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Cyrille BORNE : Billet invité : Distributions, ligne de commande et élitisme.

lundi 8 juillet 2013 à 10:00

Il s’agit d’un billet de cpalui, un blogueur fou qui tente de pulvériser le record de commentaires sous des tas de pseudo différents. Comme vous le savez la maison ne s’arrête pas à ce genre de détails.

1. La meilleure distribution Linux.

Nous savons que les débats sur les choix d’une distribution Linux sont nombreux, polémiques, et au final stériles. C’est à chaque fois un champ de bataille qui finit par la déconfiture des différents bataillons. Chacun reste attaché à sa solution propre et le prosélytisme fourbit ses armes avant le prochain combat. Si les discussions sont aussi passionnées, c’est qu’il y a erreur sur le choix, je veux dire sur les conditions qui amènent à ce choix. Celui-ci est passionné alors qu’il devrait être rationnel, éclairé et explicable. Si les débats scientifiques ou philosophiques deviennent passionnés, c’est qu’ils ne sont pas menés par des professionnels de la science ou de la philosophie. Donc tentons de rationaliser froidement et objectivement. Mon discours cible le PC maison, le débat sur les solutions en entreprise étant motivé par des contraintes d’une tout autre nature.
Soit deux groupes de distribution Linux A et B, qu’on peut présenter de cette manière (plusieurs présentations sont possibles selon l’angle adopté, mais il faut se limiter) :
- groupe A : distributions présentées comme "faciles", adaptées aux novices Linux ou aux utilisateurs qui recherchent avant tout efficacité et stabilité, sans passer trop de temps sur l’entretien et l’administration;
-groupe B : distributions présentées comme "difficiles", avec une installation en mode texte, un recours à la ligne de commande privilégiée par rapport à des outils graphiques (par exemple Apt plutôt que Synaptic, un outil en ligne de commande et un outil graphique, tous deux fonctionnant bien), un temps d’entretien et d’administration plus élevé que dans le groupe A.
Dans cette présentation qui se veut objective et dépassionnée, on remarque tout de suite un problème, à savoir qu’il faudrait ajouter une distinction entre les distributions et les utilisateurs. Rien n’empêche un utilisateur du groupe B de choisir une distribution du groupe A afin de pratiquer la ligne de commande et de compiler tout ce qui bouge. Par contre il semble plus difficile, mais pas impossible, à un utilisateur du groupe A de passer dans le groupe B, puisque cet utilisateur a choisi
le groupe A pour son ergonomie. Mais on peut aussi supposer que les utilisateurs du deuxième groupe sont d’abord passés par le premier, puis ont choisi a posteriori de changer de cap. Ceci dit pour signaler que le choix rationnel d’une distribution dépend aussi beaucoup du sujet qui fait tel ou tel choix, à partir de ses besoins, son expérience, sa volonté, sa curiosité, sa disponibilité, etc., tous déterminants qui influencent grandement le choix, qui pourtant devrait être objectivement défini.
Donc la discussion sur le choix ou l’évaluation rationnels d’une distribution est terminée, puisque le débat est mal posé, c’est un faux problème, et comme l’a très bien exposé Bergson, tous les faux problèmes ne peuvent trouver de solution valide. Quand un scientifique fait une expérience sur un objet, quel qu’il soit, l’observateur ne doit pas tenir compte de ses propres besoins, de sa disponibilité, idéalement tout déterminisme doit être écarté. L’observateur ne doit avoir aucune influence personnelle sur le cours de l’observation, il doit rester neutre, sans aucune passion.
Donc on ne peut pas dire que telle ou telle distribution est meilleure ou pire qu’une autre, mais qu’elle est mieux adaptée à telle ou telle personne, tel ou tel usage défini subjectivement, et uniquement à un moment donné. Ce genre de débat est dit aporétique, c’est-à-dire qu’il a été mal posé et, partant de là, ne pouvait déboucher que sur une impasse, impasse dans laquelle tout le monde s’engouffre comme dans un piège. Cela veut-il dire que toutes les distributions se valent et qu’aucune hiérarchie n’est possible? Non. Cela signifie qu’il faudrait établir des critères strictement définis pour établir une comparaison un tant soit peu crédible. Et je pense qu’on arriverait à une nouvelle impasse, puisqu’il est impossible de comparer des pommes et des poires, d’autant plus si le panel d’observateurs se divise entre ceux qui préfèrent les pommes et ceux qui préfèrent les poires.

2. La ligne de commande.

Selon Wikipédia «une interface en ligne de commande (couramment abrégé CLI en anglais) est une interface homme-machine dans laquelle la communication entre l’utilisateur et l’ordinateur s’effectue en mode texte : l’utilisateur tape une ligne de commande, c’est-à-dire du texte au clavier pour demander à l’ordinateur d’effectuer une opération; l’ordinateur affiche du texte correspondant au résultat de l’exécution des commandes tapées ou à des questions qu’un logiciel pose à l’utilisateur.» La souris est aussi une interface homme-machine, mais en mode graphique, beaucoup moins fatigante que le clavier puisqu’un seul doigt est monopolisé, ce qui est largement suffisant pour prouver la supériorité de l’une sur l’autre. La CLI c’est mal, c’est élitiste, c’est vieux et inutile. D’ailleurs c’est pour ça qu’il n’y en a pas sur Windows, ils ont tout compris et ses utilisateurs ne savent même pas ce que c’est, et je ne comprends pas pourquoi cette obsolescence n’a pas été éradiqué par les distributions les plus modernes et les moins élitistes. Quelques images pour vous montrer à quel point le combat des anciens relèvent d’une époque préhistorique qu’on croyait révolue.

Le Bien : couleurs chatoyantes 2013cpalui02.png

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Le Mal : texte tout petit en noir et blanc

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3. L’élitisme.

Dans les débats, certains s’agitent en brandissant un terme qui semble faire polémique : élitisme.
Pour Wikipédia, «l’élitisme est une attitude qui consiste à favoriser l’accession des personnes jugées comme étant les meilleures et qui tend à dévaloriser le reste de la population (…) En matière éducative, l’élitisme pousse à une sélection intense des candidats, réfute l’argument selon lequel on pourrait réussir sans avoir obtenu de très hauts diplômes, et nie reposer sur un déterminisme social : selon ses tenants, si une personne est véritablement douée, elle parviendra à entrer dans l’élite, indépendamment de ses possibilités réelles, dans le cas contraire, c’est qu’elle manquait des qualités requises.»
L’élitisme est une notion péjorative, qui s’oppose à "démocratisation", qui évoque l’idée de diffusion en direction du plus grand nombre. Dans notre discussion, le groupe A représente la démocratisation de Linux, c’est-à-dire un outil informatique dont l’un des critères est un haut niveau d’accessibilité obtenu par sa facilité d’utilisation . Par exemple, dans ce cadre-là, Windows est un OS facile et accessible à tous, et d’ailleurs les partisans de Windows fuient Linux parce qu’il est réservé à « ceux qui s’y connaissent en informatique », donc réservé à une élite. Mais, paradoxalement, au sein des Linuxiens, la même fracture réapparaît. Les partisans du groupe B sont accusés par ceux du groupe A d’élitisme, puisque ces derniers choisissent des solutions présentées comme difficiles, opaques et seulement accessibles à une minorité, une élite.
Élitisme vient d’élite, ce dernier terme ayant connu plusieurs acceptions, de la plus grande excellence (Athènes et Rome par exemple) jusqu’au plus grand mépris dans notre période actuelle. Pour le sens des mots, je fais confiance aux Grecs et aux Romains plutôt qu’aux présentateurs de la TV ou autres journalistes du Figaro. Puisque mon Petit Robert (avec interface papier) me dit que le terme "élitisme" est apparu en 1967 dans ce journal. Je ne lis pas ce quotidien financé et lu par l’élite économique et politique de droite, ce mot n’appartient donc pas à mon vocabulaire. Il nous reste donc l’élite. Dont, à mon grand regret, et pour que les choses soient claires, je ne fais pas partie. Et ici je ne fais pas référence à l’élite économique ou politique. Je m’intéresse à ceux qui ont envie de faire plus, de progresser, de devenir meilleurs. Pas meilleurs dans l’absolu, pas les meilleurs, mais meilleurs qu’avant, dans un ou deux domaines. Par exemple ceux qui, pardonnez-les, souhaitent passer du groupe A au groupe B. Pour illustrer, de passer d’Ubuntu/Mint/Manjaro à FreeBSD /Arch/Gentoo. Donc le groupe B est composé de transfuges ayant quitté et trahi le groupe A : «Le monstre a trahi la cause démocratique, il est passé du côté obscur, il a rejoint les troupes de Dark Vadorux, le félon de la LDCN&B (Ligne de Commande Noire & Blanche), c’est un élitiste qui doit être conchié et banni du FDP (Forum Démocratique et Participatif).» Installer une distribution du groupe B demande des efforts et du temps, notamment pour lire une documentation dans une langue étrangère. Effort, lecture, temps = élitisme. J’ai des craintes pour les nouvelles génération qui doivent évoluer dans ce nouveau système d’apprentissage : la grammaire et les maths c’est dur, l’école ça prend trop de temps, et l’ effort c’est de l’élitisme. Le discours anti-élitiste a eu lieu plusieurs fois dans l’histoire récente, mais je ne vais pas vous faire un cours d’histoire, ça nous demanderait de faire des efforts en pure perte de temps, alors qu’il vaut mieux consacrer celui-ci à des choses plus faciles et plus agréables.
Ceux qui honnissent ces valeurs ont adopté un antidote à l’élitisme, qu’on peut appeler le cancrisme. Ils en ont le droit, d’ailleurs ils ont tous les droits, puisque les cancristes sont les nouveau guides qui règnent dans tous les mass medias (médias de masse, internet, tv, radios). Je les prie seulement d’avoir l’amabilité de ne pas imposer leurs règles à ceux qui ont fait un autre choix que le leur et qui n’ont pas le même pouvoir de nuisance, du fait qu’ils sont minoritaires et en voie d’extinction. Alors, en attendant les autodafés, ils sont priés de ne pas blâmer les rares étudiants, feignants et autres chômeurs qui ont choisi de perdre leur temps avec Shakespeare, Proust, Godard, Bach, et … la ligne de commande.

Vos choix vous engagent, et votre absence de choix vous engage encore plus, mais elle ne doit pas engager ceux qui ont choisi de choisir. Quand Beckett dit qu’il faut réessayer pour rater encore, pour rater mieux, d’autre préconisent de ne pas essayer, c’est le meilleur moyen de ne jamais rien rater.

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