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Sans titre 07

dimanche 28 avril 2013 à 07:46

Le paysage défile le long de la voie ferrée, l’inconnu s’enfuit, sable entre les doigts, chassé par le connu qui s’évapore aussitôt, vapeur confuse, brouillard limpide : tout est étranger, même familier, lointain, même à portée de doigt. Le problème sera peut-être de savoir faire face, en tournant le dos pourquoi pas, aux potentialités grimaçantes de ces fameux lendemains qui se réveillent, un peu tard, la gueule dans le cul, hier, juste au moment où quelqu’un — lui, elle, cette autre-là, cet autre-ci ? — avait proféré qu’un jour on verrait bien et tout le monde avait été rassuré. Rien n’a changé, du moins pas plus que d’habitude, ni plus ni moins brusquement. La caisse enregistreuse crépite sa barbarie habituelle, sous son masque détendu, effrayant, civilisé.

En effet, un jour on a bien vu. Et alors ? Et alors rien, ou presque.

Il ne sait plus très bien voir la différence. Distinguer. Choisir, encore ça peut aller, étonnamment. Une sorte d’habitude prise, ni mauvaise ni bonne, un sens pratique s’est sédimenté au fond de lui-même, pour autant que ce fond ne soit pas juste au-dessous de la surface. Il ne sait plus très bien prendre la mesure des profondeurs, des étendues, des épaisseurs. Comme ses contemporains, il marche dans un environnement qui n’a plus rien de semblable avec la représentation — les représentations ? — censée avoir cours, ce tissu râpeux, cassant, décoloré. D’un commun accord, on parle d’autre chose. Même s’il arrive que l’on acquiesce, le visage grave. Ça ne peut plus durer. Un jour on verra bien. On a bien vu. Et sinon, tu as vu passer la révolution technologique du jour ? Plus rien ne sera comme avant. La reproduction du même. Retour à la case départ, l’Ancien Régime à nouveau, mais renouvelé par l’expérience accumulée au cours des 19 et 20e siècles.

Il lui vient à l’esprit des conclusions qui n’ont rien de logique. Tant d’idées tues. Tuées par le flux d’information, l’information pour l’information. Encéphalogramme plat.
Les apparences trompeuses, la ligne d’horizon n’est si droite que d’ici, à distance. Dès que l’on s’approche, les reliefs mouvants sont perceptibles, mais il ne saurait les lire. Peut-on interpréter ce qu’on ne lit pas ? À partir de quel degré de confusion il n’est plus raisonnable d’interpréter, de donner du sens à l’informe ?

Censé, sens, insensé. Le fisc de la raison a fui. Comme l’inconnu. A fui l’inconnu. Le fisc de la raison s’est enfui dans un havre paradisiaque, il a abandonné son salaire qui ne pesait pas lourd dans la balance de sa fonction à double visage, aux œillères démultipliées, dans le respect scrupuleux du devoir de transparence. On perd son âme à taxer la raison. Et pour quel budget ? Sans nerf, pas de guerre. Lui, il était là quand le fisc s’est embarqué clandestinement dans un navire de guerre marchand au pavillon caméléon, en partance pour le seul havre connu, dans l’œil du cyclone, dans le cerveau du monstre. En observant l’embarquement du fisc, à la lecture de ce schéma presque immobile, au mobile impossible, il s’est dit : à quoi bon ? Il n’y a pas de havre pour la fuite, encore moins pour le fisc, fût-il de la raison.

Il a donc lu le schéma, ce schéma où le fisc de la raison fuyait, laissait son étiquette, son titre et sa fonction sur le quai. Presque instantanément, est arrivé quelqu’un suffisamment indéfini pour prendre en charge les oripeaux abandonnés.