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Jour 4

mardi 10 janvier 2017 à 20:33

Hier soir, ma femme et moi nous sommes endormis l’un contre l’autre, nos corps nus enlacés. Je me sentais confiant, heureux. J’ai dormi comme un nouveau né.

Et puis, ce matin, alors que je regardais par la fenêtre, je me suis mis à pleurer. À chaudes larmes, sans pouvoir m’arrêter. Je ne sais même pas pourquoi.

Au cours de la journée, j’ai vu plusieurs fois ma main trembler. Je n’arrivais pas à saisir certains objets et cela m’enrageait. J’ai hurlé. Mon second fils a pris congé pour venir me voir cet après-midi. J’ai été odieux avec lui. Cela ne me ressemble pas. Est-ce la maladie ? Une forme de dépression pre-morten ? La post-mortem étant, bien entendu, rarissime.  

Mon fils m’a calmé. Il te reste approximativement 30 jours, m’a-t-il dit. À moi il me reste à tout casser 30.000. Certainement moins, plus proche de 20.000. Quelle différence ?

Il vient de partir. Il a des obligations, la vie continue. Mais je dois avouer qu’il avait raison. Quelle différence ?

Nous vivons tous comme si la vie était infinie, comme si résoudre les petits tracas devait être notre priorité. Nous épargnons toute notre vie afin d’avoir la garantie de mourir sur un compte en banque bien fourni. À toi qui me lit, improbable lecteur, combien de jours te reste-t-il ? Oserais-tu regarder un ami dans les yeux et lui dire ce nombre ? Il te semblera si ridiculement petit. Si fragile. À peine moins inquiétant que trente…

Combien de personnes se lamentent sur mon sort en ce moment sans savoir qu’elles mourront avant moi. Un accident de voiture, une crise cardiaque, une tuile qui se détache du toit. La vie est fragile, ironique. Vous aviez dit 10.000 jours ? En vérité, ce sera deux ou trois.

Mais, contrairement à moi, ils vivent, insouciants. Connaître l’heure de sa mort, n’est-il pas plus grande malédiction ? C’est pratique, certes, mais cela rend fou. Suis-je en train de sombrer ? Dois-je arrêter de penser ?

Il me semble avoir lu un jour une nouvelle « L’homme qui connaissait le lieu et l’heure ». Elle doit être quelque part dans ma bibliothèque mais je suis incapable de me souvenir de l’auteur.

J’effleure du regard tous ces volumes poussiéreux. La plupart n’ont pas été ouverts depuis une décennie mais je me targue d’en avoir lu, au moins une fois, la grande majorité.

Je soupire : « J’en ai vécu des vies grâce à vous. » Je prends un volume au hasard, je l’ouvre et enfuis mon nez dans la reliure. L’odeur du vieux livre, un de mes petits plaisirs secrets.  

Comme un junkie satisfait, je remets l’ouvrage en place et m’essuie la moustache d’un revers. Le livre électronique, très peu pour moi !

Qu’ai-je fait aujourd’hui ? Rien. Rien. Je laisse le temps filer et je suis en colère. Je me morfonds, j’abandonne. Je procrastine entre deux papiers d’assurances et une promenade au jardin. Est-ce ainsi que j’imaginais la vie à cent à l’heure ? Promis, demain je me reprends en main. Demain.

À demain…