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Moi, cet imposteur !

jeudi 1 janvier 1970 à 01:00
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"Qui êtes-vous, professionnellement ?"

Voilà une question qui mérite une attention toute particulière. Beaucoup de personnes pensent qu'il suffit de définir des intérêts professionnels et de travailler dans un domaine plaisant pour s'y sentir nécessairement à l'aise. Pourtant, certaines n'y parviennent pas. Elles vivent un certain inconfort qui leur donne le sentiment d'usurper leur position. De ne pas être à leur place. De prendre celle de quelqu'un d'autre. Manque de compétences ? Peut-être. Mais les facteurs peuvent être multiples : manque de motivation, manque de confiance ou d'estime de soi, remise en question excessive... Parfois, le problème est à chercher du côté d'un contexte professionnel particulier : lieu de travail inadéquat, supérieur hiérarchique humiliant, collègues irrespectueux, ou clients mécontents. Mais il peut arriver que cet inconfort, qui va jusqu'à procurer un sentiment d'imposture professionnelle, apparaît sans pour autant que l'on puisse l'attribuer à aucun des facteurs décrits ci-dessus.

Lorsque les autres facteurs sont écartés, la cause est peut-être à rechercher dans le processus identitaire professionnel.

L'identité professionnelle en cause

L'identité est fréquemment conçue comme une sorte de monolithe psychique, un "moi", un "je", qui renvoie à une conception unifiée et stable de soi. Dans les faits, nous sommes constitués d'une multitudes d'identités relativement changeantes (voire volatiles) qui cohabitent les unes avec les autres et qui prennent une place plus ou moins importante au fil du temps. Par exemple, une partie de mon identité actuelle est celle du "technophile" qui raffole des nouvelles technologies (mobiles en particulier) et qui adhère, en termes de valeurs, à la philosophie du logiciel libre. Un autre pan de mon identité est celle du psychologue, rationaliste et scientifique. Je pourrais affirmer qu'il s'agit là de mon identité professionnelle principale, même si la fonction que j'occupe dans l'entreprise qui m'emploie porte un nom différent. Je vous parlerais encore de mon identité de père de famille ou, pour prendre une caractéristique de ma personnalité, je mentionnerais peut-être mon affiliation à la catégorie des cartésiens et de ceux qui doutent un peu de tout. Et ainsi de suite.

Dans l'absolu, nous pourrions dire que notre Identité (I), avec un "i" majuscule, est composée d'un groupe plus moins important d'identités (i), avec un "i" minuscule, qui s'additionnent les unes aux autres :

I = Σ(i1, i2, i3, i4, ..., ii)

Lorsque l'identité professionnelle (ix) est absente, extrêmement réduite, ou en totale inadéquation avec le poste occupé, le sentiment d'imposture professionnelle peut apparaître ou se renforcer. On peut apprécier ce que l'on fait, mais si on ne s'est pas formellement identifié à cela - j'entends par là : intégrer en soi l'idée que l'on fait partie de la même famille professionnelle que d'autres praticiens dans ce domaine - il devient difficile d'y mettre un sens et de se sentir à l'aise dans son travail.

Construire sa "roue identitaire"

Pour autant, certaines personnes ont construit une structure identitaire non professionnelle et n'en ressentent pas un malaise. Mes observations personnelles m'ont cependant donné l'impression que dans la plupart de ces cas, la carrière professionnelle ne revêtait en elle-même qu'une importance très réduite dans l'échelle de valeur de ces personnes. Le travail est une sorte de nécessité alimentaire et il suffit qu'il ne soit pas désagréable pour qu'il apporte satisfaction. Beaucoup d'individus ne sont pas dans cette configuration-là : pour eux, le travail est un autre moyen d'exister, une extension d'eux-mêmes investie dans une partie importante de leur vie.

Le sentiment d'imposture professionnelle peut donc naître d'une non-appropriation de sa fonction ou sa profession. Il peut être exacerbé par l'impression "d'appartenir à un autre monde" professionnel : "Je ne suis pas trader, je suis musicien !". Déceler ses identités et en mesurer leur influence respective peut être fait aisément : prenez le temps de répondre à la question "Qui suis-je ?" en listant cinq à quinze caractéristiques majeures (les petits "i") dans lesquelles vous vous reconnaissez, et dans lesquelles d'autres peuvent vous reconnaître. Il peut s'agir de professions, statuts, fonctions, traits de personnalité ou encore valeurs fondamentales. Une fois cette liste établie, déterminez l'importance que chaque identité prend pour vous et placez ces différentes notions dans ce que je nomme la "roue identitaire" (voir image illustrative) : il s'agit simplement d'une sorte de camembert ("pie chart") dont les parts, de taille différente en fonction de l'importance qu'elles revêtent, contiennent vos différentes facettes identitaires.

Cette sorte de cartographie de vos identités doivent vous permettre de dire en votre for intérieur : "ça, c'est moi !". Partant de là, comparez votre roue identitaire aux exigences du poste que vous occupez ; demandez-vous s'il y a compatibilité de part et d'autre.

Un problème, des solutions

S'il y a incompatibilité et que le sentiment d'imposture persiste voire augmente, il existe des solutions. La première, c'est le "non-changement". Ce qui ne veut pas dire passivité pour autant. Une appropriation identitaire de son activité professionnelle reste nécessaire. Ce processus est typiquement facilité par un bilan de compétences [1] qui aide l'individu à comprendre ce qu'il fait et pourquoi il le fait. L'autre effet du bilan pourrait être une augmentation de l'estime de soi - ou du moins de la confiance en ses capacités. Attention : cette démarche ne conduit pas nécessairement à la "réconciliation professionnelle" mais peut, au contraire, augmenter le malaise. Vient donc la deuxième solution : le changement et la définition d'une nouvelle voie professionnelle, plus favorable à son identité (I) ou ses identités (i). Il existe toutes sortes de professionnels crédibles qui peuvent vous aider à préparer cette transition. Des tests d'intérêts professionnels peuvent par ailleurs soutenir une telle démarche (certains d'entre eux, par ailleurs, proposent une liste de profession à laquelle on s'identifie aisément, puis mettent en opposition vos choix en terme de métiers avec vos choix en termes de tâches professionnelles [2]).

Quelle que soit votre situation, si vous subissez un sentiment d'imposture professionnelle, ne restez pas dans l'inaction : les chances qu'il s'en aille de lui-même sont assez réduites.

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