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source: Horyax

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IBM, le roi des échecs

mardi 22 octobre 2013 à 22:03

1996, tandis que la France s’évertue à réaliser son dernier essai nucléaire dans le pacifique, les ingénieurs du géant IBM s’attellent à donner naissance à leur dernier engin de guerre, un super-ordinateur dédié au jeu d’échecs.

Bien préoccupé à promouvoir leur image de winner, les États-Unis invite alors Garry Kasparov, l’ultime champion mondial d’échecs, à un face à face avec la machine surnommée Deep Blue.

Sous le capot, des années de recherche et du hardware à la pointe de la technologie. De l’autre côté de la table, monsieur Kasparov, humain au QI certainement plus élevé que la moyenne et champion du monde du célèbre jeu de plateau de 1985 à 2000. Russe qui plus est, le challenge rêvé donc.

C’ki le patron ?

A peine la confrontation lancée que Kasparov s’écroule à la première partie, offrant à Deep Blue la place du premier ordinateur à vaincre en champion du monde d’échecs en match officiel. Plus de peur que de mal, notre camarade remporte les trois parties suivantes (précédées de deux matchs nuls), sauvant l’humanité de l’infamie et préservant son statut d’intouchable.

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USA vs URSS : 0 – 1

Mécontent et ne s’avouant pas vaincu pour si peu, IBM rapatrie son monstre pour ressortir un an plus tard une version améliorée, près de deux fois plus performante que sa grande sœur. Le nouveau Deep Blue, rapidement surnommée Deeper Blue, s’inscrit parmi la 259e place du TOP 500 des supercalculateurs de l’époque. Sur la balance, 1.4 tonne d’acier et d’électronique, un système massivement parallèle capable de calculer 200 millions de coups à la seconde, le tout représentant une puissance brute de 11.38 GFLOPS (sic, un Core i7 atteint 100 GFLOPS).

Bref, le géant américain a sorti la liasse de billets verts espérant pouvoir faire taire son vieux voisin une bonne fois pour toute.

ROUND 2

En bon joueur, ou reconnaissons qu’il n’avait pas réellement le choix, Kasparov accepte la revanche proposée par IBM. Le champion remporte la première confrontation, perd la seconde et s’en suit trois matchs nuls. Nous arrivons aux termes du duel considéré comme une des rencontres les plus spectaculaires de l’histoire des échecs, la sixième et ultime partie opposant l’homme contre la machine.

Impensable, Deeper Blue parvient à contrer son adversaire en à peine 19 coups. Le russe, totalement désemparé, quitte le plateau levant les bras en signe de contestation. QUOI, perdre contre une gameboy ?!

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Le champion en titre depuis 12 années consécutives se fait écraser par une vulgaire boîte de conserve.

Oh tricherie !

Immédiatement le scandale éclate. Kasparov accuse la présence d’une intelligence humaine derrière certains coups et prie IBM de fournir les logs du match. L’américain réfute aussitôt et refuse toute communication.

Dès la seconde partie, Kasparov prétend en effet que la stratégie mise en place par l’ordinateur s’avère trop imprévisible pour être le fruit d’un circuit logique. La seule affirmation du géant concernant la seconde confrontation sera qu’un bug est survenue lors du 36e mouvement, induisant le joueur en erreur. Bug certes, mais bug de la victoire.

N’ayant d’autres alternatives, le russe réclame la belle mais son homologue rétorque que Deep Blue a été démantelé peu de temps après le match et ne peut donc plus participer. Une belle excuse.

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Même la statue de Lénine y a eu le droit.

Fin de l’histoire, les USA quittèrent la scène sur une victoire et encore aujourd’hui, IBM se vante des prouesses techniques réalisées à l’époque.

Cette opération – présumée expérience scientifique – ressemblait finalement davantage à un plan marketing qu’autre chose. Et quand on parle publicité, les États-Unis sont indéniablement les plus forts dans le domaine.

Le cours en bourse d’IBM connut un bond de 20% suite à la victoire de Deep Blue.

Informations et cogitation

Derrière le fait de savoir si tricherie il y a eu, le duel organisé par la compagnie américaine a certainement participé au développement de cette notion homme versus machine. Nombreux champions d’échecs ont par la suite collaboré à l’élaboration de programmes d’intelligence artificielle et plus de 15 ans après, la progression est pour la moins fulgurante. Il est loin le temps où un superordinateur nécessitait une équipe de 10 personnes pour fonctionner…
Aujourd’hui, les experts s’accordent pour dire que les programmes actuels couplés à un smartphone récent surpassent Deep Blue sans difficulté. Des jeux d’échecs avancés tels que Deep Fritz mettent à mal n’importe quel champion pour dire.

Jeu de go

Jeu de go – chaque pion représente un soldat, oui oui.

Autre point à la base du scandale et de la stupeur générée par l’affaire Deep Blue : la supériorité de la machine envers l’humain. Même si l’origine de cette dualité ne date pas d’hier et a largement inspiré la littérature et le cinéma au XXe siècle, nous étions restés dans une sorte d’imaginaire. Alors, lorsque l’ordinateur d’IBM remporta (tout du moins officiellement) contre Kasparov – soulignons que peu d’évènements homme vs machine avaient eu le droit à une telle diffusion auparavant – le choc fut total.

Dernière remarque, si les IA d’échecs s’en sortent désormais à merveille, ce n’est pas le cas dans tous les jeux. Le jeu de go par exemple, reposant également sur le principe de stratégie dite « combinatoire abstraite » (ne laissant aucune place à la chance), offre un arbre de possibilités de l’ordre de 10^600. Sa complexité est telle que les grands joueurs ont encore plusieurs années de répit devant eux. On est bien loin des présumés 10^23 d’étoiles présentent dans l’univers !

Mais ce n’est qu’une question de temps finalement.