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Blog d'un condamné

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Jour 3

mardi 10 janvier 2017 à 20:33

Au petit-déjeuner, mon épouse m’a demandé si je souhaitais voyager. C’est vrai que c’est tentant. J’ai toujours aimé voyager, j’ai toujours rêvé de voir les pyramides en Égypte et au Mexique. Je n’ai jamais été dans ces pays.

Mais est-ce vraiment nécessaire ? Est-ce le but d’une vie de voir un tas de pierres et de dire « C’est bon, je peux mourir » ? Et si le voyage n’était qu’une fuite ? Une manière de s’affranchir des problèmes, du quotidien ?

Je crois que je veux mourir chez moi. Mon travail m’a permis de voyager plus que la plupart de mes concitoyens, j’ai vu une petite partie du monde. Les trente jours qui me restent seront certainement plus utiles ici, près des miens.

Dans ma liste de choses à faire, j’ai rayé tout ce qui prenait plus d’un mois. Ou ce qui prendrait trop de place sur ce mois. Tant pis.  Je ne m’en sens pas frustré.

Pendant trente ans, j’ai amassé de la documentation pour écrire un livre sur ma passion. Si vous la connaissiez, vous ne pourriez probablement réprimer un sourire moqueur. Mais c’est un fait, je suis passionné. Articles découpés, notes, plans. Tout est dans une caisse. Alors que ce blog me rappelle à quel point j’aime l’écriture, je me rends compte n’ai jamais jeté sur papier le premier chapitre de « mon livre ». Dois-je tenter de faire quelque chose de ce projet ? Le transmettre ? L’abandonner ?

Il y a tant de petites choses à finir, de gens que j’ai envie de voir. Aujourd’hui, le soleil semble oser une timide apparition. Serait-ce enfin la fin de l’hiver ? Un 5 juin ? Allez, petite pause pour prendre un bol d’air au jardin !

Le mois de mai a été catastrophique pour notre potager. Avec ma femme, nous avons commencé à planter des tomates dans notre petite serre. Je n’en avais encore jamais planté mais elle m’apprend. J’ai envie que quelqu’un me demande à quoi sert d’apprendre à planter des tomates trente jours avant de mourir juste pour lui répondre : « Pour planter des tomates avant de mourir », histoire de m’enorgueillir de la répartie d’un Socrate.

Je n’arrive pas à oublier. À chaque seconde, je pense à ce lugubre compte à rebours qui résonne au dessus de ma tête. Suis-je à ce point égocentrique ? Le voisin me salue poliment par dessus la haie. Il ne sait pas. Il ne saura qu’après, nous ne sommes pas assez proches pour que je me confie à lui. Dois-je gâcher les précieuses secondes qui me restent pour lui parler ? Comment vivre en entendant s’écouler, grain après grain, le funèbre sablier ?

Le soleil tape. La sueur colle à notre peau. Accroupie dans la terre, ma femme me semble plus attirante, plus désirable que jamais. Je fais un faux mouvement, je n’arrive pas à saisir un outil, elle me corrige, m’aide et souris. Je l’aime.

« C’est bizarre, dis-je. Je plante des tomates avec toi mais je ne les mangerai pas. Je serai déjà… parti. »

Le mot « mort » est devenu un tabou. Tous les euphémismes sont bons mais pas « mort ». Comme si ne pas en parler permettait de l’éviter. Je ne fais pas exception à la règle.

Le sourire de mon épouse s’est effacé. Une larme a perlé au coin de ses yeux et j’ai perçu en elle une pointe de reproche. Comment ai-je osé perturber un tel instant de complicité avec ma petite maladie. Du poignet de son gant, elle s’est essuyé l’œil avant de me prendre la main et m’attirer à l’intérieur.

Nous avons fait l’amour, comme des adolescents.

Depuis notre terrasse, nous contemplons à présent la journée qui se termine, un verre de vin à la main. Elle regarde par dessus mon épaule ces mots que je suis en train d’écrire sur mon laptop. Mon verre est vide, je le lui tends. Elle me répond : « Pas deux, pense à ton foie ». Je ris. Je ferais bien l’amour encore une fois mais l’âge et le vin m’inhibe. Je n’ai plus l’endurance de mes années d’université.

Je vais appuyer sur publier. Ce fut une belle journée. Je suis heureux.

À demain…

Jour 2

mardi 10 janvier 2017 à 20:32

Une de mes premières actions, hier, a été de téléphoner à mon travail pour prévenir que j’étais indisponible. Quand j’y repense, c’est affreux. La première chose qui me vient à l’esprit, la première responsabilité que je me sens obligé d’honorer est la plus inutile.

Jusqu’à la semaine passée, je trouvais mon travail acceptable. Je suis ingénieur, j’ai suivi une carrière traditionnelle qu’on pourrait qualifier de « succès ». Après des passages dans des boîtes de plus en plus importantes, je gère aujourd’hui une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs dans une grande société bien connue. J’ai une voiture de fonction, un beau salaire, des chèques repas et un extraordinaire plan pension. Admirez l’ironie ! Je me déteste. Les golfs occasionnels n’y changent rien, j’exècre ce travail minable et misérable.

Sur 58 ans de vie, j’en aurais passé 35 à me lever tôt pour pouvoir me jeter dans 45 minutes d’embouteillages, à m’asseoir devant un bureau gris en buvant d’infects cafés, à m’énerver avant de refaire, en sens inverse, les 45 minutes de bouchons. Et tout cela pour un plan pension. Mon apport à la société ? Nul ! Mon travail ne se justifie que par l’immobilisme propre à toute grosse société. J’ai déjà pris conscience que toute mon équipe pouvait être entièrement remplacée par un ingénieur un peu compétent équipé du matériel adéquat. Par égard pour mon plan pension, je n’ai jamais osé le dire. Mon chef est un crétin. Je le hais. J’ai toujours eu des rapports cordiaux avec lui, j’ai toujours baissé là tête quand il le fallait.

J’ai décidé de me moquer un peu de lui. J’ai annoncé au secrétariat que, pour raisons familiales, j’avançais mon mois de vacances à juin et que mon médecin m’avait prescrit une déconnexion totale, que mon téléphone de fonction serait coupé mais de ne pas s’inquiéter, que les projets clients sont prévus pour septembre, que je m’occuperai de tout à mon retour. Rien que d’imaginer sa tête quand il apprendra que je suis mort, ça me fait rigoler. C’est assez malsain de ma part mais je m’en fous. Après ce coup de fil, j’ai balancé le téléphone de fonction dans la benne à ordure au bout de ma rue. Je me suis senti comme libéré.

Au fond, peut-être est-ce pour cela que mon travail est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Pour m’en débarrasser. Aujourd’hui, je me sens libre pour la première fois depuis 35 ans. Trente jours de liberté !

Autant en finir le plus vite possible avec ce qui est ennuyeux. Je vais consacrer ma journée à mettre en ordre les papiers d’assurance pour ma succession, me renseigner pour les funérailles, faire un testament. Autant que ma femme et mes enfants n’aient pas à s’occuper de tout cela. Par moment, j’ai l’impression qu’ils sont plus atteints que moi. Au fond, c’est logique, moi je ne serai pas là pour souffrir de mon absence.

Mes enfants sont majeurs et indépendants. Je ne m’en fait pas. Ils mènent leur vie. Mon épouse m’inquiète un peu plus. Veuve à 55 ans. Trop jeune pour porter le deuil, trop vieux pour recommencer sa vie. J’espère de tout cœur qu’elle rencontrera quelqu’un pour ne pas vieillir seule. Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose, je ne souhaite pas qu’elle se morfonde. Je l’aime.

J’ai encore un mois pour lui rendre la transition aussi peu pénible que possible. Allez, il est de temps de s’atteler à l’administratif.

À demain…

Jour 2

mardi 10 janvier 2017 à 20:32

Une de mes premières actions, hier, a été de téléphoner à mon travail pour prévenir que j’étais indisponible. Quand j’y repense, c’est affreux. La première chose qui me vient à l’esprit, la première responsabilité que je me sens obligé d’honorer est la plus inutile.

Jusqu’à la semaine passée, je trouvais mon travail acceptable. Je suis ingénieur, j’ai suivi une carrière traditionnelle qu’on pourrait qualifier de « succès ». Après des passages dans des boîtes de plus en plus importantes, je gère aujourd’hui une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs dans une grande société bien connue. J’ai une voiture de fonction, un beau salaire, des chèques repas et un extraordinaire plan pension. Admirez l’ironie ! Je me déteste. Les golfs occasionnels n’y changent rien, j’exècre ce travail minable et misérable.

Sur 58 ans de vie, j’en aurais passé 35 à me lever tôt pour pouvoir me jeter dans 45 minutes d’embouteillages, à m’asseoir devant un bureau gris en buvant d’infects cafés, à m’énerver avant de refaire, en sens inverse, les 45 minutes de bouchons. Et tout cela pour un plan pension. Mon apport à la société ? Nul ! Mon travail ne se justifie que par l’immobilisme propre à toute grosse société. J’ai déjà pris conscience que toute mon équipe pouvait être entièrement remplacée par un ingénieur un peu compétent équipé du matériel adéquat. Par égard pour mon plan pension, je n’ai jamais osé le dire. Mon chef est un crétin. Je le hais. J’ai toujours eu des rapports cordiaux avec lui, j’ai toujours baissé là tête quand il le fallait.

J’ai décidé de me moquer un peu de lui. J’ai annoncé au secrétariat que, pour raisons familiales, j’avançais mon mois de vacances à juin et que mon médecin m’avait prescrit une déconnexion totale, que mon téléphone de fonction serait coupé mais de ne pas s’inquiéter, que les projets clients sont prévus pour septembre, que je m’occuperai de tout à mon retour. Rien que d’imaginer sa tête quand il apprendra que je suis mort, ça me fait rigoler. C’est assez malsain de ma part mais je m’en fous. Après ce coup de fil, j’ai balancé le téléphone de fonction dans la benne à ordure au bout de ma rue. Je me suis senti comme libéré.

Au fond, peut-être est-ce pour cela que mon travail est la première chose qui m’est venue à l’esprit. Pour m’en débarrasser. Aujourd’hui, je me sens libre pour la première fois depuis 35 ans. Trente jours de liberté !

Autant en finir le plus vite possible avec ce qui est ennuyeux. Je vais consacrer ma journée à mettre en ordre les papiers d’assurance pour ma succession, me renseigner pour les funérailles, faire un testament. Autant que ma femme et mes enfants n’aient pas à s’occuper de tout cela. Par moment, j’ai l’impression qu’ils sont plus atteints que moi. Au fond, c’est logique, moi je ne serai pas là pour souffrir de mon absence.

Mes enfants sont majeurs et indépendants. Je ne m’en fait pas. Ils mènent leur vie. Mon épouse m’inquiète un peu plus. Veuve à 55 ans. Trop jeune pour porter le deuil, trop vieux pour recommencer sa vie. J’espère de tout cœur qu’elle rencontrera quelqu’un pour ne pas vieillir seule. Je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose, je ne souhaite pas qu’elle se morfonde. Je l’aime.

J’ai encore un mois pour lui rendre la transition aussi peu pénible que possible. Allez, il est de temps de s’atteler à l’administratif.

À demain…

Jour 1

mardi 10 janvier 2017 à 20:31

Je rentre à l’instant de l’hôpital et, pour la première fois depuis ces dernières heures, je suis seul avec moi-même. J’alterne entre euphorie et désespoir. Je me sens comme saoul, assommé.

Moi qui croisait les doigts pour ne pas devoir me faire opérer, pour ne pas devoir subir un long et lourd traitement, je suis en partie exaucé. Le verdict est tombé : il n’y a rien à faire. Il me reste approximativement trente jours à vivre.

J’ai 58 ans et je n’en aurai jamais 59. Je mourrai en 2013.

Sur le trajet du retour, mon fils m’a donné l’idée de faire un blog, de me forcer à écrire mes impressions pour chacun des derniers jours de ma vie. Afin de les conscientiser, de les vivre intensément, de laisser un souvenir. Et de ne pas me réveiller un matin en me disant « plus qu’une semaine », « plus que deux jours », « plus rien ».

Le nom de ce blog est, bien entendu, inspiré du chef-d’œuvre de Victor Hugo qui marqua mon adolescence. Mais il ne s’agit plus d’un pamphlet politique. Des grandes espérances, de ma juvénile ambition de changer le monde il ne reste que trente petits jours.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails concernant la maladie. Je ne souhaite pas entrer dans les particularismes de ma vie. Et parce que le temps m’est compté, il n’y aura pas de commentaires, pas d’adresse de contact. Du moins, de mon vivant.

Je m’excuse également par avance auprès d’éventuels lecteurs pour les fautes de frappe qui jalonneront certainement ces billets. Je n’ai jamais été très attentif à l’orthographe. J’avoue que c’est à présent le cadet de mes soucis.

Je me sens désœuvré. J’ai tant à faire avant l’échéance fatidique que je ne sais par quel bout commencer. Les idées se bousculent dans ma tête, les cris, les pleurs, les sentiments. Je suis spolié, victime d’une profonde injustice. Mais en même temps déjà résigné. Au moins ce blog me donne un moyen d’action.

Je sens poindre en moi la motivation pour faire des millions de choses. Des petites bulles d’enthousiasme qui gonflent puis éclatent, me laissant l’amère sensation que tout cela est vain, qu’on verra bien demain.

Hier encore, j’avais toute la vie devant moi. Trente ou quarante années, au bas mot. Aujourd’hui trente jours. Je pense que je ne réalise pas encore. Je dois être sous le choc.

Jour 1

mardi 10 janvier 2017 à 20:31

Je rentre à l’instant de l’hôpital et, pour la première fois depuis ces dernières heures, je suis seul avec moi-même. J’alterne entre euphorie et désespoir. Je me sens comme saoul, assommé.

Moi qui croisait les doigts pour ne pas devoir me faire opérer, pour ne pas devoir subir un long et lourd traitement, je suis en partie exaucé. Le verdict est tombé : il n’y a rien à faire. Il me reste approximativement trente jours à vivre.

J’ai 58 ans et je n’en aurai jamais 59. Je mourrai en 2013.

Sur le trajet du retour, mon fils m’a donné l’idée de faire un blog, de me forcer à écrire mes impressions pour chacun des derniers jours de ma vie. Afin de les conscientiser, de les vivre intensément, de laisser un souvenir. Et de ne pas me réveiller un matin en me disant « plus qu’une semaine », « plus que deux jours », « plus rien ».

Le nom de ce blog est, bien entendu, inspiré du chef-d’œuvre de Victor Hugo qui marqua mon adolescence. Mais il ne s’agit plus d’un pamphlet politique. Des grandes espérances, de ma juvénile ambition de changer le monde il ne reste que trente petits jours.

Je ne souhaite pas entrer dans les détails concernant la maladie. Je ne souhaite pas entrer dans les particularismes de ma vie. Et parce que le temps m’est compté, il n’y aura pas de commentaires, pas d’adresse de contact. Du moins, de mon vivant.

Je m’excuse également par avance auprès d’éventuels lecteurs pour les fautes de frappe qui jalonneront certainement ces billets. Je n’ai jamais été très attentif à l’orthographe. J’avoue que c’est à présent le cadet de mes soucis.

Je me sens désœuvré. J’ai tant à faire avant l’échéance fatidique que je ne sais par quel bout commencer. Les idées se bousculent dans ma tête, les cris, les pleurs, les sentiments. Je suis spolié, victime d’une profonde injustice. Mais en même temps déjà résigné. Au moins ce blog me donne un moyen d’action.

Je sens poindre en moi la motivation pour faire des millions de choses. Des petites bulles d’enthousiasme qui gonflent puis éclatent, me laissant l’amère sensation que tout cela est vain, qu’on verra bien demain.

Hier encore, j’avais toute la vie devant moi. Trente ou quarante années, au bas mot. Aujourd’hui trente jours. Je pense que je ne réalise pas encore. Je dois être sous le choc.