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Nouvel arrêté sur le doctorat : quelle incidence sur la diffusion des thèses électroniques ?

mercredi 14 septembre 2016 à 17:41

En février dernier, j’avais consacré sur ce blog un billet à la question du PEB des thèses électroniques, en pointant des lacunes dans la réglementation qui rendaient paradoxalement les fichiers numériques plus difficiles à transmettre à l’extérieur des établissements de soutenance que les exemplaires papier. Or le 25 mai dernier, un nouvel arrêté « fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat » a été publié, qui comporte des dispositions relatives à la diffusion des thèses électroniques.

Image Domaine Public. Source : Wikimedia Commons.
Image Domaine Public. Source : Wikimedia Commons.

J’ai reçu depuis de nombreuses questions de la part de lecteurs de ce blog qui me demandent comment ce nouveau texte doit être interprété et dans quelle mesure il apporte des solutions au problème de la transmission des thèses électroniques au-delà des intranets des établissements de soutenance. Je poste donc ci-dessous les réflexions que ce texte m’inspire, sachant que les commentaires sont ouverts sous le billet pour prolonger la discussion, car vous allez voir que l’interprétation du nouvel arrêté n’est (hélas) pas simple. …

Qu’est-ce qui change avec le nouvel arrêté ? 

 

Voici les nouvelles dispositions du texte concernant la diffusion des thèses électroniques :

Sauf si la thèse présente un caractère de confidentialité avéré, sa diffusion est assurée dans l’établissement de soutenance et au sein de l’ensemble de la communauté universitaire. La diffusion en ligne de la thèse au-delà de ce périmètre est subordonnée à l’autorisation de son auteur, sous réserve de l’absence de clause de confidentialité.

Elles remplacent les dispositions du précédent arrêté, daté de 2006, qui étaient formulées ainsi :

Sauf dans le cas d’une clause de confidentialité, l’établissement de soutenance assure en son sein l’accès à la thèse. La mise en ligne de la thèse sur la toile est subordonnée à l’autorisation du nouveau docteur sous réserve de l’absence de clauses de confidentialité.

L’arrêté de 2006 soulevait un problème en matière de diffusion à distance des thèses sous forme électronique. Alors que les bibliothèques universitaires avaient la possibilité d’envoyer un exemplaire imprimé de la thèse à un autre établissement à la demande d’un usager (système du PEB), elles ne peuvent faire de même avec les fichiers  d’une thèse au format électronique.

L’arrêté de 2006 prévoyait seulement une diffusion de la thèse électronique au sein des emprises de l’établissement de soutenance et la transmission à distance implique des actes de reproduction et de communication qui restent couverts par le droit d’auteur, et donc théoriquement soumis à l’approbation du doctorant.

Le nouvel arrêté de 2016 semble comporter une formulation plus ouverte en matière de diffusion par l’ajout des termes « et au sein de l’ensemble de la communauté universitaire ».

Difficultés d’interprétation… 

En réalité, ces nouvelles dispositions sont formulées de manière relativement ambiguë. Elles ne mentionnent pas explicitement la communication à distance des fichiers d’une thèse électronique. Elles se content d’évoquer la communication « au sein de l’ensemble de la communauté universitaire ».

Néanmoins, étant donné qu’une modification dans les textes est intervenue, il est réaliste d’essayer de lui trouver un sens, par le biais d’une interprétation. Ici, deux sens différents peuvent être envisagés :

Un problème se pose cependant au niveau juridique pour retenir cette seconde interprétation. La communication à distance des fichiers d’une thèse électronique implique une reproduction effectuée par le service de documentation et un acte de communication à un autre établissement. Or pour que de tels actes  soient possibles légalement, il faudrait instaurer de nouvelles exceptions au droit d’auteur, ce qui n’est pas possible normalement par le biais d’un simple arrêté ministériel. Il aurait fallu pour cela un acte législatif, modifiant le Code de Propriété Intellectuelle ou a minima le Code de la Recherche.

Néanmoins, on pourrait objecter que déjà en 2006, la faculté ouverte aux établissements de soutenance de diffuser en leur sein les thèses sous forme électronique relevait déjà d’une forme d’exception au droit d’auteur et aurait donc dû être introduite au niveau législatif. Or pendant 10 ans, l’application de cette disposition n’a soulevé aucune objection.

On pourrait donc, au prix d’une interprétation constructive, considérer que le nouvel arrêté autorise la diffusion à distance des fichiers des thèses électroniques. L’argument principal en faveur de cette interprétation est que sinon, le nouvel arrêté imposerait des restrictions plus fortes en matière de diffusion des thèses électroniques que le précédent, ce qui pouvait difficilement être l’intention du Ministère.

Que faire en pratique ? 

Si l’on admet cette interprétation constructive, il reste à savoir comment organiser concrètement la diffusion à distance des fichiers correspondants aux thèses électroniques, sachant que le risque principal consiste en la dissémination de ces fichiers au-delà de la communauté universitaire.

L’idéal aurait été qu’une solution technique soit organisée directement dans  le portail Thèses.fr pour permettre la consultation des thèses électroniques au sein de l’ensemble des établissements universitaires français, par le biais d’une sorte « d’intranet étendu ». Il semblerait d’ailleurs que l’ABES, qui gère Thèses.fr, ait été saisies depuis la publication du nouvel arrêté de demandes en ce sens.

Mais dans l’attente d’une telle solution, un moyen pragmatique d’organiser la diffusion à distance des thèses pourrait consister pour les services de la documentation d’un établissement à procéder à l’envoi des fichiers correspondants à une thèse électronique à leurs homologues d’un autre établissement, à la demande d’un usager.

Pour respecter les nouvelles conditions fixées par l’arrêté, il faudrait au préalable vérifier que cet utilisateur appartient bien à la « communauté universitaire » (ce qui exclut les lecteurs extérieurs pouvant être inscrits dans les bibliothèques universitaires). Par contre, la formulation de l’arrêté paraît suffisamment large pour que les fichiers puissent être envoyés à des établissements étrangers.

A titre de précaution, un formulaire devrait être signé par l’usager demandeur des fichiers pour qu’il s’engage formellement à ne pas les rediffuser à des tiers qui ne seraient pas membres de la communauté universitaire. Une telle mesure serait de nature à dégager de leur responsabilité les établissements en cas de manquement à cette obligation par l’usager.

On peut aussi imaginer des dispositifs plus contraignants, impliquant par exemple des mesures techniques de protection (DRM) associées aux fichiers. Mais dès lors qu’on admet l’interprétation constructive de l’arrêté, rien n’impose formellement que l’on aille jusque-là.

Comment lever l’ambiguïté ? 

Etant donné que le texte du nouvel arrêté comporte une certaine ambiguïté, génératrice d’une insécurité juridique, il pourrait être intéressant d’essayer de la lever par les moyens suivants :

Enfin, dans tous les cas, il semble de toute manière préférable d’encourager au maximum les doctorants à accepter la diffusion en ligne de leur thèse, comme le nouvel arrêté continue à le prévoir, car cela règle directement à la racine les questions de diffusion à distance tout en contribuant au Libre Accès aux résultats de la recherche.

 


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