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Dans le cerveau d’un rageux

lundi 12 août 2013 à 10:22

La langue française connait le mot de « rageur » pour désigner les personnes enclines à la colères. Les gamers ont inventé le mot « rageux » pour désigner l’extrême état émotionnel que vivent certains au cours d’une partie. Un rageux est une personne qui éprouve des état de colère intenses au cours des parties. Les insultes sont fréquentes, et au climax de la rage, la personne se déconnecte. On parle alors de « rage quit ».

Cet état émotionnel intense prend sa source dans un relique héritée de notre passé. L’amygdale prend le contrôle du cerveau en émettant un signal qui va provoquer la libération massive d’adrénaline dans le sang. L’augmentation du rythme cardiaque et de la ventilation pulmonaire apportent aux muscles toute l’énergie nécessaire. Tout ce qui n’est pas utile à une action immédiate est abandonné. L’organisme est alors prêt à une réponse de grande ampleur qu’il s’agisse de la fuite ou de l’attaque.

Une réponse d’une telle ampleur est tout à fait adaptée si l’on pense aux dangers que pouvaient recéler la vie primitive. La rencontre avec un grand prédateur nécessite la mobilisation immédiate de toutes les ressources pour livrer un combat ou pour fuir. De telles occasions sont rares dans la vie moderne, mais elles existent tout de même. Une agression, ou un évènement soudain peuvent comporter des enjeux de vie ou de mort. Mais ils sont tout à fait disproportionnés et inadaptés pour une personne qui est dans une zone aussi sécure que son salon et dont les seuls dangers sont la perte de la partie ou la mort de son personnage dans le jeu.

Après l’activation de l’amygdale, une autre partie du cerveau entre en jeu. Le préfrontal est le centre de contrôle exécutif du cerveau. Si ce que l’on fait du fait de l’amygdale est automatique et hors de contrôle, les conduite déclenchées par le préfrontal entrent dans le domaine de la vie consciente et rationnelle. Le préfrontal permet de reprendre le contrôle sur les colères primitives de l’amygdale. Il analyse la situation et détermine les comportements rationnels à mettre en œuvre. Certaines zones du préfrontal sont cruciales dans la régulations des émotions. Pour endiguer l’ampleur et la puissance des conduites déclenchées par l’amygdale, il faut un centre de contrôle comme le préfrontal.

L’importance du préfrontal dans la gestion des émotions a commencé à être reconnue avec l’histoire de Phineas Cage. En 1848, alors qu’il travaille à la construction d’une ligne de chemin de fer, une barre de fer lui traverse le cerveau. Phineas Cage suivit, mais il n’est plus le même homme. Ce n’est pas tant les séquelles physiques qui le changent, car finalement celles-ci sont peu importantes si l’on considère l’ampleur du traumatisme. Mais l’homme calme, attentionné, sociable et fiable qu’il était n’est plus. Il est devenu brutal, agressif, et antisocial. La barre de métal, en traversant son crâne, a irrémédiablement endommagé son cerveau préfrontal. Il dispose toujours de l’accélérateur émotionnel qu’est l’amygdale mais n’a plus la pédale de frein qu’est le préfrontal.

Avec un fonctionnement préfrontal insuffisant, la personne entre dans une spirale ascendante de rage. L’état d’alerte provoqué par l’amygdale finit par atteindre l’hypothalamus. L’hyper mobilisation provoquée par l’amygdale donne à la personne des ressources auxquelles elle n’accède pas en temps normal. Le surrégime est alors vécu comme une situation de plaisir. Après le circuit de la peur, c’est le circuit dopaminergique de la récompense qui est alors activé. La personne se met de plus en plus facilement dans des états de rage, pour les sentiments de plaisir que cet état suscite. A moins que le cerveau préfrontal entre en jeu en exerçant un contrôle conscient sur les réponses automatiques provoquées par l’amygdale et l’hypothalamus.

La rage est d’autant plus facilement activée que dans la situation de jeu, le préfrontal n’exerce pas le frein qu’il exerce dans les interactions sociales habituelles. Dans l’intimité de son salon ou de sa chambre, il est possible de se laisser aller au plaisir d’un fonctionnement dominé par les structures les plus anciennes du cerveau. Les freins de l’homme « civilisé » peuvent être abandonnés en toute sécurité. C’est alors le plaisir immense, sans limite, de la bête tapie au fond de nous.

Pour le meilleur et pour le pire, cela ne dure que jusqu’à ce que quelqu’un éteigne la console de jeu.