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Maitre Eolas

source: Maitre Eolas

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On n’a pas tous les jours vingt ans

lundi 15 avril 2024 à 15:30

Il y a 20 ans aujourd’hui, j’ouvrais ce blog. Il a eu une décennie de forte activité, et une décennie d’un rythme, disons… reposant.

Comme je l’ai déjà écrit, l’envie d’écrire, et les sujets d’inspiration, ne manquent pas, et la dégradation à vue d’œil de l’ambiance sur Twitter contribue à me donner envie de reprendre le temps d’écrire ici.

La difficulté à laquelle je me heurte est totalement extérieure. J’ai une activité professionnelle prenante, et qui se développe de manière continue et tant mieux (merci au parquet pour sa volonté inébranlable de sembler vouloir faire ma fortune). Or mon activité professionnelle est ma priorité : sans elle, je n’aurais plus rien à raconter ici, outre une sombre histoire d’obligation que j’aurais à nourrir mes enfants, fichu code civil, je n'y ai jamais rien compris.

Mais rédiger un billet, c’est comme rédiger des conclusions, une assignation ou un mémoire, selon votre chapelle du droit. On y réfléchit, ça mature, et quand il est prêt dans notre tête, il faut prendre deux à trois heures de rédaction concentrée sans interruption. Et quand j’ai deux à trois heures de libre devant moi, j’ai généralement des conclusions, une assignation ou un mémoire à rédiger, car je pratique les trois chapelles. Il va falloir que j’apprenne à faire court. Ma foi, depuis le temps que je suis sur Twitter, j’ai pratiqué l’art du succinct. Mes prochains billets seront brefs, ne m’en veuillez pas : voyez-y une rééducation à l’exercice.

Je me rends compte aussi que ma série de billets sur le cacagate m’est devenue plus pénible à écrire depuis le décès de celui qui m’a accompagné dans cette épreuve depuis le premier jour, contribuant par son énergie rigolarde à la transformer en sacrés bons moments, je pense bien sûr à Maître Mô.

Je n’arrive pas à me remettre de son absence, je ne suis pas sûr d’en avoir envie d’ailleurs, mais écrire sur le sujet me serre le cœur au point d’en être douloureux. Mais je me dois de la finir, pour tourner la page, donner ma version des faits, et surtout saisir cette occasion pour me moquer encore une fois de l’Institut pour la Justice car il le mérite. Et je pourrai passer à autre chose (mais je moquerai toujours de l'IPJ, mon courroux vengeur est imprescriptible).

Telle est la vie des blogs. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux trolls (Merci Marcel).

Mais c’est un anniversaire, que diantre ! pas des funérailles, donc joyeux anniversaire à toi mon blog, permets-moi de parcourir tes grandes salles vides qui résonnent encore du rire de mes commensaux partis vers d’autres cieux : Dadouche, Gascogne, Fantômette, Simonne Duchmole, Lulu et les autres (ils vont tous bien, rassurez-vous, et n’ont rien perdu de leur esprit et de leur humanisme, peut-être quelques illusions en chemin, mais c’est la vie), laissez-moi ouvrir les fenêtres pour aérer, de chasser quelques araignées qui ont pu y élire domicile.

Je ne vous promets pas d’autres billets pour bientôt, car ce serait comme promettre d’être bref au début de sa plaidoirie : une incantation destinée à ne pas être tenue mais à tromper l'auditoire quelques minutes, et le temps qu’il le réalise, c’est trop tard.

Je préfère le faire, tout simplement ; et sinon, vous saurez où me trouver (j’entends par là sur Blue Sky).

Purée. Vingt ans.

Les raisons de la colère

dimanche 5 février 2023 à 01:02

Il est toujours périlleux d'écrire quand on est en colère. Que de sottises sont écrites ab irato. Mais j'ai laissé passer le délai de prévenance de 24 heures pendant lequel les usages pluricentenaires de la profession nous permettent en toute impunité de haïr nos juges, auxquels on assimile de nos jours les procureurs (sauf à Strasbourg...), et un deuxième laps identique par sécurité. Mais je bouillis toujours intérieurement.

Rien de tel dans ces cas que de coucher sur le papier, fut-il fait de pixels, l'explication de son ire, et la soumettre aux débats qui font de la section commentaires le meilleur de ce blog. C'est toujours ça qu'Elon Musk n'aura pas.

Pourquoi fulminè-je, me demanderez-vous, car vous utilisez le style soutenu pour vous adresser à moi et je vous en sais gré. À cause d'une bien triste affaire qui se juge ces jours-ci à Paris, et qui est tellement grave par ses conséquences sur la profession que j'exerce que je ne puis attendre que les débats soient clos et la décision rendue, ce qu'en termes juridiques on appelle "trop tard", pour m'exprimer dessus. C'est l'affaire qui concerne, entre autres mais désormais au premier chef, deux de mes confrères du barreau de Paris, un ténor chenu et un ténor jeunot, qui vivent le cauchemar de tout avocat : se retrouver jugé aux côtés de son client pour des actes commis dans le cadre de sa défense. Un troisième avocat était intervenu en défense dans ce dossier mais lui a bénéficié d'un non lieu.

Que leur reproche-t-on exactement ?

Le second, le jeunot, ça lui fera plaisir que je l'appelle ainsi puisqu'il arrive à un âge où on s'entend de moins en moins appelé ainsi, est ancien secrétaire de la conférence. Un jour qu'il était de permanence criminelle, c'est à dire que c'est à lui qu'échoyait toutes les ouvertures d'instruction de dossiers criminels du jour, lui tombe sur les genoux une affaire de stupéfiants d'une ampleur considérable, de celles qu'on ne voit qu'une fois par décennie. Le mis en examen est un baron, placé tout en haut dans la chaine de commandement, et la quantité de drogue saisie dépasse la tonne. On est sur du (très) grand bandistisme. Il assiste l'intéressé lors de la mise en exame, devant le juge des libertés et de la détention, et souhaite rester pour la suite du dossier, qui promet d'être passionnant. Il est rejoint par le premier avocat, le moins jeunot, qui de par sa longue expérience a déjà vu des dossiers de cette ampleur, et, pouvait-on le supposer, avait derrière lui une structure pouvant assurer le volumineux travail que ce dossier exigeait. Précision qui aura son importance : le baron de la drogue en question n'a pas été arrêté concomitamment à la saisie (les boss ne sont jamais sur place quand il y a du risque) mais a été arrêté plus tard, en Espagne, grâce à une enquête menée par la police espagnole. Il a été enregistré lors d'une sonorisation en train de se vanter auprès d'une jeune femme qu'il était à l'origine du gros coup de plus d'une tonne dont on avait parlé à la télé. L'hubris, toujours.

Les choses ne vont pas bien se passer dans le dossier, c'est acquis aux débats. Des fautes ont été commises, elles sont reconnues. Chacun pour des raisons liées à une activité écrasante, ils vont se désintéresser du dossier sans avoir la sagesse de se débarquer. Toujours l'hubris. Le plus jeune, soumis à des pressions de visiteurs nocturnes, a remis au bras droit de son client une copie numérisée du dossier, violant ainsi le secret professionnel. C'est une faute déontologique et possiblement un délit pénal, mais en réalité, cet aspect est totalement secondaire, la suite le démontrera.

L'instruction s'achève et l'affaire est renvoyée devant la cour d'assises, ce qui est rare en matière de stupéfiants mais là, avec l'importation, la quantité et l'organisation derrière, on était au criminel. Et quelques jours avant l'audience, le même bras droit que cité plus haut amène aux avocats, je ne sais pas auquel exactement, mais peu importe, un document qui peut faire exploser le dossier : une décision d'un juge espagnol refusant de prolonger la sonorisation dont faisait l'objet le principal accusé. Or c'est à l'occasion de cette prolongation, apparemment illégale donc, qu'ont été captés les propos l'accablant. Si cette captation était illégale, les aveux étaient irrecevables. On peut deviner que dans un dossier que personne n'avait bossé, un tel argument tombé du ciel était pain bénit. Ils produisent donc ce document au président de la cour quelques jours avant les débats, et demandent un renvoi du jugement à une date ultérieure pour que la cour puisse ordonner un complément d'information pour vérifier ce point auprès des autorités espagnoles, et en profitent pour demander la remise en liberté de leur client. Et là, c'est le drame.

Le président, interloqué, demande aux avocats de justifier de l'origine de cette pièce procédurale essentielle. Les avocats, on l'apprendra par la suite, tergiversent entre eux, sont emmerdés vu la personne qui leur a remis ce document, et expriment leur crainte d'avoir été instrumentalisés. Ce n'est pas tout. Le parquet extirpe du dossier pénal, celui que ces avocats n'ont pas lu, du moins à fond (on parle d'un dossier qui fait plusieurs milliers de pages, hein) les CD contenant la procédure espagnole numérisée, et dans icelle, l'ordonnance du juge espagnol autorisant la prolongation de la sonorisation. Le jugement produit par la défense était donc un faux. Le renvoi est refusé, la défense a perdu toute crédibilité, et l'accusé écope de 22 ans de réclusion criminelle.

Et le parquet va décider de ne pas en rester là.

Il va ouvrir une information du chef de faux en écritures publiques visant les trois avocats de la défense. Elle va être confiée à trois juges d'instruction, qui, je tiens à défendre leur réputation, n'ont JAMAIS été soupçonné par quiconque d'éprouver un quelconque excès d'affection pour les avocats. Et ils vont s'en donner à cœur-joie, notamment en pratiquant pas moins de six perquisitions aux cabinets et aux domiciles de ces avocats. Il faut savoir ici que s'agissant d'une perquisition au cabinet ou au domicile d'un avocat, eu égard à la protection du secret professionnel dont, Dame ! ces magistrats étaient censés poursuivre la violation, c'est donc qu'ils lui accordaient de l'importance ; la protection de ce secret donc prévoit des règles dérogatoires au droit commun. La perquisition ne peut être menée que par le ou les juge(s) d'instruction en personne, assistés par la police le cas échéant, et en présence du bâtonnier ou d'un de ses représentants, qui peut s'opposer à la saisie de pièces lui paraissant hors sujet. Auquel cas, les pièces sont mises sous scellés sans que le juge d'instruction ne puisse les consulter, pour faire par la suite l'objet d'un débat devant le juge des libertés et de la détention, qui va les consulter et juger si oui ou non elles intéressent l'affaire. Dans l'affirmative, elles sont versées à la procédure, dans la négative, elles sont restituées à l'avocat.

Paris a toujours eu ici un rôle moteur. Depuis des années, un avocat a été délégué à cette tâche, j'ai nommé Vincent Nioré, et la politique de l'ordre a toujours été l'offensive à outrance : tout ou presque tout est contesté, et c'est peu dire que les victoires ont été nombreuses. La jurisprudence, très riche en matière de perquisitions de cabinet s'est pour l'essentiel forgée à Paris (où exercent la moitié des avocats de France, on a de la matière) et Vincent Nioré, fort de son expérience unique en France a effectué de nombreuses formations pour les autres ordres, et publié de nombreux textes sur le droit des perquisitions, dont il est le spécialiste reconnu. La profession lui doit beaucoup.

Forcément, ça ne l'a pas rendu très populaire chez les juges d'instruction dont il a fait annuler les saisies, qui, doit-on le préciser ? Ma foi oui : dont les saisies ont été annulées parce qu'elles étaient illégales et disproportionnées au point qu'un collègue du juge d'instruction ne pouvait pas prétendre ne pas le voir.

Et dans ce même dossier, au cours de la perquisition dans le cabinet du plus chenu des deux avocats, une jeune femme présente lors de l'arrivée visiblement un peu brutale des magistrats et policiers, j'ignore si elle était avocate ou stagiaire (je dirais stagiaire, ce sont les seules qui arrivent tôt au cabinet) a fait un malaise et s'est écroulée au sol, en crise de tétanie. Je tiens d'une personne présente que les magistrats ont enjambé la jeune femme inerte pour aller se précipiter sur les dossiers qu'ils cherchaient, tandis que seul le réprésentant du bâtonnier s'occupait de la jeune femme, qui, je suis désolé de devoir révéler ce détail mais il a son importance pour la suite, s'était urinée dessus lors de ce malaise. Vincent Nioré s'est donc occupé d'elle, a épongé ce qui pouvait l'être et s'est assurée qu'elle se calmait, avant de rejoindre promptement les magistrats pour s'opposer à toutes les saisies, comme à son habitude. Tout ce monde s'est retrouvée chez le juge des libertés et de la détention pour discuter des saisies. Au cours de sa plaidoirie, Vincent Nioré va fustiger l'attitude des magistrats qui préfèrent aller chercher dans les dossiers des avocats plutôt que d'enquêter, et, faisant allusion à l'incident du matin même, dire qu'il en avait assez de se retrouver à nettoyer l'urine pendant ces perquisitions, je n'ai pas la formulation exacte. Les trois juges d'instruction vont pousser des cris d'orfraie, se dire outragés, et menacer le représentant du bâtonnier d'une plainte. Le juge des libertés et de la détention va pour sa part annuler une grande partie des saisies.

Les magistrats instructeurs vont tenir leur promesse et déposer une plainte auprès du procureur général, de la procureure générale en l'occurrence, qui va, comme la loi lui en donne le pouvoir, saisir le conseil de discipline à l'encontre de Vincent Nioré. L'instruction des poursuites, au cours de laquelle le juge des libertés et de la détention va témoigner, va établir que non, les propos tenus n'insultaient pas les magistrats, et le JLD va confirmer qu'il n'a constaté aucun manquement ni aucun outrage lors de son audience, ce qu'il n'aurait certainement pas accepté. Peu importe, le conseil de discipline devra juger Vincent Nioré. Au cours de cette audience, le bâtonnier Cousi, autorité de poursuite, va absoudre totalement Vincent Nioré et venir symboliquement s'asseoir à côté de ses défenseurs. Le conseil a bien sûr relaxé. Et la procureure générale, quelques mois avant de partir à la retraite, a fait appel de cette relaxe, pour que l'affaire soit rejugée par des magistrats cette fois. La réponse du barreau fut sans équivoque : nous avons élu Vincent Nioré vice-bâtonnier dans la foulée. Le parquet général, revenu à plus de raison avec le successeur de sa prédécesseuse, s'est désisté de son appel, la relaxe est à présent définitive, et la tension est un peu redescendue.

Pas pour longtemps, puisque les trois juges d'instruction ont finalement rendu une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de deux des trois avocats du baron de la drogue, outre le baron et son bras droit, pour faux en écriture publique, tentative d'escroquerie au jugement, et pour le jeunot, violation du secret professionnel. Ordonnance de 120 pages, ce qui pour des faits simples est prou :,la violation du secret était reconnue, un faux est un délit simple à caractériser, et l'escroquerie est certes un délit complexe, mais pas au point de nécessiter une thèse : on dit qu'un délit est complexe dès lors qu'il a plus d'un élément matériel à caractériser (l'escroquerie en a trois).

Le faux consiste à altérer la vérité dans tout document visant à établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. S'agissant d'un jugement, il n'y a aucune difficulté : on a le vrai jugement, on a le faux, on constate que le faux dit le contraire du vrai. L'usage du faux consiste à utiliser un document que l'on sait être faux. L'escroquerie consiste à employer des manoeuvres frauduleuses (la loi donne comme exemples l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, ou l'abus d'une qualité vraie) qui vont tromper quelqu'un et le déterminer à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge (on parle simplement de "remise" pour désigner tout cela). La tromperie doit être déterminante, c'est à dire que sans elle, il n'y aurait pas eu remise. Voilà les trois éléments matériels : manoeuvre, tromperie, remise.

Or ici il ne vous a pas échappé que les avocats ne savaient pas que ce jugement était un faux. Ce point n'est d'ailleurs pas discuté, pas plus que celui qu'ils ne l'ont pas forgé eux-même : parmi les pièces ayant échappé à l'annulation de saisie figurent des échanges entre les avocats montrant qu'ils sont bien ennuyés de devoir expliquer comment ils ont eu la pièce, et se demandent, un peu tard, si on ne les a pas manipulés. Ite missa est : pas d'élément intentionnel, pas d'infraction, programme de L2 de droit. De même s'ils ignoraient que c'était un faux, ils n'ont pu tenter d'escroquer un jugement, d'autant qu'ils n'ont même pas demandé que le juge jugeât, mais qu'il ordonnât un supplément d'information pour vérifier si ce jugement existait bien. Il y avait sans doute de quoi poursuivre ces avocats au disciplinaire pour leur légèreté et leur crédulité. Ils n'auraient certainement pas été radiés, cette affaire ne saurait résumer leur carrière, leur bilan parle de lui-même, mais même la plus légère des sanctions aurait déjà été un châtiment suffisant.

Eh bien non. Deux semaines d'audience ont abouti à un réquisitoire qui a abasourdi l'assistance et votre serviteur, pour tenter d'échaffauder une démonstration de culpabilité, à rebours de la loi, reposant non plus sur la connaissance du caractère de faux de la pièce mais sur l'existence d'un soupçon qu'elle pût être fausse, soupçon qui chez un avocat devient une obligation de s'abstenir de produire à peine de commettre le délit de et d'usage de faux qu'on ne sait pas être faux mais on est avocat alors on est coupable quand même (ne le cherchez pas dans le code pénal) et tentative d'escroquerie à cause du crédit qu'un avocat donne à une pièce en la produisant.

Pardonnez ce tintamarre qui vient de m'interrompre, ce sont tous les avocats civilistes ou publicistes qui viennent d'éclater de rire en lisant que le seul fait qu'ils produisent une pièce lui donne un crédit supplémentaire aux yeux du juge. Tous les jours, TOUS LES JOURS, des juges, avec ou sans robe, écartent nos pièces en ne les estimant pas assez probantes voire douteuses pour finalement rejeter les demandes que nous présentons au nom de nos clients, parfois en faisant même droit à la partie adverse sans avocat qui a produit des pièces le jour de l'audience sans nous les communiquer à l'avance, clients dont nous devons gérer l'incompréhension de la décision : "Mais enfin maître comment le juge peut-il dire cela, je lui ai prouvé le contraire".
Nous donnons un supplément de crédit à nos pièces... Eux au moins ont le cœur à rire. Mais pas moi.

Relisez bien cette démonstration, rapportée par la formidable Olivia Dufour dans Actu-Juridique :

si l’avocat apporte son crédit [à ces pièces] et le renforce par la production de conclusions, il contribue délibérément à tromper la religion du juge, à le pousser à donner foi à une pièce qu’il aurait appréciée sinon avec plus de circonspection. Ce n’est pas la même chose pour un juge de recevoir une pièce d’un justiciable ou d’un avocat, car l’avocat est un professionnel qui fait présumer des vertus professionnelles.

La production d'une pièce que l'avocat soupçonne d'être un faux suffit à constituer un délit pénal à son encontre. Mais en revanche, que deux magistrats, un du siège et un du parquet, s'accordent pour altérer une pièce de procédure en en changeant le sens pour que le jugement rendu ne permette plus une remise en liberté ne constitue pas un délit car il avaient certes commis une « erreur », mais « sans intention frauduleuse ». Intention frauduleuse que la loi n'a jamais exigé, elle se contente de la conscience d'altérer la vérité. heureusement pour eux, ces magistrats n'étaient pas avocats, ils n'étaient donc pas tenus aux mêmes très hauts standards de probité et de vérification scrupuleuse : relaxe. Pas plus que le juge d'instruction qui se désigne lui-même postérieurement à des actes qu'il a réalisés illégalement, en antidatant sa désignation pour que cette illégalité soit dissimulée. Pas de faux : il n'était pas avocat, alors YOLO sur les dates. Vous commencez à comprendre pourquoi je suis en colère ?

Et pourquoi disais-je que le volet violation du secret professionnel était en réalité indifférent à tout le monde ici ? Parce que dans ce réquisitoire hommage du vice à la vertu, l'avocat qui a commis la violation du secret professionnel s'est entendu requérir deux ans de prison dont un ferme, et le sénior qui n'a pas communiqué le dossier, trois ans dont deux fermes. Et cinq ans d'interdiction d'exercice, soit le maximum légal et une peine de mort pour tout avocat, dont l'activité et la réputation ne peuvent se remettre d'une telle sanction. Avec exécution provisoire, le mot exécution n'ayant jamais été plus approprié, et provisoire, aussi peu pertinent.

Je n'ai jamais, vous pouvez relire tous les billets de ce blog, jamais sollicité un traitement de faveur pour les avocats. Les seuls droits dérogatoires au droit commun que nous avons n'ont qu'un objet : garantir notre liberté qui est celle de la défense, notre indépendance à l'égard des juges et des clients en nous mettant à l'abri de pressions ou de représailles, et en protégeant le secret de ce que nous révèlent nos clients, secret sans lequel il n'y a plus de défense, donc plus de justice, donc plus de démocratie, rien de moins. Pas de privilège, nous les abhorrons, pas de traitement de faveur, nous luttons contre. Nos droits spécifiques n'existent que dans l'intérêt de l'individu que nous défendons contre le Léviathan. Mais pour nous, nous demandons le même traitement que n'importe quel citoyen en république. Même s'il n'est pas magistrat. Si le premier quidam passant dans la rue avait produit un faux jugement, ignorant qu'il est faux, en disant "ce jugement semble me donner raison, je demande que vous vérifiiez ce qu'il en est", il ne serait pas condamné pour tentative d'escroquerie au jugement, et aucun procureur n'aurait même l'idée d'engager de telles poursuites (en revanche, s'il antidatait une attestation en disant qu'il avait attesté dans sa tête mais oublié de matérialsier cette attestation, il serait poursuivi et condamné pour faux...).

Et faire passer cette exigence exorbitante du droit commun comme un hommage à l'excellente vertu exigée des membres de cette noble profession que celle des avocats qui ont donc d'autres obligations que le commun des mortels n'est rien d'autre qu'un hommage au Tartuffe de Molière, un crachat sur l'égalité républicaine en rétablissant une noblesse de robe abolie une nuit du 4 août il y a fort longtemps, et pire que tout une insulte à mon intelligence.

Eolas contre Institut pour la Justice, épisode 4 : un poubelle espoir

mardi 16 août 2022 à 01:07

Je vous l'avais dit, chers lecteurs et surtout chères lectrices, que je ne vous laisserais pas vous morfondre longtemps.

Ainsi, si un an a passé entre les deux audiences devant le tribunal correctionnel de Nanterre, un jour a passé sur ce blog. C'est à n'y rien comprendre, et cela vous met dans la parfaite disposition d'esprit pour cette audience.

N'étant pas témoin impartial de cette audience et n'ayant aucune prétention à l'être, je vais être, une fois n'est pas coutume, et deux fois non plus en prévision du billet sur l'audience d'appel, un peu personnel. Vous me le pardonnerez, ces billets ayant aussi l’objet d’être une thérapie, et si vous ne le pardonnez pas, alors vous faites partie de la catégorie des gens dont l’avis ne m’importe pas, et ça n’a aucune importance.

La première chose qui me revient en pensant à ce procès, c'est la présence dans le public de personnes qui me sont chères venues me soutenir, et d'autres aussi, à qui je n'avais rien demandé, et qui avaient estimé nécessaire d'être là pour me soutenir. Je ne sais plus si j'avais réussi à bafouiller ma gratitude de manière audible, mais je le répète ici avec le calme et le recul : merci à toutes et à tous, vous m'avez tellement fait plaisir. Merci, merci, merci. Même à toi, Y., qui a eu des ennuis par la suite hélas. Ce jour-là, tu fus un vrai confrère, je ne l’oublie pas.

C'est très étrange de se retrouver debout à la barre, en simple costume-cravate dans un prétoire que l'on connait fort bien. On se sent tout nu. Cela fait bizarre de s’entendre appeler par ses nom et prénom, et d'avancer jusqu'à la barre, aux côtés des autres prévenus — bon, de la seule autre prévenue à avoir fait le déplacement, la formidable et brillante Julie Brafman, après de qui je ne m'excuserai jamais assez de lui avoir imposée d'écouter, dans un silence religieux, le rappel de mes propos contenant beaucoup trop d'informations non sollicitées sur mon caca. Car la loi exige qu’au début de chaque audience correctionnelle, le président rappelle au prévenu pourquoi il est là, et dans le cas de votre serviteur, cela supposait d’entendre un magistrat dire avec tout la solennité possible que j’était prévenu d’avoir injurié l’association Institut pour la Justice en disant que je refusais obstinément de me torcher avec elle afin de ne pas salir mon caca. Julie, pardon, pardon, mille fois pardon, heureusement que nous avons trouvé depuis d'autres sujets de conversation.

Les avocats font les pire clients, tous les avocats le savent, et je ne pense pas avoir fait défaut à Maitre Mô sur ce point. Nous nous étions mis d'accord sur la stratégie de défense suivante : "Dis ce que tu veux, je m'en fous, je me débrouille". Ayant la plus grande confiance en Jean-Yves, je ne doute pas d’avoir, fût-ce involontairement, mis la barre très haut. Ce qui est redoutable, c'est notre trop grande aisance à la barre. Nous sommes dans un prétoire, dans la partie du prétoire qui est la notre, en bas, loin du perchoir du procureur, là où en l’occurrence j’avais déjà plaidé et ai replaidé depuis, et ai l’habitude d’y croiser le verbe. C’est d’ailleurs l’attitude que le tribunal attend d’un avocat : une liberté totale de parole, que seule doit brider la pertinence du propos.

Mais pas d’un prévenu. Et très vite, on oublie qu'on est non pas le conseil du prévenu, mais… le prévenu. Avec l’absurdité de l'accusation, et le mépris, tout légitime qu'il soit, dans lequel on tient la personne morale qui nous poursuit, je ne pense pas avoir été un client facile, mais figurez-vous que Jean-Yves m'avait menti. Il ne s'est pas débrouillé, il a été brillant, ce qui lui était consubstantiel.

Peu lui a importé que le conseil de cette piteuse association lui ait remis ses conclusions, même pas en début d'audience, comme font les mauvais avocats, mais pire encore, en cours d'audience. Les chiens ne font pas des chats.

À ce sujet, puisque je ne cache rien ou presque, l’IPJ ne s’est pas contenté de demander des dommages-intérêts symboliques, le montant total de ses demandes s’élevait à 150.000 euros. Oui, cent cinquante mille. L’IPJ jouait les vierges effarouchées par un vilain mot, mais était bien là pour se venger de mon billet ayant ruiné leur opération de fake news avant l’heure, et visait ma mort économique. Ce n’était pas un jeu pour cette association, et par conséquence, ça ne l’était pas pour moi non plus. L’extrême droite ne plaisante jamais.

Peu a importé à Maître Mô, à Jean-Yves, je ne sais même pas comment l'appeler, que son client préférât avoir les rieurs que les juges de son côté. Il m'a donné une leçon du métier d'avocat, et aujourd’hui je peux dire que je sais ce que ça fait que d'être défendu par maître Mô. Sur le coup, j'ai pensé qu'il ne pourrait rien m'arriver de mieux dans un prétoire, mais heureusement, grâce au tribunal correctionnel de Nanterre, j'ai pu être détrompé deux ans plus tard (Teaser).

J'aurais du mal à faire un récit détaillé de cette audience. Je ne pouvais prendre de notes, ça se serait vu. Je me souviens de bribes.

Puisqu’il y avait exceptio veritatis, il y eut d’abord bataille d’expert. Las, Zythom, qui était bien là en juillet 2014, avait un empêchement professionnel et n’a pu venir soutenir son rapport, mais il fut déposé à la procédure et accessible au tribunal. Qui, on le verra, ne l’a probablement pas lu.

Le rapport de Zythom établissait que tout ce que demandait la page de signature de la pétition en cause était que divers champs remplissent les conditions suivantes : le champ « nom » ne doit pas être vide ; le champ « prénom » ne doit pas être vide ; le champ « e-mail » ne doit pas être vide, et correspondre à une syntaxe d’e-mail valide, c’est-à-dire commençant par au moins un caractère pris parmi les 26 lettres de l'alphabet en majuscules ou minuscules, les dix chiffres, l’underscore ou le tiret, suivi par le caractère « @ », et suivi par un nom de domaine composé d’au moins un caractère alphanumérique, un point, et deux ou trois cratères alphanumériques, sans vérification de l’existence réelle dudit nom de domaine ; le champ « code postal » ne doit pas être vide (mais il n’a pas à correspondre à un vrai code postal et pouvait être rempli avec des lettres, et un seul caractère suffisait) ; l’adresse e-mail saisie ne doit pas déjà être présente dans la base. Aucune vérification n’était faite, pas même par l’envoi d’un e-mail de validation. Ainsi, le facétieux Maître Mô avait signé la pétition au nom de Napoléon Bonaparte, avec une adresse e-mail fantaisiste, et la signature avait été acceptée sans barguigner et aussitôt enregistrée, alors que nous avions des preuves irréfutables que l’Empereur ne pouvait avoir signé ladite pétition.

Je précise que le fichier des signataires ne nous a jamais été accessible (ce n’était pas l’objet de notre demande par ordonnance sur requête) ni communiqué. Encore une fois, ‘’trust me, bro.’’ L’analyse des logs avait confirmé que la courbe droite que j’avais publiée, et qui montrait une rythme de signature absolument stable sur une période de 20 minutes (soit 4500 signatures) était exacte, mais que sur 24 heures, la courbe montrait un aplanissement entre 00h00 et 07h00, avant de reprendre à un rythme élevé et soutenu le reste de la journée. Bref, concluait le rapport, ce compteur n’était pas fiable et il était abusif de présenter comme autant d’êtres humains signataires le nombre de formulaires remplis sans la moindre vérification. Ce qu’on pourrait résumer, pour que ça tienne en un tweet, d’à l’époque 140 caractères maximum, par « compteur bidon ».

Je me souviens aussi que l'avocat de la partie civile a expressément insinué à la barre que j'étais si ça se trouve, peut-être, en train de tweeter en direct depuis le banc des prévenus. Bien sûr, je n'en faisais rien. Bien sûr, il était en embuscade. Bien sûr, il était déçu que je n’en fisse rien. Bien sûr, le tribunal n’a pas pu vérifier ce qu’il en était. Mais j’ai eu droit à un regard soupçonneux de la présidente.

Je me souviens de Xavier Bébin, délégué général de cette association, la représentant à l’audience, et son seul membre actif à l’époque, piètre juriste et piètre écrivain s’attribuant un titre pompeux de criminologue qui avait pour avantage de ne pas exister, partant de ne pas être réglementé et donc de ne pouvoir être usurpé, expliquant à la barre que mon billet sur le blog l’avait laissé indifférent et n’avait pas eu d’incidence sensible sur le rythme des signatures (« Et pour cause ! » avait murmuré Jean-Yves de sa voix trop grave pour qu’on ne l’ait pas entendu jusque dans la salle d’à-côté), mais qu'il avait été frappé d'une quasi dépression dont il ne se remettait que péniblement en lisant le tweet où j'expliquais en quoi sa postérité littéraire et mon postérieur n’étaient jamais destinés à se rencontrer. Son numéro d’homme meurtri a sans doute été le moment le plus involontairement amusant de ce procès. Personne n’y a cru, et c’était gênant par moment.

Et enfin la plaidoirie de Jean-Yves, de celles qui vous font redresser la tête par gros temps, qui, méthodiquement, juridiquement, expliquait pourquoi, j'assume le jeu de mot, la plainte de l'IPJ était de la merde, et notamment que les propos qui m'étaient prêtés n'avaient JAMAIS été tenus tels qu'ils étaient présentés dans la plainte, ce qui en soi aurait dû garantir ma relaxe en vertu du droit de la presse. Son moment de bravoure a été de me présenter comme le prévenu de Schrödinger, l'IPJ disant que mes propos litigieux n'avaient eu aucun effet sensible sur le succès de leur pétition ("Même pas mal !") et en même temps leur avait causé un préjudice qui ne pouvait être réparé qu'à hauteur de 150.000 euros, avions-nous appris en cours d'audience ("On a trop mal on va mourir Eolas m'a tuer"). Et enfin, et surtout, en tout état de cause, ce qui ne pouvait échapper à un juriste tel que lui et fin connaisseur du droit de la presse, quand bien même toutes les objections préalables eussent été balayées comme infondées, il en restait une invincible : la liberté d'expression me protégeait, du fait que c'était un débat public sur un thème d'intérêt général puisque nous parlions d'un débat sur l'autorité judiciaire dans un contexte de campagne présidentielle. Les juristes de mes lecteurs l’auront reconnu : c’est l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, le totem d’immunité de la Raison face aux factieux qui veulent l’étouffer.

Plutôt rasséréné, je quittais le prétoire après avoir entendu que le jugement serait rendu le 6 octobre 2015. Anecdote qui a son importance pour la suite, en sortant du prétoire, Jean-Yves et moi croisâmes Éric Morain, venu ce jour là à Nanterre botter comme de coutume le postérieur d’un fâcheux. Je le connaissais déjà, d’un temps où Maître Eolas n’existait point encore. Je le présentai à Jean-Yves, ils se connaissaient de réputation, et Éric me déclara qu’il aurait bien aimé que je l’appelasse sur ce dossier, qui lui paraissait aussi intéressant qu’amusant, ce qui chez lui sont deux puissants moteurs de motivation. Nous nous séparâmes moi lui promettant, un peu en plaisantant, que s’il y avait appel, alors je le ferais monter sur ce dossier, comme on dit chez les avocats. Éric prit ma plaisanterie au sérieux, et nous quitta nanti en son for d’une promesse. Je la tins, à mon corps défendant. Bien sûr il y eut coupettes. Bien sûr, il y eut des rires.

Et puis il y eut le jugement. Et ce fut la douche froide.

Et ce sera l’objet du prochain billet.

Eolas contre Institut pour la Justice, épisode 3 : la revanche du site.

dimanche 14 août 2022 à 23:20

Comment ça, un peu de temps a passé depuis le précédent billet sur le sujet ? Allons, allons. D’abord, Albert Einstein l’a démontré, le temps est relatif. Ensuite, oui, vous avez raison, et je n’ai aucune excuse. Inutile donc d’y passer trop de temps. Adoncques et sans désemparer :

Bref résumé des épisodes précédents :

Furieuse que j’aie publiquement démonté ses fallacieuses manipulations, l’association Institut pour la Justice (qui n’est ni l’un ni l’autre) a porté plainte contre votre serviteur et d’autres personnes pour injure et diffamation dans ce que l’Histoire retiendra comme le cacagate. L’instruction s’est terminée en 2013, chaque intervenant dans la publication de ces vérités qui dérangent cette association a été identifié, il est temps d’aller à la baston. La citation devant le tribunal de Nanterre nous est arrivée le 18 juin 2014, et nous avons aussitôt réagi, mes défenseurs et moi, en dégainant le Gaffiot et en nous écriant « Exceptio veritatis ! »

Je vous sais tous bilingues en latin, et je vous félicite. Faisons un instant, pour rire, comme si vous ne l’étiez pas. Exceptio veritatis veut dire « exception de vérité ». Une exception, en droit, désigne un argument juridique qui vise à faire échec à l’accusation sans même que ses mérites ne soient examinés plus avant. Dans notre affaire, il s’agissait d’établir que les faits que j’avais dénoncés et qui m’étaient imputés à diffamation, à savoir que le compteur de l’IPJ était « bidon », étaient vrais. Le droit de la presse est facétieux, c’est là son moindre défaut. Il impose que cette exception soit soulevée dans le dix jours de la citation devant le tribunal et prenne la forme d’une signification par commissaire de justice (à l’époque on disait huissier de justice) des éléments de preuve et liste de témoins que nous entendions faire entendre, et ce sans pléonasme, par le tribunal. Ce que nous fîmes.

Car nous n’étions pas restés inactifs de notre côté, appliquant le dicton que la meilleure défense, c’est l’attaque. Dès après la mise en examen de notre serviteur, Maitre Mô avait sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance, comme on disait à l’époque, de Lille une ordonnance sur requête (donc à l’insu de l’IPJ) enjoignant à l’hébergeur du site de la pétition pour le pacte 2012, hébergeur qui, cela tombait bien, a son siège dans une ville voisine de la capitale du septentrion, de communiquer le code source de la page du fameux compteur.

Et parmi les témoins, nous invoquâmes un expert, et pas le moindre, puisque ce n’était nul autre que Zythom, à l’époque expert judiciaire, qui avait analysé le code source du compteur et avait conclu à sa parfaite absence de fiabilité, puisqu’on pouvait résumer son code par « trust me bro ». Comme la loi le lui permet, l’IPJ riposta dans les dix jours de notre offre de preuve par une contre-expertise tentant d’établir que la notre, d’expertise, n’était que billevesées et coquecigrue, et qu’on n’avait pas vu de compteur plus fiable depuis celui utilisé par la Manif pour Tous pour compter ses millions de manifestants. Nous reparlerons de cette contre-expertise mais plus tard que vous ne le pensez.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes le 1er juillet 2014 devant le tribunal correctionnel de Nanterre, prévenu(e)s, avocats, experts, prêts à en découdre. Autant vous le dire tout de suite, le combat tourna court.

Comme je vous l’avais expliqué dans le billet précédent, j’avais été renvoyé devant le tribunal pour un fait (l’article paru sur Slate.fr) pour lequel je n’avais point été mis en examen, faute de pouvoir être rattaché d’une quelconque façon à cet article, qui faisait le point sur la controverse en reprenant (fidèlement) mes propos sans m’avoir sollicité à cette fin, ce qui ne me pose rigoureusement aucun problème puisque la reprise de mes propos fut fidèle. Or la règle est d’airain : pas de renvoi devant une juridiction de jugement au terme d’une instruction judiciaire si pas de mise en examen. Il n’y a pas d’exception. C’était une cause de nullité de l’ordonnance de renvoi, le code de procédure pénale prévoyant dans ce cas de renvoyer l’affaire devant le juge d’instruction afin qu’il rectifie sa bévue.

Ce qui fut ordonné le 1er juillet, et le tribunal, constatant qu’il n’était pas saisi de cette affaire, nous renvoya vaquer à nos occupations, et nous vaquâmes comme personne, non sans avoir, comme il était de coutume quand Maître Mô était de la partie, fini l’après midi autour de quelques coupettes. Si comme je vous l’expliquerai à la fin, si je garde quelque amertume de cette expérience, elle est largement compensée par des souvenirs de très bons moments, et celui-là en fit partie, car nous rîmes entre personnes liées par une certaine affection et réunies par la nécessité du combat judiciaire pour une cause qui les tenaient à coeur. Non, pas mon caca, la liberté d’expression, faites un effort sinon on ne s’en sortira jamais.

Ces moments, que je ne savais pas si précieux à l’époque, sont des souvenirs que je n’oublierai jamais.

Le 21 mai 2014, la juge d’instruction de Nanterre corrigea son ordonnance, en supprimant la mention de mon renvoi pour le chef de diffamation pour les propos tenus sur Slate.fr, à savoir

Cependant pour Maître Eolas, blogueur anonyme et avocat au barreau de Paris, cette progression vertigineuse serait factice: D’ailleurs, selon lui, l’ensemble de la démarche de l’IPJ relève de la «manipulation»: sur son blog, il consacre un billet-fleuve à la démonstration des erreurs, lacunes et faux-semblants de cette vidéo qui ne lui inspire «que du mépris».

Et le premier des huit chefs de plainte de l’IPJ roula dans la sciure, inaugurant ce qui allait être un long et humiliant chemin de croix judiciaire pour l’institut qui n’a d’institut que le nom. De renvois en fixations, une nouvelle date de jugement fut arrêtée : plus d’un an après, le 7 juillet 2015. Cette fois, le combat eut lieu. Il fut sans pitié, et sera l’objet du prochain billet, que vous attendrez moins, nettement moins, je m’y engage.

J’avais un confrère et un ami

lundi 22 février 2021 à 00:36

Jean-Yves Moyart, alias Maitre Mô, nous a quitté le 20 février 2021. Depuis l’annonce de sa disparition, les hommages se sont multipliés, et à raison. De la presse (ou encore ici ou ), du ministre de la Justice, qui fut son confrère, et de la profession judiciaire dans son ensemble : policiers, gendarmes, greffiers, juges, procureurs, avocats.

Ce n’est pas faire dans l’emphase de dire que c’est un avocat d’exception qui est parti, que la perte pour le barreau est immense, et que le trou béant qu’il laisse dans le cœur de ceux qui l’ont connu et aimé (ce sont forcément les mêmes), incommensurable. C'est la pure vérité.

Jean-Yves avait la défense dans le sang, dans les tripes, dans chaque fibre de son être. Il a raconté de manière désopilante son grand oral du barreau, qui s’est joué de justesse car il avait quasiment fait l’impasse sur toutes les matières qui n’étaient pas du pénal, et il est tombé sur les sûretés, qui ne sont pas du pénal. Heureusement, le jury a vu l’avocat qui poignait sous l’étudiant dégingandé qui se liquéfiait devant eux. Il faisait partie de ces confrères qui ont toujours su exactement ce qu’ils voulaient faire, et il ne s’était pas trompé.

Un des dangers qui nous guettent dans un dossier par trop mal engagé, c’est l’abattement. La résignation. Se dire que cela ne vaut pas le coup de trop s’investir dans ce dossier, car le client s’arc-boute sur une stratégie de défense que nous lui déconseillons, qu’il a des antécédents accablants, que la juridiction devant laquelle il va comparaître est réputée impitoyable, que le procureur requerra beaucoup, et obtiendra plus. C’est un combat quotidien de chasser ce fatalisme pour se battre jusqu’au bout. Jean-Yves était immunisé contre cela. Il était incapable d’envisager de ne pas tout donner dans chacun de ces dossiers, quitte à en sortir lessivé, avant d’enchaîner sur le suivant, tout aussi prenant. Parce que Jean-Yves avait une capacité d’empathie qui n’a jamais trouvé ses limites, au point que nous en avons conclu qu’elles n’existaient pas.

Il n’y a pas un réprouvé (il aimait bien ce terme), un paumé, un cabossé, chez qui il ne savait déceler la flamme de l’humanité, et dans la nuit qu’avait jeté autour de lui celui qu’il défendait, amener juges, jurés, et parfois les parties civiles elle-mêmes, à tourner leurs regards vers cette lumière. Non pour le pardon, il a défendu des gens qui avaient commis des actes pour lesquels tout pardon était impossible, mais pour que malgré tout, on se souvienne que c’est un humain, un des nôtres, notre frère, que nous jugeons. C’est l’honneur de notre société de juger sans haine et dans la mesure du possible sans colère, de sanctionner sans humilier, de toujours penser à l’avenir et de s’interroger sur ce que cela prendra pour que celui qui sera un temps mis au ban reprenne un jour sa place dans la fraternité humaine. Cette nécessité était pour lui une évidence, et il avait chevillé au corps l’humanisme qu’il fallait pour cette tâche titanesque.

Il n’en sortait pas indemne, mais se plaindre après avoir défendu des gens dont la vie rend le mot misère insuffisant lui était impensable. Il se rebâtissait en s’entourant des gens qui l’aimaient et qu’il aimait tant en retour, sans réserve, par des bains de joie, et par une consommation de champagne qui n’est par pour rien dans la prospérité de la filière. Parfois, au cours des agapes dionysiaques qu’il organisait, ou rendait telles par sa simple présence, on pouvait apercevoir un bref moment un voile tomber sur son regard, la noirceur qu’il avait combattue hier ou celle qui l’attendait demain s’échapper un instant. Mais très vite, il se rendait compte qu’on le regardait, son regard croisait le nôtre, ses yeux souriants avant même que sa bouche ait eu le temps de prendre la suite, et il dissipait ces ténèbres d’un bon mot ou, plus souvent, d’une remarque scabreuse.

La fidélité en amitié n’était pas un vain mot chez lui, il en avait une conception enfantine, quand les serments se font naturellement sans la moindre arrière-pensée et pour toute la vie, qui à cet âge est synonyme d’éternité. C’est pour cela que j’ai sans hésiter fait appel à lui pour me défendre lorsque des gens dont je n’ai pas envie de parler ici m’ont cherché querelle. Car je savais qu’il accepterait avec joie, outre que le corpus delicti le plongerait dans des abîmes d’hilarité. La confraternité non plus n’était pas un vain mot ; je l’ai rarement entendu prononcer le mot, il préférait pratiquer. Il était irréprochable, et incapable de comprendre qu’on ne le fût pas soi-même. Confronté comme il le fut à des confrères médiocres qui compensaient leur absence de talent par des basses ruses de prétoire, il ne se fâchait pas et ne tenait pas rancœur, mais le coupable était jeté au Tartare de son indifférence, dont on ne revenait pas, non qu’il fût rancunier mais parce que la condamnation était toujours méritée.

Il était de ces confrères qui nous donnent chaque jour, par leur exemple, envie de donner le meilleur de nous-mêmes, de ces humains qui ont compris que la seule chose qui vaille dans cette vallée de larmes, c’est de s’embrasser et de se dire qu’on s’aime autant qu’on peut, et de se retrouver, souvent, pour rire de tout, à commencer par soi-même. Il aurait détesté de tous nous voir pleurer autant que nous avons pleuré ces derniers jours à cause de lui. Qu’importe, je ne puis regretter cette trahison, et il nous a trop donné pour qu’être brutalement privé de lui à jamais ne nous fasse pas mal.