gens attendent déjà entre trois et dix mois (selon les TGI) entre le dépôt d’une requête et la date de l’audience, et prendre moins de dossiers par audience conduirait inéluctablement à allonger ce délai déjà bien trop long.

[4] Pour le juge en revanche, ce contentieux est malheureusement un contentieux de masse (15 dossiers par audience plus les dossiers de renvoi, une audience de ce type chaque semaine, sans compter les autres audiences relatives aux autres contentieux, exposés en introduction…), et il faut se faire violence pour se souvenir que les justiciables qui entrent dans le bureau dorment parfois très mal depuis une semaine.

[5] Alors que, généralement, on commence par relever les points d’accord entre les parties, pour concentrer le temps d’audience sur les points de désaccord. Ici, le seul point d’accord semble être l’exercice en commun de l’autorité parentale par les parents sur les deux enfants.

[6] On voit parfois des parents qui nous saisissent alors qu’ils n’ont aucun point de désaccord entre eux, mais simplement parce qu’ils pensaient que le passage devant le juge était obligatoire en cas de séparation. C’est donc l’occasion de rappeler que les gens sont adultes et peuvent très bien s’occuper de leurs enfants sans l’intervention d’un juge, qui n’a lieu d’être saisi qu’en cas de désaccord entre les parents, ou bien, si ceux-ci sont d’accord sur l’ensemble des points, si pour une raison X ou Y ils souhaitent que leur accord prenne la forme officielle d’un jugement.

[7] C’est-à-dire, si il n’était pas fait droit à sa demande principale, qui est d’instaurer une résidence alternée, et qu’il est fait droit à la demande d’Eléa, qui consiste à fixer la résidence habituelle des enfants chez elle.

[8] Ce qui veut dire, en jargon judiciaire, « ce que vient de dire mon contradicteur »

[9] Il s’agit d’une procédure alternative aux poursuites.

[10] C’est le nom que la loi donne à la traditionnelle « pension alimentaire ».

Rectificatif : Berryer Bruno Gaccio

mardi 6 mars 2012 à 16:10

Attention, la Berryer de Bruno Gaccio est reportée au vendredi 9 mars, même lieu même heure.

Voilà. Ce sera un des billets les plus courts de ce blog.

Apostille à la procédure 2012/01

lundi 5 mars 2012 à 15:36

Comme promis, je reviens sur le récit en six épisodes qui vous a, je l’espère, tenu en haleine, et renouvelle mes remerciements à Gascogne et Fantômette pour leur participation et tout spécialement à Titetinotino pour avoir fourni l’essentiel du travail, que je me suis contenté de tenter de ne pas saccager.

L’objet de ce récit était de montrer, de manière si possible plaisante à lire, et avec un peu de suspens, comment se passe une véritable enquête au stade de la garde à vue, et comment les différents intervenants la perçoivent, avec chacun leurs préoccupations qui, pour être différentes, visent toutes à une meilleure justice.

Le fait qu’André était innocent et que cela a pu être démontré dans le temps de la garde à vue est ce qui donne tout l’intérêt à ce récit. Il ne vise à aucune démonstration, que ce soit rappeler que la garde à vue peut s’appliquer à des innocents (c’est une évidence, d’autant qu’il y avait avant la réforme dix fois plus de gardes à vue que de condamnations pénales chaque année, quelques innocents devaient bien se glisser dans les centaines de milliers de gardes à vue n’aboutissant pas à une condamnation), ou que c’est grâce à l’avocat qu’André s’en est tiré, parce que, dans les faits, ce n’est pas le cas.

C’est là le premier point que je souhaite développer. Dans la réalité, André n’a pas eu d’avocat lors des auditions et confrontations, tout simplement car nous étions avant la réforme et il n’y avait pas droit. Cela n’a pas empêché Tinotino et son équipe de découvrir son innocence car André s’est souvenu tout seul de son alibi en cours de garde à vue. Et je me suis mis dans l’état d’esprit dans lequel je suis quand j’interviens en garde à vue au titre de la commission d’office : la plus grande prudence à l’égard du client. Nous découvrons le client pour la première fois et lui aussi. Nous avons un entretien de 30 minutes, et 30 minutes, mon dieu que c’est court. À ce propos, préparez-vous, amis procureurs et policiers, après l’accès au dossier, notre revendication suivante sera de pouvoir nous entretenir à nouveau avec notre client chaque fois que nécessaire et en tout état de cause, avant chaque interrogatoire et audition. Et oui, nous l’obtiendrons aussi. À vous de voir si ce sera de vous, gentiment, ou de Strasbourg, aux forceps.

Cet entretien de 30 minutes est trop court, car, comme on le voit dans l’épisode 3, il faut faire connaissance avec le client, l’apprivoiser, le rassurer, lui inspirer confiance, le briefer sur ses droits, sur la procédure (car comprendre ce qui se passe est la première chose qui permet de redresser la tête), et désormais, organiser un tant soit peu la défense avec le peu de temps qu’il nous reste.

Ce d’autant qu’il y a la règle des trois instincts.

J’emprunte cette règle à Will Gardner, protagoniste de la très bonne série The Good Wife, habilement traduit en français par “The Good Wife”. Elle apparaît dans l’épisode S02E10, “Breaking Up”, en français “le dilemme du prisonnier”, diffusé sur M6 le 17 novembre dernier. Dans cet épisode, Will Gardner défend un client accusé avec sa petite amie du meurtre d’un pharmacien au cours d’un vol de toxiques. L’accusation manquant de preuves, elle propose un arrangement comme le droit anglo-saxon le permet : celui des deux qui dénonce l’autre prend 8 mois de prison pour vol simple, l’autre encourra 25 ans minimum pour meurtre durant la commission d’un délit. Sachant que si les deux se taisent, ils n’auront rien, car il n’y a pas de preuve. Les économistes reconnaissent là le schéma classique du dilemme du prisonnier, et pourront se ruer sur MegaUpload chez un vendeur de DVD trop chers pour savoir comment ça finit.

Lors de son entretien avec son client, Will Gardner lui dit ceci.

— “Votre premier instinct sera de nous mentir. Votre deuxième instinct sera de nous mentir, encore. Alors nous avons besoin de votre troisième instinct, car le temps presse.”

Et effectivement, leur client leur mentira deux fois, mettant gravement en péril sa défense, avant de dire la vérité.

Cette règle est assez exacte (sans donner au chiffre 3 une valeur thaumaturgique). Le premier instinct est de mentir, car il y a toujours cette pensée enfantine qu’on peut s’en sortir avec un gros mensonge. Et celle réconfortante que si l’avocat nous croit, c’est que ça tient la route. Et si le mensonge s’effondre, ce sera souvent un autre mensonge qui prend sa place. Tout particulièrement quand le client ne nous connait pas, ce qui est le cas pour les commissions d’office. L’avantage des clients payants, c’est qu’ils ne nous font pas venir pour nous mentir à 200 euros de l’heure (hors taxe).

Donc quand un client en garde à vue me dit “maître, je n’ai rien fait”, mon premier instinct à moi est de ne pas le croire sur parole. Généralement, s’il est en garde à vue, c’est qu’il y a une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison. Tout simplement parce que c’est le critère légal de la garde à vue (art. 62-2 du CPP). Je précise néanmoins “généralement” car j’ai assisté à des gardes à vue où ces critères n’étaient manifestement pas constitués (trois fois depuis le 15 avril dernier). Je n’ai jamais manqué de le faire observer par écrit, et ces trois fois, les gardes à vue ont rapidement pris fin sans suites pour mon client. J’aime penser que je n’y fus pas totalement pour rien. Les policiers ont d’ailleurs un charmant oxymore pour parler de ces gardes à vues injustifiées hormis par le fait qu’elles permettent l’assistance d’un avocat : des gardes à vue “de confort”. Cela démontre l’urgence à permettre aux avocats d’assister aux auditions libres : plus besoin de gardes à vue de confort qui encombrent les cellules inconfortables et très accessoirement portent inutilement atteinte à la liberté de citoyens.

Il m’est arrivé de ne pas croire sur le coup un client qui s’est avéré innocent par la suite. Ce n’est pas grave, car c’est le contraire qui peut mettre la défense en péril. Cela oblige à une lecture critique de la version du client, à rechercher les contradictions, les invraisemblances, et à les signaler au client, diplomatiquement mais fermement. Et quand à la fin, notre conviction bascule, on sait que les éléments du dossier sont avec nous. Et pour ma part, je pense que face à une personne que tout accable, il est du devoir de l’avocat de ne pas l’accompagner dans ses mensonges mais d’essayer de le convaincre de reconnaître les faits, dans une stratégie de limitation des dégâts qui est tout à fait valable car conforme à l’intérêt du client.

Ce qui m’amène au deuxième point que je voulais aborder, et que je dédie tout particulièrement à Simone Duchmole : le rapport des avocats à la vérité. Nous entrons ici dans les terres glissantes des préjugés et des idées reçues.

Simone a tendance à mettre sa position d’Officier de Police Judiciaire (OPJ) sur un plan moralement supérieur à celui de l’avocat de la défense, car elle recherche la vérité, tandis que l’avocat cherche… à défendre son client. Sous-entendu : quand la vérité est contre nous, le mensonge devient notre allié naturel. Cette position est très représentative de l’opinion générale des policiers, car j’entends très souvent cet argument lors des discussions informelles que je peux avoir avec des OPJ lors de mes diverses interventions. Ce contact prolongé avec les avocats (et des avocats avec les policiers) est nouveau, et nous en sommes encore à la phase de faire connaissance ; ces conversations sont mutuellement enrichissantes et montrent s’il en était besoin que ce n’est pas la guerre dans les commissariats.

Mettons donc les choses au point. La recherche de la vérité, c’est bien. Le respect de la loi, c’est mieux. Les policiers sont préoccupés par le premier ? Alors il faut que quelqu’un se préoccupe du second. Ce quelqu’un, c’est au premier chef l’avocat. Je n’oublie pas le parquet, qui a également ce rôle car il est composé de magistrats, pas indépendants certes mais des magistrats quand même, mais le parquetier est loin. Il suit le dossier par téléphone selon les compte-rendus que lui fait l’OPJ, compte-rendus auxquels ni le gardé à vue ni l’avocat ne peuvent assister. Cela ne me paraît pas anormal, mes adversaires ont aussi droit à la confidentialité de leurs entretiens, encore qu’il serait bon que l’avocat puisse s’il l’estime nécessaire parler directement au procureur plutôt que par le biais d’observations écrites ou de l’OPJ, pour lui faire part directement d’un problème, ce serait un début d‘habeas corpus. Après tout, notre métier consiste à nous adresser à des magistrats.

Un exemple simple pour illustrer le fait qu’il y a plus important encore que la recherche de la vérité. Personne n’admettrait que l’on torturât des gardés à vue pour la manifestation de la vérité. Pourtant, cette méthode peut s’avérer efficace. Mais elle est illégale. Il y a donc bien des valeurs supérieures à la vérité. La question de la torture est réglée en France depuis la fin de la guerre d’Algérie, mais il reste encore bien des dispositions légales à faire respecter.

En outre, et surtout, la mission de l’avocat est de suivre la personne soupçonnée lors de la garde à vue, puis devant le tribunal quand elle est prévenue, après le cas échéant l’avoir suivie chez le juge d’instruction quad elle est mise en examen. Que la vérité se manifeste ou pas. Et il y a bien des dossiers où elle ne se manifestera jamais avec certitude. C’est frustrant, mais on apprend à faire avec. Bien des clients nieront les faits, farouchement, avec la dernière énergie, même si bien des éléments l’accablent. Le doute doit lui profiter, mais en France, la règle est celle de l’intime conviction du juge, notion bien plus floue que le “au-delà d’un doute raisonnable” (Beyond a reasonable doubt) anglo-saxon. Tous les avocats faisant du pénal se sont retrouvés un jour à plaider le doute dans un dossier, sans aucune certitude quant à la culpabilité ou l’innocence de leur client, précisément parce que cette incertitude devrait signer la relaxe, et ont entendu le tribunal reconnaître pourtant leur client coupable, sans autre explication que la formule copiée-collée “Attendu qu’il ressort des éléments du dossiers qu’il convient de déclarer le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés”. Je ne doute pas de la sincérité de la conviction du juge, je suis même prêt à admettre que la plupart du temps, elle est exacte ; mais je dois à la vérité, puisqu’on parle d’elle, de dire aussi que certaines de ces condamnations reposent sur une intuition éthérée et non sur les faits du dossier, et qu’il y a certaines formations de jugement où cette intime conviction se formera plus facilement que devant d’autres. Et oui, il m’est arrivé de plaider la relaxe au bénéfice du doute même quand mon intime conviction à moi était que mon client était bien l’auteur des faits dont il était accusé, tout simplement parce que mon intime conviction peut se tromper.

Tenez, un exemple pour illustrer cela. J’ai eu un jour à défendre une jeune femme qui avait très mal vécu une rupture d’une relation passionnelle, surtout que son Roméo était allé voir une autre Juliette. Elle s’était livrée à plusieurs harcèlements téléphoniques, l’avait copieusement insulté sur Facebook, et l’attendait parfois en bas de chez lui pour l’agonir d’injures, ce qui avait donné lieu à des dépôts de plainte. J’ai été commis d’office pour l’assister lors de la prolongation de sa garde à vue : elle n’avait pas souhaité d’avocat pour les premières 24 heures, mais sa nuit en cellule l’avait convaincue que quelque chose de grave se passait. Je lis sur le PV de notification des droits “menaces de mort réitérées”. C’est tout ce que je sais en entrant dans le local à entretien. Elle nie farouchement avoir fait quoi que ce soit. J’arrive à obtenir d’elle des informations : elle a été arrêtée à la terrasse d’un café où elle prenait tranquillement une consommation, café qui, par le plus grand des hasards selon elle, est en bas du travail de Roméo. Je lui ai demandé ce qu’elle y faisait, elle me répond qu’elle avait rendez-vous avec une amie pour aller faire du shopping sur les Champs-Elysées. Là, tous mes signaux d’alarme se déclenchent. Je lui fais remarquer que le quartier où elle a été arrêté est un quartier de bureaux, fort loin des Champs et de chez elle ; que cela fait 24h qu’elle est en garde à vue, ce qui a laissé le temps à la police d’entendre sa copine, de relever des vidéo-surveillances voire de demander des bornages à son opérateur de téléphonie, c’est à dire savoir avec précision où était son téléphone mobile, et donc elle, à l’heure des faits. Elle ne me croit visiblement pas, elle ne pense pas que la police pourrait se livrer à autant d’investigations, et maintient qu’elle dit la vérité. Premier instinct. Je lui conseille donc face à cette position très dangereuse dans l’ignorance des preuves réunies de ne plus faire de déclarations et de garder le silence tant qu’elle n’a pas accès au dossier par l’intermédiaire de son avocat.

L’audition a lieu dans la foulée, et l’OPJ commence par lui demander de raconter à nouveau sa version des faits. Là, mes voyants d’alerte passent du rouge à l’écarlate, avant de passer à l’Hortefeux quand l’OPJ insiste sur le trajet qu’elle a fait pour arriver à ce café. Et ça ne manque pas : une fois qu’elle eut bien redit ses mensonges, l’OPJ lui annonce qu’il a parlé à sa copine, qui a dit qu’elle était en cours hier et a confirmé qu’il n’avait jamais été convenu qu’elles iraient faire les courses ce jour là. Ma cliente hausse les épaules et dit que ce n’est pas vrai, sa copine n’a pu dire ça. Deuxième instinct. Je fais signe discrètement à ma cliente de se taire, pendant que le policier cherche dans le dossier et en sort les réquisitions à opérateur téléphonique, qui indiquent que le téléphone mobile de ma cliente a curieusement eu le même trajet à la même heure que Roméo quand il se rendait au travail, Roméo qui déclare que Juliette l’a suivi dans le métro et lui a dit diverses joyeusetés dont un “tu ne profiteras pas longtemps de cette pétasse, tu vas voir, j’ai un cousin qui va te crever”. Notez que c’est à ce moment seulement que je découvre enfin le cœur des charges pesant contre ma cliente. Face à tous ces éléments faisant voler en éclat son histoire, ma cliente décide, mais un peu tard, troisième instinct, de fermer sa jolie mais trop grande bouche et ne fera plus de déclarations jusqu’à la fin de la garde à vue, qui se terminera pas un défèrement pour placement sous contrôle judiciaire en attendant l’audience de jugement.

J’ai pu suivre ce dossier jusque devant le tribunal et quand enfin j’ai pu accéder au dossier, j’ai constaté que Roméo n’avait fait état que de cette seule phrase ci-dessus qui lui laissait entrevoir un sort funeste. Cette seule et unique phrase, le reste des propos de ma cliente portant plutôt, selon les cas, sur certains aspects de l’anatomie de Roméo, largement inférieurs aux normes admises par la Faculté de médecine, et à la profession de la mère de celui-ci, qui serait de nature à jeter l’ombre d’un doute sur la réalité de son lien de filiation légitime. Or la menace de mort, pour être punissable, doit être matérialisée par un écrit ou un objet, proférée sous condition, ou réitérée, c’est à dire proférée deux fois dans un intervalle de trois ans. Rien dans le dossier n’établissait cette réitération, et il n’était même pas allégué quecette menace eut été matérialisée ou proférée sous condition. Ce n’est qu’à l’audience que Roméo, désormais assisté d’un avocat, et ajouterais-je d’un procureur qui eut la délicate attention de lui demander “Mademoiselle Juliette vous a bien dit à deux reprises qu’elle allait vous faire tuer, n’est-ce pas ?”, se souvint avec précision qu’en fait, c’était bien deux fois qu’elle l’avait dit. Nonobstant ma brillante plaidoirie, qui arracha des larmes d’admiration à mon stagiaire, Juliette fut déclarée coupable et condamnée à de la prison avec sursis et à indemniser son Roméo, qui aurait plus de chances d’être payé s’il avait prêté à l’Etat grec, si vous voulez mon avis.

Dans cette affaire, à ce jour, je ne sais toujours pas, et ne saurai jamais si Juliette avait ou non par deux fois annoncé à Roméo qu’Atropos se disposait à trancher son fil, et qu’elle-même n’ y serait pas pour rien. Elle a tellement menti au début que ses dénégations sur cette répétition n’étaient plus crédibles (notez qu’elles l’eussent été d’avantage si elle avait gardé le silence au stade de la garde à vue…). J’ai plaidé la relaxe car les faits qu’on lui reprochait (des menaces de mort réitérées à l’exclusion de tout autre délit) n’était pas prouvés dans le dossier, seul les propos du plaignant mentionnant, tardivement puisqu’à l’audience, un deuxième message funeste, alors qu’il n’est pas sous serment et a intérêt à la condamnation de la prévenue. Dans ce dossier, la vérité ne s’est pas manifestée, et pourtant il a fallu juger. Pour la petite histoire, ma cliente n’a pas fait appel.

Dès lors que nous embarquons jusqu’au bout avec notre client, nous devons accepter l’idée que jusqu’au bout, la vérité ne se manifestera peut-être pas avec certitude, et que nous n’aurons à la place que son succédané, la vérité judiciaire, qui n’est pas la vérité tout court, qui elle n’a pas besoin d’être accompagnée d’une épithète. Il nous faudra néanmoins présenter une défense, qui devra forcément aller dans le sens de l’intérêt du client. Je comprends que quand il boucle son enquête sans que cette vérité ne se soit manifestée, le policier ressente un sentiment de frustration, voire d’échec. Pour l’avocat, ce bouclage d’enquête n’est pas une fin, ce n’est qu’une étape de la procédure, qui devra aller à son terme. La vérité se manifestera peut-être à l’audience (elle le fait volontiers, et parfois de manière inattendue), ou peut-être pas. On apprend à faire avec, ce qui forcément fait que nous ne sommes pas obsédés par elle. Entendons-nous bien : nous aimons les dossiers où la vérité s’est manifestée, où la preuve de la culpabilité a été apportée avec la clarté du soleil de midi, car c’est plus confortable pour nous ; et dans ces cas, nous nous démenons pour convaincre notre client de reconnaître les faits car cela est conforme à ses intérêts : il est plus facile de plaider une peine clémente quand quelqu’un assume sa responsabilité, reconnaît avoir mal agi, et exprime des regrets qui sonnent vrais, car cela laisse penser à un très faible risque de récidive, qu’en présence d’un prévenu qui nie l’évidence et traite tout le monde de menteur, à commencer par les policiers en charge de l’enquête (ce qu’on appelle la défense Titanic).

La recherche de la Vérité est le ministère des philosophes. Nous, pauvres avocats, acceptons notre humaine condition avec humilité. Nous nous replions sur la recherche de la légalité, qui est un terrain moins meuble pour bâtir une procédure. Et subissons avec résignation les quolibets de ceux à la vue un peu basse qui, pour ne pas risquer de céphalée en pensant un peu trop fort, se réfugient dans le doux cocon des idées reçues.

Et à ce propos, pour répondre aux interrogations de mes lecteurs, je n’ai toujours pas de nouvelles de la plainte de l’Institut pour la Justice.

Avis de Berryer : Bruno Gaccio

mercredi 29 février 2012 à 15:49

Peuple de Berryer !

Non.

Non.

NON !

La promotion 2012 de la Conférence ne t’a pas oublié. Elle reculait pour lieux sauter, et attendait le printemps pour mieux éclore.

C’est pourquoi elle te convie le jeudi 8 mars 2012 à 21 heures, en Salle des criées, où elle recevra Bruno Gaccio, humoriste, scénariste et producteur de télévision français.

Les sujets bien traités par les candidats maltraités seront les suivants :

1. Faut-il faire le guignol pour être un gars si haut ?



2. Voter blanc, est-ce faire de l’humour noir ?

Le rapport sera dressé par Mademoiselle Madame Anne-Sophie Laguens, 11ème Secrétaire.

Rappelons les règles du Berryer Club :

Première règle : on peut parler de la Berryer.

Deuxième Règle : l’entrée est libre, et la sortie aussi, dans la limite des places disponibles pour la première.

Troisième Règle : si tu arrives après 19 heures, tu joues avec le feu. Si tu arrives à 20 heures, autant ne pas arriver.

Quatrième Règle : les éventuels candidats et eux seulement doivent contacter M. Pierre Darkanian, 4ème Secrétaire.

Bonne Berryer à tous.