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J-26

mardi 10 janvier 2017 à 20:34

J’ai relu mes billets précédents. Une particularité me saute aux yeux : je ne cesse de me référer au chiffre trente.

Il me reste trente jours. Trente jours ! Ce n’est plus vrai ! Il n’en reste que vingt-six. Comme si, inconsciemment, j’avais voulu bloquer l’écoulement du temps.

Dans les films américains, quelle que soit la menace, il s’avère toujours un scientifique pour construire un compte à rebours précis à la seconde. Je m’amuse de voir un personnage dire « Le météorite touchera la terre dans approximativement une semaine » pour qu’un autre enclenche un compteur, placé à portée de main par un scénariste attentionné, égrainant 6 jours, 23 heures, 59 minutes et 59 secondes, nonobstant l’approximation initiale.

Au fond, je ne fais rien d’autre. Plutôt que jour 5, je vais intituler ce billet J-26.

Quels furent les mots exacts du médecin ? 5% de chances de vivre au delà d’un mois ? Je ne sais plus. Je me suis accroché à cette estimation alors que je peux mourir demain. Ou dans soixante jours. Ou dans un an. De plus, le docteur m’a prévenu que vivre médicalement ne signifiait pas nécessairement être conscient. Que mon état risquait de se dégrader. Cela me fait peur, peut-être plus que la mort.

J’ai demandé à ne recevoir aucun acharnement thérapeutique et j’ai exprimé mon accord préalable pour l’euthanasie, un concept que j’ai toujours soutenu.

Cela me semblait abstrait mais c’est demain. Aurais-je le courage de mes convictions ?

Chaque soir, je me demande si je sentirai encore le soleil sur ma peau. Chaque matin, si j’ai dit adieu aux étoiles. J’aime le soleil. J’aime les étoiles. Cela va être difficile de choisir entre mourir de jour ou de nuit. Par pitié, faites au moins que je meure dehors en regardant le ciel et pas le néon blafard d’une chambre d’hôpital.

Je réalise à l’instant que je ne connaîtrai pas 2014. J’ai vécu mon dernier nouvel an. J’ai vécu mon dernier hiver. Je ne verrai plus jamais la neige. Ni la mer. Mon dernier septembre, mon dernier décembre, mon dernier mars, mon dernier anniversaire. Dernier, dernier… Tout cela, je l’ai déjà vécu. C’est fini.

Pour la majorité de mes amis et de mes connaissances, je les ai, sans le savoir, déjà vu pour la dernière fois. Je reste discret par rapport à mon sort. Je ne souhaite pas passer mes derniers instants en mondanités ou en apitoiements. Si vous n’avez pas été prévenu, ne soyez pas vexé. Si vous me reconnaissez sur ce blog, gardez le secret !

Alors que, sur Facebook, j’observe une pléthore de « vive le week-end », je réalise que nous avons tous des amis que nous avons vu pour la dernière fois il y a un, cinq ou dix ans. Que nous ne verrons plus jamais sauf improbable hasard de la vie. Parce qu’il habite loin, en Chine ou à quelques pâtés de maisons. Et pourtant, d’après la nomenclature Facebookienne, nous sommes amis.

Mais un ami, ce n’est pas quelqu’un qu’on voit, qu’on doit voir. Un ami c’est quelqu’un qu’on ne voit pas pendant dix ans mais, à chaque rencontre, on s’est vu hier, on se verra demain. On se tape dans le bide avec un sourire en se disant qu’on a grossi. On parle du futur plus que du passé. Parfois, on ne dit rien, on savoure l’instant. On se dit au revoir, confiant. On est amis.

Adieux mes amis. À ceux que je n’ai pas vu, à ceux que je vois ces jours-ci mais qui ne savent pas : ne m’en voulez pas et ayez une petite pensée pour moi. Que mon enterrement soit une excuse pour vous retrouver et déguster une bonne bouteille. Comme moi, savourez un bon vin, le soleil et le chant des oiseaux. Soyez heureux comme je le suis en ce moment. Cela me donnera l’illusion de ne pas être mort tout à fait.

À demain…