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Hadopi s’enfonce dans le ridicule

jeudi 13 septembre 2012 à 18:07

La Hadopi ne sanctionne pas le téléchargement de fichiers, mais le « défaut de sécurisation » de sa connexion, et donc le fait de ne pas avoir réussi à être un bon Big Brother de son ordinateur. Cerise sur le gâteau : une fois suspecté, c’est à l’accusé d’apporter les preuves de son innocence, et de démontrer qu’il avait tout fait pour empêcher le partage de fichier... Une forme de présomption de culpabilité qui mêle Orwell et Kafka, et qui fait de la Hadopi le digne rejeton de notre société de surveillance.

Il n'est donc guère étonnant de découvrir que le premier internaute sanctionné dans toute l'histoire de la loi Hadopi n’avait rien téléchargé.

Olivier Henrard est le « père » de la Hadopi. En 2008, dans une interview qu’il m’avait accordé, pour LeMonde.fr, « Pour "l'obligation de surveillance" de son accès à Internet », il m’avait expliqué que « l’idée est de sortir de l'orbite du juge pénal en se basant sur l'obligation de surveillance : ce qui est sanctionné, ce n'est pas que vous ayez téléchargé, mais que vous ayez manqué à votre obligation de surveillance », afin de s'assurer que son accès à l'Internet « ne fasse pas l'objet d'une utilisation qui méconnaît les droits de propriété littéraire et artistique ».

Or, et comme je l’expliquais alors, il n'existe pas de logiciel permettant à un particulier de s'assurer que son accès Internet ne fasse pas l'objet d'une « utilisation qui méconnaît les droits de propriété littéraire et artistique », et il n’en existera jamais, pour la simple et bonne raison qu’Internet a été conçu pour que l’information puisse circuler, quelle que soit la route utilisée, et qu’il existe moult manières de partager des fichiers. Comment Mr Tartempion ou Mme Michu pourraient-ils sécuriser leurs connexions alors que le Pentagone - entre autres victimes des fuites rendues publiques par WikiLeaks - n’arrive pas à le faire ?

Un argument qu’Olivier Henrard avait balayé d’un revers de manche, avec une réponse toute trouvée : la loi du marché, de l’offre et de la demande.

« La réponse dépend des acteurs économiques : ce n'est pas un produit proposé à ce jour, mais ça ne présente pas de difficulté technique majeure, pour peu qu'existe une demande ». Et comme « les usagers vont demander de tels dispositifs de prévention et de filtrage à leurs FAI, c'est aux acteurs économiques de combler le vide ».

Quatre ans plus tard, il n’existe toujours pas d’offre commerciale permettant de sécuriser son ordinateur de sorte qu’il ne puisse être utilisé pour partager des fichiers « protégés » par le droit d’auteur, le copyright ou par DRM interposés (encore que, voir Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté).

Comme le rappelle Guillaume Champeau, Michel Riguidel, le chercheur qui avait prédit un chaos numérique en 2015, et qui avait été chargé de labelliser les moyens de sécurisation (« l'une des missions les plus difficiles » sur lesquelles il a travaillées pendant toute sa longue carrière) a jeté l’éponge, tout comme Jean-Michel Planche, son successeur.

« Depuis, l'on entend plus parler de l'avancée des travaux. Officiellement, ils continuent. Officieusement, cela fait deux ans et demi que l'Hadopi sait qu'elle n'arrivera jamais à établir une liste de spécifications pour les moyens de sécurisation qu'elle est censée labelliser. »

La seule façon simple (et donc accessible au grand public) - et sûre à 100% - de sécuriser son ordinateur, avait été proposée par Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi :

« Si une mère met l’ordinateur dans un placard sous clé pour empêcher son fils de télécharger et que cela marche, c’est un moyen de sécurisation, pas besoin d’installer un logiciel. »

Le "pirate" n'avait rien téléchargé

Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que les premières victimes de la Hadopi ne seraient pas de gros téléchargeurs compulsifs, mais des victimes innocentes dont l’accès au Net ou le WiFi aurait été piraté, l’adresse IP usurpée, ou qui n’auraient pas réussi à empêcher le fiston de télécharger. Pour le coup, ce n’est pas le fiston, mais la future ex-femme du "pirate" qui a reconnu avoir téléchargé deux chansons de Rihanna, malgré les avertissements de la Hadopi, et de son ex-futur mari.

Interviewé par Marc Rees, de PCInpact, Alain, le premier abonné sanctionné dans toute l'histoire de la loi Hadopi, un charpentier d'une quarantaine d'année, revient sur la situation ubuesque, et kafkaienne, dans laquelle il s’est retrouvé. En instance de divorce, il avait rapidement indiqué que les téléchargements venaient de sa femme :

« J’ai eu un premier avertissement puis un deuxième. Mais j’ai fait parvenir un courrier à la Hadopi via l’avocat de ma femme qui a fait suivre ! Nous n’avons pas eu de suite ou alors la Hadopi m’a envoyé des mails, mais je n’ai jamais pu les recevoir, je n’avais plus internet ! »

Convoqué à la gendarmerie, il fait nettoyer son ordinateur par une entreprise spécialisée, et explique n’avoir « rien installé, ni téléchargé. Les gendarmes en ont tenu compte, comme du nettoyage. Moi je pensais être tranquille. Je me suis retrouvé au tribunal  » qui, au vu de son casier judiciaire vierge, ne requiert que 300 € d’amende (pour deux fichiers téléchargés), et ne l'a finalement condamné qu'à une amende de 150 €.

Contrairement à ce que prévoit aussi la loi, son abonnement à Internet n'a pas été coupé : il a résilié son abonnement tout seul comme un grand, en attendant que son ex-future femme quitte le domicile, et parce qu'il n'a plus confiance...

Numerama rappelle à ce titre que sans ces aveux de l'internaute, la Hadopi n'aurait pas pu obtenir sa condamnation, en l'absence de preuve matérielle… puisque ce n'est pas à la Hadopi d'apporter la preuve de la culpabilité de l'accusé, mais à ce dernier de démontrer son innocence.

Or, Alain a été condamné parce qu'il n'a pas été capable d'effacer deux .mp3, et d'empêcher le logiciel de peer to peer de se lancer lorsqu'il démarrait son ordinateur, et donc de partager les deux fichiers téléchargés par son ex'. Alain n'est pas un "pirate", juste quelqu'un qui ne sait pas comment fonctionne son ordinateur, ce qui est le cas d'une bonne partie de ceux dont le nom figure sur la facture de leur fournisseur d'accès à Internet...

Hadopi ne peut que disparaître

Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la Commission de protection des droits (CPD) de l’Hadopi a révélé début septembre que cette année, 13 autres dossiers ont été transmis à la Justice par la Hadopi. Un bien maigre butin, rappelait Andréa Fradin sur Owni, quand on sait qu'en deux ans de fonctionnement, la Hadopi a identifié 3.000.000 d’adresses IP, envoyé 1.150.000 envois des premières recommandations (la 1ere étape de la riposte graduée), 100.000 transmissions de deuxièmes recommandations (la 2e étape)...

En réponse au ministère de la Culture, qui avait déclaré cet été que la Hadopi coûtait trop cher et réclamer que ses crédits de fonctionnement "soient largement réduits" au motif que son "utilité n’est pas avérée", Mme Imbert-Quaretta avait osé un parallèle en forme de lapsus, et qui fait froid dans le dos :

« L’Hadopi est une autorité administrative indépendante créée par le législateur, qui ne peut être supprimée que par le législateur. [...] C’est comme à l’époque des débats sur la suppression de la peine de mort, on a commencé par tenter de supprimer le budget du bourreau. »

En janvier 2010, j’avais écrit que la Hadopi était techniquement inapplicable, et politiquement liberticide, tout en compilant les dizaines de gaffes et autres #Fail accumulé par ses promoteurs, pris la main dans le sac en train de « pirater » des contenus protégés, l’encyclopédie Wikipedia, une pétition pro-Hadopi, et caetera (voir Rions un peu avec l’Hadopi).

En juillet, je tirais le portrait de Marie-Françoise Marais, la présidente de la Hadopi, rappelant qu’elle fut également, précédemment, à l’origine de la fermeture d’Altern.org, pionnier des défenseurs de la liberté d’expression sur le Net, et ses 45 000 sites web.

En octobre, je révélais que la DGSE s’était faite « engeuler » par les services de renseignement américains, pour qui la Hadopi allait contribuer à populariser les logiciels de chiffrement, rendant plus difficile la surveillance des internautes.

En février 2011, je m’étonnais de voir que la Hadopi avait obtenu, en un an, le budget que la CNIL avait mis 32 ans à obtenir (de l'ordre de 12 millions d'euros, par an). Depuis, le vent à tourné, et les voix de ceux qui estiment qu’il serait bon d’arrêter les frais, et de dépenser autant d’argent pour des résultats aussi ridicules, et contre-productifs, se font de plus en plus entendre.

La Hadopi est vouée à disparaître, parce qu’elle se trompe de combats, qu’elle ne pose pas les bonnes questions, et encore moins les bonnes réponses : le problème de l’industrie des biens culturels, et du devenir des artistes, ce ne sont pas les artisans de 40 ans qui ne savent pas télécharger, ni sécuriser leur PC. Reste à savoir combien de temps encore nous allons devoir payer autant d’argent pour une institution qui brille surtout par son ridicule.


NB (14/09/2012, 20h) : sur Twitter, un débat a été lancé pour savoir si la Hadopi entraîne, comme je l'écris, un renversement de la charge de la preuve, ou pas, dans la mesure où l'internaute a été condamné parce qu'il a reconnu les faits, comme le soutiennent Guillaume Champeau de Numerama dans son Hadopi : petit guide juridique pour les avocats ainsi que Maître Eolas dans HADOPI : l'opération Usine à gaz continue.

Mon analyse repose sur le fait que les internautes sont d'abord dénoncés par TMG (chargée d'identifier ceux qui mettent à disposition des fichiers), puis "avertis" par la Hadopi, et qu'il leur revient de venir démontrer à la Hadopi (à Paris, ce qu'avait refusé de faire l'internaute qui a été condamné) qu'ils ont bien mis en oeuvre les moyens de sécurisation de leur ordinateur puis, s'ils sont sont convoqués au tribunal, d'apporter les preuves de leur innocence (usurpation d'adresse IP, piratage de WiFi, etc.) sans que jamais TMG ni la Hadopi ni un quelconque officier de police judiciaire n'ait jamais apporté la preuve qu'ils ont enfreint la loi. Ce qui, pour moi, renverse donc la charge de la preuve, et constitue une forme de présomption de culpabilité.

Voir aussi :
Objectif : « hacker » la CNIL
Rions un peu avec l’Hadopi
La CNIL tacle l’Hadopi, son président la vote
Je n’ai pas le droit de lire le livre que j’ai acheté
Le vrai danger, ce n’est pas Orwell, c’est Kafka
La NSA, la DGSE et la DCRI ne disent pas merci à l’Hadopi