PROJET AUTOBLOG


le Blog de FDN

Site original : le Blog de FDN

⇐ retour index

Mise à jour

Mise à jour de la base de données, veuillez patienter...

Chômage technique à la DGSE ?

jeudi 3 septembre 2015 à 10:00

Un décret secret d'avril 2008 organise la surveillance des communications internationales. Or le Conseil constitutionnel a clairement expliqué que seule la loi pouvait le faire, et qu'en plus elle devait être suffisamment précise sur les garanties apportées. L'équipe habituelle des exégètes amateurs, en partenariat avec le cabinet Spinosi et Sureau, a décidé d'attaquer en référé le décret en question.

La décision du Conseil constitutionnel

Dans la décision qu'il a rendu fin juillet sur la loi sur le renseignement, le Conseil constitutionnel a censuré très peu de choses. Mais dans ce peu de choses, il y a l'article qui organisait la surveillance des communications émises ou reçues depuis l'étranger. Le motif de la censure est exposé assez clairement : la loi ne dit pas quels contrôles existent avant une interception, ni combien de temps sont conservées les données interceptées, alors que pour le reste (la surveillance généralisée du bon peuple de France) la loi donne ces informations.

Ça peut ne pas être clair pour les gens qui ne mangent pas du droit à tous les repas. Ça dit que ces informations doivent être précisées dans la loi. Pas dans le décret d'application, pas dans une note de service, pas dans une circulaire interne, mais dans la loi. C'est le pouvoir législatif qui doit dire dans quelles conditions les services secrets peuvent espionner qui, pour quelle raison, etc.

Juste pour mémoire, une loi, c'est voté par le parlement, qui détient le pouvoir législatif. Quand le parlement ne veut pas rentrer dans trop de détails, la loi dit un truc comme un décret précise les conditions d'application du présent article. Un décret, c'est un peu comme le règlement intérieur d'une association, ça fixe les détails. C'est fait par le gouvernement, sans passer par le parlement. C'est modifiable par le gouvernement, n'importe quand. Et ça oblige : les citoyens et l'administration doivent faire ce qui est prévu par le décret.

Les décrets sont normalement publiés au Journal Officiel. Ils constituent par exemple la deuxième partie de tous les codes, la partie règlementaire. Les article Lxxx sont les articles de la loi, les articles Rxxx sont les articles des décrets pris devant le Conseil d'État (règlementaires), et les articles Dxxx sont les articles des décrets simples, que le gouvernement ne fait même pas relire par le Conseil d'État.

Un décret, ça dit ce que l'administration peu faire, comment elle s'organise, ça dit également ce que les citoyens doivent faire. Le décret qui dit ce que la DGSE a le droit d'espionner, pourquoi est-il secret ? Pour que les affreux étrangers qui veulent nous envahir ne sachent pas ce qu'on écoute ? Foutaise, ils le savent très bien, et s'ils ne le savent pas ils s'en doutent, ils font pareil comme espionnage. Mais, en quoi est-ce secret, de savoir que la DGSE est autorisée à écouter tous les câbles sous-marins qui arrivent en France ? Tout le monde le sait. C'est peut-être illégal, d'accord. Mais secret ?

Le concept même de décret secret est étrange. Comme une loi secrète, une loi que personne ne connait, mais qu'une police secrète fait appliquer... Comment voulez-vous vous en protéger ? Comment se défendre face au tribunal ? Il est admis par toutes les cours qu'une loi secrète, c'est contraire à la notion d'État de droit. Il nous semble que la notion de décret secret, c'est sensiblement la même chose.

Comment était organisé le renseignement avant

Pendant les débats à propos de la loi sur le renseignement, ses défenseurs nous ont expliqué longuement que cette loi était nécessaire parce que l'ancien système était moins bien. Cet ancien système, selon eux, reposait entièrement sur la loi de 1991 sur les écoutes téléphoniques et sur des décrets non-publiés (c'est à dire secrets) pour tout le reste.

La loi de 1991 ne parle que des écoutes téléphoniques en France. Comme les gens de la DGSE ne sont pas payés à faire des cocotes en papier, ils doivent bien s'occuper un peu, et dans leurs outils, il y a nécessairement de l'interception de communications internationales. Elle seraient donc, d'après les déclarations des défenseurs de la loi, organisées par un décret secret.

Il se trouve que, quelque semaines avant que le Conseil constitutionnel ne rende sa réponse, l'Obs publiait un article expliquant que cette surveillance des communications internationales est régie par un décret secret qui date d'avril 2008.

La conclusion est évidente : ce décret est contraire à la constitution, puisqu'il dit des choses que seule une loi peut dire (c'est un excès de pouvoir).

Attaquer le décret.

En toute logique, le gouvernement, soucieux de respecter les libertés individuelles, et très attaché à notre constitution, aurait du abroger ce décret pris en excès de pouvoir dans les jours suivant la décision du Conseil constitutionnel. Ce n'est manifestement pas le cas.

Il reste donc que la surveillance internationale existe, qu'elle existe de manière illégale[1]. Que la loi sur le sujet ne lui donne pas de base légale, puisque l'article qui en parlait a été censuré par le Conseil constitutionnel. Et que manifestement, tout va continuer tranquillement... Illégalement.

Et pourtant, tout ça parle des communications émises ou reçues de l'étranger. Quand vous discutez en message privé sur twitter, ou dans le chat de Facebook, même si votre interlocuteur est dans la pièce à côté, tout ça transite par les États-Unis à un moment ou à un autre. On organise donc, sans contrôle, et en toute illégalité, la surveillance de pans entiers des communications électroniques de tout le monde. Peinard.

Se battre contre du vent

Mais voilà, comment attaquer un décret secret... C'est que déjà, on ne peut même pas désigner le décret lui-même, nous ne connaissons pas son titre exact, ni son numéro. Il n'a peut-être même pas de numéro[2]. Pour attaquer une décision de l'administration, il faut envoyer le texte de la décision qu'on attaque, pour que le juge se fasse une opinion. Sauf que là, le texte est secret, comment peut-on le transmettre au juge ?

Seul point vraiment positif, le délai de procédure. On peut attaquer une décision dans les deux mois qui suivent sa publication. Dans la mesure où le décret n'a pas encore été publié, les deux mois ne sont pas révolus ! Magique.

Il y a des précédents, mais pas nombreux, de décrets non-publiés et qui ont été contestés. L'équipe de Me Spinosi, qui bosse sur ce dossier avec nous, a trouvé quelques morceaux de jurisprudence qui peuvent nous servir de base. En gros, l'idée est que c'est le travail du Conseil d'État de s'assurer que le décret existe, de trouver sa référence exacte, et de contrôler la légalité du texte, sans pour autant nous communiquer le texte en question.

Et pour quel résultat ?

Attaquer le décret qui organise ça peut sembler stérile, quand on y réfléchit un petit peu. Il est peu probable que le Conseil d'État renvoie au chômage technique tous les fonctionnaires de la DGSE et fasse fermer tout l'espionnage français. Donc l'affaire va trainer, le temps que le gouvernement fasse voter la loi dont il a besoin, et à la fin, la loi étant votée, le décret illégal sera abrogé, faisant tomber notre recours.

Même si on veut accélérer le mouvement en attaquant en référé, ce qui est notre cas, il est possible que le Conseil d'État nous dise qu'il n'y a pas d'urgence à statuer puisque le décret existe depuis 2008. Et laisse ainsi une porte de sortie honorable au gouvernement.

Il n'empêche. Nous voulions que le gouvernement bouge sur le sujet. L'article de l'Obs, qui nous révélait l’existence du décret date du 1er juillet. Symboliquement, nous voulions donc déposer notre recours dans les deux mois après la publication de cet article. Le recours a donc été transmis lundi dernier, 31 août.

Et curieusement, aujourd'hui, le 2 septembre, le gouvernement nous informe qu'une proposition de loi sur le sujet va être déposée par un gentil député, et que le gouvernement lui fera une place dans l'agenda parlementaire. Efficace, non ?

Bon, on peut trouver curieux que l'exécutif nous annonce, dans le compte rendu du conseil des ministres, ce que les députés, au garde à vous, vont avoir envie d'écrire et de déposer comme texte d'ici la fin du mois de septembre. Mais tout le monde sait que le texte en question sera rédigé au ministère, puis transmis au député qui y apposera sa signature avant de déposer le texte à l'Assemblée. Un certain Jean-Jacques Urvoas, par exemple ? Si le gouvernement avait voulu déposer lui-même le texte, ce qu'il a tout à fait le droit de faire, il aurait fallu qu'il produise divers documents, dont une étude d'impact, expliquant les conséquences du texte. C'est bien pratique de pouvoir s'en passer.

Et donc...

Et donc l'équipe des exégètes amateurs[3] a travaillé, avec le cabinet Spinosi et Sureau sur un recours au fond[4] et sur un recours en référé-suspension[5]. Pour lancer un référé, il faut qu'il existe un recours au fond. Du coup, le texte du recours au fond est pour le moment très court, il sera complété quand la procédure avancera. En revanche, le texte du recours en référé est nettement plus précis : c'est lui qui sera traité dans les semaines qui viennent par le Conseil d'État. Conformément à nos habitudes, le texte du recours au fond et le texte du recours en référé sont en ligne. Bonne lecture :)

Notes

[1] Les gens du gouvernement préfèrent dire alégal, comme quoi ça serait sans doute moins grave...

[2] On a bien tenté de passer le journal officiel en revue histoire de chercher des trous dans la numérotation, mais non, ce n'est pas aussi simple :(

[3] Toujours la même équipe, composée de geeks et de juristes, empruntés à FDN, FFDN et LQDN.

[4] Procédure classique, on demande au Conseil d'État d'abroger le décret illégal.

[5] Procédure accélérée, en urgence, parce qu'il y a des libertés fondamentales qui sont bafouées.

Matin brun

dimanche 26 juillet 2015 à 01:57

Ces derniers jours, le Conseil constitutionnel a rendu son verdict sur le projet de loi relatif au renseignement, ainsi que sur la QPC que nous lui avions soumise (voir billets précédents). Le résultat est très négatif, et le bilan fort sombre pour l'avenir.

Les décisions du Conseil constitutionnel

Les questions posées au Conseil constitutionnel étaient des questions fondamentales, portant sur des choix de société. Il s'agit de savoir si la surveillance généralisée fait partie du modèle de société dans laquelle nous souhaitons vivre. C'est ça, le fond du débat. Un débat qui intéresse un grand nombre d'acteurs de la société civile, si on en croit le nombre de mémoires transmis au Conseil[1]. La question de savoir si tel ou tel article est conforme à telle ou telle disposition, article, ou jurisprudence n'est que pur détail technique, une question de forme. C'est le prétexte qui permet d'amener le véritable sujet.

Le Conseil a fourni une réponse technico-juridique, dans un style peu compréhensible. Pour quiconque n'est pas bilingue français/juriste, c'est un gloubiboulga indémêlable. On est loin de la réponse claire, argumentée et limpide qu'on pouvait espérer sur une question de fond. On attendait du Conseil une contribution au débat de société. Cette réponse brille par son inutilité.

Dans ce débat, qui oppose société civile et Gouvernement, le Conseil constitutionnel joue le rôle de juge. Nous attendions donc qu'il justifie ses décisions, et explique en quoi les arguments des uns étaient plus ou moins justes que ceux des autres. De plus, les chambres suprêmes ne se contentent théoriquement pas de trancher un dossier, elles disent surtout comment il faut interpréter le droit pour pouvoir trancher le dossier. Elles prennent des décisions qui feront référence pour les cours de rang inférieur.

Eh bien... Raté. La décision du Conseil se contente de déclarer conforme la quasi-totalité des dispositions mises en cause, sans réelle justification. En rendant une décision pareille, le Conseil renonce de fait à son rôle de chambre suprême du droit constitutionnel, et se transforme en simple validateur des lubies gouvernementales, potiche symbolique[2].

Le Conseil constitutionnel a donc finalement tranché sur le fond du débat : la France de demain sera une société de surveillance généralisée. Dont acte. Malgré l'opportunité qui leur était présentée de couper court aux dérives de notre gouvernement, les neuf « sages » ont choisi de n'en rien faire. Que ce soit par manque de courage politique, ou par aveuglement, c'est fort décevant.

Et maintenant ?

De notre coté, nous autres FDN, LQDN et FFDN, allons poursuivre nos procédures. Comme Benjamin et moi l'expliquions lors de notre conférence à PSES, l'objectif principal et potentiellement atteignable à court ou moyen terme est celui de la data retention : faire tomber la législation française sur la conservation des données au regard des décisions européennes, par un moyen ou un autre.

Notre recours devant le Conseil d'État sur le décret d'application de l'article 20 de la LPM, qui était suspendu pour la durée de l'étude de la QPC, va se poursuivre dans les mois qui viennent. Nous aurons peut-être également l'occasion d'attaquer plus frontalement la data retention dans les semaines à venir. Sans oublier nos deux recours sur les décrets blocage administratif de sites web et déréférencement issus de la loi Cazeneuve, qui poursuivent également leurs cours : le gouvernement a été mis en demeure de produire des observations il y a peu, ça devrait donc bouger bientôt.

À plus long terme, l'avenir nous dira si l'on va ou non jouer devant les hautes cours européennes. CEDH, CJUE... Dans tous les cas, pareilles procédures prendraient au bas mot quelques années avant d'aboutir. Bref, nous avons encore du pain sur la planche, et de l'énergie à conserver.

Quelles conclusions ?

À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. (JF Kennedy)

Deux points de vue s'affrontent classiquement chez les militants, de quelque marque qu'ils soient. Pour se faire entendre, certains préfèrent emprunter des voies légales, d'autres des voies brutales[3]. FDN a toujours été partisane des voies légales. Il est cependant manifeste que celles-ci ont tendance de nos jours à produire des résultats faibles. Chers amis, vous ne nous aidez pas à convaincre ceux qui préfèreraient brûler des voitures...

Peut-être serait-il bon d'exhumer, à tout hasard, le 35ème et dernier article de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, un texte qui n'est plus en vigueur, mais que certains feraient peut-être bien de ne pas oublier pour autant :

Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Une voie qui reste légale, est d'utiliser de manière beaucoup plus fréquente le chiffrement dans toutes nos communications[4]. Utiliser systématiquement SMSSecure pour nos SMS. Généraliser l'utilisation de GPG pour nos mails. Discuter avec nos amis en chat derrière une couche d'OTR. Promouvoir l'utilisation de Tor pour accéder au Web avec un minimum de respect de la vie privée. Etc.

C'est d'ailleurs l'occasion de signaler que Nos Oignons, une association amie qui contribue au développement du réseau Tor, a besoin de sous. À défaut de pouvoir corriger les âneries du Conseil constitutionnel, aidons-les à se financer !

Comme le disait un peu plus tôt Benjamin sur touitteur : Le chiffrement, c'est maintenant.

Oui, le chiffrement nous donne un peu d'espace pour respirer. Du moins tant qu'il n'est pas interdit. Mais ce n'est pas une solution. Le chiffrement ne rétablira pas la démocratie. Le problème est politique.

Nous sommes à l'aube d'un matin brun[5].

Notes

[1] Voir à ce sujet l'article de Marc Rees.

[2] Voir à ce sujet l'excellent article de Rubin Sfadj.

[3] Ce n'est pas tout à fait le propos, mais la lecture de ce billet d'Okhin (en anglais) est tout à fait intéressante.

[4] Voir aussi l'article de Pierre Alonso.

[5] Voir Wikipédia : Matin Brun.

Request for comments

mardi 23 juin 2015 à 16:20

Le Conseil constitutionnel devrait avoir à traiter de quatre recours qui tournent autour de la loi sur le renseignement. Pour essayer d'éclairer la position du Conseil, nous avons regroupé dans un document toutes les remarques que nous avions à faire sur le sujet. Ça s'appelle un Amicus curiae.

Le document n'est pas parfaitement finalisé, il nous reste du travail de relecture (orthographe, typographie, ce genre de choses). Mais surtout, l'ensemble est volumineux, on a pu rater un morceau. Alors on aimerait bien vos retours et commentaires. Les délais sont devenus courts. On ne pourra pas tellement retarder l'envoi au Conseil, du coup si vous voyez des arguments sérieux à ajouter, le fait de nous les transmettre sous forme de textes prêts à intégrer dans le document serait une aide précieuse. Nous remettrons le texte au Conseil constitutionnel jeudi matin.

La version mise en ligne ici sera régulièrement mise à jour (voir en fin de billet).

Conditions déplorables du débat

La loi sur le renseignement est en gestation depuis un bonne dizaine d'années. Mais voilà, c'est un texte dangereux politiquement, pour le faire passer il faut admettre que les services secrets[1] font quotidiennement des choses illégales, que toute la hiérarchie le sait, depuis l'agent de terrain jusqu'au premier ministre. Et que toute cette belle illégalité est gardée secrète.

Du coup, puisque ça fait 10 ans qu'on essaye de trouver comment donner un peu de cadre légal à tout ça, le gouvernement a choisi la procédure d'urgence pour faire voter le texte. Non, ne cherchez pas, on ne peut pas trouver de logique intelligente là-dedans. On ne peut y trouver qu'une logique liberticide d'opportunisme politique : dans la foulée des attentats de janvier à Charlie Hebdo, on profite de l'émotion générale pour passer ce texte, le plus vite possible, en essayant de réduire les débats au maximum.

La procédure d'urgence, ça veut dire que le texte est examiné une seule fois par chaque assemblée. Mais un examen à l'Assemblée ou au Sénat, ça peut être long. Normalement ça se fait après que les députés ont auditionné des spécialistes, des opposants, se sont renseignés sur chaque détail du texte pour le comprendre, pour débattre sereinement de chaque point, pour décider de ce qu'il faut modifier dans le texte.

Sur cette loi, ça n'a pas été le cas. Entre l'arrivée du texte à l'Assemblée nationale et son vote en commission, il ne s'est passé que quelques semaines, dans un agenda parlementaire déjà chargé. Impossible d'organiser les auditions nécessaires. Aucune chance d'entendre qui que ce soit d'autre que les ministres et les patrons des officines de renseignement. Aucune chance de réfléchir à rien de bien solide.

Texte brouillon et compliqué

Et bien entendu, pour nous, aucune chance de pouvoir analyser sereinement le texte pour alerter le public sur ce qui ne va pas. On a fait ce qu'on pouvait, mais le texte changeait de version toutes les deux ou trois semaines : d'abord une version du gouvernement, puis une version sortie de la commission à l'Assemblée, puis une version votée à l'Assemblée, puis une autre sortie de commission au Sénat, puis encore une autre votée au Sénat et enfin une dernière modifiée par la commission mixte paritaire. Et on s'attend à encore une nouvelle version cet après-midi au Sénat, modifiée par le gouvernement, avant le vote définitif demain à l'Assemblée. Le tout en trois mois de procédure. Pour mémoire, sont apparus ce matin les modifications qui seront votées cet après-midi au Sénat. Ça aura été longuement pas-analysé par les sénateurs, du coup.

La qualité du débat parlementaire a été lamentable. Le débat public s'est concentré sur quelques points précis, qui posaient des problèmes majeurs faciles à identifier, mais a passé sous silence beaucoup d'éléments de la loi.

Au final, le texte adopté est presque incompréhensible. Chacune des dispositions importantes peut être interprétée de plusieurs façons, sans que la bonne interprétation puisse être rapidement trouvée. Certaines dispositions disent presque explicitement le contraire de ce que disaient, pendant les débats, les politiques défendant le texte. Un étudiant de droit qui remettrait un texte de cette qualité-là à ses profs n'aurait probablement pas la moyenne...

Saisine du Conseil constitutionnel

Le rythme infernal, destiné à empêcher le travail de fond d'avoir lieu[2] continue dans le cadre de la saisine du Conseil constitutionnel.

Le Conseil va être saisi de quatre procédures qui tournent autour de ce texte.

La première est celle lancée par FDN, La Quadrature et la Fédération FDN. Nous avons attaqué en début d'année le décret d'application de l'article 20 de la loi de programmation militaire qui définissait la façon dont la police administrative (qui comprend les services de renseignement) accède à notre vie privée en ligne. Dans le cadre de cette procédure, nous avons déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette QPC a été transmise au Conseil le 5 juin. Voir à ce sujet la conférence faite par Fabien et moi il y a quelques jours à Pas Sage en Seine, dont la vidéo qui est en ligne résume tout ça.

La seconde procédure est celle que le président de la république a promise. Il espérait pouvoir faire une saisine blanche, comme on faisait jusque là pour les loi organiques : transmettre tout le texte au Conseil en lui disant dis moi si quelque chose cloche, merci. Or depuis l'existence de la procédure de QPC, il ne peut plus faire comme ça. Pour qu'une QPC soit admise, il faut qu'elle pose une question qui n'a pas encore été traitée. Du coup, une saisine blanche sur le texte aurait permis de considérer que toutes les questions possibles avaient déjà été traitées sur la loi, et donc d'empêcher toute saisine ultérieure. Le Conseil a fait savoir par voie de presse qu'il n'accepterait pas de saisine blanche, et que donc la présidence de la république serait priée d'indiquer sur quels points précis elle souhaite un contrôle de la constitutionnalité du texte.

Les deux autres saisines devraient venir des sénateurs et des députés. On ne sait pas encore quelles questions exactes ils vont soulever auprès du Conseil. On le sait d'autant moins que la version définitive exacte du texte n'est connue que depuis cet après-midi lors du vote au Sénat.

Notre amicus curiae

Lors d'une procédure en justice, quelqu'un qui n'est pas partie à l'affaire peut transmettre à la cour ses remarques et avis, pour proposer un angle de lecture du dossier. Ça se fait en général sur les questions d'envergure, genre dans un recours contre un décret, ou sur la façon d'interpréter le droit en cassation, ou devant le Conseil constitutionnel ; moins souvent dans les litiges sur les murs mitoyens ou le droit de passage au fond du jardin de mémé.

Depuis plusieurs semaines, le groupe de bénévoles qui allie des geeks et des juristes au nom de nos trois associations (FDN, La Quadrature, et la Fédé) planche sur la rédaction d'un amicus curiae[3]. On a essayé de faire court, on n'y est pas arrivé.

Régulièrement au cours de notre préparation on a indiqué aux gens avec qui on est en contact ce qu'on voyait qui clochait dans la loi, ce qui était trop brutalement contraire au respect des libertés fondamentales. On a en particulier fait parvenir ça, sous forme de brouillons, de notes, de listes de points à vérifier et de jurisprudences intéressantes, aux parlementaires qui travaillent sur leur saisine du Conseil. On ne sait pas encore ce qu'ils ont retenu dans ce qu'on leur a proposé.

Request for comments

Nous attaquons la phase finale de relecture. L'ensemble de nos arguments sont en place. On espère ne pas en avoir oublié. Mais entre le volume trop important et les délais trop courts, c'est impossible.

On souhaite transmettre le document le plus vite possible au Conseil, pour lui laisser le temps d'en prendre connaissance. Certains des arguments que nous développons seront très probablement repris tels quels dans la procédure de QPC que nous avons lancée, au moins là, nous serons certains qu'ils seront pris en compte, puisque nous sommes parties au procès, et pas simplement des intervenants extérieurs.

Cependant, malgré l'urgence, nous avons souhaité diffuser ce soir, juste après la dernière retouche au Sénat, notre document en l'état pour que toutes les bonnes âmes qui touchent un peu leur bille en droit public et/ou en droit constitutionnel puissent nous indiquer ce que nous avons oublié.

On va être franc : les commentaires de l'ordre de ah mais ça aussi c'est pourri dans la loi, faudrait écrire un truc dessus, ça ne va pas beaucoup nous aider. Les propositions plus construites, qui disent la même chose mais en nous indiquant les jurisprudences utiles, voire qui proposent carrément un version proto-rédigée de l'argumentaire, c'est plus facile à intégrer. Pour les commentaires longs, une synthèse de quelques mots ici (pour signaler à la communauté que ça existe) et un mail à n'importe laquelle des trois associations, c'est une forme qui marche bien.

Pour les moins juristes, les commentaires qui nous indiquent les fautes d'orthographe, les phrases qui n'ont pas de sens, les paragraphes pas terminés, etc, on est super preneurs. On va essayer d'intégrer tous vos commentaires au fil de l'eau, et mettre en ligne une nouvelle version du document à chaque fois. Fin de la partie dans la nuit de mercredi à jeudi, puisque jeudi matin on dépose le document au Conseil constitutionnel.

Et sinon, même s'ils ne contribuent pas à la production du document final, les petits mots gentils, c'est bon pour le moral des troupes. Et vu l'état avancé de décrépitude fatiguée où nous sommes tous, c'est important.

Amicus curiae, en PDF:

Lien vers une interface permettant de déposer des commentaires sur le texte :

Lien vers le communiqué de presse des amis de la quadrature du net :

Lien vers le communiqué de presse de la Fédération FDN :

Notes

[1] Alors, oui, je sais, on dit police administrative ou services de renseignements. Mais dans la tête de tout le monde, si on veut comprendre de quoi on parle, ce sont les services secrets. Les gens qui surveillent la population, qui surveillent les agitateurs, qui surveillent les espions étrangers chez nous, qui espionnent à l'étranger pour nous. Et le tout embourbé d'une épaisseur de secret telle que personne ne sait jamais ce qu'ils font.

[2] Oh, pardon, non. Le rythme infernal justifié par l'urgence absolue d'adopter dans la semaine un texte qu'on attend depuis 10 ans, et qui mérite qu'on change des dispositions majeures le jour même du vote définitif au Sénat, dispositions qui avaient à peine 10 jours... Ça doit être lié à une vraie urgence, hein, ça ne peut pas être pour permettre au gouvernement de s'octroyer des pouvoirs en s'assurant que personne n'y a regardé de plus près...

[3] Ça veut dire ami de la cour, c'est un texte qui est transmis au Conseil pour lui proposer un éclairage sur certains points du débat, pour l'aider dans sa lourde tâche. Le Conseil en fait par la suite ce qu'il veut, le lire, ou pas, caler une armoire normande avec. Aucune obligation.

Notre QPC sur la LPM est transmise au Conseil Constitutionnel !

samedi 6 juin 2015 à 12:27

Le Conseil d'État a annoncé hier sa décision de transmettre au Conseil Constitutionnel la QPC que nous avons déposée dans le cadre du recours contre le décret d'application de l'article 20 de la LPM.

La décision du Conseil d'État

La sentence est courte, mais les mots sont précis et pleins de sens. Le Conseil d'État considère que le moyen tiré de ce que ces dispositions (instaurées par la LPM, NdA) portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier au droit au respect de la vie privée, au droit à un procès équitable et à la liberté de communication, soulève une question présentant un caractère sérieux, et transmet donc notre question au Conseil Constitutionnel.

Cette décision, nous l'avouons sans peine, fait plaisir. Alors même que le Premier Ministre, dans un mémoire versé au dossier la semaine dernière, jugeait que notre question ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux, le Conseil d'État semble l'entendre d'une autre oreille. Un point pour les exégètes amateurs et de mauvaise foi... Ne vous en déplaise, Monsieur le Ministre.

Reste à voir quel sera l'avis du Conseil Constitutionnel sur notre question. Il a jusque début septembre pour y répondre, sans doute en joignant ce dossier à celui des saisines gouvernementales et parlementaires sur le projet de loi Renseignement, dont le texte s'appuie fortement sur les éléments de la LPM mis en cause.

Quelques liens pour finir :

Retrouvez également ici même sur ce blog tous les billets expliquant le détail des procédures que nous avons initiées.

Dépôt d'une question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 20 de la LPM

mercredi 15 avril 2015 à 22:28

Pendant les discussions parlementaires sur la loi de programmation militaire (LPM) quelques trop rares députés indiquaient que l'accès aux données de connexion organisé par l'article 20 était trop large, mal construit, mal formulé, et probablement anti-constitutionnel. Mais il ne s'est pas trouvé 60 braves parmi nos parlementaires (députés ou sénateurs) pour poser le texte sur le bureau du Conseil Constitutionnel.

Nous avions annoncé que ça ne nous allait pas. Nous étant FDN, bien sur, mais plus largement les défenseurs des libertés numériques et de la vie privée sur Internet. Nous, FDN, la Quadrature du Net et la Fédération FDN, avons déjà déposé un recours contre le décret d'application de cet article 20 de la LPM. Dans le cadre de cette procédure contre le décret, nous déposons une QPC contre la loi elle-même. C'est le texte de cette QPC que nous publions ici, avec le mémoire complémentaire déposé en même temps devant le Conseil d'État.

Si les parlementaires et le gouvernement refusent de faire le contrôle de constitutionnalité de leur texte, les citoyens le feront.

Ce que c'est qu'une QPC

Dans une affaire en justice, n'importe quelle affaire, si on estime que la loi applicable à l'affaire est contraire à la Constitution, on peut déposer devant le juge une question prioritaire de constitutionnalité, dite QPC. En gros, on dit au juge cette loi est contraire à la Constitution, on ne devrait pas me l'appliquer, merci de vérifier. Si le Conseil constitutionnel n'est pas encore prononcé sur la loi, ou si le contexte du droit a changé depuis, que la question est sérieuse, alors elle est transmise au Conseil constitutionnel qui a trois mois pour trancher. Elle est dite prioritaire parce qu'elle doit être tranchée avant que le tribunal ne puisse statuer sur l'affaire.

Dans notre cas, nous attaquons le décret 2014-1576 (c'est raconté ici et ). Ce décret est pris en application de l'article 20 de la LPM. Si l'article 20 est déclaré contraire à la constitution, alors le décret disparaît. Nous pouvons donc contester cet article 20 sur sa conformité à la Constitution.

La procédure

Comme indiqué dans un billet précédent, nos trois associations[1] sont désormais représentées par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, à savoir le cabinet Spinosi&Sureau.

Comme ils maîtrisent mieux que nous les subtilités de la procédure devant le Conseil constitutionnel, et que ces derniers temps on planchait sur le décret sur le blocage des sites web, comme annoncé ici il y a peu, c'est notre avocat qui a préparé cette QPC, ainsi qu'un mémoire complémentaire, ajoutant les arguments de constitutionnalité aux arguments que nous soulevions déjà contre le décret dans notre requête introductive publiée récemment.

Le Conseil d'État décidera dans quelques semaines s'il considère que la question doit être transmise au Conseil Constitutionnel, ce qui est probable (la question est bien nouvelle, le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur cette loi, les arguments sont solides). Ensuite, si la question est bien transmise le Conseil constitutionnel aura trois mois pour décider.

Les arguments que nous soulevons

Le texte de la QPC est assez aride. C'est écrit par des professionnels du droit, pour des professionnels du droit. Pour aider un peu à la compréhension pour les gens qui n'ont pas l'habitude, j'essaye de reprendre ici les arguments principaux. Ça devrait aider à avaler les 53 pages de la QPC.

Le texte détaille longuement en quoi chacune des libertés que nous défendons (vie privée, secrets professionnels, secret des sources, etc) relève des libertés protégées par la Constitution, sur quelles jurisprudences nous nous appuyons pour le dire, et en quoi le législateur a négligé d'en parler alors qu'il aurait dû.

Problème sur la vie privée

La loi organise la transmission de données à l'autorité administrative, ce qui est une atteinte à la vie privée. Or il manque des garanties légales nécessaires sur le respect de la vie privée, en particulier dans un certain nombre de cas où il existe des secrets protégés, comme le secret des échanges entre avocats et clients. Les données transmises à l'administration sont susceptibles de contenir des informations de ce type-là, qui sont très protégées, et la loi n'assure pas de garantie spécifique dans ce sens.

L'exemple des échanges entre avocats et clients est important parce qu'il est couvert par un bon nombre de décisions précédentes, tant du Conseil constitutionnel que des cours européennes. Le législateur aurait du préciser quelles garanties protègent ce secret, et ne l'a pas fait. C'est ce qu'on appelle une incompétence négative: la constitution dit que la loi doit préciser un certain nombre de choses, si le législateur oublie de le faire, la loi n'est pas valide.

Problème sur la liberté d'expression

En transmettant des données à la police, les opérateurs sont susceptibles de révéler, si l'une des personnes est un journaliste, avec qui ce journaliste a échangé. Et donc potentiellement qui sont ses sources. C'est le cœur de l'affaire dite des fadettes du Monde[2].

La liberté d'expression est strictement protégée par la Constitution et par toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le pluralisme des médias et leur indépendance font même l'objet d'un alinéa spécifique dans l'article 34 de la Constitution. Le législateur aurait dû prévoir un encadrement spécifique quand la ou les personnes concernées sont des journalistes.

Par ailleurs, il commence à apparaître une jurisprudence en Europe sur le fait que ce ne sont pas les sources des journalistes qui doivent être protégées, mais bien les source de toute personne qui contribue directement à la collecte, la rédaction, la production ou la diffusion d’informations, par le biais d’un média, au profit du public. Cette formulation exacte est celle qu'a retenu la Cour d'arbitrage belge[3], considérant que journaliste n'était pas suffisant, lorsque lui a été soumis la loi belge organisant le secret des sources.

Flou de la définition de informations et documents

La loi dit que les opérateurs doivent transmettre à la police administrative toutes informations et documents en leur possession ou traités par leurs réseaux. Cette formulation est floue. Pour un opérateur de téléphonie de 1960, ça ne peut désigner que les données sur le trafic : les documents sont les factures en papier. Pour un opérateur du 21e siècle, c'est très flou. Est-ce que ce sont les factures détaillées ? Est-ce que ce sont les contenus des mails dans la boîte mail ? Est-ce que c'est le contenu des MMS en attente ? Tout cela, ce sont des informations et documents qui sont stockés sur les infrastructures de opérateurs.

C'est le décret d'application, celui que nous attaquons, qui précise ce que sont ces informations et documents. Une modification du décret pourrait modifier la définition des informations et documents. Donc une simple modification d'un décret peut transformer un accès aux données de connexion (date et heure de mes connexions à Internet, adresse IP attribuée, etc) et un accès aux correspondances privées (contenu de ma boite mail, etc). Or seule la loi doit avoir ce type de pouvoir, d'après la Constitution. C'est un cas classique d'incompétence négative d'une part (le législateur néglige son devoir) et d'excès de pouvoir d'autre part (l'exécutif met dans un décret un truc pour lequel il faut une loi).

Flou sur la définition de sur sollicitation du réseau

On retrouve exactement le même problème, sauf qu'en plus, même en téléphonie des années 60, l'expression sur sollicitation du réseau ne veut rien dire.

En fait, cette expression ne veut tellement rien dire qu'il est difficile de trouver ne serait-ce qu'un exemple de signification... Le réseau, il se lève le matin et il téléphone à la police pour lui dire un truc ? Mais quoi... Un truc en particulier, que la police lui avait demandé avant ? Pas clair. Sur une personne en particulier, ou sur tout le monde, pas clair.

En conclusion

Le message que nous voulons faire passer ici est simple. Désormais, quand nos politiques s'en prendront aux libertés sur Internet, d'une manière qui est probablement contraire à la Constitution et à la garantie des libertés qu'elle prévoit, la société civile se donnera les moyens de saisir le juge constitutionnel.

Notes

[1] Oui, il faut suivre, nous sommes trois associations à attaquer ce décret devant le Conseil d'État : FDN, La Quadrature du Net, et la Fédération FDN.

[2] Un journaliste qui enquêtait sur l'affaire Bettencourt a eu le malheur de déplaire au pouvoir en place. Qui a demandé à la police administrative de lui trouver le nom des sources. Ce qui a été fait en consultant les factures détaillées (les fadettes) du journaliste, pour avoir la liste de ses échanges téléphoniques.

[3] L'équivalent chez nos camarades du Conseil constitutionnel