PROJET AUTOBLOG


Shaarli - Les discussions de Shaarli

Archivé

Site original : Shaarli - Les discussions de Shaarli du 23/07/2013

⇐ retour index

De l’action par mauvais temps – Communs / Commons

lundi 9 novembre 2015 à 14:34
GuiGui's Show - Liens
« Mais au bout du compte le catastrophisme prive chacun de l’essentiel, la capacité à construire le futur avec les autres. En entendant sans fin répéter que le mérite essentiel de la construction européenne était de nous avoir évité la guerre, je me suis depuis longtemps dit, outre qu’elle ne l’a pas évitée à tout le monde, qu’en pensant l’Europe sur ce seul registre, on finirait par la produire la guerre, à ses confins et dans son territoire et plus encore entre les chacuns qui la composent, simplement parce qu’on aurait découragé les efforts de lui donner un autre contenu.

[...]

Il fait mauvais temps. Là où ne règnent pas les dictatures et le totalitarisme, nous vivons en régime d’oligarchies post-démocratiques. Oligarchies parce qu’il s’agit de gouvernement par un petit nombre et pour le bien d’un sous-ensemble très minoritaire de la société, mêlant de façon de plus en plus intriquée les intérêts financiers, les médias, le complexe militaro-industriel, les courants dominants de la classe politique et des hyper-privilégiés. Post-démocratiques, parce que dans ces régimes, les rituels traditionnels de la démocratie, notamment les élections au suffrage universel, sont toujours en place mais dans des contextes institutionnels (modes de scrutin et désignation des candidats) et médiatiques qui aboutissent dans la plupart des cas à l’absence de toute alternative réelle aux politiques conduites. Un très grand nombre de personnes soucieuses du devenir des sociétés se retrouvent dans des situations où le seul acte électoral conforme à leurs vues disponible à leur portée est l’abstention.

Il se trouve que ces régimes oligarchiques post-démocratiques sont aujourd’hui acculés, leur incapacité à agir pour un quelconque bien social ou humain étant devenue évidente pour beaucoup et leur repli sur les politiques guerrières et sécuritaires n’enthousiasmant heureusement qu’une partie des populations.

[...]

Commençons par le numérique. Il a connu une contre-révolution majeure et brutale en 2005-2006, où à partir de quelques graines de centralisation existantes (notamment les moteurs de recherche) une immense part des activités créatrices et sociales des êtres humains ont été capturées par quelques grands fabricants d’ordinateurs infirmes2, fournisseurs de service et distributeurs, chemin sur lesquels les opérateurs de télécommunications et les éditeurs tentent de les suivre pour prendre leur revanche sur les ordinateurs et internet.

[...]

il ne s’agit pas de revenir à le situation antérieure où seule une minorité socialement et éducativement privilégiée s’était emparée du Web mais d’en donner la capacité à des groupes sociaux qui sont entrés dans l’ère numérique par le biais des services « asservissants », ceux-ci leur ayant proposé un pacte faustien d’échange entre capture et des capacités nouvelles qu’ils ne sont pas prêts à abandonner.

[...]

Il ne s’agit pas juste de restaurer notre souveraineté numérique. Il s’agit aussi de donner à son usage une orientation sociale fondée sur la reconnaissance des biens communs, du partage, de la valeur des pratiques non marchandes, de l’action sur l’économie pour y encourager les modèles qui sont compatibles avec les biens communs et les conditions d’existence des pratiques non marchandes. Tout cela est en gestation, et le résultat est que la terre est en train de s’effondrer sous les pieds des régimes oligarchiques post-démocratiques. Et comme il est très pénible de quitter un pouvoir dont on a si bien abusé, ils sont prêts à tout pour nous empêcher de réaliser cette perspective. Tout le montre, l’attitude à l’égard des alternatives politiques émergentes en Europe, le régime de peur permanente dans lequel ils veulent nous faire vivre, la stratégie du choc et du pressurage infini du temps, le traitement de toute affirmation radicale comme une criminalité. Mais aussi l’attaque directe contre ce dont nous avons besoin et dont ils détiennent encore certaines des clés : la neutralité des réseaux numériques, le chiffrement et l’anonymisation, la possession en plein droit des appareils informatiques par leurs usagers, la liberté de faire tourner les logiciels de son choix sur ceux-ci.

C’est dans ce contexte qu’il faut juger de l’utilité de La Quadrature du Net. Elle marche sur deux pattes (enfin deux pour chacun de ceux qui y participent). La lutte acharnée contre tout ce qui veut nous priver des libertés et des droits fondamentaux constitutifs de notre capacité à agir dans le monde contemporain. Et l’information et la capacitation de tous ceux qui veulent s’y engager, modestement, à travers notre collaboration avec d’autres organisations et initiatives, mais aussi à destination de chaque personne qui veut s’y intéresser.

C’est par mauvais temps qu’on juge les marins et, c’est moins connu, les montagnards. Alors jugez de ce qu’il en est de notre action pour élever le coût de toutes les atteintes aux droits fondamentaux, pour faire reconnaître aussi timidement que ce soit la valeur des composants des mondes du commun et de la collaboration, pour préserver ses fondements, pour aider chacun-e à être acteur et créateur et non seulement consommateur ou détenteur de temps d’audience. Et si cela vous paraît valoir le coup, donnez-vous les moyens que nous continuions. C’est par là. »
(Permalink)