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Le Blog de Genma

source: Le Blog de Genma

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Interview d'Amaelle Guiton

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00

Aujourd'hui c'est l'interview Critique de Hackers, Au cœur de la résistance numérique d'Amaelle Guiton aka @micro_ouvert sur Twitter, co-organisatrice du premier Café Vie privée, blogueuse sur techn0polis.net/ , qui a joué le jeu de l'interview où l'on parle de chiffrement. Voici donc ses réponses :

TOI

Peux tu te présenter ?

Je m'appelle Amaelle Guiton, je suis journaliste, je travaille aujourd'hui presque exclusivement sur les sujets numériques, et plus précisément sur les impacts sociaux du numérique, l'articulation entre le "technique" et le "politique" (au sens large du terme). Je suis "transmédia", comme on dit, vu que je bosse pour la radio, la presse écrite et le web.

J'ai aussi écrit un livre, "Hackers : Au coeur de la résistance numérique", consacré aux gens qui se battent pour protéger les libertés sur Internet. Ceux qu'on appelle par commodité les "hacktivistes", même si j'en ai une acception assez large. Je considère par exemple que construire de l'Internet neutre, dans un FAI associatif, c'est très politique.

Pourquoi ce pseudo de micro-ouvert ? D'où vient-il ?

@micro_ouvert, ça vient du fait que j'ai passé ces 5 dernières années à faire surtout de la radio (ces deux dernières saisons, je présentais la matinale du Mouv'). D'où le micro, souvent ouvert. C'est aussi un petit clin d'oeil parce qu'en anglais ça se dit "open mike" et que ça renvoie à des espaces de prise de parole libre, dans les slam sessions par exemple.

L'INFORMATIQUE

Es-tu autodidacte ? Quels sont tes sources d'apprentissage ?

Autodidacte, en grande partie oui, mais pas totalement. Comme je suis presque une vieille chose, j'ai vécu le Plan Informatique pour tous, dans les années 80 : cette folle idée du ministre de l'Éducation nationale d'apprendre le code aux mômes. Ça n'a pas duré très longtemps, mais ça a été fondateur pour moi : j'étais encore toute gamine quand ma maman, qui était prof de collège à l'époque, a ramené un jour un Thomson MO5. Pour en faire quelque chose, il fallait lui parler en BASIC. Alors j'ai appris, avec ma mère, puis un peu toute seule. Après, on a eu un TO7, et puis, plus tard, un Macintosh (un gros cube beige, à l'époque). À partir de ce moment-là j'ai arrêté d'apprendre à coder, j'ai préféré apprendre à maquetter le journal du lycée... Cela dit, j'ai fait un peu d'informatique en seconde, j'étais d'ailleurs plutôt balèze en algorithmique, dans mes souvenirs. Ce qui est certain, c'est que dès petite, du coup, j'ai appris à n'avoir peur ni des machines, ni des langages informatiques.

Du coup, plus tard, quand j'ai commencé à vouloir utiliser un peu plus de logiciel libre que juste un navigateur et une suite bureautique, et passer carrément à une distribution, je n'ai jamais paniqué à l'idée de devoir ouvrir une console.

Aujourd'hui, mes sources d'apprentissage, c'est surtout Internet, et des humains, aussi. J'ai beaucoup, beaucoup appris au contact des gens que j'ai rencontrés et côtoyés pour mon livre.

Quel est ton rapport à l'informatique : plutôt hyperconnecté ou non ? Dirais-tu que tu es cyberdépendante ? (Si oui, comment cela se traduit-il au quotidien ?)

Je suis une authentique hyperconnectée, et très certainement cyberdépendante, il suffit de voir comme je peste dès que je suis privée de wifi ou de 3G... La "France du Edge", c'est un petit cauchemar personnel. J'ai besoin de pouvoir communiquer à tout moment. Un jour, peut-être, j'irai faire une retraite quelque part sans ordinateur ni smartphone, ça me fera sans doute le plus grand bien.

Quel est ton rapport aux logiciels libres ?

J'y suis venue d'abord par démarche intellectuelle, parce que j'aimais l'idée de logiciels développés par des communautés d'utilisateurs, ouverts et collaboratifs. Quand je me suis rendue compte qu'en plus, ça marchait mieux, et qu'on pouvait, par exemple, régler certains problèmes soi-même en demandant de l'aide à d'autres, j'ai mordu pour de bon. Le fait que ce soit en outre plus sûr est venu dans un troisième temps, avec la prise de conscience de la surveillance numérique. Aujourd'hui, j'ai beaucoup de mal avec le propriétaire. (D'ailleurs mon smartphone est propriétaire, et je ne lui fais aucune confiance. Je pense chaque jour à le changer, et je finirai par le faire, quand j'aurai le temps de me pencher là-dessus.)

INTERNET

Pourquoi avoir un blog ? De quoi parle-t-il ?

Mon blog parle de ce qui me passionne, et de mon "objet" journalistique, i.e. de l'intrication du technique et du politique — d'où son nom, techn0polis —, de la "société numérique" comme on dit. Il me sert à documenter, à publier des choses qui n'intéresseront pas les médias pour lesquels je travaille, à écrire différemment aussi, vu que c'est un média perso. C'est un bloc-notes à l'air libre, pour ceux que ça intéresse :)

Pourquoi utilises-tu Twitter ?

J'utilise Twitter pour la viralité, pour faire circuler de l'info, pour en recevoir, pour les débats qui s'y déroulent, aussi. Pour la capacité qu'il offre de s'adresser à des gens qu'on ne croise pas tous les jours : en tant que journaliste, c'est aussi très utile pour nouer des contacts beaucoup plus facilement.

- Est ce que l'accès à Internet est pour toi, un droit fondamental ?

Je dirais oui, au sens où c'est ce qui permet à chacun non seulement de recevoir l'information, mais aussi d'en émettre et ça, ça change tout. Ça bouleverse les rapports sociaux, et on n'en est qu'au début.

Internet est-il vraiment un repère de pedonazi à tout les coins de rue, comme on voudrait nous le faire croire ?

Si je pensais que c'était un "repère de pédonazis", j'écrirais sur autre chose, je ne suis pas masochiste :) Internet est une extension de l'espace social, on y croise des gens formidables et des gens qu'il vaut mieux éviter. Exactement comme dans le "meatspace".

Comment vois tu l'avenir de l'accès à Internet en France (filtrage, censure...) ?

Certains jours je suis optimiste, d'autres jours beaucoup moins. Il y a des signaux extrêmement déprimants, et d'autres enthousiasmants. Ça dépend de mon humeur, mais je crois qu'il faut être optimiste dans ce qu'on fait. Parce qu'on a une capacité d'agir que d'autres ont moins, dans des pays où la déclaration universelle des droits de l'homme sert à s'essuyer les pieds.

Que peut-on faire contre ça ?

Plein de choses. Certains construisent du réseau libre, certains travaillent à des outils pour contourner tout ça, certains font de l'advocacy, comme l'EFF ou la Quadrature... Il y a des tas de manières de faire, des tas de manières de participer à la défense des libertés en ligne.

La mienne, c'est juste d'essayer de faire mon métier du mieux que je peux, de documenter à mon échelle les bouleversements du monde dans lequel je vis, les positifs et les négatifs. Comme la plupart des journalistes, je crois qu'un citoyen informé, c'est un citoyen en capacité d'agir et de choisir, un citoyen qui peut exercer ses droits. Sur l'importance de l'information, on se rejoint, je crois, avec les hackers. Je fais un peu de pédagogie, aussi, sur ces sujets, par des conférences ou des cours.

LE CHIFFREMENT

Pourquoi chiffres-tu tes communications ?

Je chiffre mes communications parce que je considère que mes conversations sont d'ordre privé. Quand je veux que ce soit d'ordre public, je publie !

Chiffres tu toutes tes communications ?

Évidemment non, parce que tout le monde ne sait pas le faire. Donc je chiffre avec les gens qui chiffrent, par principe et par hygiène. Et aussi, j'avoue, parce que ça m'amuse.

Et tes disques (durs, clefs USB) ?

Je chiffre les supports sur lesquels je stocke des données personnelles et plus généralement ce qui n'a pas vocation à être public. Disque dur, DD externes. Mais je ne pousse pas le vice jusqu'à chiffrer une clé USB sur laquelle je trimballe uniquement un reportage tout mixé que j'amène à la radio, de toute façon y a pas TrueCrypt sur les postes là-bas, et ça a justement vocation à être public : CQFD.

Quels conseils pour débuter dans le chiffrement ?

Le seul conseil que je donnerais, c'est de commencer par rencontrer des gens qui savent faire, et d'apprendre d'abord avec eux, avant d'approfondir tout seul. En plus, c'est une bonne occasion de boire des bières ou un café.

Quels sont les pièges à éviter ?

Le seul piège, c'est la paresse, et le manque de vigilance : PEBKAC, Problem Exists Between Keyboard And Chair. Aucune solution ne vaut en soi, ça ne vaut que dans un contexte donné. Envoyer un mail chiffré dans certains pays, ça peut être une grosse, grosse bêtise, ça peut attirer l'attention sur le destinataire. Donc, faire d'abord marcher son cerveau, avant de faire tourner un logiciel.

Penses tu que le chiffrement se démocratise ? Et est-ce une bonne chose ?

Je ne sais pas si le chiffrement se démocratise, j'ai l'impression en tout cas que ça progresse. Dans le contexte, ça me semble plutôt pas mal, oui ! Mais ça ne remplace pas le débat citoyen nécessaire sur la surveillance. Il faut que les deux avancent en même temps.

LE JOURNALISME

Quels sont tes sujets de prédilections ?

Voir réponse n°1 :)

Communication avec les sources : utilises-tu le chiffrement ?

Je chiffre avec les gens qui savent le faire, "sources" ou pas "sources". Y compris pour se filer rencart sur Jabber avec d'autres journalistes geek pour aller boire une bière ;) Et puis le chiffrement est UNE manière de communiquer avec des sources, il y en a d'autres.

Comment est perçu l'usage du chiffrement auprès de tes collègues non geek ?

Mes collègues "non geek" comprennent, je crois, de plus en plus, l'utilité de savoir protéger ses communications. Plus les scandales liés à la surveillance s'accumulent, moins je passe pour une fille bizarre. Ils sont plutôt demandeurs d'infos. J'en ai croisé une, ce soir, qui m'a dit s'être inscrite à un atelier sécu de RSF. Ça vient doucement, mais ça vient.

AUTOPROMO

Connais tu Le Blog de Genma (http://genma.free.fr) ?
Qu'en penses-tu (variété des termes abordés) ?

Pour tout avouer, je ne connaissais pas avant que tu ne m'interpelles sur Twitter ! Tout ce qui fait de la pédagogie technique est une petite pierre à l'édifice :)

AFK ?

Quelles sont tes passions autres ? AFK, tu fais quoi ?

Mon métier me prend quand même l'essentiel de mon temps : comme beaucoup de journalistes, je le suis h24, pas juste aux heures ouvrables. Quand j'ai du temps libre, je blogue ou je prépare un livre, donc mon cas est désespéré. Ceci dit, j'aime aussi les jeux en point-and-click, les bonnes séries télé, écouter très fort "Pet Sounds" des Beach Boys, les soirées karaoké avec des potes, les whiskies très tourbés et faire du lèche-vitrines. Je suis donc une fille normale.

Merci pour toutes ces réponses.

La série de liens :
- Critique de Hackers, Au cœur de la résistance numérique d'Amaelle Guiton
- @micro_ouvert sur Twitter
- le Café Vie privée,
- techn0polis.net/