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Il ne faut pas nationaliser les FAI !

mardi 21 juin 2011 à 21:09

C'est la lecture d'une interview de Julien Bernard, membre de la commission numérique du Parti de Gauche, racontant à grands traits les réflexions du PG sur le numérique en général et sur Internet en particulier, qui est à l'origine de ce billet.

À l'une des questions (quelle différence avec le PS sur le sujet), Julien Bernard répond: Nous considérons qu'Internet n'est pas une télévision améliorée mais peut devenir un instrument citoyen, à condition de s'en donner les moyens. Nous proposons donc de nationaliser la bande passante, c'est-à-dire de créer un service public chargé de déployer un Internet de qualité et neutre partout en France.

Prise au pied de la lettre, cette réponse est à deux doigts d'être une monstrueuse ânerie. Comme l'argument est trop long pour un commentaire, autant en faire un billet.

Nationaliser? Mais quoi?

Le premier point, pour essayer de comprendre ce que raconte J. Bernard est de comprendre ce qu'il veut nationaliser, ou plus probablement rendre public.

Il parle de nationaliser la bande passante, ce qui ne veut pas dire grand chose (les paquets IP ne vont pas devenir propriété d'État, tout de même). Alors puisqu'il faut sous-titrer pour que ça ait un sens. Soit on parle de nationaliser les infrastructures physiques passives, et c'est en fait strictement l'application du préambule de la constitution. Soit on parle de nationaliser les FAIs capitalistes, et c'est une idée monstrueuse.

Par ailleurs, il envisage, par ce moyen, de créer un accès Internet neutre partout en France. Donc il envisage bien que l'accès à Internet soit le résultat de cette nationalisation, et pas seulement l'infrastructure physique. En effet, une fibre optique, quel qu'en soit le propriétaire, c'est toujours neutre. C'est l'équipement qu'on place au bout de la fibre pour faire du réseau qui peut ne pas l'être. Pour moi, ça indique que c'est bien la seconde hypothèse qui reflète ce que voulait dire J. Bernard.

Puisque seule la deuxième hypothèse est critiquable, on va se concentrer sur cette hypothèse, en souhaitant qu'un membre éminent du PG vienne, en commentaire ou ailleurs, nous éclairer sur ce détail.

Le service public d'accès à Internet

Si cette approximation dans l'interview m'a fait bondir, c'est parce que ce n'est pas la première fois que je l'entend dans les réflexions des gens de gauche. La première fois, c'était aux assises de l'INMS (assises de l'Internet Non-Marchand et Solidaire, 1997 si ma mémoire est bonne). Comme c'était la première fois, et que c'était en direct, une question dans le public suite à une table ronde (R@S, Altern, Iris, FDN, etc), ma réaction avait été moui, pourquoi pas, mais que l'État ne se mêle jamais de contenu. Depuis, j'ai vu revenir cette idée régulièrement, et surtout j'ai compris pourquoi elle était mauvaise.

Un service public de l'accès à Internet, c'est une idée qui fleurit à gauche chez les nostalgiques de 1981. Ils se disent qu'il faut re-nationaliser les grands services publics, et maintenir publics ceux qui le sont encore au moins partiellement. Dans leur longue liste de course, il y a France Télécom. Et comme ils savent que le téléphone à la papa, c'est mort, ils se sont modernisés, et ils veulent faire un grand service public de l'accès à Internet, piloté par une grande entreprise publique. Ça offre des avantages économiques évidents. En effet, plus besoin de rémunérer des actionnaires (donc prix de revient plus faible). Gestion qui échappe aux contraintes de rentabilité à très court terme, et donc qui peut se faire en fonction de l'intérêt général et de la cohérence de l'aménagement du territoire, etc.

Bien entendu, on peut opposer à ce raisonnement classique de gauche un raisonnement classique de droite. Les fonctionnaires étant moins efficaces dans leur gestion que les salariés du privé, et les hauts-fonctionnaires moins soucieux des deniers publics que les actionnaires ne le sont de leurs dividendes, les opérateurs privés sont tellement plus efficaces que l'État que les prix augmenteront dramatiquement en nationalisant tout ça, pour un résultat infiniment moins efficace.

Raisonnement auquel on peut objecter des arguments habituels de gauche... etc.

Mais ce n'est pas cette classique opposition droite-gauche, qui remonte aux années 80 pour sa version la plus moderne, qui m'intéresse ici.

Pourquoi cette idée est dramatique

Cette idée est profondément nuisible pour une question de libertés publiques. Pour faire simple, elle est sensiblement équivalente à la volonté de créer un grand quotidien national d'information. Tout le monde sait qu'un tel outil, aux mains d'un état, finit toujours en outil de propagande PURe.

Votre fournisseur d'accès a la possibilité de faire beaucoup de choses sur votre connexion. Et à partir de cette connexion d'exercer une surveillance extrêmement fine et poussée. C'est une des raisons majeures pour lesquelles j'ai décidé d'être candidat (unique, faute de combattants) à la présidence de FDN un beau soir de décembre 1997, au lieu de laisser tranquillement mourir cette association pionnière.

Je le redis: votre fournisseur d'accès est le point idéal d'installation de Big Brother. C'est le point idéal de censure de l'accès aux média. C'est le point idéal de contrôle du peuple. Et si c'est un monopole d'État de par la loi, c'est encore plus idéal.

Et c'est très précisément pour cette raison qu'il est rigoureusement indispensable qu'il puisse exister un grand nombre de FAIs. Des marchands de cochonnerie en boîte, fournisseurs de MachinBox et grands diffuseurs de culture télévisuelle, mais aussi des associations, des coopératives, des PMEs, des contestataires, etc. Et quand je parle d'un grand nombre, je ne parle pas de la concurrence libre et non-faussée qui fait tant frémir la Commission Européenne, mais de la pluralité et de la diversité qu'on peut trouver dans toutes les formes de presses, ou plus encore dans toutes les formes de sites web, allant du Figaro à Reflets.

C'est parce qu'un grand FAI national serait nécessairement un danger majeur pour la démocratie et pour les libertés qu'il n'en faut pas.

Que l'État s'occupe de ce qui le regarde, par exemple d'aménagement du territoire, en déployant une infrastructure nationale physique, comme un réseau de fibre optique, parfait. Que ce soit sous la forme d'un grand service public, tant mieux. Mais qu'il ne s'occupe pas d'allumer les fibres. Qu'il ne s'occupe pas de transformer ce vaste réseau physique en un morceau d'Internet. Ça, c'est un domaine où la diversité est vitale.

Il y a des moyens pour assurer un service public à partir de cette infrastructure publique allumée par le privé. Par exemple en ayant des offres sociales au catalogue. Ça donnerait ça: la fibre est louée à l'opérateur 15€HT par mois, mais seulement 2€HT si l'abonné au bout est au RMI. Par exemple en imposant des obligations de service public aux opérateurs. Ça pourrait donner ça: l'abonnement au tarif social ne peut pas être refusé par l'opérateur, et ce tarif doit refléter au strict minimum l'écart de prix de gros (i.e. les 13€ de moins dans mon exemple précédent). Voire refléter un effort supplémentaire, par exemple en imposant que le tarif social soit à 25€TTC de moins que l'abonnement public équivalent (l'État compensant la différence, en plus des 13€HT déjà réduits sur la location). Et bien d'autres moyens encore.

Ce qu'on peut nationaliser

Si on veut une intervention des pouvoirs publics dans ce domaine, et pour certains éléments c'est souhaitable, il vaudrait mieux se concentrer sur ces pistes-là:

Ces mécanismes, qui sont le contraire de la concurrence par l'infrastructure, seraient de nature à permettre le fonctionnement d'une économie de proximité, non-délocalisable. Ça me semble compatible avec ce que défend le PG dans d'autres domaines. Et ce serait d'ailleurs compatible avec les programmes d'à peu près tous les partis de France (même l'UMP ou le Nouveau Centre pourraient trouver sain de vouloir re-développer un tissu de PME, et de promouvoir l'entreprenariat privé dans ce domaine). Et en tous cas moins nuisible au réseau que la proposition citée.

Pour conclure

Une explication précise de ce point du programme numérique[2] du PG serait utile au débat.

Notes

[1] Si on incite très fortement à la création de FAIs locaux, donc à l'émergence d'un vrai choix ouvert dans ce domaine pour sortir de l'oligopole actuel, alors la simple transparence sur les pratiques des opérateurs peut suffire à assurer la neutralité du réseau. Sinon, dans la situation oligopolistique actuelle, des contraintes bien plus fortes devront être exercées par la voie légale.

[2] Je mets ici des guillemets, parce que je fais la différence entre un programme, écrit, donc dont les mots sont vérifiés, et la réponse à une interview, dans laquelle des approximations peuvent se glisser.

Le débat sur la neutralité du réseau, point d'étape.

mercredi 30 mars 2011 à 23:56

Certains pensent, et ils se trompent, que les positions que nous défendons sur la neutralité du réseau sont en train de perdre. D'autres pensent, et ils se trompent également, que la victoire est assurée, tant ces positions relèvent du bon sens et du sens de l'Histoire. Le bilan, tel que nous le voyons, est plus mitigé. Nous sommes stratégiquement en bonne position, et cependant en train de perdre la bataille. Comment avons-nous fait ?

La position stratégique

Pour comprendre, il faut revenir un peu en arrière. Le débat, tel qu'il a été lancé en Europe, portait sur la régulation des Télécoms, et sur le fait de savoir ce qui devait être intégré ou écarté du Paquet Télécom. Les acteurs américains de ce débat ont importé leurs bisbilles en Europe, devant le parlement, comme on fait toujours. À savoir, lobbyistes contre lobbyistes, chacun venant avec ses arguments et ses propositions de modification du texte de loi.

Les deux positions étaient alors assez lisibles. Les fournisseurs de contenus voulaient que la loi impose qu'ils puissent accéder au réseau dans des conditions équitables. Les fournisseurs de réseau voulaient que la loi leur laisse la capacité de gérer et de financer leur réseau comme bon leur semble. Le débat portait donc sur la liberté à laisser aux opérateurs dans leur phase de négociation avec les fournisseurs de contenus, et donc de savoir s'il devait y avoir régulation ex-ante (l'autorité fixant les règles de raccordement au réseau) ou ex-post (l'autorité sanctionnant les abus trop visibles).

C'est dans ce joyeux mic-mac que le monde associatif européen a débarqué dans le débat, en faisant remarquer à nos élus qu'il manquait un acteur dans l'histoire. Non pas les consommateurs, déjà plus ou moins pris en compte, mais les citoyens. En effet, prendre en compte les consommateurs, c'était vérifier que le prix de l'abonnement à Internet soit raisonnable, vérifier que dans toute l'Union on pouvait acheter les contenus produits dans tout le reste de l'Union, etc. Prendre en compte les citoyens, c'était faire remarquer que les petites gueguerres commerciales, ça va bien cinq minutes, mais il n'est pas question que ça touche à des libertés fondamentales. Et que les délires des géants du secteur devaient s'arrêter avant d'avoir touché à la liberté d'expression.

Quel est le débat de nos jours? Il a beaucoup évolué. De nos jours, le débat sur la neutralité du net, partout en Europe, ne peut plus faire l'impasse sur le volet des libertés fondamentales. Comment s'en convaincre ? C'est simple, il suffit de lire les rapports produits sur le sujet par le gouvernement, il suffit de lire les travaux parlementaires sur le sujet. Jusque dans les explications du rejet par l'UMP de la proposition de loi PS sur le sujet, les députés UMP affirment que l'enjeu sur les libertés est majeur.

Même les gens du camp d'en face le disent. Par exemple Winston Maxwell lors du colloque international organisé par l'ARCEP en avril 2010, alors qu'on lui demande d'exposer quelles sont selon lui les différences entre le débat sur le sujet aux USA et celui en Europe, répond[1]:

La dernière différence est celle qui est la plus grande à mes yeux.

C'est l'énorme poids en Europe et en France de la question des libertés publiques, les libertés fondamentales. La liberté pour le citoyen d'avoir un accès Internet et d'avoir accès sans entrave aux contenus de son choix.

C'est un débat, lié à la loi Hadopi en France, qui a presque pris en otage le Paquet Télécom pendant une année. Il soulève des problèmes très importants, au tout premier plan dans le débat français et européen, alors qu'aux États-Unis ce débat est plutôt de deuxième rang.

En fait, dans la pratique, le débat est sorti du terrain des acteurs économiques, pour venir sur le terrain du monde associatif. À tel point qu'il est devenu impossible en Europe de dire qu'on est contre la neutralité du net. Même Orange, qui pourtant s'affiche[2] en opposant au réseau neutre tel que nous le connaissons, n'ose pas se dire anti-neutralité en public.

Notre position est donc stratégiquement plutôt bonne. Le débat s'est déplacé. Il est maintenant sur notre terrain. Les acteurs du débats se voient contraints d'utiliser notre vocabulaire. Un peu comme les acteurs politiques qui parlent d'économie sont obligés d'utiliser le vocabulaire du Medef, les acteurs politiques qui parlent du réseau sont obligés d'utiliser notre vocabulaire.

Oh, ça ne veut pas dire qu'ils vont approuver tout ce que nous proposons, loin s'en faut[3]. Mais comme ils sont amenés à utiliser nos mots, il sont amenés à comprendre nos idées (à défaut de toujours les partager). C'est déjà, en soi, une victoire immense, et qui n'était pas acquise quand le débat sur le Paquet Télécom s'est ouvert au parlement européen.

Perdre la bataille, vraiment ?

Oui, vraiment. Et pour des raisons spectaculaires : le manque de combattants. Alors que notre position stratégique est plutôt bonne, comme on vient de le voir, nous ne sommes pas capables d'aligner suffisamment de permanents en face des lobbyistes et des politiques.

Pourquoi des permanents, et pas juste des gentils internautes qui ont compris le sujet ? Parce que c'est chronophage cette affaire ! Rien que de répondre à une consultation publique, ça demande un temps dingue. Il faut avoir lu des dizaines de choses sur le sujet, pour être certain d'éviter tout contre-sens, pour comprendre où sont cachés les pièges, etc. C'est à la portée de beaucoup de monde, mais voilà, il faut du temps. Beaucoup de temps.

Étonnamment, nous n'avons jamais eu autant d'audience. Ce que raconte FDN sur l'importance clé du réseau depuis des années (bientôt des décennies), ce que je raconte depuis 14 ans que j'en suis président, n'a jamais eu autant de lecteurs, ni rencontré autant de soutiens. Et pourtant, nous sommes au bord de l'asphyxie.

Oh, vous me voyez venir, avec mes gros sabots. Oui, au bord de l'asphyxie financière, faute de pouvoir financer les gens qui travaillent à plein temps sur le sujet. Mais finalement, ce n'est pas la seule urgence. Je regarde aussi l'état des combattants. Les bénévoles (et moi le premier) sont sur les rotules, et leur nombre n'augmente pas.

Si la Quadrature n'est pas financée, c'est très simple : la défense de la neutralité pour défendre les libertés n'aura plus de représentants en France. Ça ne veut pas dire que ce courant de pensée n'existera plus, ça ne veut pas dire qu'un très grand nombre d'internautes et de citoyens ne sont pas de cet avis. Ça veut simplement dire qu'il n'y aura plus personne pour le dire, et que donc ce point de vue sera re-devenu inaudible.

Et, bien pire. Il sera toujours audible médiatiquement, les journaux qui ont pris pour habitude de suivre les actions de nos associations continueront à nous suivre. Certaines de nos prises de position seront encore relayées. Mais tout le travail technique, le travail pénible, celui qui consiste à éplucher des montagnes de textes juridiques, à répondre à consultations pointues, etc, tout ce travail là n'aura plus lieu.

Et la conséquence sera double. D'une part, les politiques pourront, la bouche en coeur, nous dire que nous n'avons pas répondu à leurs questions. Et d'autre part, nous ne verrons plus venir les problèmes à l'avance, n'ayant pas pu préparer les textes à l'avance.

La bataille sur l'article 4 de la LOPPSI, par exemple, est entamée depuis des années. Les premières fois où je suis intervenu sur le dossier, c'était (de mémoire) en novembre 2008, il y a bientôt 3 ans. Si nous n'avions pas eu le travail de préparation, la bataille aurait été perdue en rase campagne, en 10 minutes à l'Assemblée. Là, pour que nous perdions, il a fallu deux lectures, il a fallu que les députés entendent d'abord notre avis (ré-introduire le juge[4]) puis acceptent de se ranger à la consigne gouvernementale, se dédisant publiquement, et il a fallu une validation du Conseil Constitutionnel.

Et pour la suite ?

Tout n'est peut-être pas gagné, nous avons perdu des batailles. Nous en avons gagné d'autres. Et notre position stratégique est forte. Reste que faute de combattants, nous sommes au risque de perdre, alors que nous sommes en position de gagner.

L'action de FDN est sans doute utile. L'action de la Quadrature est certainement indispensable. La Quadrature bouclera l'année 2011, maintenant, nous en sommes certains. Quoi qu'annoncent les indicateurs (pourtant mauvais[5]), la Quadrature bouclera probablement son année 2011[6]. Mais la question de la neutralité du net sera encore sur la table au moins 5 ans, peut-être plus. Et nous avons besoin d'être nombreux, et d'être puissants.

Aussi triste que ce soit, être puissant, ça passe par le fait d'être financé. En l'état actuel du financement régulier ou occasionnel, l'année 2011 sera affreuse à boucler, et l'année 2012 risque d'être parfaitement impossible à financer.

Défendre les libertés, c'est plus facile que de les acquérir. Encore faut-il le faire.

Notes

[1] Actes du colloque librement disponibles sur le site web de l'Arcep.

[2] Revoir les publicités sur Internet versus Internet par Orange. Ces publicités disent bien que l'opérateur souhaite que le réseau soit modifié, bricolé, pour satisfaire à ses délires marketing. Oh, dans la pub, et dans la pub seulement, c'est annoncé comme étant à l'avantage du consommateur. Mais ça dit toujours ça, la pub.

[3] Ils ont bien appris à parler de développement durable tout en l'appliquant très peu.

[4] Notre position comme chacun sait, est que le filtrage ne marche pas. Et qu'au minimum, au pire, il faut au moins qu'un juge soit dans la boucle pour veiller au respect de l'État de Droit avant de porter atteinte à une liberté. Les députés, lors de la première lecture, en ré-introduisant le juge, ont donc au moins entendu notre avis, à défaut de s'y ranger complètement.

[5] Seulement 17k€ de récoltés sur les 65k€ nécessaires sur l'année. Et ce alors qu'on sait déjà que pour pouvoir continuer en 2012, il faudra au moins doubler le rythme des dons par rapport à 2011.

[6] En brûlant le fond de roulement de la trésorerie, en tenant compte des donateurs certains, comme l'OSI, et en supposant que le rythme des dons ne s'effondre pas, normalement, c'est dans les clous.

Les finances de La Quadrature

mercredi 9 mars 2011 à 00:04

La question est régulièrement posée par les contributeurs financiers de La Quadrature de savoir quel est le budget, d'où viennent les fonds, et comment ils sont dépensés.

L'an dernier, sensiblement à la même époque, après un coup de gueule sur ce blog, j'avais publié une synthèse de la compta. Puisque la saison s'y prête (en fait, on boucle les comptes en préparation de l'AG), et que La Quadrature ne va pas tarder à relancer une campagne d'appel aux dons, voilà le même exercice pour 2010. Ainsi que des indications budgétaires pour 2011.

À retenir pour ceux qui ne veulent pas tout lire: l'exercice 2010 a été bon, l'exercice 2011 commence bien mais reste tendu (en déficit), l'exercice 2012 s'annonce très mal avec la perte du principal financeur (l'OSI) qui n'est pour le moment compensé par rien. Un nouveau billet à venir sur un sujet sensiblement similaire (comment faire pour régler une saloperie de jauge...).

Le montage financier

L'an dernier, bien des gens avaient mal compris le montage financier autour de La Quadrature du Net. Du coup, je vais expliquer.

La Quadrature du Net est une association au sens de l'article 1 de la loi 1901, c'est-à-dire une association de fait, c'est-à-dire qu'elle n'est pas déclarée à la préfecture de police de Paris. Ses dirigeants sont les co-fondateurs (la liste est sur leur site web). Il n'y a pas de statuts à ma connaissance, et la notion d'adhérent de La Quadrature n'existe pas[1].

La structure de financement est le Fonds de Défense de la Neutralité du Net, structure montée par FDN et sous contrôle de FDN, ayant pour vocation de porter le financement d'initiatives autour de la neutralité du réseau et plus généralement de la défense de la liberté d'expression sur Internet.

Je sais, c'est compliqué. Je le redis autrement. La Quadrature n'est pas une excroissance de FDN. C'est une initiative isolée. Simplement, quand ils se sont retrouvés avec des finances à gérer, ils ont cherché une association existante pour porter le financement, et uniquement le financement. Assez logiquement, sur ce terrain-là, ils se sont tournés vers FDN. Et c'est FDN qui a décidé, pour garder une comptabilité lisible, de monter une association pour ça.

Ce sont donc les comptes de FDNN qui sont présentés ici, et non ceux de La Quadrature, qui n'a pas de comptes en propre. Quand FDNN portera le financement de plusieurs projets (ce qui pourrait arriver, on en reparlera), alors on tiendra des comptes séparés pour les différents dons, et pour leurs utilisations.

Sources de financement en 2010

Les ressources de FDNN pour 2010 ont été de 127 332,42€. Sur ces recettes, 25k€ viennent de l'OSI (fondation Soros, le reste provient de dons, soit 102k€.

Ces 102k€ ont eu lieu sur deux vagues de dons, l'une autour de février 2010, à apporté près de 90k€, l'autre, lancée fin 2010 pour commencer à constituer le budget de 2011 à apporter près de 15k€ (on n'a pas de date pivot clair entre les deux campagnes, donc la séparation des deux montants est plus ou moins pifométrique).

Un point est important: le budget prévoyait une contribution de 50k€ de l'OSI. Cet apport a bien eu lieu, en deux fois 25k€. La première tranche a été versée autour de Noël 2009, donc n'apparait pas dans le compta 2010.

Les rentrées d'argent, qui peuvent sembler bonnes, sont en fait, dans la pratique inquiétantes, mais j'y reviendrai sur le budget 2011.

Les dépenses de l'exercice 2010

L'ensemble des dépenses correspond à un total de 112 694,64€, soit un exercice bénéficiaire de 14637,78€ (ce qui n'est pas rien, mais comprends la vague de dons de décembre destinée à financer le budget 2011).

Ces dépenses sont réparties comme suit:

Donc, pour les gens qui se font des films sur ce que gagnent les salariés de La Quadrature, ce sont de petits salaires. Faites le calcul, 42k€, deux équivalents temps-plein, sur 12 mois, ça fait un salaire moyen de 1750€ net par mois.

Évolution en trésorerie

Les comptes bancaires présentaient, le 1er janvier 2010 à l'aube un solde créditeur de 44.171,06€, soit un montant convenable, mais pas extraordinaire, puisque la première tranche du financement de l'OSI était déjà en caisse. D'où le coup de gueule de début 2010: on avait de quoi tenir 4 mois, pas plus, et pas de rentrées en perspective, puisque le rythme des dons était extrêmement faible.

Le 31 décembre 2010 au soir, les comptes bancaires présentaient un solde créditeur de 58.808,04€, soit un montant convenable également, mais là non plus pas extraordinaire. Sur le rythme de 10k€ par mois en moyenne, on n'atteignait pas l'été[2].

La jauge

La jauge du niveau des dons sur le site de La Quadrature n'est pas à jour, et indique des valeurs qui deviennent idiotes[3], mais elle reste juste[4], contre toute attente. Un prochain papier ici même reviendra sur le sujet.

Le budget 2011

Le budget 2011 table sur 150k€ de recettes (20k€ de dettes, qui sont donc de l'argent en caisse, donc une recette), 50k€ venant de l'OSI pour la dernière année[5], 65k€ de dons individuels, et 15k€ promis par Pierre Chappaz.

Sur la promesse de Pierre, elle est simple: il ajoute 10% à tous les dons individuels, jusqu'à représenter un total de 20k€ de sa poche. Donc, sur les exercices 2010 et 2011, on estime que ça devrait faire sensiblement autour de 15k€.

Les dépenses sont prévues pour être de 20k€ de charges reportées (les dettes qu'il faut bien qu'on paye), près de 50k€ de salaires nets (on passe sur deux temps pleins et un mi-temps), à peu près 40k€ de charges sociales prévues (tout laisse à penser que les charges vont augmenter, le chômage augmentant), à peu près 2500€ de frais bancaires et presque plus de frais liés à PayPal[6].

L'ensemble représenterait un exercice déficitaire de 11k€. Et donc un en-cours de trésorerie espéré fin 2011 autour de 45k€.

La suite

La suite est extrêmement inquiétante. Au rythme actuel des dons, il faudrait revoir à la baisse le budget de La Quadrature, simplement parce qu'il va manquer les 50k€ de l'OSI pour 2012, ainsi que le financement de Pierre.

Le moyen de financement le plus fiable, de TRÈS loin, pour FDNN, c'est le prélèvement mensuel automatique. FDNN récolte à peu près 1500€ (un poil moins, en fait) tous les mois, par ce moyen. Les dons ponctuels (CB, chèque, paypal, etc) sont bien entendu indispensables, mais ils sont très chaotiques, et n'ont lieu que quand vous y pensez, donc quand nous vous le rappelons. Du coup ils rendent la gestion de la trésorerie et la planification du budget hasardeuses.

Notes

[1] Il y a des contributeurs, qu'ils appellent des neurones. Et devient contributeur quiconque souhaite filer un coup de main.

[2] Dans les délices de la compta, par exemple, on doit des charges sociales au titre du 4e trimestre. Ces charges sont dues, inéluctablement. Mais au 31 décembre elles ne sont pas encore payées, elles seront payées dans le courant du mois de janvier. Donc, l'argent en banque ne représente pas de l'argent disponible, il représente aussi des dettes certaines, qu'il faudra payer.

[3] Elle dit par exemple que la quadrature sera à cours de vivres à la fin du mois de mars, alors que la réalité est fort heureusement sensiblement différente.

[4] Oui, elle comptabilise les dons, et ne tient pas compte des versements effectués par l'OSI. Elle indique donc de manière très fiable le moment où La Quadrature devrait s'arrêter, si nous ne pouvions pas compter sur l'OSI.

[5] L'OSI financera, en 2011, La Quadrature pour la 4e année consécutive. Leur habitude est de ne financer des projets que sur deux ans, exceptionnellement 3 ans, quand c'est vraiment important. Autant dire qu'ils ont fait beaucoup pour La Quadrature, plus qu'ils ne font d'habitude. Partant toujours de leur raisonnement habituel depuis 4 ans: ça coûte probablement moins cher d'essayer de sauver la démocratie en Europe que de devoir la rétablir plus tard.

[6] Les frais bancaires explosent, et les frais PayPal disparaissent, parce que le compte paypal n'est d'ores et déjà plus utilisé, et est remplacé par du paiement par carte bancaire direct. Les frais sont donc maintenant chez le banquier, et probablement bien moindres (à peu près 3 fois moins cher, selon nos estimations).

La contribution de FDN à la mission d'information parlementaire sur la neutralité des réseaux

jeudi 17 février 2011 à 23:01

La commission des affaires économiques de l'Assemblée a créé une mission d'étude sur la neutralité du net, avec comme objectif probable de légiférer sur le sujet. Cette commission est présidée par Corinne Erhel (PS), et la rapporteure est Laure de La Raudière (UMP)[1]. Il faut souligner que Corinne Erhel et Laure de La Raudière sont deux députées qui connaissent bien le sujet, et qui ont pris régulièrement des positions salutaires sur les sujets récents (LOPPSI, ARJEL, Paquet Télécom, etc).

Un pré-rapport a été présenté devant la commission des affaires économiques il y a quelques semaines déjà. Ce pré-rapport demande, explicitement, des contributions et des remarques de la part des acteurs déjà auditionnés, ce qui est notre cas.

Le pré-rapport est en ligne, notre réponse également.

Ne souhaitant pas ré-écrire ici le contenu de notre réponse (8 pages, c'est pas la mort à lire), on se contentera de dire que le contenu du pré-rapport est selon nous plutôt bon. Les points que nous abordons dans notre contribution sont:

Pour le reste, ce document reprend essentiellement nos positions habituelles. Tous commentaires sont bien entendu les bienvenus.

Notes

[1] Pour les gens qui ne sont pas habitués aux mœurs parfois curieuses de l'Assemblée, la personne qui préside joue un rôle symboliquement fort, mais dans la pratique relativement faible. Ce qui compte, c'est le rapport qui est remis. C'est lui qui fixe les orientations. C'est donc toujours un député de la majorité qui fait le rapport.

Quand sommes-nous devenus ceux que nous n’étions pas ?

jeudi 17 février 2011 à 16:43

Cet article est une traduction en français de l’article de Rick Falkvinge "When Did We Become The Ones We Weren’t ?".

Je le trouve suffisamment excellent pour mériter ce travail (souvent difficile) de traduction.

Initialement publié sur TorrentFreak, le site mondialement connu parlant de liberté d’information et de peer-to-peer, le voici donc en français.

Quand sommes-nous devenus ceux que nous n’étions pas ?

par Rick Falkvinge, pour TorrentFreak, traduction Benjamin Sonntag.

Les évènements actuels en Égypte me mettent mal à l’aise. Non pas les manifestations pour la démocratie - que je soutiens de tout mon cœur, de toute mon âme et dans l’action - mais le fait qu’un régime répressif utilise des technologies de surveillance développées par des société des pays occidentaux, sur commande des autorités de pays occidentaux.

Je suis un enfant de la guerre froide. Je me souviens d’avoir grandi dans les années 1980 dans un monde différent de celui d’aujourd’hui. Par dessus tout, la politique internationale et notre vie quotidienne avaient le goût de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS.

La menace de la guerre nucléaire était sensible. Présente dans notre vie quotidienne, omniprésente. Quand vous alliez vous coucher, vous n’étiez pas tout à fait certain qu’il y aurait un monde demain. C’est assez difficile à imaginer si vous ne l’avez pas vécu, mais permettez-moi d’illustrer cela avec une chanson que la plupart d’entre nous ont déjà entendu : "Forever Young" de Alphaville. Une ballade magnifique qui faisait danser les couples joue contre joue et les faisait rentrer ensemble. Combien d’entre nous ont pris le temps d’écouter ce que disait réellement cette chanson ? Un rapide coup d’œil aux quatre premières lignes suffira :

Let’s dance in style, let’s dance for a while,
Heaven can wait, we’re only watching the skies,
Hoping for the best but expecting the worst :
Are you gonna drop the bomb or not ?

(traduction libre :
dansons avec grâce, dansons un instant,
le paradis attendra, nous ne scrutons que le ciel,
espérant le meilleur, mais s’attendant au pire :
lâcherez vous cette bombe ou pas ?)

L’attaque des gouvernements du monde entier sur les libertés fondamentales et le droit à la vie privée s’appuie sur l’allégation que le monde est devenu un endroit plus dangereux que dans les années 80. Ceux qui le prétendent mentent comme des arracheurs de dent. Le pire qui puisse arriver aujourd’hui est qu’un imbécile se fasse sauter le caisson dans un bus à l’autre bout du continent.

Alors, quand bien même un tel évènement serait tout à fait déplorable, il ne joue pas dans la même cour qu’un monde entier vitrifié en une heure. Cette peur était omniprésente dans les années 80, tout le temps, que ce soit à cause d’un amoureux de la guerre, d’une erreur humaine ou d’une incompréhension qui déclencherait la fin du monde avec 30 minutes de préavis.

Can you imagine when this race is won ?
Turn our golden faces into the sun…
Do you really wanna live forever ?
Forever young.

(y’a-t-il une victoire possible dans cette course effrénée ?
tournant nos visages d’or vers le soleil...
voulez vous réellement vivre pour toujours ?
jeunes à jamais.)

N’essayez pas de me faire peur au point de lâcher ma liberté en criant au "terrorisme". Le monde n’est en rien devenu plus dangereux !

Les jeunes, dans les années 80, dansaient joue contre joue sur des ballades parlant de guerre nucléaire et d’annihilation du monde. La peur allait jusque là. C’est quand même une sacrée coïncidence que Forever Young soit sortie en 1984, et pas une autre année.

Car au milieu de tout cela, il y a surtout une forte polarisation politique. J’ai grandi en Suède, pays occidental. Et toute l’identité de l’occident se basait sur ce fameux "nous ne sommes pas comme eux". et "eux" c’était le bloc de l’Est, l’URSS, la superpuissance rouge. "Eux" c’était ceux qui espionnaient leurs propres citoyens et leurs interdisaient tout droit fondamental et toute vie privée. Ceux qui écoutaient les téléphones des citoyens et ouvraient leurs courrier à la vapeur.

"Nous" étions ceux qui, quel qu’en soit le prix, se seraient battus pour défendre leurs droits faces à un gouvernement. Oh bien sûr, c’était peut-être une illusion, mais cela faisait partie de notre identité.

On m’a raconté que le gouvernement d’Allemagne de l’Est avait un livre des invités dans chaque immeuble. Toute personne en visite chez quelqu’un devait l’écrire dans le livre des invités. Ainsi, le gouvernement pouvait garder trace de qui était en contact avec qui. C’était horrible. Et le gouvernement était bien entendu propriétaire des livres d’invités.

À ce jour, des États d’Europe et certaines agences aux États-Unis mettent en place une rétention des données de télécommunication . Ainsi les gouvernements peuvent garder trace de qui est en contact avec qui, quand, pendant combien de temps, et même d’où ils appellent.

Où est la différence ? Je vous le demande, où est la différence ?

Je regarde cela de près, le relis, le re-relis. Et j’en ai la chair de poule : il n’y a aucune différence.

Cette technologie est utilisée contre les citoyens d’Égypte aujourd’hui. L’Égypte utilise des équipements que l’on peut trouver dans le commerce, fabriqué ici dans nos pays occidentaux, qui incluent des système de surveillance intégrée. Ces systèmes de surveillance utilisés en Égypte ont été fabriqués à la demande des gouvernements de l’occident pour être utilisés contre des citoyens de l’occident.

Nous n’étions pas de ceux là. Nous le savions tous. Comment sommes-nous devenus comme eux ? Quand sommes-nous devenus comme eux ?

Avons-nous oublié à quel point nous étions terrifiés ?

Avons-nous oublié que les citoyens avaient le choix entre l’Allemagne de l’Ouest, peu sûre, avec ses véritables terroristes et son chômage endémique des années 80, et l’Allemagne de l’Est si sûre et surveillée, où tout le monde avait un travail et où le crime était quasi inexistant, et où beaucoup étaient prêts à risquer leurs vies pour passer à l’Ouest s’ils en avaient la possibilité ? Et bien sûr, où ils étaient hélas trop souvent tués à force d’essayer ? C’était donc quelque chose que les citoyens étaient prêts à faire au péril de leur vie, préférant une société avec de véritables terroristes à une société qui les aurait tous éliminés.

Nous défendions alors les libertés partout dans le monde. Nous étions le phare brillant du droit des peuples à la vie privée. Nous étions l’anti Big-Brother. Aujourd’hui, nous voyons des systèmes de surveillances - que nos gouvernements ont créés pour être utilisés contre nous - être utilisés en Égypte. Ce qui est utilisé contre le peuple d’Égypte pourra et sera utilisé contre nous.

Quand sommes-nous devenus ceux que nous n’étions pas ?

Rick Falkvinge est un éditorialiste habituel de TorrentFreak, qui intervient sur TorrentFreak le Vendredi. Il est le fondateur du Parti Pirate Suédois, un amateur de Whisky, et un pilote de moto à basse altitude. Son blog, lisible à l’adresse http://falkvinge.net parle essentiellement du monde de l’information, de sa circulation et de sa liberté.

Cette traduction est distribuée sous la même licence que l’original, à savoir CC-BY-SA, merci à Domi pour la relecture attentive