PROJET AUTOBLOG


Blog d'un condamné

Archivé

Site original : Blog d'un condamné

⇐ retour index

J-21

mercredi 12 juin 2013 à 13:18

J’ai toujours été très curieux. Mon ami G., optimiste notoire, m’a téléphoné ce matin. Voyons le bon côté, m’a-t-il dit, au moins tu découvriras ce qu’il y a après.

Dans ces moments, j’envie les croyants. Car pour moi, il n’y a pas d’après.

J’ai du mal à comprendre comment, à notre époque, on peut encore espérer survivre à son propre corps. Comment on peut prêter foi aux histoires fantastiques, aux aberrants contes enfantins . Quelle prétention, quelle fatuité que de se considérer supérieur à un amas de cellules organiques. Comme si l’univers était à notre service, comme si les étoiles s’alignaient pour tenir compte de notre personne. L’immortalité de l’âme ? Mais c’est du géocentrisme suranné, du mesquin nombrilisme. Galilée s’étonna de la virulence du Vatican à l’égard de l’héliocentrisme mais remettez la terre à sa place et, aussitôt, les mythologies, les superstitions, les religions s’effondrent. L’homme n’est qu’une poussière d’univers, un rien, un atome de vide à peine différentiable d’un pissenlit, d’un caillou ou d’un souffle de vent. Mais mon incommensurable petitesse ne m’empêche pas d’admirer, de m’émerveiller de ma présence au sein d’une perpétuelle et inénarrable cosmogonie.

Le sens de la vie ? Il est simple : survivre assez longtemps pour se reproduire et amener sa progéniture à l’âge de la fertilité. Une fois cela accompli, à moins de démontrer notre utilité, nous sommes un fardeau pour la société, un consommateur éhonté de ressources. Mais, face à cette démonstration de l’intelligence, un instinct animal me pousse malgré tout à lutter, à ne pas accepter la résignation. Je veux, une fois encore, admirer les étoiles. Une fois encore, voir le soleil se lever. Une fois encore…

Nous ne sommes que les véhicules de nos gênes, esclaves de leur survivance. Comme une cellule, une peau morte, nous accomplissons notre tâche avant d’être éjecté du corps de la vie. Au fond, je ne suis qu’un anecdotique squame. Je transmets mes gênes, je me détache et je pourris.

La conscience ? Ce n’est jamais qu’un sous produit de l’évolution, une conséquence sans plus de signification que le fait d’avoir deux jambes ou cinq doigts. Je pense donc je suis ? La belle affaire ! Tu crois penser, tu crois être, tout cela n’est qu’une illusion pour susciter en toi la volonté de te battre, de lutter pour survivre. Cette conscience nous a procuré un avantage évolutif à un moment de notre histoire et, tel l’appendice iléo-cæcal, nous est laissée en souvenir. Comme les cinq doigts, les cheveux, les ongles, les amygdales…

Si je suis une cellule, l’histoire de la vie en est encore à ses balbutiements. Les premières civilisations, les nations, les pays sont les premières ébauches d’organismes pluricellulaires.

Et si nous étions les témoins privilégiés de l’apparition du premier métazoaire ? La conquête spatiale serait notre mobilité. Internet l’ébauche d’un système nerveux. N’est-ce pas fantastique ? Une conscience globale va-t-elle émerger ?

Au sein de ce chaos anarchique, les cellules arriveront à outrepasser leur tendance naturelle à la destruction mutuelle, la vie évoluera, un être nouveau apparaîtra : l’humanité. Nous, pauvres molécules, resterons probablement dans l’ombre de notre ébauche de conscience. Cette pellicule qui tombe sur mon clavier a-t-elle la sensation d’avoir appartenu à un tout plus grand ?

De ce point de vue, les guerres, les famines, les attentats ne seraient que de minuscules drames : un globule détruit un microbe, une cellule phagocyte une autre. Rien de bien dramatique. L’histoire de la vie, c’est avant tout celle de la mort.

C’est la vie qui crée la mort. Et, paradoxalement, sans la mort, serions nous en train de vivre ? Cette douleur lancinante qui me vrille le crâne n’est-elle pas la preuve que je suis en vie ? Cette effroyable échéance ne marque-t-elle pas ma véritable naissance, ma conscience d’exister ?

Heureusement, ces pensées me sont venues après que G. ait raccroché. Dans le cas contraire, il se serait probablement tapé la tempe de l’index en soupirant. Peut-être avec raison. La conscience n’est-elle pas une folie ?

À demain…