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Iran : quand seul le nucléaire compte

jeudi 5 décembre 2013 à 12:29

Une éclaircie à l’horizon pour l’Iran ? L’accord trouvé dans la nuit du 23 au 24 novembre redonne au pays une marge de manœuvre économique. Pour ce qui est de la politique du pays en matière de droits humains, il faudra repasser. Le régime peut tranquillement poursuivre ses exécutions en série. La communauté internationale préfère fermer les yeux tant que ne se profile plus la menace de l’arme nucléaire.

 Pour la première fois dans l’histoire des négociations relatives au programme nucléaire iranien, un compromis « satisfaisant » a été trouvé entre les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Iran. L’Iran a le droit à l’énergie nucléaire civile, comme l’a confirmé le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius, mais exclut « tout accès à l’arme nucléaire ».

 Le régime est content : les affaires peuvent reprendre en Iran 

 Avec cet accord s’assouplissent également les différentes sanctions internationales qui l’étouffent de manière croissante depuis 2006. L’ONU, le Conseil européen et les États-Unis s’étaient coalisés pour réduire au maximum la marge de manœuvre du pays.

 L’ONU a fait en sorte que le pays ne puisse plus investir dans certaines activités sensibles comme les mines d’uranium. Le Conseil européen a tranché en faveur du gel des fonds détenus ou contrôlés par des compagnies iraniennes sur le territoire de l’UE, a interdit des transferts de fonds en provenance ou à destination d’une entité iranienne et les importations de gaz et de pétrole iranien. Là-dessus, Barack Obama optait en 2013 pour le gel des réserves de monnaies étrangères du régime iranien, ce qui impliquait la dévaluation du rial. Il s’attaquait aussi au marché automobile.

 Ces embargos pétrolier et bancaire commençaient à sérieusement faire leurs effets sur les entreprises iraniennes et les populations. 

 Du fait des sanctions, de plus en plus d’entreprises ne peuvent plus ni importer ni exporter. Elles ne parviennent plus à payer leurs fournisseurs, voire leurs ouvriers. Elles ne licencient pas, parce que le gouvernement le leur interdit.

 expliquait Michel Malinksy, chargé d’enseignement sur l’Iran à l’École supérieure de commerce et de management de Poitiers.

 Les premières sanctions seront levées en décembre selon les dires de Laurent Fabius. Bijan Namadar, le ministre iranien du Pétrole, a fait savoir que l’Iran comptait revenir « immédiatement » à ses pleines capacités de production de pétrole si l’ensemble des sanctions liées à son programme nucléaire controversé était levé. Seulement Il faut espérer que les revenus issus de ses exportations permettent la bouffée d’oxygène qui remettrait l’économie du pays sur les rails, et surtout qu’ils bénéficient vraiment aux populations.

 Période d’essai obligatoire

 La levée des sanctions sera « limitée, ciblée et réversible », a-t-il aussi précisé, sans entrer dans les détails. Il s’agit bien évidemment de mettre l’Iran à l’essai, Hassan Rohani n’inspirant pas une confiance pleine et entière, bien au contraire.

 Il réaffirmait en effet quelques jours avant la fin des négociations qu’il ne fallait pas céder sur les « lignes rouges » de l’enrichissement d’uranium. Il est également utile de rappeler qu’il se vantait, dans un interview donné à la télévision d’État le 28 mai 2013, d’avoir abusé de l’UE-3 relatif à l’accord conclu en 2003.  Il avait alors déclaré : 

Vous savez quand l’UFC [raffinage et conversion de l’uranium] a été lancé ?! Vous savez quand on a fait des yellow cake [concentré d’uranium obtenu à partir du minerai] ?! En hiver 2004. On l’avait suspendu [le programme nucléaire] ?! On l’a complété, oui ! 

 

 

 Carte des principaux sites du programme nucléaire iranien en 2012 via wikimedia CC -BY-3.0

Carte des principaux sites du programme nucléaire iranien en 2012 via wikimedia CC-BY-3.0

 La communauté internationale ferme les yeux sur le reste

 Toute la communauté internationale s’est réjouie de cet accord. Du moment que l’Iran s’engage à faire une pause sur l’enrichissement de l’uranium, alors tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le reste, à savoir le fait que le pays bafoue allégrement les droits humains fondamentaux, reste sous le tapis. C’est toujours ce même intolérable silence qui fait loi en ce qui concerne la multitude de crimes dont le régime se rend responsable. L’arrivée d’Hassan Rohani n’a pas radicalement changé la politique iranienne en la matière.

 Le drame d’Achraf — ce camp de réfugiés iraniens censés se trouver sous la protection onusienne et massacrés à la demande du régime iranien le 1er septembre 2013 — a été vite oublié. Les 7 otages toujours entre les mains des autorités irakiennes, n’intéressent pas grand monde non plus. Tout comme les 300 exécutions par pendaison commanditées par le régime qu’a recensées le Comité de soutien aux droits de l’homme en Iran (CSDHI).

 Une personne exécutée toutes les 7 heures dans le pays entre le 3 août et le 1er novembre, autrement dit alors qu’Hassan Rohani était déjà au pouvoir, voilà qui devrait pourtant émouvoir davantage. En fermant les yeux, la communauté internationale se rend tout simplement complice de ces crimes. 

 Maintenir les sanctions : un mal pour un bien ?

 Ce déni interroge finalement la pertinence de la levée des sanctions. Rester ferme aurait effectivement maintenu les populations dans des conditions de vie difficiles, mais sur le long terme cela aurait aussi pu contraindre le régime à céder aux exigences de la communauté internationale.

 Le groupe des 5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne), spécialement l’UE et les États-Unis, ont fait des concessions inacceptables [..] La fermeté contre Téhéran est le seul moyen d’assurer la paix et la tranquillité dans cette région instable 

a déclaré l’eurodéputé conservateur écossais Struan Stevenson au cours d’une conférence de presse à Bruxelles. 

Mme Radjavi, présidente du Conseil national de la résistance iranienne et acteur de l’opposition a pour sa part fait valoir que :  

 Alléger les sanctions sans que le régime iranien ait totalement arrêté l’enrichissement de l’uranium, sans qu’il ait accepté le protocole additionnel et les visites inopinées sur ses sites, et sans l’application stricte des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, serait lui offrir un cadeau dévastateur. Ceci va seulement encourager le régime dans sa quête de la bombe atomique [..]  L’accord de Genève est le résultat direct des sanctions internationales, en particulier à un moment où le régime redoute la reprise de la révolte populaire comme en 2009

 Si la levée des sanctions apparaît positive dans un premier temps, l’état d’impunité dans lequel elle maintient l’Iran ne résout en réalité pas grand-chose et la communauté internationale n’a aucune garantie tangible de voir le régime abandonner la bombe atomique. Pire encore, en lui redonnant des moyens économiques, elle lui aménage une marge de manœuvre supplémentaire.