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[LECTURE] LINGIARDI (2009) Jouer avec l’irréalité : transfert et ordinateur

dimanche 31 juillet 2016 à 16:29

Lingiardi, Vittorio.

Lingiardi, Vittorio. “Jouer avec l’irréalité: transfert et ordinateur.” L’Année psychanalytique internationale 2009.1 (2009): 19-37.

Le psychiatre psychanalyste italien Vittorio LINGIARDI livre ses réflexions sur la manière dont l’Internet agit sur le traitement psychanalytique à partir de deux cas clinique. Il montre Le réseau Internet peut être un espace d’élaboration ou de stase psychique. Cela l’amène à des réflexions sur la perte d’objet et la dissociation à partir desquelles il peut reprendre les utilisations de l’Internet dans la séance.

L’intimité entre les machines numériques et le hommes devient de plus en plus grande comme le montre les sentiments de détresse lorsque quelque chose dans la relation ne fonctionne pas. A partir de deux cas clinique, LINGIARDI fait une exploration psychanalytique de cette relation intime, des questions et des problèmes que l’utilisation du mail pose à l’analyste et des réponses qu’il a trouvé utiles à ses patients.

Les situations sur lesquelles LIGNIARDI sont très différentes ce qui lui permet de contraster les fonctions psychologiques du mail dans la relation psychanalytique. Pour Melania, c’est une manière de traiter ce qui ne pouvait l’être en séance. L’écriture des mails lui permet

D’une façon générale, LINGIARDI considère que l’introduction de la “dimension cybernétique” dans la relation analytique peut être relié à 1) la crainte de la perte de l’objet; 2) le désir de voir l’analyste reconnaître des partie de lui même qui ne peuvent l’être parce qu’elle sont frappées de souffrances ou de honte; 3) la frustration de désirs liés au transfert qui engendrent de la colère; 4) l’érotisation du transfert et la crainte que quelque chose puisse arriver pendant la séance ; 5) une manière de trouver un espace ou il est possible d’examiner le monde sans y être englout; 6) un moyen “d’isolement personnel” (OGDEN, 1994) ; 7) une tentative d’amorcer une relation émotionnelle avec un objet non-humain

Le mail peut être investi parce qu’il a un degré de réalité moins important que l’association libre pendant la séance. LINGIARDI retrouve la piste de travail donnée par le psychologue américain John SULER dans sa Psychologie du Cyberespace (2002)

L’utilisation du mail permet de lâcher prise en toute sécurité. Pour certains patients, le mail permet de conserver une maitrise sur leurs processus et contenus de pensée tout en s’assurer qu’ils restent vivants dans l’esprit de l’analyste.  Il incombe alors à l’analyste de s’assurer que les mails ne restent pas dans un compartiment clivé du patient ou il pourrait constituer une réalité alternative. L’utilisation du mail peut aussi correspondre à un acting du patient qui trouve ainsi un espace ou agir des aspects du transfert. Les aspects érotisés ou qui ne peuvent être pris en charge par le patient (ou par l’analyste) sont alors déposés dans le courrier électronique

La réflexion sur la peur de la perte d’objet laisse penser que pour LINGIARDI ces positions subjectives sont liées a l’angoisse de perdre l’analyste ou ce qu’il représente. La perte de l’objet est source d’anxiété parce que le patient perd un soutien ou perd la partie de son Self qu’il a déposé dans l’objet. L’objet peut être perdu parce qu’il a disparu avant que le patient ne construise la capacité à conserver son image ou parce qu’il a été détruit dans le fantasme.

Le mail est décrit comme un entre-deux. Il est à mi chemin entre l’acte et la pensée, unit le passé et le présent, l’individualité et la globalité. Il permet au patient jouer avec le degré de liberté attribué à ce qu’il écrit. La communication médiatisée par ordinateur peut correspondre a la définition de l’objet transitionnel situé entre le moi et le non-moi, entre le proche et le lointain, le créé et trouvé. Elle peut facilité la dissociation comme aider à traiter les avatars de l’angoisse de séparation et d’engloutissement

L’ordinateur, le flux incessant de mots, peuvent servir à constituer une seconde peau psychique permettant de donner une cohésion au sentiment de soi. Dans ce cas de figure, c’est moins l’angoisse de sépartion qui est en jeu que la dissociation définie comme une tentative de maintenir la conitnité de soi en subdivisant la souffrance psychique en plusieurs compartiments. Pour les personnes qui utilisent préférentiellement ce mécanisme de défense, l’ordinateur donne l’occasion de constituer un lieu de “retrait psychique” dans lequel la réalité n’est pas tout à fait déniée mais elle n’est pas tout à fait acceptée non plus. Un des attraits des interactions avec l’ordinateur est qu’il permet la formation de relations d’objet autistique-contigu ou la perfection peut être éprouvée parce qu’elles ne connaissent pas faillites inherentes aux relations humaines. Lorsque le refuge devient l’habitation permanente de la personne, la solution devient source de nouveaux problèmes.

Dans cette nouvelle donne, la tache de l’analyste est d’aider le patient à comprendre la fonction que joue le réseau Internet et les courriels dans sa vie psychique et de favoriser le passage d’une utilisation compulsive à une utilisation transformationnelle de leur objet.

Pour comprendre l’article de LINGIARDI, il faut se remettre dans le contexte de sa publication. En 2009, date de parution de l’article, l’Internet est encore assez différent de ce que nous connaissances. On compte 1,7 milliards d’Internautes qui se trouvent pour la plupart en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Ils lisent et écrivent sur 126 millions de blogs mais commencent déjà a se rassembler sur les réseaux sociaux. Facebook compte 350 millions d’utilisateurs, Twitter produit 27 millions de messages par jour et 1 milliard de vidéo par jour sont téléchargées sur YouTube. Dans cette mer immense, quelques vidéo deviennent des phénomènes. Baby dancing to Beyonce, David after the dentist ou Susan Boyle réjouissent les internautes. . Dans ce contexte le mail est encore le média roi qui a attiré 100 million de nouveaux venu en 2009. Chaque jours 200 milliards de mails sont produits par les internautes.

A cette date, les psychanalystes ont peu publié sur le réseau. Le livre de Michaël CIVIN, psychanalyse du net (2003) est encore un OVNI. Les francophones sont davantage intéressés par les jeux vidéo et leurs applications thérapeutiques. Benoit VIROLE a publié Du bon usage des jeux vidéo et autres aventures virtuelles (2003). Dans les articles, Geneviève LOMBARD est une des premières à écrire sur le mail et Usenet. Les questions qu’elle pose – la présence et l’absence, la régression et l’élan, l’identité et l’altérité recouvrent et dépassent les questions traitées par LINGIARDI

La théorie utilisée est celle des relations d’objet qui examine comment les relations actuelles d’une personne dépendent de son monde interne et comment ces relations actuelles sont construites sur la base des relations du passé. Les principaux contributeurs à ce champ sont Melanie KLEIN, Douglas FAIRBAIN, Donald W. WINNICOTT ou Thomas OGDEN. Les ordinateurs et le numérique apportent de nouveaux objets dont il est important de comprendre comment ils sont intériorisés

Il est possible de critiquer LINGIARDI parce qu’il ne prend pas en compte les caractéristiques réelles du mail. Le fait qu’il soit possible d’effacer sans contrainte et d’écrire mille fois, ou au contraire d’écrire et d’envoyer très rapidement un mail, de relire les mails envoyés et reçus sont des éléments à prendre en compte. Les affordances des objets numériques les destinent plus facilement à la défense par clivage ou acting ou à la subjectivation.

LINGIARDI a sur l’utilisation de mail un véritable regard analytique. Il ne considère le numérique comme un problème a priori. Il ne voit pas davantage dans les mondes numériques des éléments qui favorisent le processus de symbolisation. Il montre que dans la cure le mail peut être utilisé comme une défense ou comme un moyen d’étendre le fonctionnement du self. Les deux cas cliniques qu’il apporte a la discussion, et son interprétation du cas de Glenn GABBARD sont convaincants.

Jouer avec l’irréalité : transfert et ordinateur” est un texte important pour qui souhaite réfléchir sur les effets des communications numériques sur le processus analytique. Il reste encore d’actualité même si la plupart des interactions en ligne se sont déplacées sur les réseaux sociaux et les applications de smartphone