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Shaarli - Les discussions de Shaarli

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Site original : Shaarli - Les discussions de Shaarli du 23/07/2013

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On n'en a pas fini avec Eddy Bellegueule - La vie est mal configurée

vendredi 21 mars 2014 à 13:51
Valentin Champer, le 21/03/2014 à 13:51
« Surtout, et j'avoue que c'est pour moi ce qui a été le plus pénible, cette réalité des familles ouvrières des petites villes de province dépendant d'une industrie périclitante et entourées d'agriculture — la télévision allumée du matin au soir, les femmes qui se plaignent de ne pas avoir pu faire d'études et de leurs espoirs perdus, les hommes qui évoquent avec dérision les « lopettes », les ouvriers au corps bousillé, l'alcoolisme, les horizons bouchés, la « grande ville » à 50 ou 100 km perçue comme un autre monde lointain, les rumeurs sur les mauvais traitements et la délinquance dans telle ou telle famille —, je l'ai un peu connue, de même que j'ai un peu connu les petites frappes de collège, parquées sur des voies de garage ou destinées à y être, et qui brutalisaient ceux qu'ils considèrent comme trop « intellos ».

[…]

Enfin, à quel public est-il destiné ? Tout auteur qui aspire à être lu, que ce soit un romancier ou un scientifique, essaye d'établir une certaine connivence avec son lecteur. Ici, on trouvera quelques références laudatives au corps enseignant (qui pousse le narrateur à faire du théâtre et à poursuivre des études), quelques réflexions sociologisantes : on a l'impression d'un ouvrage écrit pour de (futurs) étudiants en lettres ou sciences sociales — ce milieu petit-bourgeois pour accéder auquel le narrateur a tant dû lutter, et dont les membres, malgré leurs bonnes intentions gauchisantes, n'ont pas forcément la connaissance de la vie réelle des couches populaires. Rien de tel, en effet, que l'École normale supérieure (où l'auteur a fini par parvenir à être étudiant, sans toutefois être normalien) pour voir des fils et filles de professeurs d'université ou de directeurs de recherche au CNRS discourir sur la condition ouvrière. On ne peut ici pas écarter, hélas, un certain voyeurisme de leur part... et peut-être une certaine anticipation de celui-ci de la part de l'auteur.

Que des journalistes croient bon de signaler comme particulièrement significatives et brutales des répliques comme « Mais tu fous quoi de tes journées si t'as pas la télé » nous dit en fait plus sur les journalistes culturels et leur décalage avec la population française moyenne que sur l'ouvrage qu'ils critiquent ; qu'ils prennent la peine de dire, gravement, que ce n'est pas « un sketch des Deschiens » mais la vraie vie montre bien qu'ils ignorent ce qu'est celle-ci. J'ai envie de conseiller à tout ce beau monde de parler un peu avec le personnel de ménage de leurs bureaux, par exemple, pour savoir ce que c'est que de faire vivre toute une famille sur un petit salaire et dans un petit appartement... »
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