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[Zurich] Expulsion empêchée

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Reçit de l'échec d'un renvoi forcé d'une femme tchétchène et de son fils vers la Russie grâce à la mobilisation de personnes solidaires à Zurich le 14 mars 2016.

Le secrétaire d'État à la migration (SEM) a ordonné l'expulsion d'une femme tchétchène et de son fils de 11 ans pour le lundi 14 mars 2016. La femme, qui a déjà assisté à la méthode employée par l'État suisse pour déporter vers Moscou ses trois filles majeures – qui sont désormais recherchées par les services secrets tchétchènes et dont l'intégrité physique la vie est menacée – a été retenue jusqu'à ce lundi dans un hôpital psychiatrique à Embrach (canton de Zurich). Son fils a également été retenu comme détenu dans un hôpital psychiatrique à Meilen (canton de Zurich) pour « enfants traumatisés » (sic !), pour être sûr qu'il ne puisse pas s'échapper jusqu'à son expulsion. Mais le plan du SEM, qui comptait se débarrasser à tout prix de ces deux personnes dans le délai imparti, a échoué.

Vu que le médecin responsable de l'hôpital a diagnostiqué la femme en question apte à « prendre l'avion » bien avant le lundi matin et a voulu la faire emmener à 9h (la femme menaçait depuis longtemps de se tuer en cas d'expulsion, et c'est pour cette raison qu'elle a été placée depuis pas mal de temps sous surveillance), les criminels en civil de l'État étaient déjà à pied d'œuvre chez le fils à 8h30. Peu de temps après, environ 60 personnes avec des banderoles remplissaient la zone autour de ce sinistre bâtiment de psychiatrie à Meilen. La seule voie d'accès avait été barricadée et, à l'entrée, la sœur de la mère est tombée sur son neveu, qui l'a pris dans ses bras après quoi les deux ne se lâchèrent plus.

Les flics, et aussi le personnel médical, se tenaient relativement en retrait, « Il y aurait ici des enfants traumatisés dans le bâtiment et on ne voudrait pas les effrayer » était une des nombreuses justifications humanitaires des flics et des responsables de l'hôpital. Oui, une expulsion douce et dans l'anonymat aurait certainement été préférable pour ces thérapeutes dégoûtants, « qui ne font que leur travail ». « Alors ça devient un vol spécial ma foi, et c'est pas non plus le mieux pour un enfant », n'est qu'une des nombreuses déclarations des travailleurs de la clinique, ce qui démontre leur idéologie détestable et de collabos. Pendant que devant la clinique à Embrach des personnes solidaires protestaient contre l'expulsion de ces deux personnes et « occupaient » le hall d'accueil, le temps s'écoulait et les vols de midi vers Moscou devenaient au fur et à mesure inaccessibles pour la machine à déporter. Plus tard, de la pression a été exercée par téléphone sur le médecin responsable, jusqu'à ce que ce dernier décide de réexaminer la femme, à cause de la situation qui s'aggravaient encore plus à la clinique – et devinez quoi ? Inapte à prendre l'avion ! L'expulsion a été annulée – bien évidemment sous prétexte médical.

Ce qui va suivre désormais est une procédure nationale au cours de laquelle tout doit être encore une fois appliqué de façon bureaucratique et rejugé, qui dans ce cas pourrait durer plusieurs mois voire des années. Sans résistance, l'Etat suisse avec la collaboration du médecin responsable de la clinique (les médecins ont toujours la possibilité de déclarer une personne inapte à prendre l'avion) aurait reconduit deux personnes à la frontière sans sourciller. Deux personnes sur lesquelles il est clairement évident que dans leur pays d'origine planent la menace de la torture, de la prison et d'autres choses pires encore. La journée de lundi n'en finissait pas pour les flics en civil chargés d'expulser, qui se cachaient pendant tout ce temps dans l'hôpital de Meilen. Lorsque le groupe de 60 personnes se redirigeait lentement en direction de la gare, ils ont finalement voulu finir le travail. Après qu'un flic ait annoncé de manière détendue qu'ils pouvaient maintenant y aller, un collègue a répliqué : « Non, nous ne pouvons pas y aller, nos pneus sont crevés et le pare-brise est tagué ».

Traduit de l'allemand de ‘Dissonanz' n°23 via Aus dem Herzen der Festung, par le chat-noir-émeutier

[France] Naissance de notre force

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le site Lundi Matin consacre sa une hebdomadaire au mouvement social en cours contre la "Loi travail" en France. Il propose notamment neuf notes sur le soulèvement en cours que nous reproduisons ici.

1. La loi dite de réforme du code du travail ne constitue en aucun cas, pour la jeunesse révoltée, l'horizon indépassable de son soulèvement. C'est simplement, comme l'ont dit de nombreux camarades, « la goutte d'eau qui fait déborder le vase » - le vase du capitalisme destructeur, de l'offensive néo-libérale qui démantèle, étape après étape, les conquêtes sociales arrachées par les travailleurs au cours du XXe siècle. Mais aussi bien, et surtout, « l'étincelle qui peut mettre le feu à toute la plaine » : car au-delà de cette loi scélérate, c'est le système général d'exploitation et de domination qu'il s'agit de renverser. D'où l'obscénité d'une quelconque tentative de négociation ou de compromis autour de tel ou tel détail de ce texte, que nous destinons aux poubelles de l'histoire. Le monde ou rien : telle est, dans son implacable pureté, la formule de notre alternative.

2. Les bureaucrates syndicaux ne sont pas nos alliés, comme le prouve au quotidien la réalité du mouvement. De la CFDT, véritable chien de garde du réformisme collaborateur (qui, dès les premières et insignifiantes « concessions », s'est alignée servilement sur la propagande gouvernementale) au Service d'Ordre de la CGT, qui frappe, isole et dénonce les éléments les plus déterminés de la jeunesse en lutte, et facilite ainsi ouvertement le travail de la police, tout ceci vérifie une leçon historique dont les exemples, anciens et nouveaux, ne manquent pas : les directions syndicales (qu'il faut en effet distinguer des militants, dont une part s'engage résolument dans la confrontation et le combat – tel ce militant CGT qui, lors de l'AG inter-luttes du 21 mars, a lancé, sous des applaudissements nourris : « Martinez, il sera pendu ! ») n'ont pour fonction que de normaliser, d'émousser, de freiner, de recouvrir la conflictualité de la révolte, en la réduisant à des revendications sectorielles aussi dérisoires que bornées. Ne pas laisser les forces contre-révolutionnaires prendre la direction du mouvement est une nécessité absolue.

3. Il n'est par ailleurs que de comparer, quant aux affects mis en œuvre, l'ennui bureaucratique des assemblées officielles, verrouillées par les syndicats, avec la vivacité intense des AG inter-luttes où se déploie une parole indépendante et combative. Rien d'étonnant à ce que l'une de premières tentatives de rassemblement de ce type, à Tolbiac le 17 mars, ait été réprimée à coups de matraques et de gaz lacrymogènes : le pouvoir perçoit parfaitement l'émergence de ce qui le menace, dès que cesse l'emprise syndicale, dès que s'actualise le mot d'ordre : organisons-nous !

4. De manière plus générale, l'expérience récente nous impose de considérer que c'est toute la sphère de la politique classique, ou représentative, qui est entrée dans une phase d'obsolescence définitive. Le PS a montré, pour ceux qui en doutaient encore, son vrai visage : celui d'un parasite soumis aux intérêts du patronat et de la finance. Qui est encore assez naïf pour imaginer qu'une quelconque « victoire électorale » permettra d'infliger un recul sérieux au commandement capitaliste ? Nous cessons tout rapport subjectif avec ce cadre putride et en tirons les conséquences.

5. Il faut donc emprunter une autre voie, se démarquer du réformisme, non seulement dans le discours, mais aussi et surtout dans la pratique. Plusieurs épisodes, ces derniers jours, témoignent de cette volonté diffuse. Car tout le monde sait qu'une paisible ballade dominicale au parfum de saucisses grillées, d'une place l'autre, sous le contrôle attentif des services d'ordre, n'a jamais inspiré la moindre peur à quelque gouvernement que ce soit. Le temps est venu de compter sur nos propres forces, de passer de la négociation revendicative à l'appropriation directe – dont les lycéens nous ont donné il y a quelques jours un exemple frappant : auto-réduction massive dans un supermarché, et redistribution immédiate aux réfugiés de la Place Stalingrad (savaient-ils que le 8 mai 1970, un commando de la Gauche Prolétarienne avait ainsi dévalisé l'épicerie de luxe Fauchon avant d'offrir les fruits de cette expropriation aux travailleurs de la banlieue parisienne ?).

6. Nous assistons à un retour des pratiques d'appropriation de l'espace. Les camarades de Nanterre occupent par exemple depuis plusieurs semaines le Bâtiment L de leur université, qui porte désormais le double nom de Rémi Fraisse et d'Ulrike Meinhof. L'espace occupé est un espace libéré, soustrait à la temporalité du capital, rendu au partage du commun, à l'expérimentation de nouvelles formes de vie, ouvert à une discussion libre, débarrassée des formalismes archaïques, un lieu d'alternative matérielle locale où joie et discipline se confondent. Cette pratique d'occupation doit être multipliée et étendue aux noyaux urbains. Puisque la logique de valorisation capitaliste excède désormais les cadres de l'usine et s'applique au territoire tout entier, que la métropole apparaît comme le paradigme topologique de cette restructuration, l'occupation des places, le blocage collectif des flux économiques est une arme dont on ne saurait négliger l'importance.

7. De même, les manifestations sauvages (qui se succèdent depuis le 9 mars) sont un outil dont l'avantage décisif est l'appropriation de l'initiative. C'est lorsqu'arrive à destination le cortège encadré que s'élance la manifestation sauvage : imprévue, mobile, masquée, offensive, rigoureuse dans sa spontanéité même, elle désoriente la police, dont le contrôle géographique disparaît soudain. Un tel groupe en mouvement crée et produit sa propre trajectoire, attaque ses propres cibles. Quiconque y participe éprouve ce singulier mélange d'urgence et d'excitation, de vigilance et d'aventure.

8. La poursuite, l'approfondissement de cet ensemble de pratiques nécessite de propager les techniques d'auto-défense, de s'approprier le matériel adéquat pour tenir en respect les différents appareils répressifs, et les empêcher de nous maintenir ainsi dans un état d'impuissance apeurée. Finissons-en avec les mythologies du pacifisme festif. Comme le disait un célèbre dialecticien chinois, « la révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. » La police doit comprendre que sa brutalité ne restera pas sans réponse, qu'elle devra faire face à une résistance chaque jour plus déterminée. C'est lorsque la peur change de camp que commence à s'inverser le rapport de force.

9. Comme chacun sait, les mouvements sont faits pour mourir. D'où l'exigence de penser dès maintenant la question de l'organisation. Soit la formation d'une machine de guerre autonome qui, sans reproduire les vieux modèles centralistes stériles, est en mesure de conserver de manière prolongée la puissance événementielle du mouvement, la nouveauté intense de ses pratiques, la singularité matérielle de ses lieux, en mesure de coordonner la multiplicité des initiatives, d'articuler travail de masse et travail d'avant-garde, de créer une unité politique entre la jeunesse et les travailleurs – unité dont la réalisation possible est la hantise de tout État, et le noyau de toute insurrection victorieuse.

Pour l'autonomie ! Pour le communisme !
Continuons le début !

[Genève] L'infokiosque en avril

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Le programme du mois d'avril est sorti !

L'Infokiosque de Genève, c'est une bibliothèque de lutte où il est possible de lire, boire un verre, prendre le soleil, voir un film, en parler, faire des projets, fouiller dans les archives, proposer des activités ou même, emprunter l'un de nos milliers de livres.

Programme

Mercredi 6 avril - 21h - La Makhno (4 pl. des Volontaires)
IKALAMAK. L'infokiosque est à la Makhno.
Projection du documentaire Propagande, haine et meurtre : l'histoire de l'extrême droite en Europe (2012, 60 min)

Mardi 12 avril - 18h30 - Ecurie de l'Ilôt 13
DÉLIVRE ! Viens parler de tes lectures, émissions de radios, films et plus encore. Avec pour commencer, une présentation de Femmes et patriarcat dans le cinéma français. Des effets d'un rapport de domination.

Mardi 19 avril - 19h30 - Ecurie de l'Ilôt 13
Projection de Vendredi Soir de Claire Denis (2002, 90 min).

Du 22 au 24 avril - Rature Festival - Théâtre du Galpon
L'infokiosque est au Rature Festival (Festival queer féministe).
Le samedi 23 avril à 17h30, l'infokiosque propose une écoute collective d'une émission de radio de Zapzalap sur le féminisme post-porno (2011). L'écoute sera suivie d'une discussion.
Durant tout le festival, l'infokiosque proposera une sélection de brochures.

Jeudi 28 avril - Nadir (102 Bd Carl-Vogt)
Dans le cadre de la semaine politique autour du travail :
18h30 Apéro
20h Projection de Le dos au mur, documentaire de Jean-Pierre Thorn sur la grève ouvrière de l'Alsthom de Saint Ouen en 1979 (1980, 105 min).

Permanences

Tous les mardis de 16h à 20h à l'Écurie de l'Ilôt 13 (14, rue de Montbrillant)

Pour venir discuter, bouquiner, emprunter, s'informer, boire le thé...

[Genève] Rature : Programme du festival féministe et queer

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Du vendredi 22 au dimanche 24 avril aura lieu au Galpon et au Théâtre de l'Usine le festival féministe et queer Rature. Voici le programme !

Voici le programme sans descriptif, pour voir les détails, lisez dans l'image en dessous !

Vendredi 22 avril

Au Galpon

17h - Out in the night, Documentaire Blair Doroshwalther, USA, 75 min, 2015. Vost FR.

19h - Carnet de bal d'une courtisane, Lecture-Performance. Adaptation de Carnet de bal d'une courtisane de Grisélidis Real (1976 à 2005), Durée 60 min, public averti (dès 16 ans)

20h - Bouffe vegan

22h - Vices et Râlements Déviants, Concert
- HipHop transpédégouine et féministe

Samedi 23 avril

Au Galpon

13h-17h - Atelier Lapdance et Empowerment, Atelier en non-mixité : meufs-gouines-trans
- Traduction possible en anglais et castillan / Places limitées, inscriptions sur rature@slnd.net

15h30 - Projections :
- Vos Papiers - Court métrage réalisé par bruce, 32min, France, 2011, VF
- The Female Closet - Documentaire réalisé par Barbara Hammer, USA, 1998, vostfr

17h30 - Ecoute collective
- L'infokiosque de Genève - bibliothèque de lutte - propose une écoute collective de l'émission de radio de Zapzalap sur le féminisme post-porno

20h - bouffe vegan

Au Théatre de l'Usine, Grosse Teuf

21h - Ouverture des portes
2130 - Dyke's Sbires : Concert Duo de rap n'b queer féministe lillois
22h30 - King's Queer : Live pur et performance : électro-rock'n'roll
00h00 - Dj set Chachachattes calientes : Miao punk electro queer

Dimanche 24 avril

Galpon

16h C-It - Projection & discussion
- A Joyful Noise - Documentaire de Robert Mugge, USA, 60min, 1980. VO avec distribution d'une traduction en français au public.

19h bouffe vegan

20h30 S'con'se fait rance - Théâtre
- Ecriture, mise en scène et interprétation par Caroline Deyber

22h Petite boom de dimanche soir

Tout le programme est à prix libre.
rature@slnd.net


[Paris] Loi travail : Et la fête est à peine commencée... (9 avril)

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Un récit de la journée de lutte contre la loi El Khomri de samedi dernier. Manifs, émeutes et occupation. Texte publié par lundi.am.

La manifestation

À 14 heures, place de la République, tout est en place. Les ballons syndicaux flottent au milieu des odeurs de merguez et les stands des partis politiques sont savamment disposés le long du parcours. « Il faudra voir comment cette gauche activiste rentre dans l'atmosphère de la présidentielle et de la législative », comme l'a si bien dit Cambadélis. Il y a moins de monde que le 31 mars – c'est certain – moins de pluie aussi. C'est l'avantage de l'ordre : il procure des sensations connues, des sentiments rassurants, une narcose confortable. Pourtant ce samedi, lorsque l'on remonte cette manifestation qui ne s'est pas encore ébranlée, on perçoit une étrange incertitude dans la foule, une gêne. Des milliers de gens avec des milliers de petits cailloux dans la chaussure. Évidemment, le déploiement massif de forces de police et de gendarmerie sur les trottoirs ne doit pas y être étranger. Des syndicalistes de l'Unef miment l'entrain malgré leur immense solitude. Eux qui, partout, se donnent pour la voix autorisée du mouvement, peinent à réunir plus de quelques dizaines de zombies pour défiler derrière leur énorme sono et se faire déchiqueter les tympans par la voix égrillarde d'une militante atteinte de convulsions. Heureusement qu'une petite ficelle élastique matérialise leur troupeau décimé. Ils avaient bien prévu des drapeaux, mais ne trouvent pas assez de porteurs : ce samedi chacun aura le droit à trois autocollants, le plus chanceux aura peut-être sa tête en Une de Libé. Outre son élastique, cette modeste procession est entourée par le service d'ordre de la CGT, lui-même accompagné par les différents services de police évoqués plus haut. Pour tout observateur, la situation relève du casse-tête : la CGT protège-t-elle l'Unef de la Police ? la police de L'UNEF ? Ou bien la police protège-t-elle l'Unef de la CGT ? En termes de probabilités, 9 combinaisons sont possibles, y compris la plus probable : ils se protègent tous en une mise en abîme exemplaire.

Pour comprendre ce qui peut justifier que 30 porteurs d'autocollants récemment reçus par le Premier ministre nécessitent une sécurisation plus élaborée que le Pape, il faut continuer à marcher et rejoindre la tête de manifestation.

« Le ciel sait que l'on saigne sous nos cagoules »

Depuis des décennies, les têtes de cortège sont pensées sur le modèle de la photo de famille : doivent apparaître côte-à-côte dans le journal du lendemain les représentants des différents syndicats, partis ou organisation ayant appelés à la manifestation. Cela s'accompagne habituellement d'une banderole qui permettra aux archivistes de se repérer dans le temps et de distinguer telle mobilisation d'une autre. La présence ou l'absence de tel ou tel tonton sur la photo indique l'état d'entente ou de bouderie dans la grande famille des bureaucrates, objet de tant de spéculations.

Ce 9 avril ne déroge pas à la règle, mais au style. À l'avant de la manifestation, une banderole poétique et renforcée s'adresse au monde : « Le ciel sait que l'on saigne sous nos cagoules ! ». Derrière, des centaines et des centaines de jeunes s'apprêtent et s'affairent, masqués, cagoulés, déterminés. L'ambiance est sérieuse, mais joyeuse. Depuis des semaines, le gouvernement assure publiquement qu'il écoute la mobilisation, mais dans la rue et devant les lycées tout le monde sait que cette écoute a pour corollaire un travail policier acharné d'intimidation et de brutalisation. Devant certains établissements, c'est la BAC qui empêche les élèves de bloquer leur lycée dès 6h30 du matin ; un peu partout, ce sont les CRS qui gazent et ouvrent les crânes de tous ceux qui prétendent se réunir sur une place. Certes, la violence policière relève du droit le plus fondamental de tout pouvoir constitué, et les « abus » et « bavures » sont les tolérances nécessaires à l'exercice de ce plein droit. Cependant, on s'accorde en général, en dehors des circonstances exceptionnelles, pour épargner les « mouvements de gauche » et la petite-bourgeoisie. Nous n'avons pas souvenir, dans les 20 dernières années, d'un mouvement de masse que le pouvoir tente aussi directement et systématiquement de mater par la pure force policière, et l'intimidation qu'elle suscite. La police est présentement l'ultima ratio du règne du Parti Socialiste. Tout le monde le sait, à commencer par les syndicats policiers qui en profitent pour exiger, et obtenir, des augmentations.

« Paris, debout, soulève-toi ! »

La foule s'ébranle et les tubes du moment s'enchaînent : « Tout le monde déteste la police ! », « Paris ! Debout ! Soulève-toi ! », etc. Les têtes de manifs, ces derniers temps, ont un allant, une vigueur, une joie plébéienne qui ne s'étaient pas vus depuis bien longtemps. À l'arrière, les camionnettes des centrales syndicales sont fébriles. L'embrayage ou le frein, soutenir la jeunesse ou s'en dissocier et l'isoler. Le choix est d'autant plus indécidable que la jeunesse en question semble bien se moquer d'être soutenue. Elle s'invite, et ne dira pas merci.

Tout autour du cortège, la police se met en place. Les CRS tiennent le trottoir pendant que les hyènes de la BAC scrutent. Ils sont particulièrement menaçants, mais ils savent aussi à quoi s'en tenir. Ces dernières semaines, à plusieurs reprises, les policiers en civil ont tenté de s'infiltrer dans la manifestation pour en exfiltrer un manifestant (le but étant moins de de procéder à telle ou telle interpellation ciblée que d'impressionner et d'intimider) ; s'ils y sont parfois parvenus, ils ont souvent frôlé le lynchage et toujours ramassé des coups.

Rapidement, les manifestants délèguent l'ambiance à l'équipe pyrotechnique. Pour des raisons de sécurité, les fumigènes restent à l'intérieur du cortège, mais les pétards et feux d'artifices sont envoyés sur les côtés. La police, à qui personne n'avait conseillé de se trouver là, y voit un prétexte suffisant pour attaquer le cortège. Charges, fumigènes et susceptibilité.

Bon gré, mal gré, enthousiaste mais toussotante, la manifestation continue son chemin. Arrivées place de la Bastille, de nombreuses personnes tentent de dépaver en vain, et reprennent leur marche. Un hélicoptère suit la manifestation, à basse altitude.

Nation

Alors que la manifestation se termine et que la foule se répand sur la place de la Nation, des dizaines de CRS s'avancent et se positionnent en surplomb, sur deux buttes. Erreur tactique ou provocation ? Leurs silhouettes menaçantes sont visibles de toute la place, ce qui provoque un mouvement de foule : des centaines de manifestants courent, s'ameutent et hurlent « Tout le monde déteste la police ! ». On s'étonne que les jeunes masqués paraissent toujours plus nombreux mais en réalité, c'est une bonne partie du reste du cortège qui les a rejoints, syndiqué ou pas, jeune ou vieux. Jets de projectiles, insultes, la foule s'avance sans peur vers les CRS perchés et les sortes de gros insectes casqués de la BAC qui les flanquent. Ils piétinent, hésitent, glissent.

On devine leur regret de s'être permis cette dernière et inutile provocation. Les manifestants ont l'avantage psychologique et chargent. Les policiers reculent puis courent. Tout ce qui peut servir de projectile est jeté sur le cordon de CRS la plus proche. Les grilles d'arbres sont arrachées et utilisées comme burins pour transformer le bitume en centaines de munitions pendant que l'équipe pyrotechnique déclenche horizontalement ses derniers feux d'artifice.

Les policiers tirent au flashball et gazent massivement la place. Deux flics de la BAC qui rôdent au milieu des manifestants sont repérés et pris en chasse, ils courent sur la butte, glissent et paient pour leur témérité et les dernières semaines. Les affrontements dureront une bonne heure au milieu d'un gigantesque nuage de lacrymogènes et des détonations sans nombre de grenades assourdissantes. Les nombreux blessés ou incommodés seront heureusement pris en charge par les infirmiers et médecins des Hôpitaux de Paris défilant dans le cortège.

Nuit Debout

Tout le monde s'en doutait, l'occupation de la place de la République par Nuit Debout serait massive ce samedi. Malgré la pluie de fin d'après-midi, on s'y masse par milliers. Au premier abord, on ne perçoit pas la continuité avec la manifestation de l'après-midi, l'ambiance est calme et attentive. Il y a là quelque chose d'inédit et de réconfortant, on discute, on s'écoute ; les gens se rencontrent dans une rare bienveillance ; il y a un appétit de comprendre, de se comprendre. Mais il y a aussi, sur cette place, quelque chose d'inquiétant - ce sentiment qu'en à peine une semaine cette « occupation » de la place montre déjà ses limites et en est réduite à étaler son impuissance. Ou pour le dire autrement, l'impression est partagée que cette forme particulière ne parviendra pas longtemps à contenir la puissance qui l'a fait naître sans finir par la borner puis l'entamer.

C'est d'ailleurs ce que viendront exprimer à la tribune deux des figures du mouvement. François Rufin, du journal Fakir d'abord, qui exhorte les occupants à se tourner vers les syndicats et les syndicats à se tourner vers la place. Difficile de ne pas voir dans cette main tendue, convenue pour un « compagnon de route du Front de gauche » ainsi qu'il se définit, les difficultés du mouvement à exister par lui-même et à partir de lui-même. Frédéric Lordon lui succède pour appeler à la « grève générale » tout en concédant que cela ne se « décrète pas comme ça » puisque « c'est quand tout est bloqué que tout se débloque – la parole, l'action ». Après la proposition saugrenue dans son mélanchonisme d'écrire une « nouvelle constitution », comme si les mots avaient jamais eu le pouvoir de se porter garants du réel, ce que ces deux propositions disent, c'est la difficulté pour la puissance qui s'assemble place de la République de se figurer autrement que dans les formes les plus convenues, connues et défaites du militantisme de gauche français – ou du cyberactivisme espagnol pour les plus branchés. L'audace finit toujours pas s'émousser lorsque lui manque l'invention.

Nuit en marche

Doucement, la nuit tombe, un tract parmi tant d'autres circule. Il s'intitule « Nuits en marche » (nous le reproduisons dans le numéro d'aujourd'hui) et appelle à « multiplier les débordements » :

« Le bouillonnement des places n'aura de sens que s'il déborde dans le temps et dans l'espace. Gardons intacte la colère initiale, sans laquelle nous n'aurions pas aujourd'hui tant de débats paisibles. Ne pas se laisser cantonner à la nuit permettra d'associer aux débats les innombrables qui ne peuvent se permettre d'être noctambules. Utiliser les places comme « points de départ » permettra d'aller remettre en cause à domicile les institutions qui, pendant que nous rêvons, nous préparent activement ce cauchemar : retour à la normale avec exploitation accrue et politique ramenée aux échéances électorales. »

À la tribune de l'assemblée générale, les prises de paroles se succèdent et laissent entrevoir une certaine confusion. Entre considérations brillantes sur la ZAD et poème à propos du complot judéo-maçonnique, il y a à boire et à manger. C'est souvent touchant, parfois intelligent ou consternant. Le tout laisse le sentiment d'une libération de la parole, certes, mais aussi d'une occasion à toutes les solitudes postmodernes qui se sont développées dans l'autisme de leur petit studio de lancer à la face du monde la « cause » qui leur a servi jusqu'ici de planche de survie. Et toutes ces solitudes, s'ajoutent à mesure que s'égrènent les prises de parole, mais ne se rencontrent pas.

Son tour venu, un vieil homme au visage familier s'avance. Il commence par regretter que les AG tournent en rond et ne parviennent à formuler la commune finalité qui lui crève les yeux, le contenu partagé, minimal, évident du mouvement : que ceux qui nous gouvernent doivent être destitués, qu'ils s'en aillent une bonne fois pour toutes, qu'ils se cassent. « Dégage », comme cela se disait au temps de Ben Ali. Pendant qu'il est applaudi, une jeune fille lui succède et harangue la foule. Manuel Valls habite rue Keller, c'est à deux pas. « Il n'y a qu'à s'inviter chez lui pour prendre l'apéro. La révolution, c'est maintenant »

Apéro chez Valls

L'idée de partir de la place pour aller intervenir dans Paris n'était pas absolument nouvelle, il y avait déjà eu cette tentative de rallier le boulevard Saint-Germain mardi dernier, et ce samedi soir, la commission action avait décidé d'aller venir en aide aux migrants de Stalingrad en arrachant quelques grilles qui les incommodaient, et l'avait fait.

Mais là l'idée, c'était de partir en masse de la République jusqu'au domicile du Premier Ministre. Une banderole apparue opportunément fit le tour de la place tandis qu'un flux ininterrompu vidait peu à peu l'AG au profit de ce départ improvisé. Le préfet n'avait manifestement pas prévu cette éventualité, car s'il y avait à peine assez d'effectifs pour bloquer les boulevards Voltaire et Beaumarchais, l'avenue de la République, elle, était libre. On vit ainsi quelque 2000 personnes se mettre en marche dans la nuit parisienne au cri d' « apéro chez Valls » et parcourir un bon kilomètre sans que le moindre dispositif policier ne trouve l'occasion de l'arrêter.

Il y eut bien quelques voitures de police, mais elles durent décamper en vitesse. On fut donc bientôt rendu rue de la Roquette, non pas à une « centaine » comme l'on dit les médias mais à deux milliers et non pas « deux rues » du domicile du Premier Ministre, mais bien à l'entrée de sa rue. Alors que plusieurs camions de gendarmes mobiles s'arment en attendant le cortège, ce dernier ne ralenti pas, voire accélère jusqu'au contact. Ce premier assaut sur cette entrée de la rue Keller fut repoussé par une quantité obscène de gaz lacrymogène. Quelques militaires qui gardaient on ne sait quelle « cible potentielle » eurent à subir les dommages collatéraux de cet assaut sous la forme d'un certain nombre de bouteilles jetées dont ils se protégeaient avec une bombe lacrymogène de poche. On se déplaça alors vers le boulevard Ledru-Rollin pour accéder à l'autre extrémité de la rue Keller. Lorsque la banderole arrive à la hauteur du commissariat central du XIe arrondissement, ce sont tous les fonctionnaires qui se réfugient en trombe à l'intérieur. La voie libérée, c'est tout le matériel d'un chantier proche qui pleut contre les véhicules et la devanture du commissariat.

Parvenu à la seconde extrémité de la rue Keller, qui n'était guère protégée que par un mince cordon de CRS, il manqua peu de choses (certainement quelques masques à gaz et bâtons) pour que l'apéro prévu soit atteint. Mais là aussi : nuage de lacrymogène, puis afflux de CRS en renfort. Il fut alors décidé de rentrer place de la République. Finalement, le week-end désastreux de Manuel Valls en Algérie n'aura pas été égayé par ces 2000 invités surprise. Les fêtards rigolards, assuraient déjà que ce n'était que partie remise et la frange la plus extrémiste entonnait "Apéro chez Vall ! After chez Macron".
En guise d'adieux, un container de bouteilles vides atterrit lui aussi sous forme de pluie sur le commissariat du XIe et ses voitures sérigraphiées déjà en sale état. Les policiers réfugiés à l'intérieur assistaient, médusés, à un tel déchaînement de générosité. Les CRS tentèrent bien de nasser tout ce beau monde au niveau de la rue de la Roquette.

Mais puisqu'il était impossible de faire le partage entre quelqu'un qui y fait la fête le samedi soir et quelqu'un qui y veut faire la fête à Manuel Valls, il fallut libérer tout le monde. Un dernier cortège de quelques centaines de personnes rentra à la République par le boulevard Voltaire, escorté par un balai de Gendarmes Mobiles.

Dans une immense sérénité et une approbation générale, toutes les agences bancaires, d'intérim ou immobilières connurent le fracas du métal sur leurs vitrines. Au retour à République, tous les fourgons de CRS usuellement postés avaient disparu. On fit un feu de joie, sur la rue.

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