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Blog d'un condamné

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J-10

lundi 24 juin 2013 à 00:53

J'ai l'impression que ce dimanche est passé comme un souffle, comme un instant sans relief. Est-ce qu'il se passe toujours quelque chose dans la vie d'un homme ? Dois-je considérer ceci comme un jour perdu ? Je me sens vaseux, écrire me fatigue.

À demain…

J-11

samedi 22 juin 2013 à 19:26

Dans le service des soins palliatifs, une pièce est à disposition des malades et des familles. Un maladroit mélange entre salle à manger, salon et pièce de convivialité.

Aujourd'hui, après l'acrobatique transfert de mon lit vers la chaise roulante, nous nous sommes dirigés vers la salle en question. Nous avons été surpris par la foule présente. Une grosse vingtaine de visiteurs sur leur trente et un. Ils se sont tous écartés pour laisser passer une personne portant une écharpe mayorale. En m'apercevant, certains m'ont fait des sourires et ont même proposé de me laisser de la place.

Je commence à me sentir chez moi dans ce service. Allez savoir pourquoi mais cette intrusion d'étrangers me semblait une agression envers mon petit univers. J'ai demandé à mon épouse de faire demi-tour et de revenir dans la chambre.

Mon fils, toujours curieux et j'en suis fier, est parti mener son enquête. Mais ce n'est que lors du passage de l'infirmière que nous avons eu toutes les informations.

C'était le mariage de D…, le patient de la chambre voisine à la mienne. De l'autre côté, c'est R…, une dame atteinte d'un cancer des poumons que je vois régulièrement passer devant ma chambre quand elle va fumer une cigarette à l'entrée de l'hôpital.

Quand à D…, je n'ai fait que l'entrapercevoir. Un grand et jeune gaillard au crâne luisant, à la peau blafarde tirant sur les os comme une toile trop tendue. Nous n'avons jamais engagé de conversation. Aujourd'hui, D…, patient des soins palliatifs, s'est marié. Cela me semble aberrant, absurde. Ma compréhension est mise à dure épreuve, je vais y réfléchir.

À demain…

J-12

vendredi 21 juin 2013 à 18:34

Depuis que je suis aux soins palliatifs, je passe mes journées à lire ou à converser avec ma famille.

La frénésie de vie qui s'était emparée de moi à l'annonce de ma condamnation s'est soudainement arrêtée. Je me repose, ma liste de choses à faire avant de mourir n'est qu'un souvenir. À une exception près : finir « Du côté de chez Swann ».

Finalement, que fais-je sinon attendre la mort ? La fatuité de vouloir vivre à tout prix avant de mourir me frappe en plein visage. Pourquoi ? Pourquoi voulons-nous vivre telle expérience plutôt qu'une autre ? Pourquoi voulons-nous satisfaire nos plaisirs avant de disparaître ? Quelle différence cela fera-t-il après la mort ?

Après la mort ? Aucune. La différence a probablement lieu dans l'ultime seconde, l'infime instant où l'esprit comprend qu'il disparaît. Si l'homme emporte des regrets, des occasions manquées, des non-dits, ce dernier moment sera source de désespoir. Mais si la vie fût bien remplie, il partira satisfait, un petit sourire aux lèvres comme pour dire : « C'était bien. Un peu trop court mais bien ! ».

Peut-être est-ce le sens profond de la vie : préparer cette ultime minute. Nous ne vivons que dans l'attente de notre dernier souffle.

Malheureusement, pour beaucoup d'entre nous, la vie se révèle aride, chiche en instants magiques. Nous construisons notre sécurité afin de pouvoir, un jour peut-être, jouir du bonheur. Lorsque l'échéance se fait pressante, nous espérons nous ruer, boulimiques gloutons, afin de nous rassasier de plaisirs, nous tentons d'étancher une soif trop longtemps occultée par la bien-séance, le qu'en dira-t-on et l'illusion sécuritaire.

Au fond, le bonheur est l'alimentation de l'humain. Nous devons le varier, l'équilibrer mais jamais nous en priver.

Ce n'est pas aux soins palliatifs que se construit le bonheur de la dernière seconde. Il est trop tard. En vérité, je suis déjà mort.

À demain…

J-13

vendredi 21 juin 2013 à 00:26

Aujourd'hui, une bénévole est venue dans ma chambre. Afin de m'écouter, m'a-t-elle dit. Je lui ai raconté le principe ce blog et je lui ai dit que, ce que j'avais à dire, je l'écrivais. Elle a été très intéressée. Je lui ai demandé sa motivation pour venir écouter les mourants. Elle était réticente à parler d'elle. Ce n'était pas son rôle. J'ai insisté en disant que ça m'intéressait.

Alors elle m'a parlé de sa religion et de sa recherche spirituelle. Elle souhaite aider son prochain. Je lui ai expliqué ma philosophie, ma certitude de me désintégrer en un milliard de molécules qui, au fond, ne se sont assemblées que pour une brève seconde à l'échelle cosmique.

Elle a eu cette réflexion :
— N'est-ce pas triste de considérer que la vie s'arrête avec le corps ?

Je suis resté un instant pantois. Triste ? Mais est-ce triste que la gravité attire les corps les uns vers les autres ? Est-ce triste que les électrons tournent autour des protons ? Est-ce triste que l'aiguille de la boussole s'oriente vers le nord ? Que les planètes tournent autour du soleil ?

L'univers est. Pourquoi voulons nous mêler nos sentiments à son existence ? Et quand bien même nous trouverions les lois de la physique tristes, cela enlèverait-il la moindre valeur à leur vérité ?

C'est sûr que, dans ma position, je trouverais plus joyeux de savoir que je m'envole dans les nuages pour un monde meilleur, des ailes sur le dos, une lyre dans les mains. Malheureusement, je ne pense pas que le monde se plie à mon désir, à ma volonté. C'est peut-être ce qui fait ma différence avec les croyants.

J'ai demandé à la dame sous quelle forme elle croyait à la vie après la mort. Elle m'a répondu :
— Un monde de félicité où je retrouverai des êtres chers qui sont partis trop tôt. Un grand bonheur.
— Non, l'ai-je interrompu ! Vous n'y croyez pas réellement !
— Pardon ?
— Ouvrez la fenêtre et sautez. Votre monde de félicité, les gens que vous aimez sont là, à une enjambée de fenêtre. N'est-ce pas égoïste de les faire attendre ? Allez-vous sauter ?
Elle m'a considérée comme un dément.
— Mais bien sûr que non.
— Vous voyez, au fond de vos tripes, vous savez que vous vous racontez des fables, des contes de fées pour adoucir la douleur. Mais chacune de vos cellules sait, elle, que la vie est trop précieuse. Chacun de vos muscles vous empêchera de sauter parce que eux appréhendent ce que votre cerveau tente d'oublier en se berçant de confortables illusions.

Dans un film ou un roman, elle aurait été choquée et serait partie en claquant la porte. Mais elle a éclaté de rire. C'était contagieux, je l'ai rejoint. Elle m'a dit que chaque malade, chaque rencontre était une leçon de philosophie. Mais que la mienne était pour le moins originale.

— Au fond, vous semblez en paix avec vous même et votre vision du monde, même face à la mort. Cela, je le souhaite à chacun. Et si votre vision vous réconforte, qui suis-je pour oser la remettre en question ? Je m'excuse d'avoir employé le mot « triste ». Je reviendrai vous voir avec plaisir, j'espère que nous aurons d'autres fructueux échanges de ce type. Mais attention, je serai mieux armée la prochaine fois.

Il est tard. L'hôpital s'est endormi. Je retourne cette conversation en tout sens et, malgré nos divergences philosophiques, je suis convaincu qu'il s'agit d'une très grande dame.

À demain…

J-14

mercredi 19 juin 2013 à 16:25

Les soins palliatifs sont un endroit à part de l'hôpital. Il n'y a que des chambres individuelles, les visites sont autorisées à toute heure du jour ou de la nuit. Les infirmières sont accueillantes, prévenantes, attentives. Immédiatement, elles ont engagé la conversation, elles m'ont encouragé à me raconter. Qui suis-je ? Quelle est mon histoire ?

Il n'y pas d'urgence, pas de stress. Après tout, nous savons tous ce qui nous attend. En rigolant, j'ai dit que, dans ce service, rares devaient être les anciens patients qui se plaignaient. Une infirmière m'a très sérieusement expliqué que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, certains patients rentraient chez eux voire allaient mieux et vivaient encore plusieurs mois ou plusieurs années.

Peut-être tentait-elle de m'encourager ? Quoiqu'il en soit, j'ai immédiatement perçu une impression de sérénité. Ici, les médicaments sont accessoires. On ne soigne pas la mécanique, on se contente de soulager la douleur. Le personnel s'occupe essentiellement de notre bien-être, de notre psychisme.

N'est-ce pas étonnant qu'il faille attendre que le corps soit définitivement condamné avant de s'occuper du bonheur personnel ? Les hôpitaux ne sont que le reflet de notre société, à l'image de la mécanique course après le confort matériel que furent mes 58 années de vie.

Oh, bien sûr, un certain confort est certainement nécessaire. Je ne suis pas de ces ascètes qui se nourrissent d'aumône et de prières. Peut-être que le sens de la vie est justement de trouver ce juste milieu, de se placer sur le continuum entre l'austère anachorète et le flamboyant milliardaire, celui pour qui chaque tressaillement de la bourse représente un ulcère.

J'arrive assez à bouger ma main pour que la frappe au clavier soit confortable. Finalement, être à l'hôpital, loin du quotidien, n'est pas une délivrance ? Une forme de vacances ? À moins que ce ne soit la morphine…

À demain…