CAFAI, le 18/10/2013 à 05:52
nterview de Stéphane Bortzmeyer
Concrètement, quel est votre avis sur la faisabilité de cette récente envie (des dirigeants des organisations responsables de la coordination de l'infrastructure technique de l'Internet au niveau mondial) d'appliquer une certaine décentralisation surtout politique de l'infrastructure pour qu'elle ne dépende plus quasi exclusivement du gouvernement américain ?
Il faut être prudent car rien n'indique qu'il s'agisse d'une vraie volonté et pas simplement d'un effet d'annonce. L'ICANN reçoit toute son autorité d'accords avec le gouvernement des États-Unis. Cela lui laisse la possibilité d'appeler à plus d'internationalisation, mais certainement pas celle de mettre cet appel en pratique.
Concernant des organisations comme l'IETF, elle est partagée entre le désir de prendre ses distances avec les ratiques d'espionnage de la NSA et la crainte de ne pas avoir autant d'influence dans un Internet plus internationalisé (en langage codé à l'IETF, cela se dit « il faut éviter la fragmentation de l'Internet »).
Quelles seraient les solutions envisageables pour que l'ICANN, et au final la structure décisionnelle de la gestion d'Internet, puisse évoluer en prenant en compte les sociétés civiles ?
Je ne suis pas optimiste quant à la possibilité que l'ICANN évolue. Notez aussi qu'elle n'est pas « la structure décisionnelle de la gestion d'Internet ». Elle a un pouvoir pour la gestion de la racine, et pour la régulation des domaines de têtes états-uniens (comme .com) mais cela ne représente pas tout l'Internet. Par exemple, ce n'est pas l'ICANN qui décidera s'il faut utiliser plus ou moins de HTTPS (HTTP sécurisé par la cryptographie) sur le Web, ou qui décide qu'il faut mettre toutes nos données personnelles dans des grands silos toujours gérés aux États-Unis. Il y a bien d'autres acteurs qui décident.
Vilain raccourci de ma part. l'ICANN ne gère en effet pas Internet, mais ses noms de domaine les plus populaires. N'est-il pas trop tard, maintenant que les États-Unis ont la main-mise au niveau mondial que ce soit au niveau commercial et politique pour faire évoluer l'indépendance de l'ICANN ?
C'est très difficile, c'est sûr. Mais, en même temps, c'est de la simple justice. Les révélations d'Edward Snowden ont montré, même aux gens qui essayaient de fermer les yeux, les conséquences d'une centralisation de services essentiels sur le territoire d'un seul gouvernement.
Beaucoup de scepticisme. Vous pensez donc que cette rencontre n'aura pas servi à faire avancer, une fois encore, ce débat, et que le gouvernement américain continuera de gérer cette infrastructure racine mondiale ?
Oui, car on n'a jamais vu l'Empire lâcher volontairement et
pacifiquement ce qu'il détenait. Même si l'ICANN voulait vraiment être
indépendante (ce qui n'est pas le cas, elle sait qu'elle n'en a pas
les moyens), le gouvernement US ne lâcherait pas.
Pour finir, si on peut évoquer la Chine (pour l'exemple) comme indépendante, ne risque-t-on pas de voir plusieurs Internets gérés à la manière d'minitel contrôlé et censuré ?
Oui, c'est un argument de propagande souvent entendu. Actuellement, certaines fonctions importantes sont gérées par un seul gouvernement et dont les pratiques sont inacceptables. Cette crainte d'une « fragmentation » est surtout avancée pour refuser toute évolution.
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