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Maitre Eolas

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Le législateur est-il un être doué de raison ?

vendredi 18 avril 2014 à 23:34

La nouvelle juridique de la semaine colportée par les médias était donc que le Code civil cessait de considérer les animaux comme des meubles mais leur reconnaissait le statut d’être doué de sensibilité. Les commentaires journalistiques étaient des variations autour du thème “Ah ben quand même il était temps, LOL mais qu’ils sont bêtes ces juristes, ils ne savent pas faire la différence entre un chat et une chaise”. Et pendant ce temps, les juristes se tapaient la tête contre leur bureau.

Car dans cette affirmation, tout était faux. Des études très poussées, sur des cohortes de milliers de juristes de tous sexe, âge, et nationalité, ont démontré que, même ivres, 105% des juristes savaient faire la différence entre un chat et une chaise (marge d’erreur : 5%).

Pour comprendre ce qu’il en est réellement — le présent s’impose car l’état du droit n’a pas changé d’un iota cette semaine — allons faire un tour dans le monde fascinant du droit.

Rappelons en guise de prolégomènes que le droit est la science qui s’intéresse au rapport des hommes (au sens d’être humain naturellement) entre eux. Robinson seul sur son île déserte vit sans droit. Pas par choix, parce qu’il n’en a pas besoin. Mais qu’arrive Vendredi, et arrive le droit.

La démarche du juriste est un travail de qualification qui peut se résumer ainsi : face à une situation appelant une solution juridique, il va suivre un cheminement qui va l’amener à plusieurs embranchements où il devra choisir le bon pour, une fois arrivé au bout, connaitre avec certitude la règle de droit applicable. L’interprétation de la règle de droit et son application au cas précis (on dit l’espèce) est la deuxième partie du rôle du juriste, mais ici elle ne nous intéresse pas. Allons donc à l’embranchement premier, ce qu’on appelle la suma divisio en droit : la grande distinction première. Pour un juriste, il n’existe que deux grandes catégories juridiques : les personnes, et les biens. Les premiers sont sujets de droit, les seconds, objets de droit.

Engageons nous brièvement sur le chemin des personnes. Nous voici à un nouvel embranchement. D’un côté les personnes physiques, de l’autre, les personnes morales. Les personnes physiques sont les êtres humains, de la naissance, à condition d’être né vivants et viables, à la mort ; les personnes morales sont des créations de la loi, des entités auxquelles la loi donne la qualité de sujet de droit. Citons l’Etat et ses émanations (régions, départements, communes), les sociétés  commerciales, les associations à but non lucratif dite “Loi 1901”. Les personnes ont un patrimoine, peuvent passer des contrats, et agir en justice. Depuis 20 ans, elles peuvent même être pénalement condamnées. Depuis 1848, les deux catégories sont étanches. On ne peut passer de l’une à l’autre. Avant, c’était le cas, par l’esclavage, qui faisait passer l’être humain du statut de personne au statut de bien (l’affranchissement lui faisait effectuer le chemin inverse).

Le chat n’étant ni une personne physique, faute d’être humain, ni une personne morale, faute de la moindre moralité, c’est nécessairement dans la catégorie des biens qu’il se situe. Attention, le vocabulaire juridique est précis. Un bien n’est pas une chose. Une chose est forcément un bien, mais la réciproque n’est pas vraie.

Et nous voilà devant une nouvelle suma divisio, contenue à l’article 516 du Code civil : “Tous les biens sont meubles ou immeubles”. Les mots meubles et immeubles n’ont pas le même sens en droit que dans le langage courant. Un immeuble est un bien qui ne peut pas se déplacer, un meuble est un bien qui peut se déplacer aisément. Ce que vous appelez un meuble, le juriste l’appelle un meuble meublant. Ce que vous appelez un immeuble, le juriste l’appelle immeuble d’habitation. Ça peut vous paraitre redondant ; sachez que pour lui ça ne l’est nullement.

L’immeuble par nature, c’est la terre, le terrain, le lopin de terre. Et ce que vous construirez dessus, qui y est donc attaché. Quand vous achetez une maison, en fait, vous achetez un terrain qui contient une maison. Lisez l’acte notarié, vous verrez. La loi étend la qualité d’immeuble à toute une série de biens qui sont pourtant des meubles. La lecture de ces articles du Code civil fleure bon la France rurale des années 1800, quand le Code a été rédigé. Sont ainsi immeubles par destination, c’est à dire par l’usage qui leur est attribué, les récoltes pendantes par les racines, les fruits des arbres non encore recueillis, les tuyaux servant à la conduite des eaux, les ustensiles aratoires, les semences données aux fermiers ou métayers, les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les ruches à miel, les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes, les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres usines et les pailles et engrais.

Le meuble par nature est défini à l’article 528 du Code civil : les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère.

Nous y voilà. L’animal est un bien car il n’est pas un homme, et c’est un bien meuble car il peut se déplacer par lui-même, quand bien même si c’est un chat il n’en aura pas souvent envie. La chaise est aussi un bien meuble. C’est la même catégorie juridique jusqu’à cet embranchement. Mais c’est là que leurs chemins se séparent : la chaise est un meuble meublant, entrant dans la catégorie des choses inanimées (car ne se mouvant pas par elle-même). Le chat, lui, continue sa route juridique sur le chemin des animaux.

Juridiquement, quelles conséquences ? Elles sont assez nombreuses, contentons-nous de l’essentiel et renonçons à l’exhaustif. L’essentiel est sur la possibilité d’appropriation. Un bien peut être objet du droit de propriété, une personne, jamais, en aucun cas. Le statut de meuble ou d’immeuble a des conséquences sur la transmission de ce droit de propriété, c’est pourquoi la loi fait de certains animaux des immeubles, car ils sont attachés juridiquement à un immeuble. Ainsi les pigeons des colombiers et les lapins des garennes, ajoutons les poissons des étangs. Quand vous achetez un terrain où se trouve un étang pour aller pêcher les dimanches électoraux, vous vous attendez à ce que l’étang contienne des poissons. Ils sont à vous, quand bien même ils ne seraient pas comptés et mentionnés dans le contrat de vente. Idem si vous achetez une garenne pour tirer le lapin. À la seconde où il vous vend son terrain, le vendeur perd le droit d’emporter sans votre autorisation le moindre lapin, le moindre poisson, le moindre pigeon. La vente d’un immeuble est enfin soumise à certaines conditions de forme et de déclarations (avec des conséquences fiscales).

Pour un bien meuble, la cession de propriété se fait sans forme et la loi vous dispense d’en garder une preuve formalisée, sauf exception. C’est la règle en fait de meuble, possession vaut titre. Si vous êtes en possession d’un bien meuble, vous n’avez pas à prouver que vous en êtes le propriétaire. C’est à celui qui prétend être le propriétaire de le prouver.

Une fois ceci posé, le statut juridique des animaux et des choses diverge totalement pour le reste. Ainsi, la destruction d’une chose vous appartenant est tout à faite légale en principe, alors que la moindre souffrance infligée à un animal vous expose à la prison (pensez à cette affaire de l’homme qui s’est fait filmer en train de projeter un chaton contre un mur : croyez-vous qu’il aurait été condamné à un an ferme s’il avait lancé une chaise ?) Faire d’un animal de compagnie, car c’est d’eux seuls qu’il s’agit dans l’esprit du législateur, je ne pense pas que M. Glavany, Mme Capdevielle et Mme Untermaier aient envisagé que leur amendement pourrait s’appliquer aussi à un ténia, ce qui est pourtant le cas tel qu’il est rédigé puisqu’il parle de”tout animal”, en faire un bien meuble disais-je vous permet de promener votre chien sans avoir avec vous la facture et d’acheter un chiot sans passer devant le notaire.

Ceci ayant été exposé, qu’a donc voté le législateur cette semaine ?

Un amendement qui introduit dans le Code civil un article 515-14 qui proclame “Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels”, outre une série de modifications textuelles qui visent à bien distinguer les animaux des choses inanimées, ce qu’on fait très bien depuis Napoléon, merci.

C’est à dire une vérité d’évidence sans conséquence juridique dans la première phrase, et une proclamation du droit existant depuis 2 siècles dans la seconde. Oui, vous avez bien lu, cet amendement dit expressément que les animaux demeurent des biens.

D’autant que le Code rural dispose dans son article L.214-1Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce”. Oui chers lecteurs, vous ne rêvez pas, le législateur a voté une loi qui existe déjà. Je vous confirme ce que votre intuition vous souffle : voter deux fois une loi n’en fait pas une super-loi ou une über-loi. Ça en fait juste un pléonasme.

Voici donc ajouté au Code civil un article qui n’apporte rigoureusement rien à l’état du droit tel qu’il est depuis deux siècles.

Il manque la cerise sur le gâteau. La voici.

Cet ajout d’un article inutile qui crée une catégorie sans effet a été introduit dans le cadre d’une loi de simplification du droit.

Journal des greffiers en colère

jeudi 17 avril 2014 à 16:08

Depuis une quinzaine de jours, un mouvement sans précédent agite les greffes des tribunaux. Chaque jours, les personnels des greffes se retrouvent en robe sur les marches du palais pour afficher leur colère et leur ras-le-bol des conditions honteuses dans lesquelles on les fait travailler, à gérer en sous effectif les pénuries de tout, en portant à bout de bras cette machine judiciaire qui ne tourne plus depuis des années que grâce à l’abnégation de tous ses agents, des adjoints administratifs aux magistrats.

En tant qu’avocat, je suis le témoin atterré de ce lent naufrage, je vois l’envers du décor et le bricolage qui est le seul mode de fonctionnement de ce qui n’est rien de moins qu’un des trois pouvoirs essentiels de la démocratie, l’expression de la souveraineté du peuple, la contrepartie de l’abandon de la violence privée et la garantie du règne du droit dans les relations entre les hommes. Rien que ça, et je n’exagère pas d’un cheveu.

La coupe est pleine, elle déborde, et c’est un torrent. Vous le savez, et je l’ai répété il y a peu, ce journal est avant tout un lieu d’échange direct entre les intervenants de la justice et les citoyens. Il a accueilli en son temps les paroles des magistrats en colère, puis celle de leurs collègues administratifs. L’auteur de ces lignes confesse volontiers une profonde sympathie pour les greffiers. Le fait que ce corps soit extrêmement féminisé y contribue sans doute, mais pas seulement. Tout jeune avocat a connu un jour une détresse procédurale, perdu dans les méandres des différents codes et pratiques des juridictions, généralement parce qu’il avait été envoyé au casse-pipe par un associé chenu tout aussi ignorant que lui de la question, mais placé plus haut dans la chaîne alimentaire qu’est l’organigramme d’un cabinet d’avocat. Et tous ont été sauvés au milieu de la tempête par la main secourable d’un greffier, qui en une phrase qui pourrait tenir en un tweet, lui donnait la réponse précise à son problème. Et je suis prêt à parier que c’est arrivé aussi aux jeunes magistrats.

Les greffiers ne sont pas les secrétaires des juges. Ca y ressemble, car ils passent leurs journées à taper des documents et à manipuler des dossiers,un peu comme nos secrétaires, et ils répondent en plus au téléphone car personne ne le ferait à leur place. Ajoutons à cela qu’ils gèrent l’agenda de la juridiction, et la ressemblance peut être trompeuse. Les greffiers sont les gardiens de la procédure. Ils sont indépendants des magistrats qu’ils assistent (ils ne sont pas notés par eux notamment) car ils sont là pour, avec leur signature et le sceau de la juridiction (la fameuse “Marianne” même si ce n’est pas Marianne qui y est représentée mais Junon) authentifier le jugement et garantir ainsi avoir personnellement veillé à la véracité de toutes les mentions concernant la procédure. Ce sont eux qui font ainsi des jugements des actes authentiques, à la force probante quasi indestructible.

Sans greffiers, nos demandes ne seraient jamais examinées, les jugements jamais rendus, mes clients jamais libérés (et ceux de mes confrères jamais incarcérés). Sans greffier, pas de justice. Ils sont importants,indispensables, et d’une gentillesse inébranlable malgré les avanies des justiciables et parfois hélas de certains avocats qui les prennent un peu trop pour des laquais. Et comme si leur malheur n’était pas suffisant, la Chancellerie leur a offert Cassiopée, un logiciel codé avec les pieds par des incubes venus de l’enfer le plus méphitique et qui pourrait faire étouffer le rage le Dalaï-Lama s’il lui prenait l’envie de le tester.

Bref, greffiers, et surtout greffières : je vous aime, et suis avec vous de tout cœur.

C’est pourquoi le moins que je puisse faire est de vous offrir ce blog comme porte-voix. Je vous propose donc de faire comme les magistrats que vous avez la gentillesse de garder à l’œil quand nous avons le dos tourné, et de prendre votre plus belle plume document wordperfect et d’expliquer aux mékéskidis qui viennent en ces lieux les raisons de la votre ire, et de leur raconter le quotidien d’un greffier, comment fonctionne la justice aujourd’hui et à quoi elle en est réduit, elle qu’on rend au nom du peuple français. Billet pédagogique, témoignage, récit ou anecdote, tout sera accepté. Soyez libres comme c’est l’essence de vos fonctions.

Envoyez-moi vos textes, sans contrainte de longueur, ni minimale ni maximale, à eolas <at> maitre-eolas.fr. Si vous souhaitez les envoyer avec des gras, italiques, soulignés, ou des liens hypertexte, merci de me les envoyer au format html (enregistrer sous… / format de fichier) ou à la rigueur RTF, je devrais pouvoir me débrouiller. Je garantis votre anonymat, et ne vous demande même pas de me donner votre véritable nom, je saurais je pense déceler un imposteur. Je vous demande juste de choisir un pseudonyme pour signer votre texte, de lui donner un titre (faute de quoi je prendrai le début de la première phrase) et d’indiquer devant quel type de juridiction vous exercez principalement votre sacerdoce. Les adjoints administratifs faisant fonction sont également les bienvenus, car vous êtes les dindons de la farce en exerçant les fonctions de greffiers sans en avoir le statut ni le traitement. Les greffiers en chef sont aussi les bienvenus à s’exprimer, naturellement. Et si des magistrats veulent témoigner de leur vision du rôle du greffier, bi maille gueste comme dirait notre président polyglotte.

Je me propose de publier ces textes mercredi prochain, ce qui vous laisse le week end pascal pour rédiger votre dies iræ. Un conseil : lancez-vous, laissez courir vos doigts, et faites confiance à votre premier jet. Ca vient tout seul après quelques phrases. Je vous attends avec impatience.

10 ans

mardi 15 avril 2014 à 00:39

Il y a tout juste 10 ans de cela, un après midi où un gros dossier que je devais traiter a fait l’objet d’un renvoi in extremis, je suis tombé sur un article “Ouvrez votre blog gratuitement et en quelques minutes”. Cela faisait quelques mois que je traînais sur les blogs des autres, que je squattais les commentaires, en en laissant de plus en plus longs, jusqu’à ce qu’un jour Cali, ma marraine des blogs, me dise après un commentaire aussi long que hors sujet “tu sais, tu devrais ouvrir un blog”. Je me suis dit “quelle bonne idée”. Cela m’a pris des années avant de réaliser qu’en fait, elle me disait d’aller polluer ailleurs. J’étais encore jeune et naïf.

L’idée de contribuer au contenu d’internet, d’y avoir mon site, mon chez-moi, était excitante. J’avais constaté le besoin très grand, et insatisfait à l’époque, d’une information juridique de qualité et compréhensible. À l’époque, la traditionnelle campagne de FUD sur internet visait la LCEN (il y en a toujours une en cours, que ce soit contre la LCEN, la DADVSI, la HADOPI, l’ACTA, le TCE ou la réforme pénale), loi merveilleusement protectrice de l’éditeur de site, tandis qu’en même temps se discutait la loi Perben 2, la plus sécuritaire des lois sécuritaires de la décennie zéro la bien-nommée, et dans l’indifférence générale.

Au moment où j’ai ouvert mon premier blog sur feu la plate-forme u-blog.net, je pensais créer un petit salon où (la tête m’en tournait) 200-300 personnes se retrouveraient pour parler du droit et de la justice.

Quelques clics plus tard, l’aventure commençait.

Et 10 ans plus tard, ce sont 1700 billets, 153 billets mort-nés, que j’ai commencés et jamais achevés, 173630 commentaires, 50 millions de visiteurs uniques, un procès et quelques milliers de trolls humiliés. Ce sont surtout des rencontres avec des gens formidables que je n’aurais jamais connus autrement, et qui me manquent, et à qui je signale que les serrures du blog n’ont jamais été changées, hein.

Ce blog est une aventure épatante, qui n’a été dépassée que par celle d’épouser la plus formidable femme de la terre et grâce à elle (ou au facteur) de devenir père.

Merci à tous ceux qui ont contribué à faire de ce blog un espace de discussion, où on ne prend pas toujours de gants mais toujours la peine de conjuguer ses verbes, que ce soit en billet ou en commentaires, qu’ils soient confrères, magistrats avec ou sans robe, greffiers, policiers et tout le personnel des divers services de la justice et de l’Etat, et à ceux de l’autre côté de l’épée, les citoyens venus lire (c’est déjà beaucoup), et éventuellement participer au débat, sans jamais oublier de se moquer des fâcheux tentant en vain de polluer les commentaires.

Merci à vous tous, qui faites le meilleur de l’internet, d’avoir eu l’idée aussi saugrenue que merveilleuse, de venir faire de ce blog ce qu’il est.

J’en reprends pour dix ans.

« Maman ! »

vendredi 11 avril 2014 à 22:08

La porte du cabinet du juge des libertés et de la détention s’ouvre enfin. Le mis en examen, menotté et sous escorte, et son avocat ont attendu leur semble-t-il plus longtemps que n’a duré l’audience elle-même. La greffière passe la tête : « Vous pouvez entrer. »

Sur le bureau de la greffière, juste à côté de la porte, l’imprimante vomit des pages et des pages. L’avocat tente de lire en passant l’intitulé, voir s’il lit les mot “détention provisoire” ou “contrôle judiciaire”, mais la greffière est une experte et attrape les feuilles en les recourbant pour que leur contenu reste invisible. Elle laisse au juge la charge d’annoncer sa décision.

Son regard se tourne vers le juge. Parfois un regard, un sourire donnent espoir. Mais là, rien. Il a les yeux baissés, et tripote quelques pages du dossier. L’avocat n’est pas dupe. Il a pris sa décision, il n’a plus besoin de lire quelque pièce que ce soit. Il ne veut pas croiser le regard de l’avocat ou du mis en examen. Cette petite pièce jaune blafarde pue la détention provisoire, c’en est suffocant.

La chaise du procureur restera vide. Il est venu, comme le diable jaillissant de sa boîte, requérir le placement en détention provisoire, mais n’a pas à être présent pour le délibéré, qui lui sera faxé, même si son bureau est à quelques couloirs de là, afin de connaître l’heure exacte de l’envoi, à la minute près, pour des raisons de délai.

Cliquetis de chaines ; le gendarme a ôté les menottes au mis en examen, qui s’assoit sur la chaise qu’on lui indique, la même qu’il y a une demi heure, quand le débat a eu lieu. Il a l’air de s’ennuyer un peu, regarde autour de lui, mais aucune décoration ne lui permet de distraire son regard. La fenêtre au-dessus du bureau du juge est noire : tiens, il fait déjà nuit. Il étouffe un bâillement machinal.

Seul son avocat le regarde. Il réalise que son client n’a pas compris ce qui est en train de se passer, malgré les avertissements qu’il lui a donné sur le fort risque de détention, vu le dossier. Il a dû être trop précautionneux, ou faire des phrases trop compliquées. Notre maîtrise du français nous permet de faire des phrases d’une subtilité d’horlogerie, mais parfois, il faut s’adapter. Sujet, verbe, complément. Tu vas sûrement aller au trou. Non, trop compliqué, il y a un adverbe. Tu vas aller au trou.

La greffière apporte les liasses de feuillets sur le bureau du juge, qui la remercie à voix basse. Il chausse ses lunettes et commence : « Je rends ma décision, elle est à ce stade irrévocable, et n’appelle aucun commentaire. Je vais d’abord en donner les motifs avant d’indiquer le sens de ma décision ».

Un coup d’œil rapide de l’avocat à son client lui confirme son intuition. Tu l’as perdu, mec. Sujet, verbe complément. Dis plutôt : inutile de protester. Inutile de pleurer.

Le juge déroule son ordonnance d’un ton monotone qui a fait abandonner le mis en examen avant la fin de la première phrase. D’abord le rappel des faits. Il y a deux jours, à 11 heures, le mis en examen, le visage dissimulé d’une simple capuche et muni d’un pistolet gomme-cogne s’est fait remettre sous la menace le fonds de caisse d’un bar de son quartier qui venait d’ouvrir. Butin de 60 euros. Il a été reconnu par le patron, qui l’avait déjà vu. Les policiers le connaissaient aussi, et pour cause : il avait déjà braqué un autre bar tabac du quartier un mois plus tôt, et avait été aussi facilement identifié et interpellé. Mis en examen, laissé libre sous contrôle judiciaire. Et il remet ça.

À chaque fois, entendu par la police, il déclare faire ça parce qu’il a besoin d’argent. Pourquoi, lui demande-t-on, il habite encore chez sa mère qui le nourrit et l’héberge gratuitement. Réponse d’un haussement d’épaule : « ch’sais pas. Pour m’acheter des trucs…» Et ouais, si tu consommes pas, tu n’es rien, aujourd’hui. L’insouciance de ces propos fait très mal sur procès verbal.

L’usage d’une arme, même s’il affirme qu’elle n’était pas chargée (aucune cartouche n’a en effet été retrouvée lors de la perquisition), entraîne une qualification criminelle, que le parquet a décidé de retenir cette fois, contrairement au premier braquage, simplement qualifié de vol avec violence, en raison de cette réitération si rapprochée.

Le juge explique à présent que bien que le mis en examen ait un domicile certain et suive des études, la nouvelle commission de la même infraction en un délai aussi rapproché fait craindre un renouvellement de l’infraction s’il était laissé libre ; que ce vol a causé un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public ; que dans ces conditions, la détention provisoire est le seul moyen de mettre fin à cette situation, et qu’il décerne un mandat de dépôt.

Le silence qui tombe dans le bureau fait sortir le mis en examen de sa torpeur. Il sursaute, réalise qu’on attend quelque chose de lui mais ne sait pas quoi. Il regarde son avocat, les yeux grands ouverts, interrogateurs. L’avocat sait qu’il ne pourra pas y échapper, qu’il va devoir boire cette coupe jusqu’à la lie.

Sujet, verbe, complément.

« Tu pars en prison. »

Les yeux s’ouvrent encore plus, l’interrogation fait place à la surprise, puis, après quelques secondes, quand l’avocat n’éclate pas de rire pour dire qu’il plaisantait, à la terreur.

« Sérieux ? »

— « Oui. Tu dois signer là. »

Il est paralysé par la terreur. Il ne veut pas, comme si ne pas saisir ce stylo pour griffonner son prénom allait empêcher l’inéluctable.

L’avocat se tourne vers le juge : “Refuse de signer”. Le juge fait la moue mais saisit les procès verbaux pour y faire apposer la mention. Il n’insiste pas. Le juge signe, et tend les documents à la greffière, qui fait signer à l’avocat son procès verbal de remise. Le mis en examen s’est recroquevillé et ses épaules sont agitées de sanglots. Le bruit des menottes que le gendarme a sorti pour les lui passer au poignet fait redoubler ses sanglots.

— « Non, non, non, je ne veux pas !»

— « Pour le moment c’est trop tard, il n’y a plus rien à faire. Je vais faire appel, un référé liberté, même, mais là, c’est fini, il faut y aller maintenant».

Le juge s’est levé et est sorti discrètement de son bureau, l’air de rien. Pour fumer une cigarette, aller aux toilettes, en tout cas pour ne pas assister à ce qui va suivre.

Le gendarme a posé sa main gantée sur l’épaule agitée de soubresauts. « Monsieur, faut y aller, là, sinon je vais devoir employer la force. »

Le mis en examen relève la tête, son visage est inondé de larmes, sa bouche ouverte, il manque d’air pour parler mais ne parvient pas à respirer. Finalement, au prix d’un effort semblant surhumain, il parvient à inspirer bruyamment, et le cri peut enfin jaillir de sa bouche.

« Maman ! Je veux ma maman ! »

Et tout le monde regardera, médusé, passer dans le couloir ce môme de 13 ans et demi, mesurant à peine 1m50, à la voix stridente qui est celle d’un enfant terrorisé, passer menotté en appelant au secours sa maman, vers la prison où vient de l’envoyer son deuxième braquage.

Avis de Berryer : Laurent Wauquiez

vendredi 11 avril 2014 à 17:55

Peuple de Berryer !

La Conférence poursuit ses travaux et recevra mardi prochain 15 avril 2014 à 21 heure en la salle des Criées du Palais de Justice, le seul, le vrai, Boulevard du Palais dans le 1er arrondissement, M. Laurent Wauquiez, agrégé d’histoire, conseiller d’Etat, député, maire, vice-président de l’UMP, et ancien ministre (et il n’a pas 40 ans).

Les sujets traités sont les suivants :

  1. Les Français sont-ils des veaux quiets?
  1. S’en laver les mains suffit-il à les rendre propres ?

Le portrait approximatif de l’invité sera dressé par Monsieur Paul Fortin, 1er Secrétaire.

Entrée libre, sortie aussi, et comme d’habitude, c’est folie de venir après 19 heures.

Bonne Berryer à tous.