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Shaarli - Les discussions de Shaarli

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Site original : Shaarli - Les discussions de Shaarli du 23/07/2013

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Je suis feuj, vous êtes relous. | Killyoh

vendredi 7 novembre 2014 à 15:14
Les Internets de MayaJ 07/11/2014
A conserver précieusement :

"Je suis juif depuis la naissance. Ma famille l’est sans doute depuis des siècles si ce n’est des millénaires si l’arbre généalogique n’a pas été écrit n’importe comment.

Je ne suis pas croyant, je n’ai pas mis les pieds dans une synagogue depuis quelques années, je participe aux traditions quand ça m’arrange et je suis très critique à l’égard d’Israël.

Pourtant je reste juif, c’est la culture et l’éducation que j’ai reçue.

J’ai découvert assez tard la judéophobie. Je viens d’une famille de classe moyenne inférieure, mes parents se sont barrés de Paris pour venir vivre à Bordeaux quand j’étais tout bébé et j’ai vécu mes premières années à la cité du Grand Parc, quartier moins favorisé et métissé. J’ai fait 13 ans d’école là bas, de la maternelle au collège, souvent dans des classes à majorité musulmane et pas une fois je n’ai reçu de moindre remarque ou blague stéréotypée vis à vis de ma judéité. Tout au plus des références à Rabbi Jacob ou des remarques d’enfants sur le conflit israëlo-palestinien. Ça me concernait au final assez peu.

Avant mes 14 ans révolus, je n’avais JAMAIS entendu la moindre blague sur les gros nez, l’argent des juifs et encore moins les délires conspirationnistes autour de ça, même en me baladant sur Internet. J’avais changé de cadre, ma mère s’était remariée et je suis allé vivre quelque temps dans une ville périphérique de Bordeaux, Langon, proche de la campagne. Les musulmans y étaient tellement minorité qu’ils subissaient des brimades, mon frère et moi étions manifestement les seuls gosses juifs des deux lycées et collèges.

Ça ne me dérangeait pas, j’étais à l’époque en plein rejet de ma religion, par opposition adolescente à ma mère et à tous les dimanche de Talmud Torah (l’équivalent du catéchisme chez les hébraïques) que je considérais comme une punition injuste.

Puis à partir de la 3ème, j’ai eu droit aux vannes sur les fours crématoires, le sac d’or autour du cou, la bouteille de Coca d’Hitler qui fait « juif » en l’ouvrant, l’oiseau qui fait « cuit cuit ». Oh je les connais vos vannes. Je m’en tape encore aujourd’hui à 22 ans. Les mêmes à chaque fois. Ça ne m’a jamais vraiment blessé ni choqué, je trouvais ça juste lourd. Je supportais au nom du second degré au début. Et puis la redondance m’a agacé. J’ai fini par me dire que ce n’était pas normal, je n’avais rien pour rire d’eux moi. Mais je n’étais toujours pas blessé.

Puis un jour est arrivé où, ne voulant plus me faire marcher sur les pieds à nouveau, j’ai refusé un service à quelqu’un. Ce n’est d’ordinaire jamais le cas, je me croyais généreux à l’époque mais avec le recul je ne savais juste pas refuser et j’ai encore du mal aujourd’hui. Bref, une fois le service refusé, j’ai eu droit à un sympathique « c’est bien les juifs ça ».

Ah.

La blague s’est transformée en acquis. J’ai refusé quelque chose : c’est parce que je suis un juif, un radin, un pingre.

Plus tard, ce sera une prof d’espagnole qui fera une remarque déplacée. Un ami, appelons-le Luigi (car tel était son nom) s’était ramené avec de la bouffe, qu’il bouffait pépère en cours. Plutôt que de le reprendre sur le fait que bouffer en classe est un peu inadapté pour suivre un cours, elle a plutôt sorti un très naturel « Eh bien alors Luigi, tu bouffes en juif? ». Je n’ai rien dit. Des camarades m’ont regardé en attendant une réaction mais je ne savais pas vraiment quoi dire. J’aurais sans doute du réagir, rien que pour le plaisir de remettre un prof à sa place, c’est un plaisir dont l’occasion se présente peu.

Toujours dans la même période, je fréquentais deux personnes qui vivaient non loin de chez moi, des amis qui m’hébergent parfois quand je retourne à Bordeaux. Légèrement babos et très porté sur le conspirationnisme. Ils m’invitaient souvent à leurs soirées. Un soir, alors qu’on était chez une amie à eux, un mec, un peu plus jeune que moi, commençait à énumérer tout un tas de conneries conspirationnistes, des illuminatis sur les billets aux théories sur le 11 Septembre. Je suis un peu défoncé, je n’ose pas trop dire à ce mec qu’il m’ennuyait et que j’aurais préféré qu’on parle d’un truc plus sympa comme de jeu vidéo, de baise ou de cinéma. Puis il vint me demander mon avis :

« Non mais quand même, il faudrait les arrêter ces gens, là, qui tirent les ficelles et contrôlent les médias

– Qui ça?

– Bah, les juifs.

– Tu sais que j’en suis un?

– Ah? Bah tu dois savoir alors! »

Je lui ai expliqué que si j’étais au courant, j’en aurais profité et que je serais pas encore à galérer à vivre seul avec 80€ de pension alimentaire par mois. Le complot judéo-maçonnique ne m’est franchement pas utile.

Je connaissais pas encore Alain Soral et ses potes à l’époque mais je voyais un peu leurs fans. Où on m’expliquait que Dieudonné n’était pas antisémite, juste antisioniste. Que je n’avais pas de recul sur la question quand je disais que si, ils étaient clairement judéophobes, quand bien même j’étais moi-même grand critique d’Israël et que j’ai eu, au Talmud Torah, des cours de sionisme remplis de conneries (Aparté: : je tiens pas à ce que cette info fasse du grain à moudre chez les soraliens et cie. Oui, il y a des cours de sionisme enseignés aux gosses dans les synagogues avec des cadeaux sympas à la clé genre à l’époque des Gamecube, PS2 ou Xbox. C’est regrettable mais Israël est assez indissociable du judaïsme dans les mentalités, c’est une chose « normale » dans la communauté. Ça ne l’est pas mais ce n’est certainement pas à des connards extérieurs de venir faire des leçons).

Aujourd’hui, je le ressens de manière moins prononcée, sans doute parce que j’ai atterri dans la vie professionnelle et que les blagues sur les juifs sortent probablement moins facilement qu’au lycée ou à la fac. Je me mange encore parfois des stéréotypes tout droit venus des séries américaines (South Park en tête), faisant référence plus à la culture ashkénaze ou hassidim alors que je suis séfarade, ce qui n’est pas du tout la même culture. Si vous vous intéressez un peu aux différences, globalement nous n’avons pas les mêmes plats, pas les mêmes chants, pas même la même façon de prier, la culture séfarade est emprunte de la culture maghrébine quand la culture ashkénaze est européenne (ce qui donne des noms comme Zuckerberg là où chez nous ce serait plutôt Ben Soussan ou Hanouna).

Il arrive cependant qu’en public, des amis lâchent dans une discussion avec des inconnus que je suis juif, ce qui ne me pose aucun problème.

Le problème, c’est quand cet inconnu-là va se permettre des blagues. À quel moment c’est décent de se lancer sur ça avec quelqu’un que tu ne connais pas? Au delà de l’ironie et du second degré qui est mentionné directement après avoir fait la blague, comme pour se justifier, ne pensez-vous pas que les blagues en question, je les entend maintenant en boucle depuis une dizaine d’années? Ce n’est pas parce que quelqu’un dit quelque chose de choquant ou soi-disant politiquement incorrect que ça en devient drôle et quand bien même ça le serait, on dirait que le tact est une notion oubliée.

Je tolère pourtant que mes amis proches en fassent, dans un cadre privé où je suis présent. Je les connais. Je connais le fond de leur pensée. Je sais où s’arrête la blague. Mais je ne cautionnerai pas s’ils en font ailleurs, s’ils répandent ces stéréotypes ou si même une autre personne juive est présente.

J’ai pas écrit ça pour chouiner, je voulais juste me plaindre d’un truc ancré dans les mentalités franchouillardes. J’en ai parlé à un pote un jour, il a dit que je faisais le même jeu que les autres et que je me victimisais, que je criais à la judéophobie pour rien. Il se reconnaîtra peut-être.

Qu’on se comprenne bien : je n’en ai pas vraiment « souffert », j’ai juste à le supporter. Supporter des blagues lourdes, des théories fumeuses énoncées comme des vérités, des préjugés sur mon attitude.

Je ne suis pas croyant.

Je ne suis pas sioniste.

Je ne suis pas toujours d’accord avec ma communauté.

Mais je suis juif."
(Permalink)

Choses vues, sur le web et ailleurs 07/11/2014
Merci à MayaJ (http://shaarli.fr/my/mayaj/?JPZR0A) pour cette trouvaille.
"Je lui ai expliqué que si j’étais au courant, j’en aurais profité et que je serais pas encore à galérer à vivre seul avec 80€ de pension alimentaire par mois. Le complot judéo-maçonnique ne m’est franchement pas utile."

"Qu’on se comprenne bien : je n’en ai pas vraiment « souffert », j’ai juste à le supporter. Supporter des blagues lourdes, des théories fumeuses énoncées comme des vérités, des préjugés sur mon attitude.
Je ne suis pas croyant.
Je ne suis pas sioniste.
Je ne suis pas toujours d’accord avec ma communauté."

"Je tolère pourtant que mes amis proches en fassent, dans un cadre privé où je suis présent. Je les connais. Je connais le fond de leur pensée. " >> On en revient toujours là ; Cf. ce qu'à longuement expliqué Kevin (à propos de Desproges le mal compris) : avec QUI on rit, et surtout d'où rit-on ?
(Permalink)