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Romaine Lubrique : Il faut un guide de 52 pages pour savoir si une oeuvre est dans le domaine public américain !

dimanche 15 juin 2014 à 12:14

Il peut y avoir quelques exceptions (mort pour La France, prorogations de guerre [1]) mais en France on entre dans le domaine public 70 ans après la mort de l'auteur, ou du dernier auteur décédé lorsque l'œuvre est le fruit d'une collaboration.

Nonobstant les tentatives de réappropriation lorsque l'on numérise du domaine public, cela a le mérite d'une certain clarté et permet ainsi au ministère de la Culture et à l'OKF France de proposer un prototype de calculateur du domaine public relativement simple à programmer.

Il en va tout autrement aux USA où tout se complique à partir de l'an de grâce 1923. Il est dit en effet que toute œuvre publiée sur le sol américain avant 1923 est dans le domaine public (ouf !). Mais passée cette date, savoir si une œuvre est ou n'est pas dans le domaine public s'apparente à un véritable casse-tête.

En cause de nouvelles lois successives qui ont tout fait pour retarder l'entrée et complexifier à l'extrême la réponse à la question. Nous avions évoqué cela dans La culture perdue de la génération copyright en nous alarmant du fait que plus rien n'entrait dans domaine public américain jusqu'en 2019 !

La première de ces nouvelles lois ayant été promulguée en 1978 avec des effets rétroactifs, le cas se pose avec encore plus d'acuité pour les œuvres créées entre le 1er janvier 1923 et le 31 décembre 1977. C'est à cette tâche ardue (et ingrate) que s'est attelé un groupe de chercheurs et d'étudiants de la faculté de droit de Berkeley.

Ils viennent en effet de publier un guide de 50 pages dont les nombreux diagrammes (organigrammes de programmation, arbres de décision, boucles « if... then... else... ») témoignent du véritable parcours du combattant que doit emprunter une œuvre pour répondre tout au bout de la chaîne à la fameuse question.

Un guide précieux mais aussi malheureusement révélateur de l'état actuel plus que fragile du domaine public américain.

Comment savoir que le domaine public est en mauvaise posture ? Il faut un manuel de 52 pages pour déterminer si une œuvre y appartient !

Mike Masnick - 11 juin 2014 - TechDirt.com
How Do You Know The Public Domain Is In Trouble ? It Requires A 52-Page Handbook To Determine If Something Is Public Domain
(Traduction : KoS, manu, Samuel)

À Techdirt, nous sommes tous de grands supporters du domaine public et nous pensons que beaucoup plus d'œuvres devraient en faire partie. Nous envisageons du reste nos propres articles comme appartenant au domaine public, même s'il n'y a pas officiellement de mécanisme légal pour les faire rentrer directement dedans.

En 1976, nous sommes passés d'un régime de copyright volontaire [NdT : où il fallait déposer le copyright d'une œuvre] à la couverture automatique du copyright, combiné à l'extension toujours plus grande de sa durée. De fait, plus rien n'entre dans le domaine public américain depuis des années.

Par le passé, j'ai souvent compté sur un excellent site maintenu par mon collègue Cornell pour déterminer ce qui est et n'est pas dans le domaine public mais cela se limitait au cas général. C'est donc une excellente nouvelle que de voir la Samuelson Clinic de Berkeley publier un manuel détaillé pour déterminer ce qui est dans le domaine public, avec un graphique synthétique bien pratique mais pas d'une totale simplicité (cf image ci-dessus).

Le manuel lui-même (basé sur une licence Creative Commons, qui, je le note, n'est pas la CC0 pour dédier directement une œuvre au domaine public) est composé de 52 pages expliquant dans le détail les subtiles nuances juridiques de ce graphique.

C'est donc bien pratique mais il n'en demeure pas moins qu'il soit aujourd'hui invraisemblable qu'il faille un manuel de 52 pages juste pour savoir si une œuvre est ou pas dans le domaine public. Cela montre précisément à quel point nous avons mis sur la touche le domaine public et créé à la place une néfaste culture de la permission.


[1] Spécificités françaises non européennes, certains, dont nous sommes, préconisent pour leur suppression.

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