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Maitre Eolas

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Journal d'un justiciable en colère

mercredi 30 avril 2014 à 13:49

Par Astrée, greffier en chef


Chacun de nous a été, est, ou sera un jour, un justiciable.

Et je ne veux pas dire par là que chaque citoyen est un délinquant qui s’ignore (ou non).

Simplement un usager du service public de la justice. Car loin des clichés télévisuels, la justice, ce n’est pas simplement : “Accusé, levez-vous !”.

Un divorce ? Tribunal de grande instance. Un licenciement ? Conseil de prud’homme. Un PaCS ? Tribunal d’instance. Une facture impayée ? Juridiction de proximité. Un parent souffrant d’Alzheimer ? Juge des tutelles. Un certificat de nationalité ? Tribunal d’instance. Une entreprise en difficulté ? Tribunal de commerce. Une adoption ? Tribunal de grande instance. Des travaux mal faits ? Tribunal d’instance. Un voisin injurieux ? Tribunal de police. Un mineur orphelin ? Juge aux affaires familiales. Un accident de la route ? Tribunal de grande instance. Une erreur sur votre acte de naissance ? Service civil du parquet. Une renonciation à succession ? Tribunal de grande instance…

Nous sommes tous des usagers de ce service public qu’est la justice.

Aujourd’hui, je ne suis pas un greffier en chef en colère. Je n’ai pas de revendication statutaire, ni salariale. Je ne demande pas de revalorisation, ni plus de considération. Je ne me sens ni méprisée par les magistrats, ni conspuée par les greffiers, ni ignorée par les avocats.

Je suis un justiciable en colère.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que c’est le justiciable en moi qui doit être en colère. Et je sais, car je connais le sens du service public des mes collègues de toutes catégories, que chacune des revendications portées devant le ministère de la justice aujourd’hui a pour raison d’être l’envie de servir au mieux le justiciable.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que chaque réforme, chaque “arbitrage budgétaire”, chaque “modernisation”, chaque “simplification” va nous faire grincer des dents, tempêter et maudire ce législateur inconscient, non pas parce qu’il nous sort de notre zone de confort, ou fait trembler notre routine de fonctionnaire, mais parce qu’il nous empêche de satisfaire au mieux, dans des délais raisonnables, en des termes clairs notre “client” : le justiciable.

Abordons la question de l’informatique judiciaire : Maître Eolas a évoqué les affres de Cassiopée. Ce dernier a une grande famille : Minos[1], Appi[2], Chorus[3], Ipweb[4] et j’en passe. Ils sont codés avec les pieds, certes. Mais comme toute tare familiale, on s’y fait, on développe des stratégies, on apprend à ne pas appuyer sur la zone sensible.

Le cauchemar de l’informatique judiciaire réside ailleurs. Il se drape de modernisation, d’échanges dématérialisés avec les huissiers, les avocats, les gendarmeries, le trésor, et que sais-je encore. Car au delà du fait qu’ils sont pédifacturés, ces applicatifs ont surtout un terrible point commun : ils fonctionnent via intranet. Or, de débit, nous n’avons point. C’est comme essayer de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Le quotidien des greffes au XXIème siècle consiste donc à regarder s’égrener les carrés verts de la barre de chargement. A chaque dossier enregistré, à chaque donnée ajoutée, 10 secondes par ci, 30 secondes par là. Multipliées par 50 dossiers par jour, par 250 jours par an, par 30, 50, 70 fonctionnaires par tribunal, par 500 juridictions… Vous êtes en train de faire le calcul de la lenteur de la justice. Pour moi, fonctionnaire de justice, cela ne change rien. Je ne suis pas payée au nombre de dossiers enregistrés. Pour moi, justiciable, c’est peut-être un mois, deux mois de plus sans récupérer la caution que mon propriétaire refuse de me rendre.

Parlons de la réformite aigüe : maladie dont est manifestement atteint notre législateur et qui consiste à réformer, puis à réformer la réforme, puis à simplifier la réforme de la réforme, puis à moderniser la simplification. Le tout, sans regarder ce qui existe déjà, sans se demander si et comment l’existant est appliqué ou applicable. De préférence en omettant d’abroger les dispositions anciennes et en échelonnant les entrées en vigueur de telle sorte que personne ne sache quel texte est applicable à l’instant T. En pratique, dans les greffes, cela donne quoi ? Exemple : une loi du 26 juillet 2013 réforme la procédure de surendettement. Elle entre en vigueur le 1/01/2014. Le décret d’application (qui explique concrètement comment mettre en œuvre la réforme) est publié le 21/02/2014 (cela fait donc 2 mois que la réforme existe sans être appliquée), les instructions au greffe sont transmises par la chancellerie fin avril. Les logiciels informatiques seront adaptés en juin. Ne fonctionneront pas. Les bugs seront peut-être corrigés en septembre… ou pas.

Et de janvier à septembre, on fait quoi ?

Une bonne âme, généralement le greffier en chef, épluche chaque matin le Journal officiel en ligne, puis tel Sherlock Holmes, remonte la piste du texte modifié. Vous avez déjà vu une loi de simplification ? Cela ressemble à cela :

>“Le code des douanes est ainsi modifié :

1° Au 2 de l’article 103, à l’article 344 et au deuxième alinéa de l’article 468, les mots : « tribunal d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance » ;
2° A l’article 185, à la fin du 2 de l’article 186, à la seconde phrase du 3 de l’article 188, aux 1 et 3 de l’article 389 et au dernier alinéa du 1 et à la première phrase du 3 de l’article 389 bis, les mots : « juge d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance »
3°A l’article 361, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois » ; “

… et cela peut continuer comme cela sur 10, 20 ou 30 pages. A vous de sortir codes et crayons pour trouver ce qui peut bien vous concerner et découvrir que vous venez de vous voir attribuer une compétence nouvelle. A vous de trouver quelle date d’entrée en vigueur s’applique à quel alinéa. À vous d’en rédiger une synthèse que vous diffuserez aux fonctionnaires. A vous de chercher comment mettre en œuvre la loi nouvelle avec le logiciel ancien. À vous d’aller corriger chaque trame de jugement, de convocation, de notification pour l’adapter aux nouveautés, pour corriger les articles cités, les délais, les voies de recours qui ont changé… 15 minutes par trame, multiplié par 15 ou 20 trames, multiplié par 500 juridictions. Pour moi, greffier en chef, c’est une activité comme une autre. Je répare les chasses d’eau, je peux bien bricoler des trames. Pour moi justiciable, c’est deux mois de plus avant que mon divorce soit prononcé.

Les juridictions sont encombrées, ce n’est rien, simplifions. Transférons aux huissiers les appositions de scellés, aux notaires les actes de notoriété, les consentements à adoption, aux préfectures les nationalités par mariage…

Pour moi, greffier en chef, c’est du travail en moins. Les journées sont moins variées, mais je ne m’ennuie pas, j’ai des réformes à mettre en œuvre. Pour moi justiciable, c’est 500 euros de frais de notaire pour un service auparavant rendu gratuitement par le tribunal.

Le système judiciaire est trop complexe, le justiciable n’y comprend rien : simplifions ! Rayons de la carte 250 tribunaux. Une fois qu’il aura compris que le tribunal est trop loin pour que cela vaille le coup d’entamer une procédure, il aura effectivement tout compris.

Terminons par le nerf de la guerre : le budget. Les juridictions sont pauvres. Mes collègues ont donné assez de détails. C’est un fait avéré. On y coupe les post-it en deux, voire en quatre. Considérons que c’est au moins écologique. Chacun a conscience qu’il est nécessaire de faire des économies.

Là où le bât blesse, c’est que moi, greffier en chef, je sais qu’il faudrait plus de moyens, mais je sais aussi pertinemment comment on pourrait faire des économies. Je sais quelles notifications par lettres recommandées, imposées par les textes, sont inutiles (à presque 4,50€ la lettre recommandée, je vous assure que ce n’est pas une paille).

Je sais combien coûte une audience solennelle de rentrée (chaque année, dans chaque juridiction, avec petits fours et invitation du bottin mondain) et combien coûte l’audience d’installation d’un nouveau président, procureur…

J’ignore combien coûtent les nombreuses brochures sur papier glacé qui nous sont envoyées par la chancellerie, mais je sais parfaitement où elles terminent.

J’ignore combien a coûté, en signalétique, panneaux et feuilles à entête la transformation du ”ministère de la justice” en “ministère de la justice et des libertés”, puis le retour au “ministère de la justice”, mais j’ai dans l’idée qu’il y avait là de quoi faire vivre quelques juridictions pendant quelques années.

Et là, ce n’est plus moi, justiciable, mais moi contribuable qui suis en colère.

Alors, si aujourd’hui, moi, greffier en chef, je suis sur les marches du palais de justice, c’est pour que vous, justiciables, bénéficiiez d’un vrai service public de la justice.

Astrée

Notes

[1] Qui gère les décisions rendues par les tribunaux de police et de proximité. Rappelons que Minos a bâti un labyrinthe où il a enfermé un monstre…NdEolas

[2] Application des Peines, Probation et Insertion, qui fait la liaison entre les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et les juges d’application des peines. NdEolas

[3] Application qui gère les dépenses de l’Etat dans toutes les administrations.NdEolas

[4] Système de traitement des données personnelles dans les tribunaux d’instance et de proximité.NdEolas

Retour de flamme

mercredi 30 avril 2014 à 10:23

Par Cyberkek


Je reviens de Paris, je n’aime pas la foule, les mouvements collectifs mais, comme je l’ai dit ailleurs sur ce blog, j’aime l’idée d’une justice digne de ce pays, digne des citoyens qui la composent et qui auront un jour, à un titre ou à un autre, à lui rendre ou lui demander des comptes.

Je sais bien que je suis un salaud de fonctionnaire nanti à un moment où tant de mes concitoyens et de mes proches connaissent des fins de mois difficiles, surtout les trente derniers jours aurait dit Coluche (même si je lui préfère Desproges). Que chacun sache que je ne suis dans la fonction publique que parce que j’ai été élevé par des gens très biens (mes parents en l’occurrence) épris de la notion de service public n’y changera rien. Les esprits fâcheux et les mesquins continueront à croire que notre colère ne s’appuie que sur des revendications salariales.

Que l’on me comprenne bien, l’aumône qui m’est faite ne constitue pas à mes yeux un salaire décent puisque j’ai une haute estime de moi, mais cela n’est rien au regard de ce qui se trame dans la fonction publique : nous attendons tous, lorsque nous nous adressons à un service d’État, que notre cause trouvera une oreille attentive, même si elle a l’honnêteté de nous faire comprendre que notre démarche est déplacée, incongrue, disproportionnée (cochez donc ce qui vous sied).

J’ose espérer que, si je suis malade, je trouverai un médecin, un chirurgien, une infirmière à même de prendre en charge ma détresse. Il en est de même de notre justice et des personnes qui y concourent, personnel de greffe, magistrats, avocats, etc. Je ne fais pas, au final, de distinguo entre professions libérales et fonctionnaires dès lors que nous avons tous conscience de concourir à un même bien général. Et je conchie ceux qui s’attribue ces oripeaux pour d’autres fins.

Or, l’on voudrait faire croire, au nom d’une politique qui n’a de libérale que l’économie (et je ne vise aucun parti en particulier), qu’une rentabilité peut se faire sur le principe d’une baisse des moyens d’exercer. Qui peut dire combien de personnes malades, combien d’infractions au code de la route, combien de couples devant se séparer composeront les cohortes des mois à venir ?

Qui souhaite voir sa fin de vie allégée par des bricolages « parce qu’on a plus les ressources », son divorce sans cesse repoussé « parce qu’on a plus de budget imprimante », sa sécurité mise en attente « parce qu’on a pas les effectifs pour intervenir » ?

J’ai, salaud parmi les salauds de nantis, fais grève et manifesté aujourd’hui, non pas pour moi, ni pour mes collègues, mais pour mes concitoyens. Et si vous avez des doutes, je ne peux rien y faire si ce n’est vous considérer d’un air désolé, et regretter que ce bien commun, cette maison commune que nous avons, génération après génération, contribué à construire, vous souhaitiez la laisser à l’abandon.

Cyberkek

J'aime mon métier

mardi 29 avril 2014 à 11:44

Par Bobcat


J’aime mon métier. Il est vrai qu’à la loterie de l’affectation, j’ai été un peu déçue d’échouer à un poste à haute teneur administrative, le secrétariat de la Première Présidence d’une Cour d’appel, ce n’est pas vraiment le poste dont on rêve quand on passe le concours. J’ai néanmoins la chance de travailler au sein d’une équipe sympathique, dynamique et supervisée par une GEC[1] compréhensive et des magistrats agréables, compétents, qui se sont tout de suite attachés mon respect et mon estime. Alors j’aime mon métier.

Depuis le début de la mobilisation, je lis les articles qui parlent de nous et de notre profession, et même si j’avais conscience de faire partie du côté obscur du métier (non seulement, nous portons une robe noire mais en plus nous sommes dans l’ombre. Greffier ninja!), je ne m’attendais pas à lire certains commentaires désobligeants proposant de supprimer notre profession de “gratte-papier” et de nous remplacer par des logiciels de reconnaissance vocale.

La méconnaissance que le grand public peut avoir de notre métier est particulièrement blessante quand on sait que le greffe est en première ligne face au justiciable. Le greffe est le premier contact du public avec la justice et pourtant, rares sont ceux qui savent vraiment ce que fait un greffe. Non, nous ne sommes pas limités à de la prise de note même si c’est souvent l’impression que nous donnons. Non, nous ne faisons pas que des photocopies même si nous passons tellement de temps devant le photocopieur que nous avons tendance à lui parler pour l’encourager à aller plus vite quand nous nous croyons seuls.

Nous sommes fatigués (j’ose m’inclure, vous comprenez, je suis solidaire de mes collègues même si je ne suis pas encore abîmée par le métier). Fatigués d’essuyer les plâtres, fatigués d’avoir l’impression de compter pour des nèfles, fatigués de ne pas être estimés à notre juste valeur alors que tous les jours nous sommes des milliers à nous casser la chute de reins pour que le fauteuil roulant de la Justice roule un peu plus loin malgré tous les bâtons qu’elle se met elle-même dans les roues.

J’ai peu d’espoir que notre mobilisation des ces derniers temps nous obtienne quoique ce soit. Mais si nous ne faisons pas entendre nos voix, personne ne le fera pour nous.

Alors je fais grève aujourd’hui, même si je suis venue travailler parce que les deux tiers des urgences devaient être traitées avant mercredi et même si je repasserai sans doute ce soir, histoire de vérifier que tout est bien carré.

Et je vais aller manifester tout à l’heure en robe parce que j’aime mon métier. J’aime mon métier, je trouve ça immensément gratifiant de faire partie de ce rouage de la démocratie. J’en tire une grande satisfaction et un incommensurable honneur. C’est peut-être un peu ridicule de dire ça, mais j’aime mon pays et ça me fait plaisir de me dire que grâce à moi, à ma maigre participation, ma nation peut exercer son droit régalien de rendre la Justice. C’est aussi très idéaliste, mais que voulez-vous, je suis (encore) jeune et l’idéalisme est ma prérogative.

Bobcat

Note

[1] Greffier en chef. NdEolas

J'ai fait un pacte avec la justice

mardi 29 avril 2014 à 00:03

Par un bébé greffier arrivé à maturation


J’ai fait un pacte avec la justice : Parcours d’Accès aux Carrières Territoriales de l’Etat

J’ai fait un pacte avec la justice, qui m’a sauvé la vie ce 3 septembre 2007, jour de mon affectation en tant que catégorie C dans une prestigieuse cour d’appel. J’avais 20 ans et j’ai tout plaqué pour monter à Paris

Pas de parcours universitaire, pas de bac en poche, juste une furieuse envie de faire quelque chose de ma vie ; ça y est on m’avait enfin donné ma chance !

Pour moi le monde judiciaire (même si je n’y connaissais strictement rien à l’époque) était un monde où j’avais la sensation d’apporter quelque chose aux autres.

J’ai travaillé quelques années dans un service visiblement évité par tous et où on m’avait placée : et oui ! petite dernière arrivée oblige : Apostille[1] ! Quel doux mot. J’en avais des joujoux , des beaux tampons ! Quelques centaines de justiciables par jour, deux personnes au guichet, le public énervé par l’attente. Ce fut difficile mais pas sans émotions.

Ainsi, lorsque cette femme ayant, au bout de quelques années d’attente enfin obtenu l’adoption de sa petite fille, vint nous voir les yeux rouges pleins de larmes une plante dans les bras pour nous dire : « j’ai quelque chose à vous annoncer, nous avons ramené notre petite fille mais mon mari n’a pas survécu à un crash d’avion en allant la chercher… » C’est ce jour là que j’ai tout compris.

J’ai fait plusieurs autres services et puis, un jour, j’ai enfin eu les années d’ancienneté requises pour passer ce fameux concours de greffier en interne.

J’ai obtenu ce concours avec l’aide de beaucoup de personnes, qui m’ont apporté leurs connaissances, leur savoir, leur aide et leur soutien. Oui, comme me le disait une collègue ce métier fait rencontrer des personnes avec qui l’on partage beaucoup de choses.

Une fois ce concours obtenu, à 25 ans, j’ai fait (comme l’a dit Max) “la potiche, le stagiaire, le TÉKITOI” pendant 18 mois…18 mois où je suis restée passionnée, mais parfois désespérée aussi …

- déçue quand on m’a annoncé qu’évoluer dans sa carrière c’était bien mais que l’ancienneté ne serait reprise qu’aux deux tiers…

- agacée quand, à une réunion lors de mon dernier passage à l’école, on nous annonça qu’il n’était pas possible de permettre aux greffiers, en pré-affectation sur leur poste, de récupérer leurs heures supplémentaires, qu’ils ne donneront pas officiellement l’autorisation d’en faire, parce que, vous comprenez, sinon les 18 mois de formation ne seraient pas justifiés, qu’elle passerait à 1 an et que par conséquent la revalorisation de notre statut/indice ne pourrait se faire !

- dubitative, quand notre ministre nous annonça en personne à l’école que notre revalorisation sera reconsidérée en 2015… quand je vois le résultat aujourd’hui….justice du 21e siècle…

J’ai intégré le service de l’instruction en région parisienne pour ma première affectation en tant que greffier, je suis passionnée par ce service, comme Wonderwoman l’a si bien expliqué, cette multitude de compétences et de rapports humains et à la fois passionnant et émotionnellement difficile, mais je ne regrette en rien mon choix.

Mais je suis fatiguée quand je vois quel combat c’est d’être greffier stagiaire dans ce genre de service où les heures ne se comptent pas et où il est impossible de se les faire payer et presque impossible de les récupérer…

Aujourd’hui, titularisée depuis peu, j’ai 27 ans et cela fera 7 ans en septembre que je suis fonctionnaire de la justice ; 7 ans mais mon point d’indice n’a que très peu évolué et mon salaire a augmenté d’à peine 100 euros…

Je n’ai pas perdu cette passion pour ce métier et je continue toujours de l’aimer autant et d’y passer une grande partie de mon temps au détriment de ma vie privée parfois.

Toutes ces histoires entendues, ou ces photos sordides vues, m’ont parfois brisée mais m’ont toujours donné envie de continuer parce qu’un greffier (ou autre) passionné, c’est un bon greffier!

Alors oui je suis en colère : j’ai fait un pacte avec la justice un jour, j’ai promis cette année là en 2007 devant un jury de m’investir plus que jamais si elle me donnait ma chance.

Je suis en colère parce que j’ai tenu ma promesse et fait plus encore.

Je suis en colère parce qu’ils sont avec moi des milliers à le faire, des C jusqu’aux A.

Et que je ne supporte plus d’entendre “il faut faire des efforts”. Ces efforts nous les faisons, tous les jours mais je ne suis pas certaine du tout, qu’en face, on les voie, les apprécie ou les considère.

Je vous remercie Maître pour ce si bel hommage, et pour cette opportunité d’expression.

Loin de moi la prétention d’avoir une aussi belle plume que certains mais je souhaitais vous faire partager cette expérience peu commune qu’est le contrat-Pacte.

Note

[1] L’apostille est une procédure de légalisation simplifiée, prévue par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. C’est une authentification normalisée d’un acte judiciaire français afin d’assurer aux autorités d’un Etat étranger lui aussi partie à cette Convention que le document est bien authentique, afin qu’il puisse produire des effets juridiques dans ce pays étranger. Très utilisé en matière d’adoption internationale notamment. NdEolas

Moi, Maxime F., 25 ans, greffier, passionné…

lundi 28 avril 2014 à 11:06

Par G.I. Max, un greffier (presque) idéal…


Je suis un greffier travaillant dans un service correctionnel, titulaire depuis peu, et comme le maître des lieux offre son blog comme tribune pour s’exprimer j’aimerais décrire ma (très brève) expérience. Partager des moments de vie du greffe, qui ont fait que si je suis en colère aujourd’hui, la passion (naissante) est restée intacte. Il y a 3 étapes dans la vie de greffier. La première c’est la découverte, celle où tout est possible, tout est émerveillement, des robes d’audiences au langage si particulier. C’est la période de scolarité puis de stages. Puis vient la routine, où s’installe le train-train quotidien, où les audiences deviennent notre lot quotidien et l’on n’y fait plus attention. Dans la majorité des cas, ça s’arrête là. Mais parfois un événement change la donne, le simple battement de cil d’une greffière en chef ou un mail anodin. Oui, parfois, un petit rien peu tout faire basculer. C’est cette histoire que je veux vous conter.

Épisode 1 : La découverte

Tous les fonctionnaires ont vécu la même chose. Chaque carrière commence par une liste. Une simple liste. Et un classement. Les réactions diffèrent. Certains se disent : « Ah bon, j’avais passé ce concours moi ? » quand d’autres fondent en larmes car c’est l’aboutissement de longues années d’études. Moi je n’étais ni dans l’une, ni dans l’autre situation. J’étais juste heureux d’avoir réussi un concours que je pensais avoir sérieusement loupé. A cause d’un oral où je ne fus pas des plus brillants, ayant confondu Perrault avec Pergaud (oui, c’est une honte, je sais).

Vient ensuite le temps de la scolarité. Quelques semaines à l’école, pour apprendre les bases de son futur métier. Puis quelques mois de stages en juridiction pour voir qu’en fait, ce n’est pas du tout ce que l’on a appris à l’école.

De ces stages, je retiendrai avant tout des rencontres magnifiques, des histoires touchantes aussi. Et pour bien commencer, à peine arrivée dans la boutique, le stage découverte, celui que l’on fait pendant 2 semaines, en tout, tout début de scolarité. Dès le premier jour, je me suis retrouvé dans le grand bain quand à midi, avec ma compagne d’infortune nous avons eu l’honneur de manger avec des stagiaires plus anciens (appelés aussi en juridiction « bébé greffier » ou « TéKiToi ») qui nous ont dépeint un tableau des plus horribles. « Les stages c’est l’enfer vous verrez ». « Et puis elle, c’est la pire, vous allez souffrir ». OK, je pleure tout de suite ou je peux finir mon steak frite ?

Mais plus le temps a passé et plus je me suis dit que ça n’était pas si mal. Alors certes, il y a eu des jours “plante verte”, où je suis resté dans mon coin, n’osant signaler ma présence. D’autres jours bouches trous, où j’ai fait le boulot que personne ne voulait (mais bon, c’est le métier qui rentre).

Et puis il y a cette audience au correctionnelle qui ne veut pas finir, la greffière qui reçoit un appel pendant la pause, personne ne peut aller chercher ses enfants à l’école, et ils sortent dans 10 minutes. Il reste une quinzaine de dossiers, on n’est pas sorti avant au moins 20 heures. Et dans son malheur elle me propose de m’en aller, parce que je suis en stage. « Heu, non je vais rester, si je peux t’aider ». Au final, elle aura trouvé quelqu’un et on aura fini à 21 heures. Parce que, oui, ça bosse dans les greffes, mine de rien.

En près de 7 mois, j’ai vu des collègues débordé(e)s, pour qui l’arrivée du TéKiToi était vécu comme une véritable bouée de sauvetage. J’ai d’ailleurs parfois craint d’être séquestré (c’est ça d’être un TéKiToi efficace). Mais j’ai aussi vu des collègues parler avec passion d’un métier qu’elles aiment. Et puis il y a aussi ces histoires, ce jeune homme en HO (hospitalisations d’office pour les non-initiés) qui craque en pleine audience et fait ressortir tout ce qu’il avait enfui en lui depuis de trop longues années, les regards qui se croisent avec la greffière, les larmes qui commencent à monter, et se dire qu’il faut se ressaisir. Ou alors cet enfant qui dans la confidence d’un cabinet du juge des enfants avoue qu’il préfère vivre avec son père, parce que maman elle ne lave jamais mes vêtements, que ça sent pas bon chez elle, lui qui réussit à nous faire rire en demandant comment on devient juge parce que ça doit être bien de pouvoir avoir un grand bureau. Bref, rapidement les stages sont finis et on choisit notre poste.

Épisode 2 : La routine

Pour moi, ça sera le service correctionnel d’un tribunal de province, en gros des audiences pénales. Le choix que je voulais, c’est parfait. Et puis avoir son propre bureau, il n’y a rien de mieux. Même si, comme on est le dernier arrivé, ce n’est pas le plus enviable des bureaux dont on hérite. Bref, après quelques semaines d’adaptation (et un retour express à l’école, pour revoir ses amis et, éventuellement être formé sur son futur poste) je suis complètement installé. Mes nouveaux collègues sont, pour certains devenus des amis. Et je commence même à former mes premiers stagiaires, dont certain(e)s nous abreuvent de questions.

Viens ensuite la première audience, celle qu’il faut prendre tout seul, comme un grand. Le réveil est difficile le matin, la nuit a été courte et les papillons qui volent et virevoltent dans le ventre, la gorge qui se serre plus les minutes avancent avant que le magistrat n’arrive et que les débats soient ouverts. Et puis plus les audiences s’enchaînent, moins on angoisse. Certes, il y a toujours un peu d’appréhension, mais la confiance s’installe peu à peu, et je prends le rythme.

Et la routine s’installe. Une audience, des jugements à « mettre en forme », à faire signer, puis l’audience à exécuter. Inlassablement. Il y a aussi le courrier à traiter. Et puis il y a les gens. Quand une audience finit à 22 heures, un justiciable resté jusqu’au bout, me dit : « Finalement, ça bosse les fonctionnaires ». Un jeune délinquant qui rentre avec ses amis (complices ?), dans le bureau et qui me dit qu’en fait je fais juste des copies et des tampons, c’est pourri comme boulot. Et l’un de ses amis qui lui dit : « T’es ouf ou quoi, ils font pleins d’autres choses, wesh le greffier, j’ai pas raison? ».

Après 6 mois d’apprentissage sur mon poste, arrive enfin le moment de la titularisation. Ça y est, je ne suis plus un bébé greffier, plus un TéKiToi. Je suis devenu un grand, l’espace d’un week-end seulement. Et la vie continue. Certaines audiences où l’on finit tard et les magistrats qui nous abandonnent à la fin, nous laissant seul avec les prévenus pour la plupart devenu condamnés à qui l’on doit remettre des papiers, faire signer des notifications, expliquer la peine ou sa mise en œuvre et les fameux droits fixe de procédure, et bien souvent écouter les reproches, si ce n’est les insultes, voir les menaces. Certaines histoires cocasses comme celle de ce voleur du dimanche qui se ballade en survêtement jaune fluo avec une grosse boite à outils orange flashy en plein jour pour voler des autoradio et qui ne comprend pas comment on a bien pu le reconnaître. D’autres beaucoup plus touchantes, comme celles de ce garçon qui a pris le volant et qui n’aurait pas dû, de l’alcool, une dispute avec sa petite amie, une vitre brisée, un virage un peu serré, un arbre et son meilleur ami à jamais envolé. Lui totalement effondré, et dans la salle d’audience, chacun retient ses larmes (ou pas d’ailleurs, une justiciable victime dans une autre affaire de l’audience éclate en sanglots) quand l’avocate de la défense lit la lettre d’excuse que le prévenu à écrit aux parents de la victime. Et la famille de ce jeune homme qu’il faut rassurer à la fin de l’audience, à qui il faut expliquer que non, votre fils n’ira pas en prison, la peine aménageable. Essayer de trouver les mots, alors qu’à 26 ans seulement, je ne sais pas vraiment quoi dire. Et leur souhaiter bonne chance pour la suite. Personne à qui raconter cette histoire, le soir, en rentrant dans mon petit appartement. Bref, le lot du quotidien.

Épisode 3 : Le changement

Depuis le début je savais que le ministère de la justice c’était pas vraiment le jackpot. Qui n’a pas vu à la fac que la France est 37ème sur les 43 pays du conseil de l’Europe en matière de budget de la justice, qui manque de moyens financiers et humains. Et puis mon père, qui, me demandant mon salaire me fait remarquer que j’ai le même indice que les contrôleurs des douanes, alors que j’ai été recruté à bac + 2 quand ces derniers le sont niveau bac. Et lorsque lors d’une rencontre avec des lycéens, un jeune me demande mon salaire. Et qu’il me répond : « Ouais, en fait c’est nul, genre tu dois faire de longues études pour être moins payé qu’un éboueur, moi je préfère arrêter l’école et ramasser des poubelles, en plus t’es dehors et pas enfermé dans un bureau »…

Alors oui, il aura suffit d’un mail en provenance d’Agen pour avoir envie de faire bouger les choses, pour se dire qu’il y en a marre de subir, qu’il faut se battre. Parce que bosser pendant 42 ans (jusqu’à 68 ans pour moi, au mieux) dans ces conditions, ça ne sera pas possible. Si certains font ce métier par défaut, ou en attendant mieux, d’autres le font avec passion, malgré les difficultés. C’est pour nous, pour eux, pour vous aussi, oui, vous qui nous lisez et qui subissez les conséquences. Les retards parce que l’on manque de temps, toujours, de matériel, parfois. Les délais qui se rallongent, les tribunaux qui s’éloignent et vos problèmes qui restent quelquefois sur le bord de la route, vous attendant à côté. C’est pour cette raison que je ferai grève le 29 avril. J’aime mon métier, et j’aimerai que l’on me le rende bien (enfin un peu, même pas beaucoup, mais un peu quoi…)…