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Une premiere difficulte de l’addiction aux jeux video

lundi 7 avril 2014 à 11:35

Marc Valleur est un de nos meilleurs spécialistes en addictologie et il est également de ceux qui se sont intéressés à l’addiction aux jeux vidéo. Il a formalisé dans Définir l’addiction : question épistémologique, conséquences politiques les questions posées par l’addiction. Il commence par remarquer que l’addiction découpe la population en deux parties. Quelle que soit l’addiction considérée, il y a en effet ceux qui sont concernés par la consommation du produit ou par le comportement et tous les autres. D’une manière générale, la proportion de consommateurs est moins importante que a proportion de non consommateurs. Parmi les consommateurs, on va trouver des personnes qui ne rencontrent pas de problèmes, des personnes pour qui le comportement considéré est problématique, et des personnes qui se considèrent comme malades et qui vont chercher de l’aide. Si les deux dernières catégories concernent le psychiatre et le psychothérapeute, tous les consommateurs sont l’objet de politiques de santé publique. La consommation de l’alcool est légale, mais elle est encadrée par des dispositifs qui recommandent la sobriété. Tous les français ne boivent pas d’alcool, et parmi ceux qui boivent, tous ne sont pas alcooliques. Certains développent quelques troubles, d’autres s’engagent dans la pathologie alcoolique et une grande majorité ne développe aucun troubles.

Or, l’application de ce schéma à la “cyberaddiction” pose des difficultés. Le premier problème est que l’on a vu considérablement augmenter la proportion des personnes concernées par les jeux vidéo et par l’Internet sans que la proportion de personnes concernées par le problème ou se considérant comme malade augmente. Lorsque les jeux vidéo naissent aux Etats-Unis dans les années 1960, ils ne concernent qu’une poignée de personnes. Il s’agit principalement d’étudiants en informatiques, ou de personnes pouvant facilement avoir accès à un ordinateur. On note très rapidement des conduites excessives. Weisembaum, l’inventeur de la première Intelligence Artificielle, rapporte que ses étudiants dormaient dans la salle d’informatique pour avoir le plus possible accès aux machines. Une décennie plus tard, une nouvelle industrie de loisirs est un place. Les consoles envahissent les salons et cette tendance n’a pas cessé de se maintenir. Aujourd’hui, les jeux vidéo sont partout. Ils sont joués par 95% des enfants et des jeunes adultes. Dans le même temps, l’Internet s’est considérablement développé. Etre connecté partout et à tout moment est devenu une norme. Les jeunes restent jamais très longtemps éloignés du réseau. Il  a été estimé qu’ils consultent leur smartphone toutes les six minutes environ.

Selon une loi épidémiologique, plus il y a d’utilisateurs “normaux”, plus le nombre d’utilisateurs à problèmes augmente . L’augmentation considérable des utilisateurs de l’Internet et des jeux vidéo aurait donc du se traduire par une augmentation des problèmes de “cyberaddiction”. Pourtant, il n’en est rien. Le nombre d’écrans et de leurs utilisateurs n’a pas cessé d’augmenter depuis 1995 sans que le nombre de personnes présentant une “addiction aux jeux vidéo” n’augmente. Pour les MMORPG qui sont le plus souvent montré du doigt, le nombre d’utilisateurs est même en train de diminuer ! Blizzard, la société éditrice du jeu, a annoncé en 2013 baisse de 14% de nombre de ses abonnés.

Nous avons en France 5 millions de personnes ayant un rapport problématique à l’alcool, 150.000 héroïnomanes, et 200.000 personnes dépendantes au cannabis (source : RESPADD). Les chiffres donnés pour l’addiction aux jeux vidéo oscillent entre 30% et 2%. Même si l’on prend la valeur la plus basse, cela fait un nombre considérable de personnes concernées. En France, l’INSEE estime que le nombre de joueurs est passé de 17 à 28 millions de personnes. Cela voudrait dire qu’il y aurait 340.000 à 560.000 joueurs problématiques, soit une augmentation de 220.000 cas !

Comment une telle augmentation des usages n’a pas été provoqué une hausse des personnes ayant un rapport problématique avec les jeux vidéo ou avec l’Internet ? Comment expliquer que le nombre de personnes concernées par l’Internet et les jeux vidéo a pu augmenter dans de telles proportions sans que le nombre de personnes présentant une pathologie ou au moins des conduites problématiques augmente ? A ces questions, les tenants de la “cyberaddiction” n’ont pas de réponse.