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Les cinq étapes du déni

samedi 4 avril 2015 à 21:03
CAFAI Liens en Vrac 04/04/2015
A chacune des cinq étapes de la transition numérique d’une filière, il y a de bonnes raisons de se dire “jusqu’ici, tout va bien”.
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GuiGui's Show - Liens 04/04/2015
« A chacune des cinq étapes de la transition numérique d’une filière,
il y a de bonnes raisons de se dire “jusqu’ici, tout va bien”.

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La transition numérique affecte moins les entreprises que les filières. Une filière, rappelons-le, est un ensemble d’entreprises qui travaillent ensemble tout au long d’une chaîne de valeur. Elles sont comme des engrenages qui s’engrènent parfaitement, liées par une culture et des procédures installées et optimisées pendant plusieurs décennies.

Chaque maillon d’une filière correspond à un secteur : des entreprises qui exercent la même activité et se partagent les parts d’un même marché (B2B en amont, B2C en aval). L’édition est un secteur, la librairie est un secteur : toutes les deux appartiennent à la filière du livre. La grande distribution est un secteur, qui appartient à plusieurs filières mais s’inscrit de façon privilégiée dans celle de l’agro-alimentaire. La banque de détail est un secteur, un maillon parmi d’autres de la filière financière. Les chauffeurs de taxi forment un secteur clef de la filière du transport individuel.

Pourquoi la transition numérique affecte-t-elle moins les entreprises que les filières ? Parce que l’activité d’une entreprise n’est pas fondamentalement modifiée par la transition numérique de sa filière : une maison d’édition continue d’éditer ; un libraire, de vendre des livres ; un grand distributeur, de vendre des produits alimentaires ; une banque de détail, de collecter l’épargne et d’accorder des crédits à des particuliers ; un chauffeur de taxi, de conduire ses clients. En revanche, deux choses changent — radicalement :

   la première, ce sont les relations entre maillons de la filière : à mesure des progrès de la transition numérique de la filière du livre, les relations qu’entretiennent les libraires et les éditeurs ne sont plus les mêmes. Une entreprise numérique s’est immiscée dans la filière : Amazon. Les engrenages commencent à moins bien s’engrener ;
   la deuxième chose qui change, c’est la répartition de la valeur entre les différents maillons. Même si tous continuent à exercer la même activité, tous doivent céder une partie de leur marge aux nouveaux entrants, les entreprises numériques. La transition numérique déforme la chaîne de valeur et redistribue la valeur entre les entreprises en place, dont l’activité reste inchangée, et les entreprises numériques, qui s’immiscent dans la filière, y déploient de nouveaux modèles d’affaires et y captent une part croissante de la valeur.

[...]

Etape 1 — L’irruption numérique - Le déni, étape 1 = “Nous ne sommes pas concernés”

La première étape de la transition numérique d’une filière s’intitule l’irruption numérique. Elle est marquée par un double bouillonnement : celui des cabinets de conseil et agences de toutes sortes, qui commencent à démarcher leurs clients pour leur vendre du “conseil en transformation digitale” (sic) ; celui, aussi, des entrepreneurs, qui commencent à créer des startups à tous les niveaux de la chaîne de valeur pour essayer de déployer de nouveaux modèles d’affaires partout dans la filière.

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Etape 2 — L’éveil de la multitude - Le déni, étape 2 = “Nous le faisons déjà”

L’étape suivante se caractérise par l’éveil de la multitude. Parmi les nombreuses startups qui se sont lancées en ordre dispersé à l’assaut de la filière, certaines commencent à rencontrer leurs premiers utilisateurs. Le bouillonnement des startups n’est plus indifférencié : de plus gros bouillons commencent à se former là où s’éveille la multitude.

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Etape 3 — Le rapport de force - Le déni, étape 3 = “Allons voir le Ministre”

La troisième étape (sur cinq) de la transition numérique se caractérise par l’apparition brutale d’un rapport de force entre les entreprises traditionnelles, habituées à travailler entre elles d’une façon routinière, et les entreprises numériques, qui sont les nouveaux entrants dans la filière. A cette étape, certaines entreprises numériques ont crû de façon si spectaculaire en aval qu’elles commencent à grignoter les marges des entreprises qui dominent le milieu de la chaîne de valeur. C’est le “moment Napster”, celui où les puissantes entreprises en place nourrissent encore l’espoir de neutraliser les nouveaux entrants et d’interrompre la transition numérique en cours.

Tant que la transition numérique n’affectait que les petites entreprises de l’aval (les libraires, les concessionnaires, les chauffeurs de taxis, les agents d’assurance), la transition numérique ne méritait pas un rapport de force. Mais si les marges des grandes entreprises qui dominent la filière commencent à être affectées, alors il faut commencer à résister. En général, la manière la plus spontanée de résister consiste à se dire que la transition numérique peut encore être contenue. A l’étape 3, la formule du déni nous est très familière : “Allons voir le Ministre”. De nouvelles dispositions législatives ou réglementaires, voire la mise en garde de vue de chauffeurs UberPoP, suffiront à rétablir l’ordre et à faire cesser cette “concurrence déloyale”.

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Etape 4 — L’arrivée des géants - Le déni, étape 4 = “Achetons notre principal concurrent”

Le sentiment que rien n’est perdu disparaît à l’étape 4 : d’un seul coup, ce n’est pas seulement à des startups que les entreprises traditionnelles ont affaire, mais à des géants de l’économie numérique. Dans certains cas, la startup qui est parvenue à prendre une solide position en aval est rachetée par Google : du jour au lendemain, ce n’est plus YouTube, petite startup créée par Steve Chen et Chad Hurley, que les entreprises de la filière audiovisuelle ont en face d’elles, mais Google, aujourd’hui la deuxième entreprise du monde en termes de capitalisation boursière, et dont la puissance financière, industrielle et d’influence est sans égale. Dans d’autres cas, la croissance de la startup est telle qu’elle devient elle-même un géant : tel est le cas d’Uber, créée en 2009 et qui a levé depuis lors près de 4,5 milliards de dollars pour financer sa croissance. Uber est un géant surgi de nulle part en seulement… cinq ans !

Le rapport de force se retourne donc et inspire aux entreprises une quatrième formule de déni : “Achetons notre principal concurrent”. Les entreprises en place qui demeurent, forcément les plus puissantes, cherchent à consolider leur position en orchestrant des fusions et acquisitions : ce faisant, elles espèrent atteindre la taille critique nécessaire pour pouvoir résister à la pression exercée par les entreprises numériques alliées à la multitude. C’est suivant cette logique que le nombre des majors de la musique est passé de cinq à trois (Sony a racheté BMG, puis Universal a racheté EMI) ou que Maurice Lévy et John Wren ont conçu le projet (avorté) de fusion entre Publicis et Omnicom.

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Etape 5 — La remontée de la chaîne - Le déni, étape 5 = “De toutes façons, on aura toujours besoin de nous”

A ce stade de la transition numérique, l’entreprise numérique dominante se fait l’écho des attentes des utilisateurs : ils veulent mieux, moins cher, sans cesse renouvelé, toujours plus simple, fluide, stimulant, personnalisé. Les entreprises en place, repliées sur l’amont de la filière, font la sourde oreille : “Nous ne changerons rien et continuerons de faire comme nous avons toujours fait. Même si les téléspectateurs souhaitent regarder tous les épisodes d’une série d’un coup (binge watching), nous continuerons de les diffuser au rythme frustrant d’un épisode par semaine. Et les clients des taxis commandés à l’avance auront toujours une course d’approche au compteur + nous ne prenons pas la carte bleue. Si vous n’êtes pas contents, c’est le même prix.”

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L’étape 5 s’appelle “remontée de la chaîne” car c’est à ce stade que les entreprises numériques, qui dominent la filière en aval, montrent des signes d’impatience et décident d’évincer de la filière les entreprises traditionnelles qui refusent de changer. C’est par impatience et pour prouver qu’on peut faire mieux et moins cher que Netflix commence à produire des séries, qu’Amazon lance une activité d’édition, que Tesla a appris à construire des voitures, que Google commence à déployer de la fibre à Kansas City et à Austin. L’entreprise numérique venue de l’aval capte une part croissante de la valeur et force les entreprises traditionnelles à serrer les boulons se replier toujours plus en amont de la filière.

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Au terme de la transition numérique, la concurrence s’est déplacée et a changé de nature. Nous ne sommes plus dans le paradigme de l’économie de masse, où les entreprises se faisaient concurrence au sein d’un secteur pour se répartir les parts d’un marché. Dans le paradigme de l’économie numérique, les entreprises se font concurrence pour capter la ressource stratégique qui leur permet de continuer à croître : la multitude. Capter cette ressource consiste à déployer autour des individus une boucle de valeur, “où tout prend place dans un tout cohérent, entièrement pensé autour de la qualité de l’expérience utilisateur, et où la valeur d’ensemble est difficile à segmenter”. Dans cette boucle de valeur, théorisée par Henri Verdier puis récemment reprise par Bassem Asseh (directeur EMEA de GitHub), l’utilisateur est comme enveloppé, cajolé, dissuadé de regarder ailleurs et de céder aux sirènes des autres entreprises numériques. On devine dans cette boucle de valeur la supériorité du logiciel, annoncée par Marc Andreessen et revendiquée par des entreprises comme Twilio.

En d’autres termes, il ne s’agit plus de se disputer les parts d’un marché mais de contrôler les 24 heures de la journée d’un utilisateur — ou les 5 pouces de l’écran de son smartphone. La puissance des entreprises se mesure désormais au périmètre de l’expérience qu’elles créent pour leurs clients, à la solidité de la boucle de valeur qu’elles déploient autour d’eux. Cette boucle de valeur est à la fois un pacte d’alliance avec les clients (“Puisque je trouve ici tout ce dont j’ai besoin, je ne vais pas voir ailleurs”) et une manière de capter toutes les ressources que recèlent la multitude (des informations, des données, des services, des biens, des capitaux), en évinçant les autres entreprises numériques qui (très affûtées elles aussi après qu’elles ont disloqué d’autres filières) cherchent à rentrer dans ce périmètre privilégié. »
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some links − chabotsi 07/04/2015
1) L’irruption numérique
   « Nous ne sommes pas concernés »

2) L’éveil de la multitude
   « Nous le faisons déjà »

3) Le rapport de force
   « Allons voir le Ministre »

4) L'arrivée des géants
   « Achetons notre principal concurrent »

5) La remontée de la chaîne
   « De toutes façons, on aura toujours besoin de nous »
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Nekoblog.org :: Marque-pages 07/04/2015
tl;dr (via http://shaarli.cafai.fr/?ITqhPQ)
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