Riff's Links"« Cosmos », radiographie d’un best-seller"
"Naguère, Onfray affirmait avec panache : « Plus que jamais, la tâche de la philosophie est de résister, plus que jamais elle exige l’insurrection et la rébellion, plus que jamais elle se doit d’incarner les vertus de l’insoumission » (Cynismes, Grasset, 1990). Or son vitalisme emprunte passablement à l’« élan vital » d’Henri Bergson, le philosophe dont Charles Péguy estimait qu’il avait réintroduit la vie spirituelle dans le monde, ce qui est déjà surprenant. Mais surtout, ce que développe l’auteur de Cosmos rejoint étonnamment une certaine pensée de l’ordre, un ordre immuable, premier, seul porteur de vérité, auquel il convient de se soumettre. Exaltation de l’instinct et de l’inconscient collectif au détriment de la raison, prééminence accordée à l’animalité de l’homme, dégoût de la « civilisation », glorification de la puissance de la vie, hantise de la décadence, aspiration à retrouver un âge d’or par le retour à la tradition : autant de notions qui font écho, parfois très précisément, à une sensibilité largement déployée jadis.
C’est Maurice Barrès (1862-1923), qui chante « l’énergie créatrice, la sève du monde, l’inconscient » (Le Jardin de Bérénice, 1891), l’instinct des humbles et... le nationalisme. C’est le philosophe Ludwig Klages (1872-1956), proche de la révolution conservatrice allemande, dont l’essai L’Homme et la Terre (1913), l’un des premiers grands manifestes écologistes, postule que le cosmos est vivant, que le progrès est « un désir de meurtre inassouvi » et que le retour à la nature est salvateur. C’est l’Allemand Oswald Spengler (1880-1936), attaché à l’ordre, au devoir et à un socialisme « conservateur », qui, dans Le Déclin de l’Occident (1918), déplore la stérilité de la modernité et incite à trouver le salut collectif dans la considération du passé. Ces quelques exemples, tous représentatifs d’un courant à strictement parler réactionnaire, n’épuisent pas l’effervescence d’une pensée, souvent lyrique, qui fleurit jusque dans les années 1930, et dont ce qu’on n’ose appeler la « pensée New Age » fut une variation plus récente. Rechercher l’accès « direct » aux forces du vivant, toute subjectivité abolie, relève du fantasme mystique. Le théoriser engage sur la voie périlleuse qui préfère l’irrationnel à l’émancipation.
Onfray déclarait dans Le Point (9 mars 2005) « ne plus se faire avoir par les étiquettes ». Ce n’est guère aujourd’hui un signe d’originalité, mais c’est en revanche une recommandation à faire à ses lecteurs : l’athée farouche qu’il fut est désormais tout imprégné d’une spiritualité aussi vague que confuse ; le rationaliste qu’il se veut chante la louange de l’instinct silencieux ; le libertaire qu’il se proclame est devenu le héraut du respect des traditions."
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