Suite au succès de mon lien Shaarli sur le cinéma numérique (merci SebSauvage, NikoPik et les autres !), j’ai décidé d’en faire un article complet pour aller un peu plus en profondeur (et mettre toutes les données au propre).
Je ne prétends pas tout connaître concernant le fonctionnement du cinéma numérique tel qu’il existe actuellement, car bien que travaillant dans un cinéma à loisir, je n’ai hélas pas à disposition de documentation technique ou autres sources spécifiques. Tout ce dont je parle provient de mes observations (vive la curiosité), recherches sur le net et anecdotes personnelles ! Cela est d’autant plus vrai que c’est variable d’un cinéma à l’autre en fonction de la solution qu’il aura choisie. Cependant, je vous offre un bon aperçu de ce qui se fait actuellement !
Infrastructure logique
Très schématiquement, voilà comment cela se passe au niveau de l’infrastructure en place :
Fait avec amour sous Visio !
On remarque que plusieurs appareils sont présents :
- Un serveur de contenu : le point central, celui qui stocke les films (chiffrés) sur ses disques durs et qui est ensuite chargé de les diffuser ;
- Un PC : pour contrôler le serveur de contenu grâce à un programme spécifique (appelé TMS, « Theater Management System ») ;
- Un projecteur numérique : c’est lui qui a la tâche de projeter le film sur l’écran et qui s’occupe de la 3D ;
- La partie son : avec un rack de conversion numérique vers analogique, puis le ou les différents amplis (manque sur le schéma les hauts-parleurs, mais je crois que c’est clair).
Maintenant, voyons plus en détail les différents éléments qui composent cette infrastructure…
Infrastructure physique
Ne sont présents ici que les appareils importants qui composent la chaîne. Je ne parle pas des amplificateurs ou de l’écran, par exemple…
Projecteur
LA pièce maîtresse d’un cinéma, c’est bien le projecteur ! De nos jours, plus de lourdes bobines « argentiques » difficiles à transporter et fragiles, mais une diffusion totalement numérique dont le projecteur en est l’élément final !
Projecteur numérique de marque Barco, modèle DP2K-20C (partie haute de l’image). Le serveur est en bas.
Le projecteur dont je parle ici est un Barco DP2K-20C dont les caractéristiques techniques sont les suivantes :
- Résolution de 2048 x 1080 pixels (2K, soit à peine plus grand que de la Full HD, existe aussi en 4K) ;
- Technologie de projection DLC (3 matrices de micro-miroirs forment l’image) ;
- Lampe de 4’000 watts (valeur max atteinte que pour des films en 3D, plus faible sinon) ;
- Contraste de 2’000:1 ;
- Entrées vidéos : 2 SMPTE (j’y reviendrai), 2 DVI ;
- Poids : 102 kg ;
- Modulaire (notamment pour le support de la 3D) !
Un rapide coup d’œil s’impose afin de montrer le panneau de contrôle, ainsi que les interfaces présentes :
Différentes sources sont sélectionnables (en haut). Toutes les interfaces sont présentes en bas.
S’il y a bien une interface d’entrée vidéo qui mérite qu’on s’y attarde, ce sont les connecteurs SMPTE 292M !
Les connecteurs SMPTE 292M (autrement appelés HD-SDI).
Ce sont des câbles coaxiaux qui transportent le flux vidéo haute-définition en provenance du serveur de contenu. Le débit est de l’ordre de 1.4 Gbps, en Single ou Dual-Link (transmission simultané sur les deux câbles) !
Il faut savoir que le flux vidéo est chiffré d’un bout à l’autre de la chaîne de diffusion, jusqu’au projecteur. Celui-ci contient d’ailleurs un module de déchiffrement en temps réel qui est scellé. Une sorte d’HDCP (protection des films sur Blu-ray), mais en version cinéma
Au passage, on notera que l’ouverture du projecteur le met dans un état de « blocage » ! Il refusera de diffuser la moindre image jusqu’à ce qu’un technicien ou une personne agréée ne vienne le « réinitialiser » (à l’aide d’un iButton) !
Oui, la paranoïa est de mise…
Serveur de contenu
L’élément central, le coeur de toute infrastructure informatique est le serveur. Ici, il s’agit d’un serveur dont le but est de stocker les films, gérer les séances et diffuser l’audio et la vidéo aux bons périphériques. Évidemment, il gère aussi toute la partie chiffrement des films !
Serveur Dolby DSS200 avec un « switch vidéo » au-dessus.
Dans le cas présent, il est question d’un Dolby DSS200. Il tourne sur Linux, possède 4 disques configurés en RAID-5 et n’a pas d’interface graphique ! Par contre, il lance dès le démarrage et en plein écran le programme de gestion (TMS) qui, lui, est écrit en Java (c’est exactement le même que sur le PC) !
Ce qu’il faut savoir, c’est que le film parvient par voie postale sous forme d’un disque dur enfermé dans une boîte matelassée. Ce disque est ensuite inséré dans le slot idoine du serveur (ou transféré en USB). Une fois enregistré en local, le disque est simplement renvoyé.
Intérieur d’une boîte contenant le disque dur du film.
Le fichier qui contient le film est un conteneur MXF (Material eXchange Format) : une sorte de MKV qui contient aussi bien les méta-données que le(s) flux vidéo(s) et audio(s) ! Voici quelques caractéristiques techniques :
- Format vidéo : MJPEG-2000 (succession d’images compressées en JPEG-2000), haut-débit (jusqu’à 250 Mbps) ;
- Fréquence d’images : traditionnellement du 24 images/s, mais possible aussi en 25, 30 ou 48 ips ;
- Audio : souvent du PCM à 48 kHz et 24 bits de résolution (donc flux brut non compressé), maximum 16 canaux ;
- Chiffrement : RSA (2048 bits) pour délivrer les clés et AES (128 bits) pour le contenu proprement dit ;
- L’image contient un water-mark invisible à l’oeil (pour localiser la source d’une éventuelle fuite) ;
- Taille typique : entre 120 et 160 Go !
Concernant le chiffrement, le film ne peut être lu sans posséder la clé (ou « licence ») ! Celle-ci est envoyée indépendamment du disque et doit être entrée dans le serveur, via le TMS. La licence n’est valable que pour une période, un film et un serveur donnés ! La période de diffusion autorisée est négociée avec le distributeur.
PC
L’appareil le plus banal : un simple ordinateur relié sur le même réseau que le serveur. Dessus est installé le programme de gestion des séances (TMS).
Capture d’écran du « Dolby Show Manager ». Source : Kitag.
Ici, il s’agit de « Dolby Show Manager », écrit en pur Java et permettant une programmation complète des séances (montage des trailers, insertion de macros, par exemple, pour ouvrir les rideaux, planifier les projections pour plusieurs salles, etc). Bref, il gère tout le cinéma !
Mots de la fin
J’espère avoir fait le tour par ce billet. Si quelque chose n’est pas clair ou que vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à le demander dans les commentaires
Vous remarquerez que je ne parle pas de la 3D : c’est voulu ! Le sujet est si vaste qu’il mériterait un billet entier !
Pour faire court, il existe plusieurs systèmes en place (plusieurs technologies) et le support de l’un plutôt que de l’autre ne dépend que du projecteur ! Celui-ci contient un « module » qui affiche l’image en relief selon la technologie retenue. Si on change de système, on change de module, mais le reste ne bouge pas (à part l’écran) !