Lettre ouverte aux membres du Conseil constitutionnel
mardi 21 juillet 2015 à 17:30CAFAI Liens en Vrac 21/07/2015
Des chercheurs et universitaires français, américains, britanniques et belges s'expriment contre la Loi sur le renseignement en invitant les membres du Conseil constitutionnel à mesurer ses conséquences éthiques et politiques. « Quelles mises en question des ordres institués (dont la possibilité même nourrit l’avenir démocratique), quels « commencements » seront encore possibles dans une société où les citoyens se sauraient constamment épiés ? Quels équilibres psychiques et sociaux se dégageront de logiques policières et sécuritaires exacerbées ? »
Nous sommes pleinement conscients des menaces que les nouvelles formes de terrorisme font peser sur nos espaces démocratiques. La loi relative au renseignement adoptée récemment par le Parlement français entend être la réponse la plus appropriée à ces menaces. Nous nous inquiétons toutefois très vivement d’un certain nombre de points inhérents à cette loi qui touchent non seulement au respect des libertés individuelles mais au sens que nous entendons conférer à la construction du vivre ensemble. Dans la loi en question un régime d’exception se profile assez nettement. Ce régime vise en effet à légaliser des moyens exceptionnels de surveillance en les faisant accepter par l’opinion publique en rendant de ce fait acceptable la possibilité de capturer toutes les données personnelles des citoyens en instaurant par là un régime de suspicion généralisée. La confiance qui est pourtant une dimension essentielle à toute coexistence à tout échange se verrait de la sorte explicitement bafouée. Le régime dominant serait celui d’une défiance qui ne serait plus simplement destinée à lutter contre le terrorisme puisqu’il s’agit – selon le texte de la loi – de prévenir « des atteintes à la forme républicaine des institutions » ou des « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Les critères de dangerosité s’étendent ici au point de devenir très flous en créant un risque de grave confusion entre d’éventuelles actions terroristes et des actes de dissidence voire de militantisme. Surtout à partir de quels principes et de quelles valeurs ces critères seront-ils forgés ? Quelles garanties aurons-nous dans le long terme à cet égard ? [...] De plus ce projet de loi nous apparaît exemplaire comme l’exprime si justement la chercheure belge Antoinette Rouvroy d’un « fantasme de maîtrise de la potentialité ». Le gouvernement pourra demander aux opérateurs téléphoniques et aux fournisseurs d’accès internet de mettre en place un algorithme capable de déceler «une menace terroriste» en fonction d’une suite de mots-clés tapés ou de sites consultés. Ce qui ressort dans la mise en place de ces dispositifs est une vision de l’homme qui serait désormais prédictible ou qui pourrait être technologiquement « sous contrôle ». Or une telle appréhension du « fait humain » est éminemment contestable voire naïve dans la mesure où il peut y avoir quelque chose de formellement indétectable (sur la base de métadonnées) dans la préparation d’un acte terroriste. [...] Hannah Arendt exprimait très bien de semblables inquiétudes par ces mots : « Ce n’est que lorsqu’on dérobe aux nouveaux venus leur spontanéité leur droit de commencer quelque chose de nouveau que le cours du monde peut être déterminé et prévu » [...] Il convient enfin de réaliser à quel point l’instauration de dispositifs technologiques tels que ceux engagés dans cette loi pourrait avoir des impacts irréversibles pour l’avenir de nos équilibres sociaux psychiques et démocratiques.
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Nous sommes pleinement conscients des menaces que les nouvelles formes de terrorisme font peser sur nos espaces démocratiques. La loi relative au renseignement adoptée récemment par le Parlement français entend être la réponse la plus appropriée à ces menaces. Nous nous inquiétons toutefois très vivement d’un certain nombre de points inhérents à cette loi qui touchent non seulement au respect des libertés individuelles mais au sens que nous entendons conférer à la construction du vivre ensemble. Dans la loi en question un régime d’exception se profile assez nettement. Ce régime vise en effet à légaliser des moyens exceptionnels de surveillance en les faisant accepter par l’opinion publique en rendant de ce fait acceptable la possibilité de capturer toutes les données personnelles des citoyens en instaurant par là un régime de suspicion généralisée. La confiance qui est pourtant une dimension essentielle à toute coexistence à tout échange se verrait de la sorte explicitement bafouée. Le régime dominant serait celui d’une défiance qui ne serait plus simplement destinée à lutter contre le terrorisme puisqu’il s’agit – selon le texte de la loi – de prévenir « des atteintes à la forme républicaine des institutions » ou des « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». Les critères de dangerosité s’étendent ici au point de devenir très flous en créant un risque de grave confusion entre d’éventuelles actions terroristes et des actes de dissidence voire de militantisme. Surtout à partir de quels principes et de quelles valeurs ces critères seront-ils forgés ? Quelles garanties aurons-nous dans le long terme à cet égard ? [...] De plus ce projet de loi nous apparaît exemplaire comme l’exprime si justement la chercheure belge Antoinette Rouvroy d’un « fantasme de maîtrise de la potentialité ». Le gouvernement pourra demander aux opérateurs téléphoniques et aux fournisseurs d’accès internet de mettre en place un algorithme capable de déceler «une menace terroriste» en fonction d’une suite de mots-clés tapés ou de sites consultés. Ce qui ressort dans la mise en place de ces dispositifs est une vision de l’homme qui serait désormais prédictible ou qui pourrait être technologiquement « sous contrôle ». Or une telle appréhension du « fait humain » est éminemment contestable voire naïve dans la mesure où il peut y avoir quelque chose de formellement indétectable (sur la base de métadonnées) dans la préparation d’un acte terroriste. [...] Hannah Arendt exprimait très bien de semblables inquiétudes par ces mots : « Ce n’est que lorsqu’on dérobe aux nouveaux venus leur spontanéité leur droit de commencer quelque chose de nouveau que le cours du monde peut être déterminé et prévu » [...] Il convient enfin de réaliser à quel point l’instauration de dispositifs technologiques tels que ceux engagés dans cette loi pourrait avoir des impacts irréversibles pour l’avenir de nos équilibres sociaux psychiques et démocratiques.
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