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Les limites de la démocratie directe illustrées par Luther

vendredi 19 juillet 2013 à 11:57

Luther dispose, comme de nombreuses séries de la BCC, d'une écriture ciselée comme du diamant. Le dernier épisode de la saison 3 m'a inspiré plusieurs réflexions sur la démocratie directe.

Photo : BBC

Photo : BBC

Je cherchais depuis des années une série qui puisse me donner une claque équivalente à celle que j'avais reçue en découvrant The Shield. John Luther, le héros de la série homonyme, pose comme le furieux Vic MacKey un réel cas de conscience à son spectateur à propos de la Justice.

Mais les scénaristes anglais ont fait encore plus fort avec le troisième épisode de la saison 3, en posant en plus des questions habituelles (comme "jusqu'où un policier peut-il aller pour faire respecter la loi ?") une importante limite de la démocratie directe.

Ceux qui veulent découvrir la série ou éviter le spoil l'auront compris, il faut arrêter la lecture ici :-) .

Dexter 2.0

Les criminels de la saison 3 de Luther sont des victimes qui se sont changées en bourreaux, autrement dit des figures vengeresses. Mais Tom Marwood, le dernier tueur auquel est confronté John Luther, est d'un genre très particulier.

Ce Marwood, c'est un peu Dexter Morgan qui s'amuserait à exposer ses victimes et à réclamer l'approbation de la foule. Tout commence lorsque l'on découvre trois cadavres avec des autocollants promotionnels sur la bouche.

Très vite, le site indiqué sur les autocollants est ouvert, et Tom Marwood présente face caméra les grandes lignes de son projet :

Luther sent tout de suite pointer le danger d'une soif de sang collective. Il s'en est déjà rendu compte en interrogeant l'un des témoins des premiers assassinats, qui s'est offusqué qu'un policier puisse vouloir arrêter l'homme qui a empêché son agression.

Du pain et des jeux

Vis-à-vis d'Internet, les scénaristes ont l'intelligence de ne pas blâmer l'outil mais bien l'usage. Le patron de John Luther, Martin Schenk, lui demande s'il comprend quelque chose aux réseaux sociaux (et pas à Internet). Plein de sagesse, l'inspecteur lui répond simplement :

Du pain et des jeux

Car c'est tout ce qu'offre Tom Marwood à la foule qui veut se venger sans connaître quoi que ce soit des personnes qu'il chasse. Et le clou de son spectacle s'appelle Denis Cochrane.

Marwood enlève ce pédophile et propose à ses abonnés un ultimatum en ligne. Si une majorité baisse le pouce, il pendra Cochrane à minuit pile.

Le système choisi par Tom Marwood ressemble en beaucoup de points à la démocratie directe, fonctionnement de prise de décision plébiscité dans la Catalogne anarchiste des années 1930.

Le principe ? Au lieu d'élire des représentants qui prennent des décisions au nom de  ceux qui les ont élus, les gens votent directement pour décider ce qui les concerne. Un peu comme si les référendums se généralisaient pour tout.

Ce type de démocratie, rattachée à l'idée d'autogestion, a l'énorme avantage de rendre l'électeur directement souverain des décisions le concernant. Mais il n'est pas sans défaut, notamment dans les domaines où l'émotion gouverne.

Et cet épisode de Luther montre, avec une très grande clarté, les limites de la démocratie directe si l'on applique à la Justice, avec :

Luther s'y risque en demandant à une ancienne victime de Cochrane de plaider lors d'une conférence de presse la vie de celui qui a ruiné sa vie.

L'inspecteur argumente, explique qu'il n'éprouve aucune compassion pour cet ancien pédophile mais que ce n'est pas à lui de décider qui doit vivre ou mourir, et la victime accepte.

Mais au moment de la conférence, elle victime craque et réclame la mort. Avant la mise à mort, Tom Marwood tweete l'adresse de l'exécution et Luther parvient à sauver in extremis Cochrane, en résistant à un début de lynchage de la part de certains spectateurs.