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Contre Elon Musk, des as dans la Manche

dimanche 7 août 2022 à 10:47

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L’homme le plus riche du monde ambitionne de créer un internet mondial via des dizaines de milliers de satellites parcourant le ciel. Mais son projet a butté sur un obstacle inattendu : l’opposition d’une commune de 368 habitant·es.

Elon Musk n’est donc pas tout à fait le maître du monde. C’est ce que nous rappelle un petit groupe de personnes installées dans la Manche, à Saint-Senier-de-Beuvron, patelin de moins de 400 âmes qui a tenu tête à l’homme le plus riche de la planète.
Le projet mené par le patron de SpaceX semblait pourtant hors de portée de toute résistance. C’est que notre bonhomme ne manque pas d’ambition : il entend équiper la terre d’un réseau internet « sans fil » haut débit, disponible partout tout le temps. Comment ?
À l’aide de 42 000 satellites placés en orbite basse, à environ 550 km au-dessus de nos pieds. 1 300 engins sillonnent déjà le ciel – au grand dam des astronomes qui voient désormais passer devant les bonnes vieilles constellations des « trains de satellites » lumineux. Ceux-ci balancent des ondes à hautes fréquences (entre 19 et 30 GHz) pour relier la moindre parcelle du globe au grand réseau. Celui qui colonise et privatise ainsi l’espace est-il devenu fou ? Le prénom donné à son dernier enfant, X Æ A-XII, semble confirmer que le type a lâché la rampe.
Pourtant, les pouvoirs publics ne souhaitent apparemment pas freiner sa mégalomanie. En France, à travers des décisions prises en 2020 et 2021, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques) l’a autorisé à utiliser plusieurs bandes de fréquences, pour arroser le pays d’ondes, mais aussi pour permettre la communication entre les satellites et les relais terrestres. Car les joujoux spatiaux d’Elon Musk ont besoin du réseau filaire terrestre pour fonctionner : c’est grâce à la fibre optique qu’ils peuvent se connecter aux data centers du monde entier.

Après Saint-Senier, Gravelines

Voilà ce qui nous ramène sur Terre, à Saint-Senier-de-Beuvron, dans le jardin d’Anne-Laure et Dimitri. Ce jeune couple vit ici depuis 2007 en compagnie de quelques poules, deux ânes, un chien, un paon et deux marmots. Après quinze ans à se péter le dos pour rénover la baraque, cette joyeuse petite bande apprend, fin 2021, qu’un Dossier d’information mairie (Dim) a été déposé dans le cadre d’une construction sur le terrain qui jouxte leur clôture.

Anne-Laure et Dimitri

« Ils l’ont déposé en octobre, ils se voyaient commencer les travaux en novembre »
« Ils arrivaient chez les péquenauds, se croyaient en terrain conquis »

Les deux se renseignent, bossent jour et nuit : « On ne dormait plus. » Ils comprennent que la société française en charge du projet, Sipartech, travaille pour Starlink, le fameux projet d’internet « spatial », et envisage d’implanter neuf antennes paraboliques, des boules blanches de plus deux mètres de diamètre, qui doivent faire le lien entre les data centers et les satellites, via la fibre optique. Pourquoi ici précisément ? « Nous nous trouvons le long de l’autoroute de la fibre, qui arrive du Nord, passe par Paris et descend jusqu’à Bordeaux », éclaire Dimitri. Le long de cette autoroute, Starlink a prévu l’implantation d’au moins trois relais terrestres : à Gravelines (Nord), à Villenave d’Ornon (Gironde), et à Saint-Senier-de-Beuvron, donc…
Le couple se retrouve à « examiner des problématiques mondiales liées à notre consommation et au respect de notre environnement ». Ils informent le conseil municipal et précisent que, suite à leur enquête, ils regardent :

« bien plus loin que le bout de [leur] jardin et l’impact visuel que cela engendrerait. Nous avons pris conscience que dire oui à ce projet, serait dire oui aux technologies extravagantes sans justification pour satisfaire le besoin à outrance de connexions internet tout en nuisant considérablement à notre planète ».

Le village se mobilise et la municipalité décide de s’opposer officiellement à la construction. Face à la fronde, Starlink aurait choisi d’abandonner son projet dans le village. « On n’a plus de nouvelles, mais on reste vigilants », indique Dimitri, d’autant que d’autres projets d’internet satellitaire se lancent, dont un mené par l’Union européenne.
En attendant, ils soufflent, et observent que les déboires se multiplient pour Starlink : suite à une action devant le Conseil d’État menée par les associations Agir pour l’environnement et Priartem, la décision de l’Arcep attribuant les fréquences au projet a été cassée. Et la ville de Gravelines a, à son tour, décidé de s’opposer à l’implantation de relais terrestres sur son territoire.
Allez, Elon, ne pleure pas, abandonne tes milliards, tes berlines électriques et tes satellites, donne un vrai prénom à ton fils et passe boire un verre chez Anne-Laure et Dimitri. Si t’es pas trop pénible, ils te feront peut-être découvrir un système (très) low-tech qui relie mieux les humains que toutes les connexions internet du monde : le barbecue.

Nicolas Bérard»
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