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Shaarli - Les discussions de Shaarli

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Un petit morceau de l'excellente Anne Archet, avec de l'anarchie, du Deleuze, du Guattari et des lignes de fuites

jeudi 29 août 2013 à 14:30
bleupale, le 29/08/2013 à 14:30
Selon Félix Guattari et Gilles Deleuze, ont peut distinguer au sein de nos vies la ligne dure, la souple et la ligne de fuite. Les lignes dures sont celles du pouvoir établi. Rester sous leur contrôle signifie se contenter de passer d’une forme de domination à une autre: de l’école à l’université, puis au travail pour finir à la retraite. Les lignes dures ont l’avantage redoutable de nous assurer un avenir: une carrière, une famille, une vocation à réaliser. Les lignes souples voguent quant à elles autour des lignes dures en les défiant sans les remettre en question: désirs cachés, rêveries, fantasmes, discussions à voix basse entre collègues, commérage. La ligne souple est celle de la délinquance, celle du petit refus de respecter le règlement, celle de la grève, de l’absentéisme au travail et des cours séchés. La ligne souple finit toujours par rejoindre la ligne dure et en constitue en quelque sorte sa soupape de sûreté.

Il y a ensuite les lignes de fuite, celle qui ne nous ramènent jamais au point de départ. Ces lignes de fuite ne définissent pas un avenir mais un devenir. Il n’y a pas de programme, pas de plan de carrière possible lorsque nous sommes sur une ligne de fuite; la destination est inconnue, imprévisible — c’est un devenir, un processus incontrôlable, notre ligne d’émancipation, de libération.

C’est sur une telle ligne qu’on peut enfin se sentir vivre, se sentir libre.
* * *

La ligne de fuite est la ligne du risque. Elle est dangereuse parce qu’elle est réelle et pas du tout imaginaire. En fait, ce sont les lignes souples qui sont de l’ordre de la représentation: rêveries, fantasmes, messes électorales, utopies révolutionnaires… Mais avant de suivre une ligne de fuite, il faut pouvoir la tracer, car sinon cela peut mener à la catastrophe, la paranoïa, le suicide, la solitude, l’alcoolisme, la dépression. Elle devient alors ligne d’abolition, lorsque l’individu fuit les autres au lieu de fuir les dispositifs du pouvoir. Mais même à plusieurs, la fuite peut mener directement dans un trou noir, une secte , un groupuscule de lutte armée, la prison, la mort. Dans ce cas, la fuite des lignes dures mène à des lignes beaucoup plus dures encore.

Notre vie est un écheveau inextricable de lignes entremêlées. Aux multiples dispositifs de pouvoir correspondent autant de lignes dures autour desquelles s’entortillent une myriade de lignes souples. Et de chaque dispositif offre de multiples désertions possibles. Il ne faut toutefois pas croire que l’ émancipation globale se résume à la fuite de tous les dispositifs de pouvoir. Il ne faudrait pas non plus commettre l’erreur de vouloir faire de l’émancipation une fin en soi en unifier les lignes de fuite en un programme politique. Car les lignes de fuite sont autant de libérations que de difficultés et de dangers.
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