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Cyrille BORNE : Du développement photographique sous Linux* : le format RAW

jeudi 1 novembre 2012 à 12:01

Dans le dernier article sur le développement photographique sous Linux* : le chaînon manquant, je suis revenu sur la nécessité dans laquelle nous sommes, nous autres photographes et utilisateurs de logiciels libres, de soutenir voire de porter un projet pour donner une solution fiable, stable et efficace (fonctionnalités et performances) au développement photographique sous GNU/Linux. Le soutenir ou porter financièrement. En somme, j'affirmais que ce qu'il manquait à la photo sous GNU/Linux c'était une vraie communauté d'utilisateurs fédérés autour d'un projet phare et solide, à l'image de Blender. Ma position est sensiblement différente aujourd'hui.

Mon article a suscité quelques réactions, pour certaines violentes — parfois grossières même, n'ayons pas peur de le dire — mais néanmoins, pour certaines, intéressantes parce qu'elles pointent du doigt ou mettent en question le format RAW utilisé par les constructeurs, un format propriétaire dans la plupart des cas. Chaque constructeur y allant de son propre format. Il en existe aujourd'hui plus de 200 différents. Dans combien de temps serons-nous 1000 ou 1500 ? Combien seront encore maintenus par les constructeurs dans 10 ou 20 ans ?

Pour certains commentateurs, qui ne font pas dans la dentelle ou finesse, le problème que nous rencontrons dans le développement photographique sous Linux*, avec le logiciel libre, est tout trouvé, l'équation est somme toute assez simple : si le format RAW est propriétaire donc le libre n'y est pour rien. De là à dire, le libre n'y peut rien, il n'y a qu'un pas. D'autres que moi le franchiront. Mais on peut reprendre (en la reformulant) une autre question posée en commentaire par Plastinux : «  Que propose le libre ? Qu'apporte le Libre à la photographie ? » Je pourrais répondre à cette question en donnant mon workflow : gPhoto2 (import), geeqie (visualisation) et Gimp (retouche). Le cœur de mon flux est aujourd'hui un logiciel propriétaire, AfterShot Pro, avec certains plugins libres. Mais je préfère laisser ouverte cette question pour l'instant même si d'autres la ferment, en affirmant que c'est l'utilisateur, par son approche, qui n'est pas adapté au logiciel et non le logiciel à l'utilisation. En somme, nous autres photographes ne serions que des consommateurs de la pire espèce qui manqueraient de réflexion, d'imagination et de créativité (au choix).

Pour parfaire ce tableau, certains affirment sans fard qu'utiliser une solution propriétaire serait le symptôme d'un consumérisme achevé, le bobo-beauf — canapé, Mac… ajoutons gros bide, binouze, chips et TF1 et les clichés seront tous réunis — un comportement de mouton qui tuerait dans l'œuf le génie de l'invention à l'inverse du Libre qui, parce qu'il est contraignant de travailler avec des outils moins bons, développerait « l'imagination » et stimulerait le sens artistique. En clair : soyons pauvres et nous serons géniaux. Ce n'est pas juste caricatural, comme l'a dit cep en commentaire, c'est infecte.

Toujours est-il que, si l'on en croit ceux qui stigmatisent le format RAW parce qu'il est propriétaire, le problème ne viendrait pas du libre — vous savez le bénévolat, le don de soi… et tout ce pataquès de la générosité qu'on nous sert pour masquer les imperfections et marquer tout projet Libre du sceau de l'irréprochable parce qu'il est… Libre, à l'exemple de Dispora*.

— Pour sortir le logiciel libre de ce gourbis, il suffirait de payer les spécifications du format constructeur. À voir. Pas certain. Mais j'ai tendance à penser que… tout ce qui se divise par deux est simple, pour ne pas dire simpliste, et donc bête. D'un côté les méchants constructeurs et de l'autre les gentils développeurs du Libre. Pour autant, d'où vient le format RAW ? Du Libre ?

Même si l'intérêt pour ce fameux format RAW n'est plus à démontrer, revenons quelque peu dessus.

Nul doute, aujourd'hui, que le format de fichier RAW, souvent assimilé au négatif de l'argentique, s'est imposé dans la pratique photographique du fait des nombreux avantages qu'il présente : compression sans perte, qualité d'image plus importante, flexibilité de nombreux paramètres (exposition, balance des blancs, etc.), … Tant et si bien que l'utilisation du RAW s'est généralisée en supplantant les autres formats d'image à la prise de vue mais non en sortie de post-production. La plupart du temps, c'est un fichier en JPEG ou TIFF qui est demandé par les agences, les imprimeurs, etc. En somme, le RAW est un format de travail pour le photographe.

Au-delà des avantages évidents que présente le format RAW pour le photographe, son adoption massive a été facilitée par le fait que les appareils photo numériques "haut de gamme" et "professionnels" qui le proposent, dans des variantes propres à chaque constructeur, sont livrés avec des logiciels constructeurs qui permettent de le lire ou décoder. Plus ou moins bien. Inutile de préciser que les constructeurs ne fournissent aucun support logiciel pour Linux*, OS (Operating System) pour lequel il n'existe aucune solution libre satisfaisante (stabilité, fonctionnalités et performances).

Le matériel photographique change en permanence. De fait, à l'évolution constante des appareils photographiques répond une constante évolution des formats RAW constructeurs pour supporter le nouveau matériel. Cette mutation conduit, de fait, à l'inexorable coexistence d'un très grand nombre de formats RAW — et ce au sein-même d'une même marque. Le format RAW Canon, par exemple, a connu trois évolutions principales : le CRW utilisé par le D30, le D60, le 10D, le 300D, etc. ; le CR2 depuis le 350D et le TIF pour le 1Ds. Si Canon a divulgué les spécifications du RAW de type CRW, en revanche, celles du CR2 ne l'ont jamais été. Le constructeur s'y refuserait pour des raisons de « propriété intellectuelle ». C'est voir, me semble-t-il, les choses par le petit bout de la lorgnette. C'est surtout oublier que si le matériel évolue, que certaines évolutions répondent à des avancées technologiques ou aux besoins des photographes, un format RAW normé indépendamment des constructeurs n'a aucune chance de s'imposer, à moins d'une évolution matérielle unilinéaire. Ce qui, de toute évidence, n'est pas le cas. La différenciation matérielle (appareils sur le marché) s'oppose au verrouillage d'une normalisation d'un format RAW unique, l'OpenRAW ou Digital Native (DNG), qu'Adobe, son créateur, voudrait imposer.

Dès lors, on peut se demander si, comme le laisse entendre Kevin Connor d'Adobe, la maintenance d'une telle diversité (croissante) de formats, indépendamment du fait qu'ils sont ou non documentés publiquement, est plus qu'incertaine et si les photographes ont raison de s'en inquiéter et de croire qu'un jour leurs précieux fichiers seront frappés d'obsolescence et rendus inaccessibles ? Je ne le crois pas.

Pourquoi ? Parce qu'il est faux de croire que la seule solution viable, à plus ou moins longue échéance, comme on le lit un peu partout, serait l'adoption d'un format commun si… le logiciel Libre assume pleinement le rôle qu'il est train de jouer aujourd'hui, sous l'impulsion de Dave Coffin, qui propose un outil standard dans et hors du Libre, DCRAW, dont la mission est clairement énoncée : décoder un fichier généré à partir de n'importe quel appareil photo numérique sur n'importe quel ordinateur exécutant n'importe quel système d'exploitation. Une universalité. Une universalité à postériori.

Autrement dit, l'universalité d'une solution libre comme l'est DCRAW est aujourd'hui la seule solution à la (trop) grande diversité et à l'obsolescence inéluctable des formats RAW constructeurs.

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