PROJET AUTOBLOG


Shaarli - Les discussions de Shaarli

Archivé

Site original : Shaarli - Les discussions de Shaarli du 23/07/2013

⇐ retour index

Henri Verdier Blog: Statactivistes ? Encore un effort pour être vraiment révolutionnaires

mercredi 30 septembre 2015 à 17:34
GuiGui's Show - Liens
« Il y a un lien intime entre la statistique et le pouvoir. Son nom même, forgé par l'économiste Allemand Gottfried Achenwall signifie "la science de l'homme d'Etat". Rassemblant dans ses indicateurs la multitude des hommes et les caprices de la nature, pour en faire émerger les constantes, les tendances et les directions, la statistique permet l'application de la raison aux phénomènes épars. elle permet l'anticipation, le jugement et la décision. La statistique est par essence l'outil du Souverain.

De ce fait même, elle est sans cesse menacée de petits arrangements, conscients et volontaires volontaires, à peine conscients (comme le flottement entre les plaintes et les main-courantes que l'on peut sentir dans tous les commissariats) ou même totalement inconscients (du fait tout simple que les grandeurs mesurées correspondant toujours à l'histoire politique et sociale du moment). C'est pourquoi d'ailleurs, dès son article 1er, la loi sur la statistique française proclame et organise l'indépendance de l'INSEE, indépendance encore renforcée par la  création de l'Autorité de la statistique publique dans la loi de 2008 sur la modernisation de l'économie.

Alors bien sûr les citoyens, les militants, les activistes ont raison de vouloir savoir comment sont faites ces statistiques, de vouloir comprendre qui les juge et qui les utilise. Et ils ont raison de vouloir traduire leurs propres points de vues sur le réel dans des statistiques alternatives, plus à même de décrire ces points de vue alternatifs.
Mais il me semble que cette contestation là risque de manquer l'essentiel de ce qui change aujourd'hui avec la multiplication des données numériques et des manières de les utiliser.

Car au fond, la contre-statistique, c'est toujours une statistique. C'est-à-dire une manière de construire un savoir surplombant sur le réel, une synthèse qui permet de l'embrasser et de le manier, un instrument pour le Souverain. Or, la construction de ce type de point de vue n'épuise pas, loin s'en faut, tout ce qu'il est possible de faire avec les données.

Je voudrais partager avec vous quatre exemples d'autres manières d'utiliser les données de l'Etat, en espérant qu'elles inspireront de nouvelles formes d'engagement.

[...]


OpenFisca, c'est la loi de finance traduite en moteur informatique.
Ici, la donnée en tant que telle comprendrait des centaines de pages et serait très difficile à manier. En revanche, le système socio-fiscal, traduit en moteur informatique, accessible au développeurs d'applications web, devient un outil à la fois personnel (permettant de simuler sa propre feuille d'impôts), un outil de test de réformes fiscales annoncées ou envisageables, un outil de simulation capable d'importer un million de cas-types et donc de mesurer les effets de bord de l'impôt (comme ce travail réalisé au cours du hackathon OpenFisca pour analyser les effets de la conjugalisation de l'impôt en fonction des revenus des deux membres du couple), mais surtout une ressource pour développer de nombreuses applications.
Ainsi, c'est grâce à cette mise en code du droit qu'il a pris toute sa valeur, d'innovation, permettant notamment le développement de ce magnifique service qu'est Mes-aides, qui permet à chaque citoyen de venir vérifier l'ensemble de ses droits. C'est la mise en code de cette donnée qui a permis tous les projets prometteurs nés dans les hackathons : le debogueur en ligne, le comparateur d'impôt, la visualisation de l'interdépendance des formules, etc.

[...]

Rendre la donnée vivante, accessible, maniable est une autre forme d'activisme, au moins aussi prometteuse que la construction d'autres statistiques.

[...]

Une deuxième forme de subversion de la dictature des statistiques consiste à déplacer le lieu du savoir. Agrégée, la donnée est par essence l'outil de celui qui prend des décisions globales : elle sert la pointe de la pyramide. Répartie sur ceux qui en ont besoin, elle devient un outil d'empowerment. Il y a des dizaines d'exemples de savoirs qui, au lieu d'être agrégés, sont présentés de sorte de servir la décision locale. On me parlait ainsi récemment d'un logiciel d'aide à la prescription médicale (comme le logiciel développé pour les médecins par Bilog à partir de la base Thériaque). Il y a aussi ce projet en cours d'étude chez Pôle emploi : les statistiques du chômage et du retour à l'emploi peuvent nourrir la décision macro-économique, voire les décisions d'organisation et de gestion de Pôle emploi. Mais elles pourraient aussi être codées de manière à permettre à chaque demanderu d'emploi d'évaluer ses options personnelles : "si je cherche le même poste, j'attendrai en moyenne 16 mois", "si j'accepte de déménager, j'attendrai en moyenne 12 mois", si j'accepte de changer de secteur, ce sera probablement 14 mois"... On sort ainsi de la statistique traditionnelle pour donner à chacun une espérance de résultat, et surtout pour nourrir sa décision individuelle...

Assumer, tout simplement, que les données doivent revenir à la base et éclairer la décision quotidienne de ceux qui travaillent, et les dispenser ainsi d'attendre la décision de leur chaîne de commandement est une autre forme de détournement des outils statistiques, dont les conséquences sont innombrables.

[...]

Or, avec l'invasion du numérique, avec la masse de savoirs désormais accessibles, avec les technologies et les méthodes développées pour le big data, on apprend de plus en plus à agir dans un monde incertain, en fondant la décision sur des indices, des présomptions, des probabilités. Quand Michël Flowers développe, pour la ville de New-York, des algorithmes qui permettent de mieux cibler les contrôles sanitaires, les patrouilles de police ou la recherche des pharmacies impliquées dans la fraude au médicament, il n'a pas besoin de théorie scientifique de la fraude. Il repère des corrélations, il envoie les patrouilles, il mesure le nouvel impact, il corrige si nécessaire. Il utilise les statistiques pour engager une démarche de test and learn et pour construire un système dynamique. Un système apprenant.

J'ai la conviction qu'il y a plus d'innovation, plus de disruption, plus de subversion en changeant la manière d'utiliser les données - en changeant les questions que l'on pose aux données - qu'en changeant les données elles-mêmes. »

Intéressant. Il s'agit du blog d'Henri Verdier, l'homme à la tête de la nouvelle Direction interministérielle du numérique (DINSIC) qui regroupe l’ancienne DISIC ainsi que la mission Etalab.
(Permalink)