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Rapprochement CSA-ARCEP: l'art de danser le pogo sur un champ de mines...

jeudi 6 septembre 2012 à 12:33

Le sujet a déjà fait quelques beaux papiers lors de l'annonce du gouvernement du lancement d'une réflexion sur le rapprochement du CSA et de l'ARCEP, avec en ligne de mire l'ANFR et pourquoi pas la HADOPI, voire pour les plus fous le CNC.

Il en a été dit que c'était très mal, et on a régulièrement expliqué pourquoi. Je voulais revenir sur le sujet, volontairement à contre-temps.

Qui est qui dans cette histoire...

De toutes ces autorités, celle que je connais le mieux, c'est l'ARCEP. Elle fait un travail essentiellement technique et économique de régulation du secteur des télécoms, avec comme mission essentielle de permettre à une concurrence de s'installer, en réduisant de force la voilure de l'opérateur historique. Dans ses attributions annexes, il y a le fait de gérer les fréquences radio utilisées dans les télécoms: l'attribution des fréquences aux opérateurs mobiles, les attributions de fréquences WiMax, les conditions d'utilisation des fréquences WiFi, etc[1].

Le CSA, pour sa part, distribue les fréquences radio servant à la diffusion de la télé[2], et veille attentivement au contenu diffusé par la lucarne magique. Historiquement, pour justifier ce contrôle politique des médias audiovisuels, on s'appuyait sur la rareté des fréquences. Puisque seules quelques chaînes de télé pouvaient être diffusées, l'attribution d'une fréquence se traduisait par des obligations (financement de la création, diffusion de la propagande officielle, contrôle du temps de parole politique, etc).

L'ANFR se charge d'un rôle infiniment moins polémique, parce que technique, dans la gestion des fréquences radio (on y déclare par exemple l'utilisation des radios des avions ou des bateaux, sans que ça ne fasse hurler personne). La HADOPI n'a pour seule fonction que d'essayer de réguler les contenus qui circulent sur Internet, avec tous les risques d'atteinte aux libertés que ça comporte (à commencer par la surveillance généralisée de la population par une officine privée). Le CNC quant a lui n'a pour rôle que de récolter du pognon pour le cinéma (ce qui rejoint un peu le CSA, le financement du cinoche est une obligation classique des chaînes auxquelles on offre une fréquence).

La logique du rapprochement

Qu'il y ait 3 autorités chargées de la distribution des fréquences, ça peut sembler curieux. Que ces 3 autorités aient des règles de fonctionnement différentes, régies par des lois différentes, avec des objectifs sans rapports les uns avec les autres, c'est assez illisible.

Le CSA, par exemple, passe son temps à expliquer que toute image ou tout son relève de son autorité (audio-visuel) et que donc le GIF animé que je regarde sur mon ordi c'est pour lui. Ridicule. L'ARCEP de son côté passe son temps à dire que le contenu des réseaux c'est pas son affaire, et que donc l'abus de position de force des opérateurs pour porter atteinte à la neutralité des réseaux, il ne veut y toucher que de loin avec des pincettes. Ridicule.

Du coup, remettre tout ça proprement à plat, avec des conditions claires d'attribution des compétences, et des conditions lisibles sur les obligations qui accompagnent l'attribution des fréquences, ce n'est pas idiot.

On peut profiter de l'occasion pour asseoir (ou pas) de manière lisible un financement du cinéma sur l'attribution d'une fréquence de diffusion télé. On peut en profiter pour rappeler au CSA qu'il n'est pas légitime de vouloir contrôler le contenu diffusé sur un réseau où il n'y a pas de ressource rare (si je veux faire une WebTV qui diffuse Thierry la Fronde en boucle, c'est mon bon droit, le CSA n'a pas à m'en empêcher).

Ainsi, il ne peut y avoir que quelques dizaines de chaînes en diffusion TNT. Donc pour choisir ces quelques très rares chaînes, il est légitime qu'elles aient un cahier des charges contraint, et qu'on fixe des règles sur ce qu'elles ont le droit de diffuser. Par contre, à partir du moment où on diffuse sans cette contrainte de canal, par exemple sur le Net, alors la puissance publique n'a aucune légitimité à contrôler a priori ce qui est diffusé (il reste alors la régulation a posteriori, pour condamner par exemple la diffusion de fausses nouvelles, la diffamation, l'injure, etc, bref, la loi de 1881 sur la liberté de la presse).

De même, on peut tout à fait imaginer que les entreprises qui diffusent des programmes audio-visuels soient soumises à un impôt servant à financer le cinéma, soit en versant directement les sommes au CNC, soit en produisant des films, soit en payant un impôt. On pourrait même imaginer que le même impôt puisse s'appliquer aux entreprises qui diffusent des contenus à la demande (et hop, la fameuse taxe google, enfin, youtube, en l'occurence). Il restera à en définir l'assiette et le montant, mais on reviendra à une situation saine: la définition de cet impôt retournera du côté du fisc, et quittera une autorité politique de censure des contenus (le CSA).

Cette approche revient à charcuter le CSA, pour le remettre proprement à sa place, la régulation des chaînes diffusées en hertzien. A lui couper toute velléité de réguler la libre expression des citoyens. A lui couper toute velléité de filtrage généralisé et de censure. L'ensemble ayant comme effet de rationaliser la gestion technique[3].

Mais voilà, il n'y a aucune chance qu'on se dirige vers cette solution logique.

Les risques et les antécédents

Si nos politiques avaient eu, de droite comme de gauche, une tendance farouche et répétée à faire des choix rationnels, et protecteurs des libertés, en matière de numérique depuis 15 ans, alors, on serait porté à croire que l'approche évoquée plus haut sera retenue.

Sauf que ça fait 15 ans qu'à droite comme à gauche, quand il y a un doute entre deux solutions sur du numérique, nos gouvernants choisissent toujours la pire, voire en inventent une troisième pire encore que les deux envisagées.

La tentation de donner au CSA (donc au politique, hein) un contrôle, et donc un droit de censure, sur Internet est une tentation ancienne. Le gouvernement Jospin avait essayé, en imposant de devoir déclarer tout site web auprès du CSA (amusant, non?). La dernière tentative en date est un amendement déposé par Frédéric Lefebvre (donc de droite, faut suivre) sur une loi audiovisuelle il y a peu de temps (sous l'ancienne majorité, amendement repoussé).

De la même manière, l'ARCEP n'a pas bonne presse dans les ministères. C'est une autorité indépendante, qui fait un boulot technique, et qui applique des règles techniques, plutôt que de se plier aux désirs de ses ministres de tutelle. Le gouvernement précédent n'a soutenu que sous la contrainte le choix d'imposer un 4e opérateur mobile. Il a d'ailleurs voulu se venger en imposant un "commissaire du gouvernement" au sein de l'ARCEP (là aussi, repoussé de justesse). Le gouvernement actuel part sensiblement dans la même optique (relire les déclarations agressives de Montebourg, par exemple).

Il y a donc une piste idiote, dangereuse, mettant à mal les libertés publiques, à commencer par la liberté d'expression, qui consiste à fusionner les deux, et à donner au fruit de la fusion un droit de contrôle, et donc de censure, sur tous les contenus qui circulent sur les réseaux comme dans la télé, avec un contrôle bien plus fort de la nouvelle autorité par le pouvoir politique. Bref, une sorte de rétablissement du ministère de l'information qui n'ose pas dire son nom.

Tout dans le passé politique français indique que cette idée de fusionner les deux autorités va déboucher sur cette solution affreusement mauvaise. Il n'y a pas le moindre élément factuel qui laisse penser que la bonne solution puisse être retenue.

La probabilité que ce dossier explose est donc élevée. Ça pourrait bien se passer, mais tout le contexte indique bien que cette danse qui aurait pu être calme va être agitée. Le gouvernement semble bien parti pour avoir choisi le pogo plutôt que la valse, alors que le terrain alentour est miné depuis des années.

Mais cependant une bonne solution existe. Ce dossier demande donc de la vigilance.

Que faire ?

Depuis plus de 15 ans, on voit nos politiques avancer avec leurs gros sabots. On arrive à prédire avec pas mal de finesse la prochaine bêtise qu'ils vont faire sur les sujets autour d'Internet et du numérique.

Donc tout laisse à penser que la bêtise qu'on voit venir va avoir lieu.

Depuis 15 ans, on arrive à contrer la majeure partie de ces bêtises, ou à en atténuer la portée, par une opposition forte une fois que les textes sont sur la table, et qu'ils sont tellement idiots qu'il est trop tard pour améliorer quoi que ce soit[4].

On peut continuer comme ça. Mais ça nous ferait des vacances que dans le changement qui est supposément maintenant on arrive à ce que le texte soit plutôt intelligent, et que nous n'ayons que quelques améliorations à proposer lors du débat parlementaire.

Bon. Je sais. Mais j'assume complètement mon côté bisounours, hein.

Notes

[1] Il y a aussi la gestion d'autres ressources, comme l'attribution des plages de numéros de téléphone, par exemple.

[2] Oui, de la radio aussi, mais ce n'est qu'une forme de télé sans image, finalement.

[3] Le choix stupide du MPEG1 pour la TNT, par exemple, qui limite artificiellement le nombre de chaînes diffusables sur la TNT. Une autorité technique, moins soumise au pouvoir des lobbies audio-visuels soucieux de garder leur précieux pré-carré, aurait choisi le MPEG4 pour pouvoir diffuser 2 à 3 fois plus de chaînes, en ne gaspillant pas une ressource rare.

[4] Le cas HADOPI fut pathologique, mais pas isolé du tout. La question du statut des intermédiaires techniques, lors de l'affaire Estelle Hallyday contre Altern, avait été gratinée aussi, par exemple.