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Maitre Eolas

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Fière d'être greffière au 21 ème siècle

mercredi 23 avril 2014 à 02:29

Par Libera


Nous, greffiers et fonctionnaires de justice, y sommes sensibles en cette période de grande protestation. Enfin, nous nous sommes unis de manière moderne, par la voie électronique, pour sauver nos carrières, pour sauver notre justice, pour protéger les citoyens face à la destruction qui se profile de nos juridictions de proximité.

Je suis sensible aux jeunes avocats qui débutent. Nous sommes là pour leur apporter notre concours en notre qualité de spécialistes de la procédure, lorsqu’ils sont démunis face à une procédure qui leur échappe. Ne travaille-t’on pas dans un même objectif ? Une justice efficace, claire. Pour TOUS. Je suis aussi sensible aux jeunes magistrats qui parfois se trouvent bien isolés dans un rôle de juge spécialisé avec pour seul ami, le greffier. La transmission des savoirs est importante dans notre métier. Le greffe de l’application des peines dans lequel je travaille, je le connais, j’ai découvert la procédure de cette matière, seule pendant 8 mois, à peine arrivée que le JAP[1] était muté. Seule face aux dossiers, face aux condamnés, face au magistrat remplaçant déjà bien occupé par son cabinet d’instruction puis face au magistrat « placé » deux jours par semaine. Une orpheline face à ses questions.

N’ayant fait aucunes études de droit, mais passionnée par cette matière, j’ai intégré le Ministère de la justice après un concours d’adjoint administratif. Très vite j’ai eu à exercer des tâches de greffier. Je n’ai jamais eu à le regretter et les connaissances acquises ont largement compensé l’absence des indemnités d’un greffier. Attention, je ne dis pas que je suis d’accord avec ce modus operandi : profiter des qualités d’agents de catégorie C sans leur garantir un retour financier. J’y ai trouvé mon compte, c’est tout.

Je me suis battue pour avoir un parcours professionnel riche, pour assurer ma mission de service public, pour assurer au justiciable un accueil de qualité ; je ne veux pas aujourd’hui que la justice soit bafouée par une énième réforme qui mettra en péril les intérêts du citoyen. Je me sens trop proche de ceux-ci pour accepter cela.

Selon moi, en tant que greffier, je poserais une seule question. Je l’ai posée lors d’une intervention dans un lycée dans lequel je me suis rendue récemment pour évoquer le métier de greffier : comment pensez-vous que le dossier arrive sur le bureau du juge ? Sous cette question se trouve toute l’étendue de nos tâches. Nous parcourons la procédure du début de l’instance à son inéluctable fin, parfois après de long mois, voir de longues années. Que de travail accompli, par nous, fonctionnaires de justice durant tout ce temps.

Que dire de ces scenarii de réforme, fruits d’un long travail ayant donné lieu à pas moins de 4 rapports, à un débat national, à une consultation des magistrats et fonctionnaires des juridictions à qui l’on offre le droit d’expression ? Droit d’expression vite retiré par la censure de nos messages par voie électronique. Nos claviers faisaient trop de bruit.

Vous l’avez compris, les enjeux de ce projet de réforme vont bien au delà de la seule revalorisation des greffiers, c’est la destruction de nos juridictions de proximité que nous défendons avec force.

Madame le Garde des Sceaux a elle même rappelé en janvier 2013 lors de l’audience solennelle de la Cour de Cassation que le citoyen est la raison d’être de la justice. Et elle voudrait aujourd’hui que nous adhérions tous à cette réforme qui éloigne la justice du justiciable ? Car nous ne sommes pas dupes, la justice du 21ème siècle, dont la seule philosophie est de répondre à une nécessité de restriction budgétaire est loin de nous satisfaire.

Création d’un tribunal unique de première instance et mutualisation des moyens. Magistrat délesté de certaines tâches. Justice délestée de magistrats. Greffier juridictionnel enrichi de nouvelles compétences en échange d’une revalorisation salariale insignifiante.

Et nous aurons, pour seule satisfaction, d’avoir contribuer à l’effort de réduction des coûts pour sauver notre pays d’un endettement pharaonique dans les années à venir.

Note

[1] Juge d’Application des Peines.

Sans légende

mercredi 23 avril 2014 à 02:27

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KessKiDis

mercredi 23 avril 2014 à 02:23

Cher Maitre Eolas,

Ainsi vous nous invitez à nous exprimer, nous les ‘petites mains’ de la machine.

Alors je vais me permettre de raconter mon histoire, celui d’un catégorie “C” par volonté, œuvrant depuis plus de 25 ans dans un Tribunal de Grande Instance de taille moyenne.

Par avance je prie le lecteur du blog, habitué à la fulgurance, d’excuser la pauvreté et la confusion de mon style. Je n’ai pas l’éloquence de magistrats et d’avocats plus habitués à l’ exercice.

je suis entré au ministère de la Justice en 1988 sur concours et par choix. J’étais fier d’intégrer ce milieu, qui m’apparaissait beaucoup plus intéressant et chargé de plus de sens, que celui de l’éducation nationale par exemple. A l’époque il y avait des corps de métier. De par ma formation j’ intégrais après un concours celui d”Ouvrier professionnel”

Un Greffe ce ne sont pas que des greffiers, il y avait à l’époque (et il y a toujours , mais de moins en moins ! )plusieurs fonctions.

J’avais donc un métier, celui d’imprimeur, et je me mis à travailler pour tout le ressort de la Cour d’Appel.

Certes ce fut laborieux et … lent. Mais mon statut et mes notations me permettaient d’évoluer sereinement vers une promotion de “Maitre ouvrier” sorte de catégorie B technique.

Et surtout j’apprenais à connaître ce milieu, m’amusais de voir ces rouages parfois poussiéreux, tourner lentement. Découvrais le siège, le parquet, le greffe. Bref, notre fonctionnement judiciaire, que la grande majorité de nos concitoyens , même la plus éduquée, ignore.

Puis les choses évoluant, notamment avec l’arrivée de l’informatique, il apparu que le budget à investir pour le renouvellement de l’équipement d’une imprimerie intégrée ne se justifiait plus…

qu’à cela ne tienne, j’étais près à évoluer aussi, j’en avais l’envie, l’informatique par exemple, me plaisait je travaillais personnellement déja beaucoup avec.  Mais je souhaitais rester dans le domaine de la technique. Celui que j’aime.

A l’époque on me répondit; pour évoluer, passe le concours de greffier !  Mais le métier de greffier ne m’ intéresse pas, je suis un technique, j’aime résoudre les problèmes techniques, et dieu sait si au sein d’une juridiction il y a à faire dans ce domaine.

Je suis donc resté ouvrier professionnel : conducteur d’offset… sans offset, sans imprimerie.

En clair : pas besoin de technicien dans la justice !

En 2000 on me demande de prendre la fonction de Correspondant Local Informatique (CLI dans notre jargon) dans ma juridiction.

C’est ainsi que sans aucune formation, sans aucuns moyens supplémentaires,- je n’avais même pas de PC attribué à l’époque-, j’ai du, du jour au lendemain, tenter de résoudre  les problèmes informatiques de la juridiction. Et par extension tous les problèmes posés par les machines mises plus ou moins rationnellement à notre disposition. Téléphonie, photocopieurs, équipement d’enregistrement des procédures, puis plus tard visioconference, et équipement de numérisation .etc etc… l’avantage d’être plongé dans le bain comme ça, c’est que c’est formateur.

Le rôle de CLI est une fonction attribuée, si possible à un volontaire, souvent c’est le greffier en chef ou directeur de greffe qui le fait. Sans entrer dans le détail, il est évident que la tâche n’est pas la même entre un Tribunal d’Instance de 20 personnes avec une seule application informatique métier et un TGI de plus 100 personnes, ayant encore de nombreuses applications informatiques en local.

A titre d’illustration, le ressort de la Cour d’Appel dans lequel j’officie, compte 4 TGI, 5 TI, 6 CPH donc plusieurs centaines d’utilisateurs dispersés sur une région.  Il y a pour ce ressort, 1 seul Responsable de la Gestion Informatique secondé par 2 techniciens ! Le rôle de correspondant local informatique, seul intervenant technique sur place n’est donc pas anodin. Théoriquement son rôle ne consiste qu’a faire un pré diagnostique des pannes, logicielles ou matérielles, et appeler le bon intervenant. Dans les faits, notre rôle selon la taille de la juridiction est souvent plus celui d’un technicien suppléant !

Le tout sans reconnaissance statutaire, uniquement sur la bonne volonté. La plupart de mes collègues sont greffiers, ils ont donc une formation littéraire & juridique, ils ont beaucoup de courage je trouve !

Puis un jour, ma hiérarchie me fit signer un arrêté. Terminé, le grade d’ouvrier professionnel, je fus intégré dans celui plus global des :  Adjoint Technique Principal deuxième catégorie des services judiciaires …(sic)

Terminé aussi l’évolution de carrière aussi. Je reste « C ».

Malgré mes demandes et recherches à l’époque pas la moindre explications sur les tenants et aboutissant de la chose. Des syndicats, points de réponses ni d’informations à part les habituels demandes d’adhésion … 

À ce jour, après 26 ans de carrière je gagne 1740€ par mois (21000/an).

Notez que je ne me plains pas, si j’étais pas content j’irais voir ailleurs.

Je donne ça à titre purement indicatif. Mes collègues greffiers font un peu, (pas beaucoup) plus. Pour certains c’est toujours trop. Pour d’autres pas assez. De toute manière il y a une telle hypocrisie générale en matière de salaires en France, que je laisse le lecteur juge.

voilà rapidement comment je suis passé d’un ouvrier avec un métier à un « faisant fonction ». Je laisse au lecteur le soin de tirer lui même les conclusions.

Passons.

Mais visiblement vu de ma petit cave du palais, il semble que la volonté gestionnaire techno de ceux qui nous gouvernent depuis quarante ans, quelque soit leur étiquette, est de transformer les palais de justice en usine à produire du jugement, avec du magistrat et du greffier. Tout le reste doit être sous traité.

Pour illustrer cette saillie qui ne peut être issue que d’un mauvais esprit aigris et rétif à toute modernisation, une petite illustration.

J’ai connu l’age béni ou un gardien concierge officiait dans le Palais. Souvent il y logeait avec sa famille, dans des conditions parfois fort précaires.

Mais c’est bien connu un concierge ça coûte cher, ça râle tout le temps s’est syndiqué, et ça ne rend jamais de menu services. 

Donc on les remplace par des sociétés de gardiennage, à la réputation exemplaire, aux coûts et aux exigences sans communes mesures avec ces salopards de privilégiés qu’étaient les gardiens… 

Moralité et sans être fort en math, avec le coût annuelle d’une société de gardiennage, on doit pouvoir se payer 3 gardiens à temps complet.

Ce concept génial est bien sur étendu à tout ce qui peut l’être : l’entretien des locaux, l’informatique, etc.. etc..

Et vous aurez toujours un crane d’œuf technocrate pour vous expliquer que c’est mieux et moins cher.

Notez que c’est souvent le même genre d’individu qui râle quand le toner de son imprimante ne se remplace pas tout seul, ou que l’ampoule de sa lampe n’est pas remplacée dans la minute…

Et bien entendu je vous invite tous à venir visiter un TGI pour admirer le résultat de cette remarquable gestion !

Depuis Tout ce temps J’ai vu défiler environ 13 Gardes des sceaux.

J’ai vu les “Journées justice” de Jacques Toubon, la réforme de la “carte judiciaire” de Rachida Dati, et maintenant la “Justice du 21 siècle” de Christiane Taubira…

Dans le même temps,
j’ai vu notre palais de justice se délabrer de plus en plus
j’ai vu la perte d’autonomie des chefs de greffe
j’ai vu la création des :
ARSIT, SAR , DIT pole Chorus …. j’en passe et des meilleurs.

Tout un tas de machins & de bidules soit disant la pour nous aider à mieux faire fonctionner les juridictions… avec succès tel que nous en sommes à attendre maintenant des mois pour avoir des fournitures de bases comme du papier ou du Toner. Que notre Autocom à plus de 10 ans que certains de nos postes téléphoniques plus de 20 !

Et tous les jours dans le poste, (enfin quand je l’ouvre) j’entends dire que ce pays est de plus en plus endetté.

Vous nous parlez de Cassiopée, Me Eolas, je pourrais vous parler de la remarquable manière dont fut mise en place ce système informatique. Je sais j’y étais, nous fûmes même parmi les 1er à le mettre en place… j’ai des noms !!!

Évidemment dix ans après, les cabinets d’instruction et une partie du Tribunal pour enfant n’est toujours pas intégré dedans.

J’ai vu la mise en place de la GED : Gestion Eléctronique des Documents dans les juridictions. En fait c’est de la numérisation des dossiers, c’est fou ce que les technos raffolent des sigles !!!

Simplement parce qu’il nous paraissait rationnel, nous nous sommes battus dans notre greffe, pour mettre en place ce système. Avec du matériel inadapté, pas ou peu de formation, très peu, pour ne pas dire pas de soutien.

Tout ça pour revenir en arrière : A quoi bon numériser si il faut toujours donner les copies papiers aux Avocats? Un simple photocopieur suffisait !

Malgré les demandes répétées directement à la chancellerie, impossible d’avoir des réponses concrètes en ce qui concerne la consultation du dossier numérisé par l’avocat !

J’ai vu le législateur imposer tout un tas de lois, comme par exemple :
l’enregistrement des interrogatoires à l’instruction avec du matériel inadapté, inopérant non fiable.

Je pense que les avocats pénalistes qui ont tenté un jour de consulter un cd d’interrogatoire enregistré sauront de quoi je parle !

La mise en place des “douchettes” pour la lecture des timbres fiscaux !!!! Complètement abandonnés, depuis…
etc …etc…

J’ai vu la différence de traitement en matériel et en personnel entre une Cour d’Appel et un Tribunal de Grande Instance.

J’en passe et des meilleurs. On pourrait noircir des pages ! Pas une année qui n’annonce son lot d’idées technocratiques géniales en tout genre, à mettre en place.

Un argent, un temps, et une énergie considérable gaspillés en pure perte au détriment d’une chose essentiel : rendre la Justice, au quotidien sur le terrain.

Et dans le même temps comme tous nos concitoyens j’ai vu la dégradation de l’image de cette Justice.

Comme le reste de nos institutions essentielles à la démocratie d’ailleurs.

Alors évidemment quand notre garde des sceaux nous demande de réfléchir à la justice du 21 siècle, je n’y vois que pure démagogie, une énième manœuvre de com’ politicarde, histoire de prouver qu’un politique ça réforme ça disperse ça ventile…

Pour rester dans Audiard j’ajouterai même que les politiques ça osent tout c’est même à ça qu’on les reconnaît !

J’aimerais que Mme Taubira m’explique pourquoi sa réforme ne serait pas une énième annonce démagogique de plus. Son monde à elle, n’étant pas le notre. La justice demande du temps et de la sagesse tout le contraire de la com’politicarde immédiate.

Alors voilà Me Eolas.
Tu l’as voulu, tu l’as eu, la logorrhée !

Et j’ai pas terminé.

Je vais relativiser votre vision pour le moins idyllique du greffe.

Si le greffe est majoritairement féminisé, c’est parce que le plus gros des embauches s’est fait dans les années 70 et début 80 à une époque ou c’était le second Job de la famille. Celui qui permettait de payer les traites de la maison !

Alors j’ose le dire, la notion de justice et de service publique est parfois une notion assez secondaire chez la plupart de mes collègues.

Par contre je reconnais une évolution de la motivation dans les jeunes générations.

Je reconnais aussi avoir côtoyé des personnages fascinants qui m’ont appris beaucoup.

Mais ne soyons pas dupe, j’ai bien peur que ce mouvement de grogne ne finisse noyé comme c’est hélas trop souvent le cas, dans des demandes corporatistes minables, et l’on passera une nouvelle fois sur ce qui est le plus dur à obtenir, c’est à dire une gestion rationnelle de cette institution essentielle à la démocratie. Pour être respecté il faut être respectable.

Nos dirigeants politiques ne le sont plus.

De toutes nos institutions républicaines fondamentales, le seul aspect respectable de la Justice étant sa pauvreté. Ça reste un peu juste pour bien faire. Du moins pour faire au mieux.

Malgré tout ça , j’aime toujours mon Palais de Justice. Tout simplement parce que tous les jours je vois des personnes, greffiers ou magistrats heureux que je les dépanne. J’aimerais bien que tout ça conserve du sens.

Merci pour votre accueil, Me Eolas.

Bien cordialement,
François

Quelques explications sur ma colère...

mercredi 23 avril 2014 à 02:10

Par Greffierencol


Puisque ce blog nous est ouvert (merci pour l’invitation), puisqu’il n’est pas lu uniquement par d’éminents juristes et pour vous permettre à vous lecteurs de comprendre ce mouvement de colère si discret aux yeux du grand public, si fort et si puissant à nos yeux, ainsi que la grève prévue le 29 avril prochain, quelques explications s’imposent. Je ne reprendrai pas ici le portrait si juste dressé de nos fonctions par le maître de ces lieux, j’ajouterai simplement quelques précisions et quelques exemples qui, s’ils ne concernent pas tous les personnels de greffe, en concernent tout de même un certain nombre.

Plusieurs corps de métiers composent les greffes des tribunaux de l’ordre judiciaire : les secrétaires administratives, les adjoints techniques, les adjoints administratifs, les greffiers et les greffiers en chef. Et le mouvement actuel concerne tous ces personnels, qu’ils relèvent des catégories A, B ou C. Traditionnellement, à chaque catégorie correspond des fonctions différentes et des responsabilités différentes qui exigent un niveau de diplôme différent et une rémunération adaptée.

Toute la difficulté réside aujourd’hui dans ces deux derniers paramètres.

A la suite d’une politique de restriction budgétaire désastreuse menée par différents gouvernements successifs, les recrutements de magistrats, de greffiers en chef, de greffiers et d’adjoints ont été en totale inadéquation avec les nécessités induites par les évolutions de notre société. Ils ont ainsi été presque inexistants plusieurs années durant. Et, s’il faut reconnaître que tel n’est plus le cas depuis l’année 2012, cette situation a amené à la pénurie de magistrats, de greffiers en chefs et de greffiers que nous connaissons actuellement et qui ne va cesser de s’accentuer avec les très nombreux départs à la retraite que les années à venir nous promettent. Mais elle a également amené un grand nombre d’étudiants en droit, s’étant initialement destinés à des concours de catégorie A, à présenter des concours de catégorie B voire de catégorie C, comme par exemple les concours de greffier et d’adjoint administratif. Ainsi, un très grand nombre de jeunes adjoints et de jeunes greffiers sont beaucoup plus diplômés que ce qu’exigent les conditions légales de présentation aux concours. Or cette situation n’est plus tenable dès lors qu’aucun perspective d’évolution ne leur est offerte tandis qu’au quotidien, ils assurent de plus en plus souvent une grande partie des fonctions de greffier pour les adjoints et une partie (si petite soit elle) des fonctions de magistrats pour les greffiers. Elle l’est d’autant moins lorsque leur rémunération, correcte pendant la période de formation, atteint péniblement 1600 euros après quatre ans de titularisation et quelques 2300 euros maximum en fin de carrière pour les greffiers. La situation devient proprement inacceptable pour les adjoints qui commencent leur carrière à 1200 euros et la terminent à 1800 euros mensuels maximum bien qu’ils aient pu assurer des fonctions de greffier toute leur vie professionnelle durant, un « SMIC amélioré » en somme.

C’est ainsi que les personnels de greffe, qu’ils soient greffiers, adjoints administratifs ou adjoints faisant fonction de greffier, revendiquent des évolutions notables de leurs statuts et de leurs rémunérations.

Au quotidien, nous assurons indifféremment, par manque de personnel, des tâches de secrétariat pur, de greffier, parfois même de magistrat sans parler des tâches de concierge, d’électricien, de technicien informatique ou de bonne à tout faire que nous devons ponctuellement assurer lorsque certains de nos magistrats sont quelque peu assistés. Et je n’exagère rien : quid de ce magistrat nouvellement affecté dans une juridiction labyrinthe qui nous demande de venir le chercher parce qu’il n’a pas de temps à perdre à chercher la salle d’audience ? quid de celui-ci qui nous demande de venir chercher un dossier à l’autre bout du Palais, parce qu’après tout ce n’est pas son travail ? Je passe sur les nombreux fax et photocopies que nous seuls sommes habilités aptes à exécuter voire à réparer (parce que nous seuls nous sommes posés cette question essentielle : Comment fonctionne ce photocopieur ? Comment fonctionne ce fax? A quoi sert ce gros bouton vert ? Si j’ouvre cette petite trappe, vais-je pouvoir le réparer ?), la liste serait trop longue et déprimante.

Il me paraît nécessaire d’insister à ce stade sur une mission essentielle que nous devons assurer au quotidien et qui explique, entre autre, pourquoi notre mouvement ne s’est pas encore radicalisé. Il s’agit de l’accueil qui, téléphonique comme physique et pour paraître la moins technique de nos tâches, n’en est pas la moins difficile. Difficile et sensible lorsqu’il s’agit d’accueillir un public de justiciables angoissés et exaspérés après avoir déambulé des heures durant avant d’avoir pu trouver le service adéquat, lorsqu’il s’agit d’accueillir des « collaborateurs de justice » tels que les interprètes et experts qui, après n’avoir pas été payés des années durant, rechignent un peu à accepter de nouvelles missions ou bien encore lorsqu’il s’agit d’avocats désespérant d’obtenir une réponse à leur demande, un entretien avec un magistrat malgré deux courriers, trois fax et cinq appels en ce sens. Et pour l’exécution de cette fonction, nous sommes là encore seuls, greffiers comme adjoints. Nous sommes seuls et protégeons régulièrement nos juges qui, d’un tour de main, peuvent se réfugier dans leur bureau quand nous ne pouvons pas nous dérober à nos interlocuteurs.

Puisque le temps m’est ici donné, j’en profite et je continue, à titre personnel, en me désolant par exemple d’avoir dû rappeler, à plusieurs reprises, les termes de la loi à certains de mes magistrats, d’avoir du attirer leur attention sur certaines de leurs propres décisions pour éviter des requêtes en omission de statuer, de m’être surprise à vérifier que, passé minuit, la date de notification d’une ordonnance change. Tous ne sont pas assistés bien sur, certains sont de véritables encyclopédies juridiques sur lesquelles il fait bon de pouvoir compter mais pour les autres, il est d’autant plus facile de se reposer sur un greffier lorsque celui-ci est parfois plus diplômé que lui et pour lequel les bancs de l’université sont un souvenir beaucoup plus vivace.

Alors nombreuses sont les frustrations, les colères quotidiennes que nous ne pouvons plus garder pour nous. Trop d’injustices, trop peu d’équité, trop peu de réflexion, de concertation au sein de notre ministère. Nous avons trop accepté sans broncher, tenté en vain de digérer des réformes indigestes, d’accepter des conditions de travail inacceptables, de cautionner des situations iniques. Encore quelques petits exemples qui n’engagent que moi mais auxquels je sais que quelques uns de mes collègues seront sensibles : lorsque mon juge et moi nous déplacions pour cause de permanence et de grands méchants en liberté, nous étions indemnisés tous deux 40 euros pour la journée. Il va maintenant être indemnisé à hauteur de 110 euros tandis que je continuerai à réclamer 40 euros, bien qu’arrivée avant lui et repartie bien après… Tiens d’ailleurs, une grosse enveloppe budgétaire vient d’être débloquée pour pouvoir payer tout ça….

D’autres indemnités me sont inaccessibles telles que la prime de risque liée au contentieux antiterroriste, parce que sans doute, lorsqu’ils viennent dans mon service, les mis en examen terroristes ne doivent plus l’être le temps de l’audience. Audience qui, sans doute, doit être fictive et à tout le moins terminer avant 17h30 puisque je n’ai pas non plus droit à la NBI. Voilà ce que je me répète à chaque fois qu’à 2h30 du matin (les joies du JLD pénal à Paris), je cherche en vain un taxi aux abords du Palais pour pouvoir rentrer chez moi. Alors, certes, ces primes ou indemnités, si elles m’étaient accordées, ne changeraient pas radicalement mon quotidien mais elles démontreraient un certain souci de justice et de réflexion lors de l’élaboration des statuts et des rémunérations, ce qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut.

Mais que je me rassure, le SAR (service qui établit les fiches de paye et ordonne les virements de nos salaires) n’a pas oublié que j’avais droit à la prime liée à la vie chère. Parce que oui, grâce à ces 50 euros mensuels, mes 800 euros de loyers me semblent plus légers. Ah mais ai-je oublié de vous parler des logements publics inexistants pour les seuls fonctionnaires du ministère de la Justice ?

Ici encore, la liste des raisons de notre colère, de ma colère n’est pas exhaustive et un dernier exemple s’impose. Jeune greffier que je suis, naïve et pleine de bonne volonté, je me suis portée volontaire pour participer à certains des grands projets mis en place dans ma juridiction. S’il s’agissait de concertation, celle-ci a systématiquement trouvée ses limites lorsque j’émettais un avis contraire aux informations propositions qui m’étaient formulées, osant expliquer (petite impertinente que je suis) qu’elles étaient simplement incompatibles avec la réalité de mon service.

Alors un nouveau grand débat, sur la Justice du XXIème siècle, ce sera sans moi si cette fois encore on ne commence pas parler de la situation actuelle, si dans le même temps tel service doit se battre pour avoir un standard téléphonique qui fonctionne, tel autre un logiciel dont le contrat de maintenance soit renouvelé, si le budget de fonctionnement de la quasi totalité des juridictions continue à être épuisé au mois de mai, quand ce n’est pas avant et si, au préalable, les conditions de travail et le statut des différents personnels de greffe ne sont pas réexaminés sérieusement.

Et comme un mouvement quotidien respectueux des justiciables, des magistrats, des avocats et de tous les intervenants de Justice, n’est pas écouté, alors oui, le 29 avril prochain je ferai grève.

Greffier dans une grande juridiction de province…

mercredi 23 avril 2014 à 02:06

Par un greffier (presque) à la retraite


Je suis greffier d’un tribunal de grande instance, à peu près 280 fonctionnaires.

Comment çà fonctionne ? Cela fonctionne avec de la bonne volonté actuellement, je n’en dirai pas plus.

Pourquoi en parler ? Je le fais parce qu’en pré-retraite : en réalité, je serai en retraite pour l’été et je récupère actuellement toutes les nuits passées au tribunal correctionnel, ce qui représente 90 jours de congés. Et encore, je m’en suis fait payer quelques 50 jours sans compter les heures dites de dérogation qui se montaient à 800 et que j’avais récupérées il y a 2 ans sur mon temps de travail ; j’ai alors subi les foudres des greffiers en chef qui se sont plaints de retard dans le travail me collant un rapport au passage. J’ai finalement dû arrêter la correctionnelle pour finir au greffe pénal.

Alors, vous me direz dépressif ! Pas du tout, je n’y mettrai plus les pieds, c’est tout. Autant le travail est passionnant, je parle des audiences, pas de l’administratif, autant les conditions de travail sont désastreuses et cassent le moral.

Mais oui, c’est cela la vie de greffier, un métier avec des hauts et des bas et toujours l’impression d’écoper un bateau qui prend l’eau de toute part. Maintenant, je suis un vieux greffier perforé de douleurs pour n’avoir pas su me préserver.

Une seule consolation : avoir eu des collègues et des greffiers en chef ouverts, des magistrats aussi avec lesquels j’étais en communion, des avocats en général sympathiques ou carrément antipathiques. Et un pot de départ pas trop triste, plutôt heureux de m’en sortir.

Signé : Un greffier bac +2, 36 ans de carrière dans le même TGI avec quasiment tous les services à son actif mais une retraite au rabais pour n’avoir pas les annuités pour une retraite à taux plein.

PS : je suis actuellement à 2382,32 euros : en retraite, faudra compter 800 euros en moins…