PROJET AUTOBLOG


Opennews

source: Opennews

⇐ retour index

À Rouen, la plainte contre un manifestant se retourne contre un policier (mediapart.fr)

samedi 22 juillet 2023 à 16:45

TL:DR; un flic tabasse un mec qui aidait une femme à se relever, l'arrête et l'accuse d'avoir attaqué les policiers, et porte plainte contre lui. il se fera à nouveau tabasser au commissariat. Une vidéo tournée par un street medic montre que le policier à menti et que le mec disait vrai et l'affaire se retourne contre le policier dont la défense est: "ah bon ? c'était il y a un an, je me rappelle pas de ça, j'en fais tellement des manifs où je tape sur des gens"

L’histoire commence le 29 février 2020 aux alentours de 16 heures, rue du Gros-Horloge à Rouen. Rudy 42 est interpellé en marge d’un appel à manifester lancé contre la réforme des retraite, première version. La fiche de police de l'interpellation fait état de l’arrestation de Rudy F. pour les raisons suivantes : « Sous le Gros-Horloge, nous mettons en barrage ferme face à une foule hostile afin d’assurer la protection d’une première interpellation. C’est à ce moment qu’un homme de taille moyenne et de corpulence normale a donné des coups de pied sur les agents boucliers. »

Sur procès-verbal, un commandant divisionnaire en poste à l’état-major de la direction départementale de la sécurité publique établit un compte-rendu des liaisons radiotéléphoniques collectées à l’occasion de cette manifestation. Il confirme la vision du premier policier. « Un individu commettait des violences sur personne dépositaire de l’autorité publique. Il était interpellé », peut-on lire dans ce document.

Dernière pierre à l’édifice, la plainte déposée par l’agent interpellateur. Première incongruité dans ce dossier, ce ne sont pas les policiers supposément victimes de coups qui déposent plainte contre le manifestant, mais celui qui procède à son interpellation.

Dans sa plainte, déposée pour « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », Julien P., affecté à l’époque à la compagnie départementale d’intervention (CDI), explique : « Un individu est venu donner des coups de pied à plusieurs reprises sur nos boucliers pour nous atteindre. Il était très actif, déterminé et voulait en découdre avec nous. L’interpellation s’est faite sans résistance, je l’ai menotté et il a été remis à un autre équipage car nous étions en manœuvre de maintien de l’ordre », poursuit le fonctionnaire de police sur procès-verbal.

Les investigations menées par la suite démontreront que Julien P. ne portait pas de bouclier au moment de la scène.

une enquête pénale est ouverte contre Rudy F. La procédure est menée par le commissariat de Rouen. Et l’affaire semble entendue. Sauf que Rudy F. dépose plainte, quelques jours plus tard, racontant une scène quelque peu différente de celle décrite par les premiers éléments de l’enquête, apportés par des policiers. « Monsieur F. se plaint de deux épisodes de violences commis à son encontre par des policiers, lors de son interpellation puis lors de son placement en cellule de garde à vue ».

« Il y a eu une seconde charge. Une femme qui se trouvait dans la rue avec un sac de courses a été bousculée par un policier. Cette femme est tombée sur une barrière de chantier avant de s’écrouler sur le sol. Le choc a été brutal et cette femme criait », explique-t-il.
« Alors que je l’aidais à se relever, deux policiers sont venus vers moi. Ils m’ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai répondu que j’aidais la dame à se relever. Un troisième policier est intervenu et m’a asséné un violent coup de matraque au niveau de la nuque. Suite au coup de matraque, je suis tombé au sol. À ce moment, le policier qui m’avait mis le coup de matraque m’a mis plusieurs coups de pied, de poing sur tout le corps. Un quatrième, qui tenait un mégaphone, l’a rejoint et m’a également frappé », poursuit-il dans son procès-verbal d’audition.

Rudy F. décrit ensuite une seconde scène de violence, supposément intervenue lors de son arrivée au commissariat de Rouen, où des policiers en civil lui auraient asséné « une dizaine de coups de matraque sur tout le corps » alors qu’il refusait de se mettre à nu à l’occasion de son placement en garde à vue. L’homme accuse enfin les policiers d’avoir conservé sa carte d’identité et sa carte de personne handicapée au moment de sa remise en liberté. Rudy F. dit souffrir d’une sarcoïdose au niveau des bronches.

Un certificat médical établi sur la base des photos présentées par Rudy F. relève des hématomes et des ecchymoses sur différentes parties de son corps. « Les lésions constatées sur photographies sont compatibles avec les faits décrits par la victime », observe le médecin. « On retrouve notamment une lésion au niveau de la face externe de la cuisse gauche compatible avec un coup de matraque », ajoute-t-il.

Mais ce n’est pas la plainte qui fait définitivement basculer l’enquête. L’élément déterminant est une vidéo fournie à Rudy F. et remise ensuite aux gendarmes qui en font un compte-rendu au parquet de Rouen. Ce dernier décide de saisir l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Si la qualité reste médiocre et ne permet pas d’identifier les policiers protagonistes, elle correspond peu ou prou aux déclarations de Rudy F. et s’éloigne très largement des déclarations de Julien P., l’agent de police interpellateur.

Le film ne montre aucun coup de pied du manifestant sur les boucliers des forces de l’ordre. En revanche, on voit distinctement Rudy F. aider une femme qui avait chuté avant de recevoir un coup de matraque, peut-être un coup de poing puis un coup de pied alors qu’il est assis au sol. Il est ensuite attrapé par la capuche avant d’être plaqué au sol. La vidéo s’arrête.

Après 6 mois d'enquête l'IGPN donne ses conclusions: « Aucun fonctionnaire présent lors de l’interpellation ne se souvenait avoir vu Rudy F. donner des coups de pied sur les porteurs de boucliers (y compris ces derniers). Aucun des agents ne pouvait expliciter le motif de l’interpellation, pas même son auteur, le gardien de la paix Julien P., qui déclarait ne pas s’en souvenir ». « Celui-ci ne se souvenait pas non plus des coups, pourtant visibles sur la vidéo, qu’il avait portés à M. F. et n’était pas en mesure d’en justifier la légitimité »

Les investigations menées sur les allégations de nouvelles violences subies au commissariat ainsi que sur la perte de documents d’identité n’ont, elles, pas abouti, faute d’éléments probants.

Le travail de l’IGPN permet néanmoins d’innocenter Rudy F. L’enquête initiale ouverte sur des violences qu’il aurait commises est classée sans suite en avril 2022 pour « infraction insuffisamment caractérisée ».

De son côté, Julien P. est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Rouen pour les violences commises et visibles sur la vidéo. Questionné par l’IGPN sur l’usage de la force, le fonctionnaire mis en cause indique n’avoir « aucun souvenir de cette interpellation ». « C’était il y a un an. Nous faisons des manifestations quasiment tous les jours », justifie-t-il sans s’expliquer sur les coups portés.

Chloé Chalot, l’avocate de Rudy F., s’étonne aujourd’hui que Julien P. ne soit pas inquiété pour faux, un crime lorsque l’infraction est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique. Comme raconté plus haut, le policier soupçonné de violences, a, lors du PV de mise à disposition et lors de son dépôt de plainte, fait état de violences qui se sont révélées inexistantes. Entendu par l’IGPN, le fonctionnaire explique, plusieurs mois après la manifestation, ne pas se souvenir « d’avoir reçu de coups ». « J’ai déposé plainte en mon nom mais je ne comprends pas trop le truc »

Contacté pour s’exprimer sur la possible commission de faux par Julien P. et le fait qu’il ne soit pas poursuivi pour ce fait, le procureur de la République de Rouen n’a pas donné suite.
Questionné pour savoir si le policier avait été sanctionné dans l’attente de son procès, le service de communication de la police nationale n’est pas revenu vers nous avant la mise en ligne de cet article.

Permalink