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Site original : Shaarli - Les discussions de Shaarli du 23/07/2013

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Loi renseignement: ce que le Conseil constitutionnel pourrait retoquer

lundi 29 juin 2015 à 17:18

« Pour espérer faire tomber des pans entiers de la loi, les signataires invoquent "l'incompétence négative du législateur". Cette notion de droit constitutionnel consiste à la méconnaissance, par le législateur, des limites de ses pouvoirs.

La saisine attaque notamment l'imprécision des motifs de surveillance et la largeur des prérogatives du Premier ministre. Afin de protéger les citoyens, la loi exige que chaque enquête administrative soit motivée par des motifs précis, au nombre de neuf. Mais certains d'entre eux restent mal définis aux yeux des opposants.

Les motifs visés sont notamment ceux de la "protection des intérêts essentiels de la politique étrangère", des "intérêts économiques et industriels de la France", ou de "la prévention des violences collectives". D'autant plus que ces termes ne sont pas non plus définis dans la Constitution.

[...]

Flou, toujours, sur le fonctionnement des dispositifs de surveillance, comme les fameuses boîtes noires destinées à être installées chez les opérateurs téléphoniques, pour "scanner" l'ensemble des communications et extraire à l'aide d'algorithmes des comportements "suspects".

Imprécision, enfin, sur les métadonnées. La dernière fois que le Conseil constitutionnel a légiféré sur les métadonnées, c'était en 2006. Autrement dit, l'âge de pierre du numérique, où seule une minorité de la population détenait des smartphones (des Blackberry) et où la plupart des réseaux sociaux actuels n'étaient pas encore nés.

   "Le Conseil Constitutionnel doit déterminer si la collecte et la conservation massive des métadonnées, dans le contexte actuel où la quasi-totalité de la population a accès à Internet, ne relève pas d'une atteinte à la vie privée", explique à La Tribune Benjamin Bayart, le président de la fédération French Data Network et fin connaisseur des arcanes de la législation française et européenne.

[...]

Les Sages devront aussi se pencher sur la conformité de la loi Renseignement avec le principe de proportionnalité, c'est-à-dire l'adéquation des moyens avec le but recherché. Concrètement, c'est l'étendue des techniques du renseignement qui pose ici problème.

Par exemple, la loi permet aux agents d'utiliser des Imsi-catchers, ces instruments d'interception des communications qui imitent le fonctionnement d'une antenne-relais et forcent tous les téléphones mobiles de la zone à s'y connecter. "Pour surveiller un seul téléphone, les Imsi-catchers vont aspirer les métadonnées de plusieurs centaines ou milliers d'individus si la personne ciblée se trouve dans une zone densément fréquentée" relève Laure de la Raudière.

Le traitement "deux poids deux mesures" réservé aux données chiffrées pourrait également tomber sous le coup du principe de proportionnalité.

   "La loi précise que les données chiffrées, par exemple de quelqu'un qui se connecterait depuis un VPN ou qui utiliserait un réseau social éthique, peuvent être conservées pendant six ans, car les services de renseignement considèrent que le chiffrement est une attitude suspecte. Pour les données non-chiffrées, c'est seulement 30 jours ! La disproportion est énorme", plaide Benjamin Bayart.

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Le texte donne-t-il des pouvoirs exorbitants au Premier ministre et à l'exécutif, et néglige-t-il le pouvoir judiciaire, indispensable à l'équilibre démocratique ? Les Sages devront trancher.

   "Actuellement, dans le cadre d'une enquête judiciaire, on ne peut mener une surveillance qu'avec l'aval d'un juge. Demain, l'exécutif pourra invoquer un motif flou de prévention pour lancer une opération, sans avoir besoin de la validation d'une autorité judiciaire indépendante", déplore Benjamin Bayart.

Enfin, si le texte de loi n'oublie pas de créer un organe de contrôle, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), son rôle uniquement consultatif pose problème. "La CNCTR devrait avoir un pouvoir d'autorisation des procédures de surveillance et la capacité de saisir un juge en cas d'abus" estime Laure de la Raudière.

[...]

A moins que le gouvernement ne réduise les délais en imposant un examen accéléré en 8 jours, les Sages auront 30 jours pour supprimer ou valider les points soumis à leur contrôle.

Quel accueil réserveront-ils à cette saisine ? Le texte pourrait très bien de pas bouger si le Conseil Constitutionnel estime que la loi répond à son objectif initial : légaliser et étendre les pratiques du renseignement tout en protégeant les libertés individuelles. Le dossier étant éminemment politique et extrêmement sensible, la probabilité de voir le Conseil constitutionnel vider la loi de sa substance est plutôt faible, de l'avis même de certains opposants.

De plus, les Sages devraient être sensibles au fait que les dispositions de contrôle aient été renforcées entre le premier vote à l'Assemblée, début mai, et l'adoption définitive de la loi. "Même s'ils trouvent que l'encadrement de la surveillance est faible ou que les dispositifs sont trop intrusifs, ils pourraient ne pas toucher au texte sous prétexte que cet encadrement existe quand même", estime un fin connaisseur du Conseil constitutionnel. Autre possibilité : ils pourraient valider les dispositions les plus polémiques tout en y ajoutant leur propre interprétation.

Enfin, ils pourraient aussi retoquer des pans entiers de la loi, ce qui représenterait un revers monumental pour le gouvernement. Dans ce cas, l'exécutif aurait un an, s'il le souhaite, pour modifier le texte. »
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