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Le Royaume-Uni, un des plus grands fournisseurs d'armements, veut interdire le boycott des ventes d'armes

jeudi 6 avril 2017 à 16:38

Malgré les violations des droits de l'homme, le Royaume-Uni continue de vendre des armes à Israël.

Manifestation contre la vente d'armes britanniques à Israël le 21 novembre 2014 à Londres. Source : site web du mouvement BDS.

Sauf indication contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages anglophones.

L'industrie de l'armement britannique se situe au deuxième rang mondial, juste après les États-Unis. Elle est impliquée dans différentes atrocités et armes interdites comme la vente de bombes à fragmentation à son client grand compte l'Arabie Saoudite dans la guerre du Yémen. A diverses occasions sur ces allégations, l'organisation Campaign Against Arms Trade (CAAT) a traîné le gouvernement britannique devant les tribunaux :

Nous sommes devant les tribunaux pour dire que le Royaume-Uni doit arrêter d'armer l'Arabie Saoudite qui a blessé ou tué 3 500 enfants au Yémen

A côté des exemples souvent cités d’Arabie Saoudite, Barheïn et Israël, les armes made in the UK sont aussi vendues en grandes quantités au Mexique où les meurtres, disparitions et déplacements de masse de populations perpétrés dans la guerre contre la drogue en ont fait un des pays les plus violents sur Terre. De 2013 à 2016, les licences d'exportation de l'industrie de défense britannique vers la Turquie se sont élevées à 466 millions de livres (544 millions d'euros) et ont servi à la répression extensive par la Turquie de la société civile et des Kurdes.

Grâce aux accords de commerce “ouvert” tels que l'exposition Security & Policing (S&P) [sécurité et réglementation] et d'autres événements similaires comme le Defence and Security Equipment International (DSEI) fair [salon international de l'équipement de la défense et de la sécurité], le Royaume-Uni autorise les sociétés locales et internationales à exposer un échantillonnage des armes les plus mortelles. Il abrite aussi l'un des plus grands fournisseurs de logiciels de surveillance, Gamma Group.

Le réseau “Stop The Arms Fair!” [Stop aux salon de l'armement], un groupe d'activistes visant à empêcher le prochain DSEI de septembre 2017, a révélé le rôle du Royaume-Uni dans la vente de dispositifs de surveillance et d'armes à des gouvernements reconnus pour leurs violations des droits de l'homme comme l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, l’Éthiopie et le Venezuela.

Le salon d'armement britannique “Closed to public” [réservé aux professionnels] vend des dispositifs de surveillance et des gaz mortels aux bourreaux.

Le journaliste Cahal Milmo a récemment dénoncé sur inews.co.uk :

Depuis 2010, le gouvernement a accordé plus de 152 licences d'exportation d'armes non-létales à l'étranger, dont près de £ 182 000 (212 600 €) de gaz lacrymogènes ou de projectiles destinés à l'Arabie Saoudite en 2015 ; et en 2014, il a autorisé la vente de projectiles de contrôle de foule d'une valeur de £ 6,1 millions (7,1 millions d'euros) aux Émirats Arabes Unis.

Dans ses négociations de sortie de l'Union Européennes, le Royaume-Uni a en vue une extension de cet espace, à en croire tant le livre vert post-Brexit que le député pro-Brexit David Jones.

En février, le pays a doublé la mise en annonçant son projet d'interdire aux conseils municipaux, aux entités locales ou spécialisées du National Health Service (NHS) [le service national de santé], aux organismes publics et à certains syndicats d'étudiants, de boycotter, désinvestir ou appliquer des sanctions contre une industrie ou un Etat “autrement que là où des sanctions juridiques formelles, des embargos et des restrictions ont été mises en place par le gouvernement”.

Le Royaume-Uni veut rendre illégal pour les institutions publiques et à financement public le boycott, le désinvestissement ou les sanctions contre une industrie ou un État

La loi anti-boycott s'inscrit dans l'action constante du Department for Communities and Local Government (le service en charge des Collectivités Locales) pour empêcher les institutions à financement public de boycotter des pays, ou exclure des appels d'offre des fournisseurs étrangers, pour des motifs éthiques. Ceci touche les centrales d'achat de biens et services, car beaucoup d’entités publiques ont des politiques d'approvisionnements éthiques qui les empêchent d'acheter des catégories particulières de produits ou d'y investir. Cela pèse aussi sur les placements de ces entités dans les fonds de pension, car les apports s'y fondent dans des “fonds communs” ou “fonds souverains”. Les ministres ont averti que les sanctions seraient sévères en cas de violation de cette loi. 

Réagissant à cette directive, un des principaux syndicats britanniques, UNISON, a souligné que “la politique d'investissement ne devrait pas dépendre des gouvernements, mais plutôt des acteurs et décisionnaires”. L'an passé, l'association Pensions and Lifetime Savings [retraites et épargne tout au long de la vie] qui représente plus de 1 300 fonds de pensions rappelait que ceci pourrait nuire aux intérêts des adhérents à ces régimes de retraites.

Manifestation de “Stop The Arms Fair” contre l'armement d'Israël par le Royaume-Uni le 7 septembre 2015. Source : Facebook.

Plusieurs mouvements reconnaissent qu'au fil du temps les conseils municipaux ont joué un rôle crucial pour défendre les droits de l'homme et en influer sur les normes internationales. Dans les années 1960 – 1970, plus de 100 collectivités locales du Royaume-Uni ont choisi d'interdire les produits sud-africains et en 1981 le Conseil de Strathclyde a arrêté ses investissements de fonds de pension dans les sociétés ayant des filiales en Afrique du Sud. 

Plus récemment, en 2014, pour protéger les droits des Palestiniens, le conseil municipal de Leicester a adopté une réglementation visant à boycotter les produits des colonies israéliennes situées en Cisjordanie. En 2015, le conseil municipal de Birmingham ne souhaitait pas renouveler son contrat d'élimination des déchets avec la société française Veolia si elle ne se retirait pas de Cisjordanie. En réponse à ces actions, le secrétaire d’État aux collectivités locales, Sajid Javid rappelait : “Nous ferons cesser une fois pour toutes ces boycotts inappropriés et inutiles”. Le Secrétaire du Cabinet Matthew Hancock avance que l'interdiction de boycott “aidera à empêcher des politiques étrangères locales préjudiciables et contre-productives susceptibles de nuire à notre sécurité nationale”. 

« Nous ferons cesser une fois pour toutes ces boycotts inappropriés et inutiles

Ryvka Barnard, responsable des campagnes de l'organisation britannique War on Want [guerre à la misère], avance que le gouvernement britannique essaie de couler la campagne de Boycott, Désinvestissement Sanctions (BDS) – appelant, entre autres, à mettre fin à l'occupation israélienne des territoires palestiniens – et d'autres groupes luttant contre la vente d'armes, dans le cadre d'une répression générale des droits de l'homme et de la liberté de choix des consommateurs.

Ryvka Barnard, de @WarOnWant – le gouvernement cible explicitement le mouvement BDS et les anti-commerce des armes, un élément de la répression générale des libertés par le gouvernement

Autoriser les abus israéliens

La réglementation qui interdira les boycotts est supposée suivre l’Accord sur les marchés publics [fr] (AMP) de l'Organisation Mondiale du Commerce, consacré à l'accès au marché international. L’accord [fr] a “ouvert des activités de fournitures d'une valeur estimée à 1,7 milliards de dollars annuels à la concurrence internationale (par exemple aux fournisseurs de parties à l'AMP proposant des biens, des services ou des prestations de bâtiment et travaux publics). “Alors qu'il peut être gênant pour le Royaume-Uni de le reconnaître, War on Want souligne que l'AMP “autorise tout à fait les boycotts/exclusions de sociétés en raison de leurs pratiques, et pas seulement arbitrairement en raison de leurs pays d'origine”.

La législation britannique s'oriente actuellement vers les combustibles fossiles, les produits du tabac, les produits fabriqués dans les colonies israéliennes de Cisjordanie, et les sociétés impliquées dans le commerce des armes. Andrew Smith du CAAT argumente que ces limitations pourraient avoir de graves répercussions sur toutes les organisations de plaidoyer.

L'objectif principal de l'interdiction de boycott au Royaume-Uni est de proscrire les pressions en faveur d'un embargo à double sens des armes concernant Israël, faites par des mouvements comme War on Want et des conseils municipaux souhaitant boycotter les produits des colonies israéliennes. Par conséquence, la loi anti-boycott obligera les institutions publiques à se soumettre aux intérêts de la politique étrangère britannique, une mesure éclairante à la lumière de son commerce des armes, s'agissant en particulier d'Israël.

La loi anti-boycott obligera les institutions publiques à se soumettre aux intérêts de la politique étrangère britannique

Les demandes de licences d'exportation d'armes britanniques sont en principe “évaluées au cas par cas d'après des critères stricts,” avec la prohibition d'armes destinées aux agressions extérieures, à la répression intérieure ou à d'autres activités criminelles. Mais les conditions dans lesquelles une arme spécifique est classée dans une catégorie ou une autre restent opaques.

En pratique, il semble qu'une évaluation minimale soit effectuée. Ces critères font l'objet de libres interprétations et très peu de licences d'exportation d'armes ont été refusées ou révoquées. D'après Barnard, il ressort que le Royaume-Uni ne régule pas de façon appropriée les ventes d'armes : tout en marquant Israël selon sa procédure d'évaluation comme un pays à surveiller, il y a approuvé en 2016 plus de £100 million (117 millions d'euros) d'exportations d'armes. 

Le commerce bilatéral des armes Royaume-Uni – Israël

Le commerce des armes entre Royaume-Uni et Israël est mutuellement profitable et très fructueux pour les deux gouvernements.

Avec un secteur militaire composé de plus de 200 entreprises privées et publiques et une publicité promettant des armes “testées sur le terrain dans les territoires palestiniens occupés”Israël est devenu le principal exportateur de drones dans le monde. En 2012, il était classé sixième exportateur d'armes avec une valeur d'exportations doublée, de 3,5 milliards de dollars US de 2004 à 2007 à 7,1 milliards de dollars de 2008 à 2011.

Israël vend pour des millions de livres sterling d'armes au Royaume-Uni, et la société de sécurité informatique Elbit Systems a aidé le Royaume-Uni avec 110 millions de dollars de technologie de drones utilisés en Afghanistan et Irak. En même temps, l'armée et les sociétés israéliennes dépendent des sociétés de défense britanniques spécialisées pour les armes “à double usage” pouvant être utilisées lors de déploiements militaires et civils.

Le CAAT, War on Want et Palestine Solidarity Campaign (PSC) [campagne de solidarité pour la Palestine] documentent cette relation dans un rapport commun intitulé Arming Apartheid: UK complicity in Israel’s crimes against the Palestinian people” [Armer l'apartheid : le Royaume-Uni est complice d'Israël dans ses crimes contre le peuple palestinien].

Ce rapport analyse le rôle de G4S, une des plus grandes sociétés de sécurité au niveau mondial, basée au Royaume-Uni. Accusée de complicité dans une série d'abus, la société a mis un terme en 2014 à une partie de son activité en Israël ; mais la campagne contre G4S est loin d'être terminée. 

Manifestation contre le G4S par “War on Want” le 10 mars 2016. Source : Facebook

En 2005, le ministre de la défense a attribué un contrat d'investissement de près d'1 milliard de livres [1,17 milliard d'euros] à UAV Tactical Systems Ltd (U-TacS), une co-entreprise de Thales UK et Elbit Systems. Il assure le développement du drone de surveillance britannique Watchkeeper WK450, signalé par War on Want comme un modèle ayant été testé “sur le terrain”  dans les territoires occupés palestiniens lors des bombardements de Gaza.

Le Royaume-Uni accorde aussi des licences aux sociétés vendant des composants d'armes à Israël, y compris le drone Hermes. L'armée israélienne utilise ce drone pour surveiller et bombarder les Palestiniens de Gaza. Notamment en 2014 lors de l'Opération Bordure Protectrice qui a tué environ 1 460 Palestiniens. 

En se servant de technologies avancées de surveillance pour identifier les cibles et guider les frappes de missiles tout comme de bombes intelligentes, le drone Hermes était présenté par l'aviation israélienne comme le “pilier de ses missions de ciblage et de reconnaissance.”

Le Royaume-Uni fournit à Israël non seulement des drones, technologies de drones, pièces détachées d'armes, armes de contrôle, de l'équipement de ciblage et des munitions, mais aussi des gilets pare-balles, des munitions d'armes légères et des véhicules blindés dont beaucoup utilisés pour repérer, réprimer et tuer les Palestiniens. 

Il est clair que si la loi sur le boycott se met en place comme prévu, elle restreindra les libertés publiques. Faire des appels non-violents au boycott et au désinvestissement une infraction pénale intimidera les institutions publiques et leur refusera la possibilité de se désolidariser du commerce d'armes bien ancré et en pleine expansion entre le Royaume-Uni et Israël. Le directeur du programme britannique des relations économiques d'Amnesty International UK Peter Frankental pose la question :

Comment motiver les entreprises à vérifier qu'il n'y ait pas de violations des droits de l'homme… quand les institutions publiques ne peuvent en tenir compte pour motiver leur refus de leur attribuer des marchés ? 

Suzanne Lehn a contribué à cette traduction.