Tour d'horizon des navigateurs et moteurs web : une grave absence de diversité et d'indépendance
samedi 4 janvier 2014 à 03:20Il n'existe pas de navigateur réellement indépendant.
Tous les navigateurs, enfin en tout cas les plus utilisés et connus, sont produits par des entreprises à but lucratif. Des grosses multinationales dont on peut douter de la bonne volonté à ne pas utiliser leur produit pour faciliter le travail des gouvernement et services d'espionnage, et plus particulièrement de la NSA et du gouvernement américain. Car toutes ces entreprises sont américaines.
Faisons donc une petite liste des navigateurs les plus connus :
- Safari et Mobile Safari sont des produits d'Apple, qui est une entreprise réputée pour ses failles de sécurité et ses connivences avec les services de renseignement.
- Chrome est un produit de Google. Il produit également une version libre : Chromium. Ces deux produits envoient par défaut des dizaines de requêtes à Google pour chaque page web visitée. Une fois les cases décochées pour ne plus avoir ces services à la con, le navigateur a une tendance à vouloir continuer à envoyer des infos à Google… Idem pour le navigateur Android.
- Internet Explorer et IEMobile sont des produits de Microsoft. On connaît tous leur réputation sur la vie privée et l'intimité des utilisateurs…
- Firefox est un produit de Mozilla Corp., une entreprise à but lucratif financée à 90% par Google (en 2012), ce qui en fait pratiquement une filiale de Google ou devrait au moins faire poser de bonnes questions sur leur indépendance réelle. Une entreprise qui a prouvé que la vie privée des utilisateurs n'avait que peu d'importance à ses yeux.
- Opera a récemment adopté une stratégie étrange : il a abandonné son moteur de rendu Presto pour adopter celui de Google Chrome et même reprendre une grande partie du code de Chrome pour ne faire d'Opera qu'une variante de Chrome. De plus il a fermé tous ses services : Opera Mail (webmail) et My Opera (blogs et réseau social) qui connaissaient pourtant un bon succès. L'extrapolation générale est qu'Opera se prépare à un rachat par Google. Cela reste à voir, mais en tout cas on ne peut pas vraiment le considérer encore comme un navigateur indépendant : c'est simplement une version de Google Chrome.
Maintenant reprenons de là les principaux moteurs de rendu et leurs principaux contributeurs :
- Trident de Microsoft. Uniquement développé par Microsoft, propriétaire.
- Webkit, libre, est un fork de KHTML par Apple pour Safari. Google en a été un grand contributeur mais est parti en 2013 pour faire son fork, Blink. Webkit a été majoritairement développé par Apple et Google. Maintenant WebKit est maintenu principalement par Apple, avec quelques rares contributions de Samsung et Nokia. Nokia a été racheté par Microsoft et n'utilise plus qu'IEMobile, on peut donc s'attendre à ce que ses contributions à WebKit cessent complètement. Samsung semble migrer ses développeurs sur Blink progressivement. Bref on pourrait résumer WebKit à Apple.
- Blink, libre, fork de WebKit par Google. Son principal contributeur est Google, avec quelques rares contributions d'Opera et Samsung.
- Gecko, libre, n'est plus une bibliothèque utilisable indépendamment de Firefox (une décision de Mozilla…), à moins d'utiliser XULRunner. Son principal contributeur est Mozilla Corp. S'ajoutent quelques contributeurs indépendants.
On peut voir que tous les gros navigateurs et tous les principaux moteurs de rendu sont financés par de grosses entreprises américaines. Ce qui pose un grave problème dans le contexte actuel d'espionnages par la NSA et scandales où l'organisation d'espionnage a introduit des failles dans des algos ou des logiciels contre de l'argent ou par ruse.
Que nous reste-t-il donc comme navigateurs qui seraient majoritairement indépendants d'une entreprise américaine ?
- Konqueror, le navigateur du projet KDE, repose toujours sur KHTML qui est développé par des développeurs de tous les pays. Il est probablement le plus complet pour un usage "Web 2.0", mais aussi le plus lourd, et l'utiliser en dehors de KDE n'est pas des plus adaptés. Il fonctionne cependant sur Linux, OSX et Windows.
- NetSurf est un superbe navigateur léger, mais il ne supporte pas Javascript et son support de CSS est limité, mais c'est le navigateur sans JS le plus avancé. Il fonctionne sur plein de plateformes dont Linux et Windows.
- Dillo est le plus léger mais ne supporte pas Javascript et son support CSS est encore basique.
Oh c'est tout ? Et oui c'est tout. Ces navigateurs sont les seuls qui ne dépendent pas d'un des moteurs listés ci-dessus, qui sont encore activement développés et qui ne sont pas en mode texte. Ça fait peur niveau diversité hein. Tous les autres navigateurs que vous verrez. Tous tous tous se basent sur Webkit, Blink, Trident ou Gecko.
On peut donc dire que le seul navigateur web indépendant et réellement utilisable est Konqueror. Si demain il vient à abandonner KHTML pour WebKit on aura un sacré problème. Non seulement pour une question de confiance et d'indépendance mais aussi une question de diversité du web, car si on résume WebKit et Blink à un seul moteur, on peut dire qu'il n'y a plus que trois moteurs de rendu différents, dont l'un écrase les deux autres en parts de marché.
Mais donc si vous ne voulez quand même pas utiliser Konqueror, il est possible d'utiliser un autre navigateur utilisant l'un des moteurs « non-indépendants ». Le problème c'est que la plupart ne sont que des forks des navigateurs principaux sans changer grand chose. Par exemple pour Gecko : GNUzilla et IceApe sont des forks de Mozilla Suite (par GNU et Debian respectivement), IceCat et IceWeasel des forks de Firefox. Les autres ports sont arrêtés depuis que Mozilla a cessé de fournir Gecko comme une bibliothèque indépendante. Du bon côté IceCat et IceWeasel vous permettront d'utiliser les plugins Firefox, enfin tant que leurs développeurs arrivent à contourner les obstacles mis en place par Mozilla à chaque nouvelle version.
Pour WebKit il existe principalement l'excellent QupZilla, le petit Midori et les spécialisés comme uzbl, surf et compagnie. Pour Blink il n'y a qu'Opera qui se démarque un peu de Chrome.
Pour Trident ce ne sont que des habillages qui n'ont pas d'influence ou de contrôle possible sur le moteur de rendu.
On peut donc dire que l'état des choses n'est pas fameux, et qu'il y a du boulot pour soutenir et collaborer aux projets qui comptent : ceux qui ne font pas partie des « quatre géants » !