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Cyrille BORNE : Amateurisme et gratuité, partage, forces et faiblesse du libre ?

samedi 22 décembre 2012 à 09:00

Article rédigé par cep

L'autre jour je croisais Christophe au hasard d'un commentaire sur un article de Cyrille. C'est toujours un plaisir d'échanger avec Christophe et une de ses phrase m'interpellait plus particulièrement. Il y écrivait entre autres : « C'est toute cette économie du don dans laquelle le libre se positionne qui l'empoisonne. »

Et il ajoutait dans un second commentaire pour préciser sa pensée : « Mais prenons plutôt un exemple concret de ce que je veux dire en parlant d'amateurisme : il est tout à fait possible de mettre, comme l'a démontré Cyrille, tout un établissement scolaire, par exemple, sous Debian. Avec des machines configurées au poil près. La somme des compétences nécessaires pour réaliser cette mise en œuvre est conséquente, importante. Cyrille a choisi de prendre sur lui. Comme le font beaucoup d'acteurs du Libre. Ce qui laisse entendre que tout ça ne "vaut rien" en termes de services, de prestations, etc. Il en coûterait combien audit établissement si l'ensemble avait été facturé ? »

Avant de poursuivre je ferai tout de même une distinction au niveau des dons. Je suis effaré par cette multiplication des appels aux dons financiers, à la générosité des utilisateurs du Libre. À longueur de pages cette même litanie, donnez, donnez, versez votre obole pour ceci, pour cela. Sans aucune gêne on mélange la lutte contre la faim, contre certaines maladies, avec le soutien envers quelques actions du monde du Libre, en faveur de projets plus ou moins obscures ou même justifiés, en faisant ressortir souvent les avantages fiscaux à faire un don. On sollicite l'utilisateur, on le culpabilise. Je ne suis pas opposé aux dons en argent, seulement gêné par ce recours systématique de la part de certains, cette banalisation sans intérêt précis et ciblé clairement.

Mais à côté de cette « mendicité » il y a une autre forme de don, que l'on pourrait appeler le « don de soi » qui pourrait, si l'on n'y prend garde, s'estomper, voire disparaître faute de reconnaissance. Et ce don fait appel au partage. Partage de connaissances, d'analyses, pour développer, traduire, déboguer, commenter, expliquer, etc. etc.

Et, concernant ce modèle de don, même si l'on n'a bien entendu aucun problème avec le partage, cela pourrait-il être une dérive dangereuse pour le Libre ?

Christophe met en avant avec raison la somme de travail énorme fournie par Cyrille dans le cadre de son environnement professionnel car, prenant en grande partie sur son temps libre il a, entre autres activités, basculé deux établissements scolaires sous Debian. Certes, pour faire cela Cyrille a du se former, parfaire ses connaissances, acquérir sans cesse des connaissances sur le matériel, sur les logiciels, analyser les besoins, tester différentes solutions, améliorer sans cesse, puis faire les mises à jour, les adaptations. Bref, en effet un travail considérable et, ne serait-ce que dans la partie fermée du forum j'ai été témoin de nombreuses recherches faites, connaissances acquises.

Et oui, cela a un coût. Le chiffrer ? Il serai tout à fait possible de faire des hypothèses. En terme d'économies réalisées par les établissements sur le hardware d'abord. Facilement, au bas mot 400 € par poste. Sur le software ensuite, en tenant compte des licences pour le système d'exploitation et les programmes, on pourrait dire entre 150 et 250 € par poste. Le temps passé pour l'audit et la mise en production ? 50 € de l'heure dirons-nous multiplié par un nombre incalculable d'heures. Au final, oui très certainement les établissements scolaires ont pu réaliser ainsi une économie de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d'euros.

Est-ce de l'amateurisme ? Pour l'enseignant, ou toute autre acteur qui s'investit ainsi non, très clairement ce n'est pas de l'amateurisme.  À ce niveau de connaissances et de résultats on a affaire à un professionnel sans aucun doute possible.

Par contre, pour les établissements ou entreprises qui bénéficient ainsi de ces formes de dons, oui on pourrait peut-être penser que cela frise l'amateurisme, probablement inconscient d'ailleurs, de se reposer sur des solutions apportées de manière spontanée mais sujettes à bien des aléas et reposant entièrement sur le bon vouloir de ceux qui, tel Cyrille, acceptent de donner autant d'eux-mêmes.

Alors, ces dons n'ont aucune valeur monétaire ? Christophe écrit : «  Ce qui laisse entendre que tout ça ne "vaut rien" en termes de services, de prestations » Cette remarque est-elle justifiée ? Peut-être, oui pour certains, pour ceux qui pensent que ce qui est donné ne vaut pas un pet. Mais pas seulement pour ceux qui ne savent pas apprécier le don et là aussi Christophe soulève un vrai problème.

Tout comme on peut « chiffrer » le travail d'un intervenant bénévole, James Bromberger, développeur Debian a voulu chiffrer la valeur de la distribution Debian, ou plus exactement son coût de développement, et arrive au chiffre de 14 millards d'euros. Voir à ce sujet l'article de patrick_g et le lien vers le blog de Bromberger ainsi que ce passage traduit par Patrick :  « C'est intéressant de savoir que plus de 14 milliards d'euros de logiciels sont disponibles pour utilisation, passage en revue, amélioration et partage. Tout ça pour un prix de 0 euro. Si seulement plus d'entreprises réalisaient le potentiel de ce qu'elles ont sous leur nez. »

Ces doutes sur la valeur monétaire doivent-ils condamner une forme d'économie basée en partie sur le partage ? D’abord il est bien entendu que le gratuit n'est pas vraiment gratuit. Tous les acteurs du Libre et Gratuit participent à leur niveau, sur leur temps libre voire sur leur temps salarié parfois, sur leurs infrastructures personnelles, à la bonne marche de l'ensemble, et permettent ainsi d'éclater le coût réel. D'autres, essentiellement de grands groupes, font des dons et financent car ils y ont des contreparties. Donc même si c'est gratuit pour l'utilisateur final, et il est important qu'il reste gratuit car il participe du partage des connaissances, le Libre n'est pas gratuit mais d'un coût supporté par un grand nombre,

Et il ne faut pas oublier non plus que celui qui décide de « payer de sa personne » le fait en toute connaissance de cause, sans obligations, car il sait au fond de lui y trouver une certaine forme de satisfaction et peut lorsqu'il le désire lever le pied, même s'il sait aussi qu'il s'est rendu dans une certaine mesure indispensable à la bonne marche du projet réalisé grâce à lui.

Et il existe aussi, en parallèle, des intervenants, particuliers, entreprises, qui apportent eux aussi leur savoir faire contre rémunérations. Eux aussi il faut les mettre en avant, faire connaître leur existence afin que les donneurs d'ordres puissent choisir en toute connaissance de cause.

Ne pas oublier non plus le « crowdfunding » ou financement participatif : http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowdfunding qui permet de lever des fonds pour un projet déterminé, donc une forme de partage entre personnes ayant un même intérêt, un même besoin et qui veulent aider à sa réalisation, et cela au profit d'un plus grand nombre encore.

Au final un produit, un logiciel, une distribution seront proposés gratuitement à la grande majorité grâce à la participation, au partage d'autres intervenants.

Telle solution serait plus pérenne que l'autre ? Par définition l'appel à un professionnel rémunéré semble en effet plus fiable dans le temps mais rien n'est bien sûr. Hormis le sérieux et la fiabilité des professionnels dans leur ensemble une somme de partages reposant sur plusieurs acteurs bénévoles peut être aussi un gage de longévité. Aux entreprises bénéficiaires au final du travail de ces « bénévoles » de permettre d'une façon ou d'une autre la formation et la mise en avant de ces intervenants, de leur garantir une forme de reconnaissance, voire de rémunération.

Un autre élément à prendre en compte est le fait que le gratuit ne doit pas « cacher un loup », des contreparties voilées, fréquentes dans le monde « propriétaire ». Voir par exemple les conditions d'utilisation d'Instagram / Facebook prévoyant « désormais que les photographies publiées par les utilisateurs puissent être utilisées par Facebook dans le cadre de ses campagnes publicitaires ». Le Libre, avec ses licences, son mode de développement, permet en général de mettre à l'abri l'utilisateur de ce genre de pratiques, mais il faut tout de même rester vigilant, certaines dérives sont toujours possibles et la tentation de générer des profits est parfois forte. Ce référer d'ailleurs au développement de quelques « lens-shopping » toujours préoccupantes.

Alors, oui les modèles sont multiples, les solutions aussi, et il faudrait se garder d'enfermer le Libre dans un seul business plan soi-disant plus professionnel que les autres et, si grâce à ce billet j'ai pu mettre en avant le travail bénévole de certains intervenants alors je serais tout à fait satisfait, en ne niant pas pour autant les problèmes patents et les solutions multiples. Une dernière chose, pour les besoins de mon raisonnement j'ai pris Cyrille en exemple et à son insu, mais il y en a bien d'autres, des inconnus, des anonymes, qui interviennent et apportent leur élément d'un ensemble en devenir permanent. Il faut aussi se méfier d'une certaine forme de pragmatisme de bon goût, qui semble en odeur de sainteté chez certains et les pousse à penser qu'une solution peut être considérée comme Libre à partir de moment où elle permet à un utilisateur de faire certaines choses de manière plus pratique et facilement, et qu'il est libre de les utiliser, voire de les payer, ces mêmes personnes aveuglées au point d'écrire : "qui est le plus libre. Celui qui, grâce à Skype, peut discuter avec sa famille gratuitement à travers les océans ou celui qui ne peut pas communiquer du tout parce qu'Empathy crashe ? ". Sans épiloguer d'avantage sur ce sommet de philosophie toute personnelle du Libre on pourrait en effet se demander qui est plus libre, l'utilisateur de Skype en Chine et censuré, ou celui qui essaye de faire fonctionner un programme libre même avec des bugs.

cep

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