CAFAI Liens en Vrac 19/04/2015 Des amendements cosmétiques n’y changeront rien : cette loi instaure une société de surveillance
généralisée. Profitant des potentialités techniques de la révolution numérique et des opportunités
politiques de l’émotion sécuritaire, elle autorise l’État profond, cette part d’ombre du pouvoir
exécutif qui, à l’abri du secret-défense, n’a pas de visage et ne rend jamais de compte, à espionner
tout un chacun, n’importe qui, n’importe quand, n’importe où.
L’avènement de cette loi signifiera qu’en France, désormais, de façon légale, l’État de police
l’emportera sur l’État de droit. Que le pouvoir en place pourra faire surveiller des citoyens et
leurs entourages sans restrictions solides, sans contrôles indépendants, sans autorisations
judiciaires. Que le soupçon remplacera la preuve. Que des opinions deviendront des délits. Que des
fréquentations s’avéreront coupables. Que des curiosités se révéleront dangereuses. Que des
différences ou des dissidences à l’égard des pensées dominantes ou des politiques officielles seront
potentiellement criminelles. [...]
Tandis que chômage, précarité, insécurités sociales et injustices économiques, mal-vivre et mal-être
sont relégués en fond de décor de notre vie publique, sans urgences ni priorités de nos gouvernants,
plus de vingt-cinq lois relatives à la sécurité intérieure ont été adoptées ces quinze dernières
années, entre 1999 et 2014. Déplorant « cette prolifération de textes législatifs relevant davantage
de l’opportunité politique que du travail législatif réfléchi », la CNCDH « rappelle l’importance
d’une politique pénale et de sécurité pensée, cohérente, stable et lisible, dont la qualité ne se
mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers et aux circonstances du moment ». [...]
Cette procédure arbitraire dévoile l’intention de ses promoteurs : jouer sur l’émotion pour imposer
la régression. Le pouvoir exécutif réclame un chèque en blanc pour l’État profond, de surveillance
et de police, sans expertise ni bilan, sans critique ni autocritique. Aucun débat préalable, aucune
enquête parlementaire, aucune audition contradictoire pour évaluer les récents fiascos sécuritaires
des services chargés de la lutte antiterroriste, alors même que les itinéraires de Merah, de
Koulibali et des frères Kouachi le justifieraient amplement, révélant des failles de surveillance et
des manques de vigilance. [...]
Autrement dit, ce projet de loi est anticonstitutionnel, violant notre loi fondamentale, celle dont
le président de la République est normalement le gardien. « Toute Société dans laquelle la garantie
des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »,
énonce l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Comment François Hollande
ou Christiane Taubira, qui ni l’un ni l’autre ne sont juristes, peuvent-ils rester inertes face à ce
réquisitoire aussi rigoureux qu’implacable de la CNCDH, commission éminemment représentative de la
société dans sa diversité dont l’efficace présidente, Christine Lazerges, est de ces professeurs de
droit qui se font fort de « raisonner la raison d’État » ? [...]
Mais, pour les sachants qui prétendent nous gouverner, leurs cabinets et leurs communicants, cette
expertise citoyenne ne compte pas, y compris quand elle s’exprime jusqu’à l’Assemblée nationale, au
sein d’une commission sur le droit et les libertés à l’âge du numérique composée de parlementaires
et de représentants de la société civile (lire là son avis)[3]. Pour eux, la société qui proteste a
forcément tort. Elle est mal informée, mal éduquée, mal intentionnée. Il y a là une pédagogie
antidémocratique au possible, où les représentants ignorent superbement ceux qu’ils sont supposés
représenter, où le pouvoir exécutif s’affirme comme le tuteur autoritaire d’une société ignorante ou
menaçante, dans tous les cas mise à distance et sous contrôle. [...]
crime légal, officiel, gouvernemental et, peut-être, parlementaire, puis présidentiel si la loi est
adoptée puis promulguée. Un devoir qu’au temps des combats fondateurs de la République, à la fin du
XIX^e siècle, avait rejoint un jeune conseiller d’État qui, à la suite de Francis de Pressensé,
dressait un réquisitoire contre les lois de 1893-1894 aussi informé que celui de la CNCDH contre le
projet de loi qui nous occupe. Par obligation de réserve, il signait anonymement « Un Juriste ».
Mais l’on sait, depuis, qu’il s’agissait de Léon Blum, le futur leader du socialisme français,
l’homme du Front populaire, dont c’était le premier acte politique.
« Telle est l’histoire des lois scélérates, concluait-il avec des mots que nous n’hésitons pas à
reprendre aujourd’hui : il faut bien leur donner ce nom, c’est celui qu’elles garderont dans
l’histoire. Elles sont vraiment les lois scélérates de la République. J’ai voulu montrer non
seulement qu’elles étaient atroces, ce que tout le monde sait, mais ce que l’on sait moins, avec
quelle précipitation inouïe, ou quelle incohérence absurde, ou quelle passivité honteuse, elles
avaient été votées. »
Mesdames et Messieurs les députés, d’ici le 5 mai, vous avez le choix entre la honte ou l’honneur.
La honte d’être complices d’un attentat aux libertés. L’honneur d’être fidèles à la République
véritable.
(
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